Grandeur et décadence de la guerre


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


III. Appendice

Note I.

P. 138. — Quel a été l’emploi de nos 5 milliards ?


La Chancellerie fédérale s’est expliquée à ce sujet dans le Mémoire qu’elle a adressé au Parlement.

Mais d’abord combien l’Allemagne a-t-elle reçu réellement ?

D’abord les 5 milliards, puis des intérêts à 5 p. 100 pour une somme de 381 191 959 fr., soit ensemble et en monnaie allemande 1 413 651 189 thalers. A cette somme il faut ajouter la contribution de guerre de la ville de Paris : 53 500 865 thalers ; et encore les contributions levées sur un grand nombre d’autres villes. De ces sommes, la plus notable partie a été absorbée par des dépenses militaires ; cependant, toutes déductions faites, il en reste encore environ 17 394 220 thalers. C’est en tout 1 484 551 274 thalers. Il est vrai que sur cette somme l’Allemagne nous a payé 325 millions de francs, soit 80 666 666 thalers, pour le rachat des chemins de fer du territoire annexé ; reste donc, en fin de compte, à l’Allemagne : 1 397 804 608 thalers, ou 5 142 067 280 fr.

A quoi ont été consacrées ces ressources qui peuvent bien être qualifiées d’extraordinaires ? Le voici, du moins pour ce qui est ostensiblement avoué :

480 777 029 thalers doivent être employés pour le fonds des invalides, la restauration et l’armement des forteresses de l’Alsace-Lorraine, les chemins de fer Alsaciens-Lorrains et Guillaume-Luxembourg, le Trésor militaire, l’administration de la marine, l’avance permanente pour l’administration militaire, les dotations des généraux et des hommes d’État, les secours aux Allemands expulsés de France, les frais du Quartier-Général ;

37 700 000 thalers pour indemnités de guerre ;

5 600 000 thalers d’indemnités aux armateurs allemands ;

300 000 thalers pour médailles commémoratives ;

10 089 774 thalers pour pension aux invalides pendant l’année 1872 ;

5 980 000 thalers aussi aux invalides pour le temps où le fonds spécial qui leur est assigné ne sera par placé ;

9 847 187 thalers pour armement et désarmement des forteresses ;

9 352 512 thalers pour l’administration maritime ;

4 791 980 thalers pour construction ou reconstruction de chemins de fer stratégiques ;

202 791 thalers pour la télégraphie militaire ;

3 753 714 thalers pour frais de l’administration civile en France ;

815 000 thalers pour indemnités à l’administration des postes et des télégraphes ;

21 000 000 thalers pour supplément de dépenses pendant l’occupation des territoires français ;

250 000 thalers pour frais divers à la charge de la caisse de l’Empire ;


Soit en tout 600 836 027 thalers consacrés à des dépenses militaires d’intérêt fédéral.


Quant aux 793 000 000 de thalers restants, ils doivent être répartis entre les États fédérés, sauf cependant 108 596 810 thalers, d’une part, et 6 119 000, de l’autre, déjà absorbés par des dépenses urgentes.

La répartition entre les États fédérés est fixée comme suit :

EnConfédération du Nord ...530 116 053thalers.
EnBavière...90 200 411
EnWurtemberg...28 500 870
EnBade...20 144 182
EnHesse...9 333 674

Ainsi, sur cette somme énorme de 5 milliards, quelle portion l’Allemagne a-t-elle prélevée, soit pour alléger sa dette, soit pour diminuer les impôts, soit pour encourager son commerce, son industrie ? Aucune.

Une guerre heureuse lui a fourni le moyen de demander 5 milliards d’indemnité, 5 milliards ! chiffre que jusqu’alors l’imagination humaine pouvait à peine concevoir, et pas un centime de ces 5 milliards n’a servi à augmenter le bien-être des populations allemandes ! Dans toute cette longue énumération de l’emploi qui est fait de nos 5 milliards, nous ne voyons que des paiements de dépenses de guerre, dépenses précédemment faites ou à faire.

(Alfred Neymarck, Les milliards de la guerre, p. 22.)

Complétons ces renseignements par un curieux article du Vorwaerts sur le militarisme et ses effets en Allemagne : « Jusqu’en 1876, l’Empire n’avait pas de dette. » Voici, d’après le Vowaerts, le tableau de l’accroissement de la dette depuis 1876, en marks :


En1877 ...16millions. 1886 ...440millions.
En1878 ...72 1887 ...486
En1879 ...139 1888 ...721
En1880 ...218 1889 ...884
En1881 ...268 1890 ...1118
En1882 ...319 1891 ...1318
En1883 ...349 1892 ...1524
En1884 ...373 1893 ...1697
En1885 ...40 

Le Vowaerts ajoute :

« L’accumulation de cette dette a été produite pour la plus grande partie par les dépenses pour l’armée et la flotte de guerre, pour le Moloch du militarisme. Une portion relativement minime de la dette de l’Empire résulte de la construction de chemins de fer en Alsace-Lorraine et de la construction du canal de la mer du Nord à la Baltique.

« Mais ici encore, il y a lieu de noter que ces travaux ont avant tout, un intérêt stratégique. Depuis 1876, il a été dépensé au budget extraordinaire une somme totale de 2 milliards 216 millions pour l’armée et la marine. Voilà surtout ce qui a contribue’ à l’augmentation effrayante de la dette de l’Empire.

« N’oublions pas, d’ailleurs, que la majeure partie de la contribution de guerre de 5 milliards imposée à la France a été dépensée pour la guerre et la marine. »


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