Les Bourses du travail


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


Appendice.

Note W

P. 155. — La suppression des bureaux de placement en 1848, et la « Ligue pour la suppression des bureaux de placement, » fondée en 1886.


Le préfet de police Caussidière, obéissant aux sollicitations des ouvriers de diverses professions, prit un certain nombre d’arrêtés pour interdire l’industrie du placement.


Paris, le 29 mars 1848.

Nous, Préfet de police,

Vu les réclamations qui nous ont été adressées par les délégués des garçons marchands de vin ;

Considérant que ces réclamations ont pour objet de supprimer à l’avenir les bureaux de placement, dont les agents prélevaient des droits onéreux pour les travailleurs ;

Que l’office de ces agences reconnu utile en principe consistait à servir d’intermédiaire entre les garçons marchands de vin et leurs patrons et qu’une commission, composée de délégués, a été proposée pour remplir cet office ;

Arrêtons ce qui suit :

Article premier. — Tout bureau de placement servant d’intermédiaire entre les garçons marchand de vin et leurs patrons est interdit.

Art. 2. —Tout garçon marchand de vin sans ouvrage devra s’adresser à la Commission établie d’un commun accord entre les intéressés, et dont le siège est situé provisoirement quai de l’École, 22.

Le Préfet de police,
Caussidière.


Des arrêtés analogues furent pris, à la même époque, contre les placeurs des ouvriers cuisiniers, boulangers, restaurateurs et limonadiers, coiffeurs et cordonniers-bottiers, et accordèrent le privilège du placement dans les professions correspondantes, à des commissions ouvrières.

Ce système ne tarda pas à provoquer des réclamations ; car on trouve dans la Collection officielle des Ordonnances de police, l’avis suivant :


« Avis aux Ouvriers Boulangers de Paris et de la Banlieue.

« Paris, le 6 juin 1848.

« Nous sommes informé que de coupables manœuvres sont exercées par un certain nombre de garçons boulangers, contre les maîtres. Sous prétexte de surveiller l’exécution d’un règlement et l’observation d’un tarif convenu, on viole le domicile des boulangers et on leur impose tel ou tel ouvrier. C’est là un abus intolérable, et que nous sommes décidé à faire cesser immédiatement, par tous les moyens que la loi met à notre disposition. Si les garçons boulangers ont des réclamations à faire, c’est au Préfet de police qu’il faut les adresser, car c’est à lui qu’il appartient de faire exécuter les règlements.

« Nous invitons, en conséquence, les ouvriers boulangers à s’abstenir de toute manifestation de cette nature, en les avertissant que des mesures énergiques seront prises pour réprimer le désordre, quelque part et de quelque façon qu’il se produise.

« Le Représentant du peuple, Préfet de police,
« Trouvé Chauvel. »


Mais la situation créée par les arrêtés de M. Caussidière ne se prolongea pas ; ces arrêtés, pris en dehors des attributions du Préfet de police et contrairement à la loi des 2-17 mars 1791 qui garantissait la liberté de l’industrie, étaient, en effet, entachées d’illégalité ; dès que le Gouvernement provisoire eut disparu, les placeurs commencèrent à se rétablir par tolérance, et, en 1849, ils obtinrent du tribunal de simple police un jugement fortement motivé, qui déclarait nuls et de nul effet les arrêtés qui avaient aboli leur industrie 1.

La « Ligue pour la suppression des bureaux de placement » a été fondée le 4 janvier 1886 ; elle a débuté en adressant une pétition au Conseil municipal de Paris pour le prier de lui faire rendre justice « en demandant à M. le Préfet de police de retirer la tolérance à tous les détenteurs de ces agences et en ordonner la fermeture ». En 1891, un « Congrès de la Fédération française des syndicats de l’alimentation, pour la suppression des bureaux de placement », issu de la Ligue, a voté une série de résolutions dans le même sens. Enfin, un meeting a eu lieu par son initiative le 23 février 1892 et il a voté l’ordre du jour suivant :

« Les travailleurs de toutes les corporations, réunis au nombre de 1 200, au Tivoli Vaux-Hall, le 23 février 1892,

« Considérant que l’existence des bureaux de placement est la cause majeure de la misère que l’on constate dans les corporations assujetties à leurs malhonnêtes agissements,

« Déclarent se solidariser avec leurs concitoyens et les assurer de leur concours jusqu’à la complète disparition de ces exploiteurs du travail 2. »

Dans une des réunions précédentes, convoquée à la Bourse du Travail, la Ligue avait adopté des résolutions non moins énergiques, et dans lesquelles elle invoquait, chose curieuse, la nécessité de sauvegarder le principe de la liberté du travail.

« Considérant, disait-elle, que les corporations intéressées à la disparition des bureaux de placement sont suffisamment organisées pour les remplacer utilement à tous égards, et que ces derniers sont une source d’immoralité publique ;

« Considérant que les Chambres syndicales seulement peuvent exercer une influence salutaire sur leurs camarades ;

« L’assemblée proteste contre les résolutions du Conseil supérieur du Travail (en faveur du maintien des bureaux), et déclare que, quelles que soient les mesures réactionnaires que l’Administration croira devoir imposer aux travailleurs, ceux-ci n’en continueront pas moins à lutter énergiquement pour sauvegarder le principe de la liberté du travail. »

Bref, le but que poursuit la Ligue, c’est d’attribuer aux syndicats ouvriers le monopole du placement dans l’intérêt de la liberté du travail.



Notes

1. Le Placement des Employés, Ouvriers et Domestiques en. France, p. 119.

2. Le Placement des Employés, Ouvriers et Domestiques en. France, p. 156-161.


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