Les Bourses du travail


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


Appendice.

Note L

P. 36. — Coutumes et règlements limitatifs de la population.


Il est bien certain, dit M. de Sismondi, et comme fait et comme théorie, que l’établissement des corps de métiers empêchait et devait empêcher la naissance d’une population surabondante. D’après les statuts de presque tous les corps de métiers, un homme ne pouvait être passé maître qu’après vingt-cinq ans ; mais s’il n’avait pas un capital à lui, s’il n’avait pas fait des économies suffisantes, il continuait bien plus longtemps à travailler comme compagnon ; plusieurs et peut-être le plus grand nombre des artisans demeuraient compagnons toute leur vie. Il était presque sans exemple, cependant, qu’ils se mariassent avant d’être reçus maîtres ; quand ils auraient été assez imprudents pour le désirer, aucun père n’aurait voulu donner sa fille à un homme qui n’avait point d’état.

(Sismondi. Nouveaux Principes d’Économie politique, liv. IV, chap. X.)


On ne sait pas généralement, dit M. Stuart Mill, dans combien de pays européens des obstacles légaux directs s’opposent aux mariages imprévoyants. Les communications faites à la première commission pour la loi des pauvres par nos consuls et ministres dans les divers pays de l’Europe fournissent des renseignements abondants sur cette matière, M. Senior, dans la préface dont il a fait précéder le recueil de ces renseignements, affirme que dans les pays où le droit à l’assistance est légalement reconnu, le mariage est interdit aux personnes qui reçoivent cette assistance, et qu’on laisse marier seulement un petit nombre de celles qui ne semblent pas posséder les moyens de vivre par elles-mêmes. Ainsi, on nous dit qu’en Norvège nul ne peut se marier s’il ne constate, au jugement du prêtre, qu’il est établi de manière à faire penser que très probablement il aura le moyen d’élever sa famille.

Dans le Mecklembourg, les mariages sont retardés par la conscription jusqu’à la vingt-deuxième année et par le service militaire pendant six ans de plus ; en outre, les futurs époux doivent avoir un domicile, faute de quoi le prêtre n’a pas le droit de les marier. Les hommes se marient de 25 à 30 ans, et les femmes presque au même âge, parce que les uns et les autres doivent gagner d’abord de quoi s’établir.

En Saxe, l’homme ne peut se marier avant 21 ans, s’il est propre au service militaire. A Dresde, les professionnistes (expression qui désigne sans doute les artisans) ne peuvent se marier qu’après être passés maîtres.

Dans le Wurtemberg, l’homme assujetti au service militaire ne peut se marier avant 25 ans que par une permission spéciale obtenue ou achetée ; à cet âge même il est tenu de se procurer une permission qu’il obtient en prouvant que lui et sa future possèdent ensemble de quoi s’établir et élever une famille. Dans les grandes villes, il faut posséder de 800 à 1 000 florins ; dans les petites, de 400 à 500 florins et 200 florins dans les villages.

Le ministre d’Angleterre à Munich dit : « La grande cause qui maintient à un chiffre si bas le nombre des pauvres en ce pays, est la loi qui empêche les mariages, dans le cas où il est prouvé que les futurs n’ont pas des moyens suffisants d’existence ; cette loi est observée strictement dans toutes les localités et en tout temps. L’observation constante de cette règle a eu pour effet d’empêcher l’accroissement de la population de la Bavière, population qui, en effet, est peu nombreuse par rapport à l’étendue du territoire, mais elle a eu pour effet heureux d’éloigner l’extrême pauvreté et, par suite, le paupérisme ».

A Lubeck, les mariages entre pauvres sont retardés, premièrement par l’obligation imposée à l’homme de prouver qu’il a un emploi, un métier ou une profession régulière qui le met en état de soutenir un ménage ; secondement par l’obligation où il est de se faire bourgeois et d’acquérir l’uniforme de la garde bourgeoise qui coûte environ 4 liv. A Francfort, le gouvernement ne fixe point d’âge avant lequel on ne puisse se marier, mais on n’accorde la permission de se marier qu’à celui qui prouve qu’il a de quoi vivre.

Lorsque ces documents parlent des devoirs militaires, ils indiquent un obstacle indirect opposé aux mariages par les lois particulières de certains pays où l’on n’a point établi de restrictions directes. En Prusse, par exemple, les lois qui obligent tout homme qui n’est pas physiquement impropre au service militaire à passer plusieurs années dans les rangs de l’armée à l’âge où les mariages imprudents sont le plus souvent contractés, exercent probablement sur le mouvement de la population la même influence que les restrictions légales des petits États de l’Allemagne.

Les Suisses, dit M. Ray, savent si bien par expérience qu’il est convenable de retarder l’époque du mariage de leurs fils et de leurs filles, que les conseils de gouvernement des quatre ou cinq cantons les plus démocratiques, élus, il ne faut pas l’oublier, par le suffrage universel, ont fait des lois par lesquelles tous les jeunes gens qui se marient sans avoir prouvé au magistrat du district qu’ils sont en état d’entretenir une famille, sont passibles d’une grave amende. A Lucerne, à Argovie, dans l’Unterwald, et je crois à Saint-Gall, Schwytz et Uri, des lois semblables sont en vigueur depuis de longues années.

(John Stuart Mill. Principes d’Économie politique, traduits par Dussart et Courcelle-Seneuil, t. Ier, p. 402.)


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