Les Bourses du travail


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


Appendice.

Note R

P. 89. — Ce que coûtent les grèves. — Les grèves en Angleterre en 1888.


Le Rapport du Board of Trade, sur les grèves en Angleterre en 1888, donne le nombre des grèves pendant les dix années 1870-1879 qui ont vu 2 352 grèves en Angleterre, L’année qui en a eu le moins est 1870, où il y en a eu 30 ; celle qui en a vu le plus est 1873, où il s’en est produit autant que de jours dans l’année, 365.

Les chiffres ci-dessus, bien que tirés du rapport du Board of Trade, sont empruntés à un travail de M. Bevan présenté à la Société de Statistique en 1880. Dans le même travail, M. Bevan a estimé les pertes occasionnées au commerce ou à l’industrie, par 114 seulement de ces grèves, à 126 500 000 fr., et il demande à quelle somme il faut évaluer les pertes dues aux 2 238 autres.

Avant que M. Bevan eût dressé les tableaux qui figurent dans son travail, personne ne paraît avoir pensé à recueillir des statistiques de ce genre, et le Rapport que vient de publier le Board of Trade est le premier que le gouvernement ait fait dresser. Il est vrai que le « Bureau du Travail » n’existe que depuis peu de temps au ministère du Commerce.

Arrivons maintenant au Rapport de M. Burnett sur les grèves de 1888.

Il y en a eu, dans cette année, 509. L’industrie du coton en a produit 155 ; les houillères, 137 ; ces deux industries à elles seules fournissent 57 pour 100 du total. Réparties par localités, les 509 grèves se décomposent ainsi : Angleterre et Pays de Galles, 214 ; Écosse, 94 ; Irlande, 1. La grève d’Irlande a eu lieu dans le Nord (comté d’Antrim), dans un chantier de construction de navires.

Arrivant aux résultats des grèves, M. Burnett constate que 249 ont réussi (c’est le mot consacré), c’est-à-dire que les ouvriers ont obtenu ce qu’ils demandaient; 94 ont réussi en partie seulement; 116 ont été sans succès ; quant aux 50 autres, le résultat n’a pu être connu.

Les causes de grève sont les suivantes :

Demandes d’augmentation de salaires320
Résistance à des réductions de salaires54

Dispute sur l’importance de concessions récemment faites2
Mécontentement causé par les conditions et les heures de travail, etc.66
Dispute entre diverses catégories d’ouvriers2
Protestation contre certaines modifications apportées au travail, etc.22
Demandes d’adoption ou de maintien des règlements des Trade’s Unions10
Demande de réinstallation de certains ouvriers6
Mécontentement contre certains employés supérieurs15
Causes inconnues12

175 grèves ayant pour but une augmentation de salaire ont réussi ; mais, par contre, 12 seulement des 54 grèves dont l’objet était de protester contre une diminution des salaires ont eu le résultat désiré.

La conclusion que tire de ces faits M. Burnett est que les grèves réussissent généralement quand le marché est en hausse et qu’elles échouent le plus souvent quand il est en baisse.

Les statistiques officielles ne sont pas très complètes, quand il s’agit de déterminer le nombre des grévistes et la durée des grèves ; le rapport ne peut donner de détails à cet égard que sur 328 grèves dont la durée a été de 6 317 journées de travail perdues par 109 951 ouvriers.

Comme moyen de régler les querelles entre patrons et ouvriers, lés grèves sont un procédé coûteux. Ici encore les statistiques sont incomplètes ; mais, telles qu’elles sont, elles ne manquent pas d’enseignements utiles.

200 grèves ont coûté en salaires perdus par les ouvriers en grève 51 500 liv. st. (1 287 507 fr.) par semaine ; 123 grèves ont occasionné une perte d’intérêt sur un capital de 6 millions de liv. st. (150 000 000 de francs) ; 107 autres ont coûté pour la suspension et la reprise des travaux, 47 000 liv. st. (1 175 000 fr.) ; enfin 10 autres grèves ont coûté en subventions accordées aux patrons par une association d’usiniers 2 415 l. st. ou 60 000 fr.

Passant ensuite au règlement de ces grèves, on trouve dans le Rapport de M. Burnett que 322 ont été terminées par les comités de conciliation ; 14, par l’arbitrage, 85, parla commission des ouvriers ; 23, par l’embauchage d’un nouveau personnel ; 3, par la combinaison de ces deux moyens ; 1, par la soumission et la conciliation. Sur les 50 autres grèves, une n’était pas terminée au moment où le Rapport a été rédigé, et les détails manquent quant aux 49 autres.

…………………………………

Si les ouvriers se mettent en grève assez souvent, les patrons, eux aussi, font grève quelquefois et ferment leurs ateliers ; mais c’est rare, et le cas s’est présenté huit fois seulement en 1888. Dans cinq de ces grèves de patrons, les ouvriers ont été remplacés ; dans une, ils ont trouvé du travail ailleurs, dans deux autres, ils se sont soumis. (Journal des Débats.)

Aux États-Unis, les bureaux du Travail ont constaté que de 1881 à 1886, les grèves ont fait perdre 235 millions 843 200 fr. aux ouvriers, et 191 318 400 fr. aux patrons, soit en tout plus d’un demi-milliard.


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