Les Bourses du travail


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


Appendice.

Note H

P. 30. — Le droit de préemption.


Le droit de préemption que se réservait le seigneur sur les produits de l’industrie de son domaine et sur les articles d’échange subsistait encore il y a deux siècles, en Russie, où le Czar l’exerçait à son profit, où il a agi comme une cause de démoralisation commerciale.

« Jusque vers la fin du dix-septième siècle, dit M. H. Scherer, l’industrie et le commerce de la Russie languirent sous un régime oppressif, dont les principes et les formes tout asiatiques isolèrent encore cette contrée de l’Europe. Dans un empire où même les classes qui possédaient le sol ne pouvaient disposer librement de leur propriété, à plus forte raison devait-il être difficile aux classes pour lesquelles l’absence d’entraves est le premier besoin, d’acquérir une situation indépendante et appropriée aux professions qu’elles exerçaient. La volonté du Czar leur traçait leur système d’activité. En sa qualité de propriétaire unique du sol, il était aussi le seul marchand et supprimait ainsi la concurrence, qui est le principe vital de l’industrie. Le Czar exerçait un droit de préemption sur toutes les marchandises tant indigènes qu’étrangères. Aucun marchand étranger ne pouvait vendre à d’autres qu’au Czar, quand il avait déclaré l’intention d’acheter ses marchandises. Le Czar envoyait des agents dans les provinces pour y acheter à des prix minimes et arbitraires les produits les plus remarquables, qu’il revendait ensuite avec un bénéfice considérable aux marchands indigènes ou étrangers. Ils ne pouvaient refuser même les marchandises avariées, car les intérêts du monarque passaient avant ceux du sujet. Indépendamment des monopoles permanents de l’eau-de-vie, de l’hydromel, de la bière forte et des grains, le Czar monopolisa aussi de temps en temps les produits qu’il recevait à titre de tribut ou de contribution, tels que pelleteries, cire, chevaux tartares, toile, etc., nul, en pareil cas, ne pouvait vendre de ces produits avant que l’approvisionnement impérial ne se fût débité à de hauts prix. Tous ces privilèges dérivaient du pouvoir absolu de l’autocrate sur la vie et les biens de ses sujets. Le commerce ne pouvait pas se soustraire à cette loi fondamentale, loi profondément entrée dans les habitudes ; et comme il lui était impossible de s’enrichir honnêtement, on se crut bientôt obligé d’être malhonnête. Les Russes étaient connus pour leurs fraudes et pour leurs ruses commerciales, et ils n’avaient pas leurs pareils sous ce rapport. Pour ne pas être trompé en affaires avec les Russes, dit un historien déjà ancien, il faut exiger sur-le-champ la marchandise achetée ou le prix convenu ».

(H. Scherer. Histoire du Commerce, traduite par H. Richelot et Charles Vogel, t. III, p. 597.)


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