Grandeur et décadence de la guerre


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


III. Appendice

Note K.

P. 143. — L’augmentation progressive des dépenses de guerre et des dettes publiques en Europe.


Dépenses totales (Guerre et marine). Millions de francs
Nations 1865-66 1869-70 1880-81 1886-87 1892-93
France 536,1 549,3 1 016,1 904,7 890
Russie 601,2 615,6 872,8 982,3 1 107,1
Allemagne 472,5 573,6 501,4 539,4 822,7
Autriche-Hongrie 311,4 342,2 421,4
Italie 247,4 184,4 237 342,6 355,1
Angleterre 632 605,6 760,6 978,4 832,4
Belgique 34,9 36,8 44,1 45,6 47
Espagne 142,3 127,8 154 200,3 170,3
Hollande 45,3 50,5 69,7 69,4 75,3
Suisse 4,8 4,8 14,1 17,2 36,7
2 716,5 2 748,4 3 981,2 4 422,1 4 758,0

L’augmentation du capital nominal des dettes publiques de 1870 à 1887 est l’objet du tableau suivant :

Millions
de francs.
 Millions
de francs.
France...12 000Allemagne...526
Russie...11 000Saxe...388
Prusse...3 217Grèce...270
Italie...3 132Serbie...244
Hongrie...2 249Wurtemberg...194
Autriche...1 770Suéde...181
Espagne...1 300Hambourg...24
Belgique...1 089Finlande...20
Roumanie...701

D’après la Gazette de Cologne, pour l’exercice 92-93, l’armée et la marine ont coûté à l’Angleterre 36,9 % de [238] la totalité de son budget ; à la Russie 28,7 ; à la France 27,1 ; à l’Italie 22,4 ; à l’Allemagne 17,8 ; à l’Autriche-Hongrie 17,0.

Les dépenses pour l’intérêt et l’amortissement des dettes publiques comportent en Italie 43,8 % du budget ; en Autriche-Hongrie 29,3 ; en France 28,4 ; en Angleterre 27,9 ; en Russie 25,7 ; en Allemagne 12,9.


A propos de la grande revue navale de Spithead, le Times a fait remarquer que les 141 navires anglais qui ont défilé devant la reine représentent un capital de 31 millions de livres sterling, dont 21 ont été dépensés, depuis 1886, pour la construction de 99 unités. Si on ajoute à ce chiffre les frais d’armement, le coût total de la flotte dépasse 40 millions de livres, c’est-à-dire un milliard de francs. Il est intéressant de comparer à ces formidables dépenses l’évaluation que sir William White donnait à la flotte anglaise en 1813. Elle comprenait alors de 480 à 490 navires pour le service de mer. Un quart d’entre eux était composé de vaisseaux de ligne, un autre quart de frégates, — les croiseurs de cette époque ; — l’autre moitié comprenait les navires postaux, les bricks, les sloops, etc. Le prix total de cette Hotte, non compris les armements, n’avait pas excédé 10 millions de livres.

Une sorte de vertige, dit M. Yves Guyot, a pris toutes les nations depuis la guerre de 1870. M. A. J. Wilson, dans le numéro de mars de l’Investor’s review compare les dépenses actuelles de l’Angleterre à ce qu’elles étaient autrefois. Elles ne dépassaient pas de 15 à 16 millions de livres sterling par an. Elles sont maintenant de 20 millions de livres pour la marine seule. Dans le prochain budget elles seront pour l’armée et la marine de 45 millions (1125 millions de francs), les plus élevées du monde. Depuis 1871, le service de la dette et les dépenses militaires et navales [239] de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Autriche-Hongrie, de la Russie, s’élèvent à 7 milliards de livres sterling soit 175 milliards de francs.

M. A.-.J. Wilson se fait peut-être quelque illusion quand il dit : « Supposons que la ligne des dépenses militaires et navales soit restée au niveau où elle était en 1869 ; que les dettes qu’elles ont provoquées n’aient pas augmenté, pas une de ces nations n’aurait pensé à établir un tarif de douane contre ses voisines. Toute l’Europe pourrait jouir d’une liberté d’échange égale à celle qui existe entre les États qui forment les États-Unis. »

Mais il y a un fait certain : il y a des malaises : en souffre ; au lieu de rechercher leur cause, on a recours à des remèdes empiriques comme les tarifs protectionnistes.

En dehors des sommes dépensées, il faut voir le gaspillage d’hommes : 580 000 pour l’Allemagne et 100 000 chevaux ; 570 000 pour la France et 120 000 chevaux ; 250 000 hommes pour l’Italie et 50 000 chevaux ; 230 000 hommes pour l’Angleterre et 30 000 chevaux ; 700 000 hommes pour la Russie et 125 000 chevaux ; soit un total de 2 700 000 soldats et 250 000 marins improductifs.

En même temps, ces dépenses surexcitent certaines industries à certains moments, puis les laissent tomber. C’est l’organisation des crises.

On ne tient jamais assez compte de cet élément profond de perturbation dans la vie économique de l’Europe.

Actuellement, toutes les nations, si formidablement armées, n’ont qu’une préoccupation : éviter la guerre. Évidemment, c’est là une conséquence imprévue du développement des forces militaires. On les augmente, mais pour ne pas s’en servir. Elles n’en sont pas moins un écrasant fardeau.

(Le Siècle.) Yves Guyot.


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