Grandeur et décadence de la guerre


par M. Gustave de Molinari.

Correspondant de l’Institut, rédacteur en chef du Journal des Économistes


III. Appendice

Note C.

P. 94. — L’insuffisance de la sécurité intérieure.


A cet égard, les gouvernements modernes se montrent aussi négligents que leurs devanciers ; aux États-Unis, par exemple, l’insuffisance et la corruption de la police ont donné lieu à la création d’entreprises libres qui se chargent de protéger la vie et la propriété des citoyens, que la police officielle laisse sans défense. La plus célèbre est l’agence Pinkerton qui a joué un rôle important dans la grève de Pittsburg. En Europe, cette sorte d’entreprise serait absolument prohibée ; en revanche, on a commencé à établir des sociétés d’assurance contre le vol. Tel est le Lloyd Néerlandais qui a son siège à Amsterdam, et dont nous reproduisons ce très original prospectus :

« Nous avons l’honneur d’attirer votre attention sur le danger de laisser, sans les couvrir par une Assurance contre le vol et les détériorations du fait des voleurs, marchandises et biens de toutes espèces que renferment vos immeubles.

« Les longues nuits d’hiver, les absences d’été, sont particulièrement propices aux opérations des cambrioleurs.

« Les propriétaires ne sont pas toujours à l’abri du vol se perpétrant par les toits en enlevant des tuiles, eu brisant les vitres des lucarnes, en fracturant portes ou fenêtres donnant sur les jardins, et en pénétrant dans les maisons simplement au moyen de fausses clefs ou par les soupiraux des caves.

« Il arrive aussi que les cambrioleurs parviennent à razzier des habitations en y accédant par les balcons, serres adossées derrière les maisons ou encore en appliquant des échelles aux fenêtres de l’étage, en pratiquant des brèches aux murs mitoyens des voisins momentanément absents, et par d’autres systèmes encore, profitant quelque fois d’une heure d’absence guettée bien patiemment.

« Le vol des marchandises de prix exposées aux étalages, en cassant, même en plein jour, les glaces des devantures, est aussi quelquefois à redouter.

« Notre assurance répare les suites souvent considérables de ces méfaits en dédommageant intégralement, dans les 60 jours après la constatation du délit, toute perte ou détérioration du fait des cambrioleurs. Plus de cinquante vols ont été indemnisés depuis janvier 1895.

« Notre assurance contre le vol forme complément à l’assurance contre l’incendie, l’une n’ayant pas de raison d’être sans l’autre. En effet feu ou voleurs s’introduisent chez nous d’une façon toute inattendue et produisent par leurs ravages bien des points de similitude.

« Par contre, et c’est là une sécurité de plus pour les assurés, savoir qu’ils traitent avec une institution sûre, presqu’aucune crainte de fraude à avoir pour la branche vol, car il est bien plus difficile de simuler avec profit un vol que de mettre le feu chez soi. Fracturer nécessite un outillage spécial. A se le procurer ou à s’en mal servir, on risque de se trahir... Bien difficile à cacher les objets prétendument volés ; difficile aussi à vendre sans avoir à redouter d’indiscrètes complicités.

« Nous rejetons toute proposition tant soit peu équivoque.

« Nous couvrons pour la valeur totale ou partielle, quoiqu’avec dédommagement intégral, le montant de vos biens, suivant degré de sécurité, non seulement contre le vol proprement dit, mais aussi contre les détériorations importantes du fait des voleurs.

« Nous assurons toutes marchandises, telles que dentelles, bijoux, tableaux, bicyclettes, maroquineries, lingeries, objets d’art, etc., etc., en magasin, à une prime annuelle approximative de un à trois mille. Nous assurons les valeurs en coffre-fort. Nous couvrons également le vol ou détériorations qui pourraient se commettre à vos immeubles ou objets mobiliers de toutes espèces, proie facile pour les cambrioleurs qui s’emparent volontiers du linge, literies, ornements de cheminée, argenterie, vins, tableaux, bijoux, etc.

« Notre assurance continue ses effets à l’égard des objets laissés pendant six mois et plus sans gardien.

« Pouvoir se passer de concierge constitue quelquefois une certaine économie 1. »

Dans ses mémoires, M. Goron, ancien chef de la sûreté, donne cette explication de l’insuffisance de la police criminelle en France, où, dit-il, toutes les grosses sommes sont consacrées à la police politique :

— Non seulement la police criminelle est insuffisante en province, mais en dehors de quelques grandes villes elle n’existe pas ; elle existe même moins que jadis, car les gendarmes ont des besognes qu’ils n’avaient pas autrefois, par exemple les convocations militaires à porter, et par conséquent il leur reste beaucoup moins de temps pour assurer la sécurité des campagnes.

Dans mes Mémoires, j’ai du reste traité cette question en détail ; j’ai expliqué que le gendarme qui ne peut opérer que revêtu de son uniforme, était impuissant à rechercher les assassins, et j’ai indiqué justement un moyen de traquer les malfaiteurs aussi bien en province qu’à Paris. Ce moyen est simple, il consiste à augmenter le nombre des agents de la sûreté de Paris, et a envoyer à tous les parquets de province d’excellents limiers, dès qu’un crime a été commis.

Malheureusement ce moyen coûterait assez cher, et chose triste à dire, on ne dépense pas d’argent pour la police criminelle. Il faut avoir le courage de faire certaines constatations. Toutes les grosses sommes sont consacrées à la police politique.



Note

1. L’existence de sociétés de ce genre n’atteste-t-elle pas suffisamment combien les gouvernements négligent la branche la plus importante des services pour lesquels on les paie si cher.


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