De l'Enseignement obligatoire

 

 

Troisième partie : appendice

Notes et documents à l'appui de l'opinion de M. Frédéric Passy

Note B.

Sur la diversité des opinions en matière d'éducation.

 

Une des considérations qui mettent en évidence l'incomparable supériorité de la liberté sur la contrainte ; et l'une de celles, en effet, qui sont le plus constamment opposées, par les défenseurs de l'activité individuelle, à toutes les prétentions des organisateurs de toutes les sortes ; c'est l'impossibilité de s'entendre, avant de régler un point quelconque de la vie des hommes, sur la règle qu'il convient de leur imposer : impossibilité telle que l'idéal de l'un est l'épouvantail de l'autre, et que le mal que celui-ci prétend extirper absolument par la force est précisément le bien que celui-là, par la force également, prétend rendre universel. L'intervention du législateur, invoquée comme un remède à l'anarchie des idées et à la discordance des actes, n'aboutit donc, en définitive, qu'à généraliser l'arbitraire et à envenimer les division : la lutte devient d'autant plus inévitable et plus ardente qu'il s'agit ou d'être maître ou d'être esclave, ou de subir la loi ou de la donner ; et ce ne sont pas la paix et l'unité, c'est la guerre sans trêve et l'interminable conflit des systèmes qui devient le régime permanent de la société, chaque jour remise en question tout entière pour n'avoir pas voulu souffrir un moment la discussion sur tel ou tel point parfois de second ordre.

Cette considération n'est pas moins applicable ici qu'en toute autre occasion ; les avis ne sont pas moins partagés en matière d'instruction qu'en toute autre matière ; et la formule de l'organisation intellectuelle n'est pas plus facile à déterminer que la formule de l'organisation industrielle. On en jugera par quelques indications prises au hasard dans la foule des notes que j'ai sous les yeux, et l'on verra entre combien de lisières l'esprit humain se trouverait tiraillé, s'il était une fois admis qu'il est nécessaire de lui choisir des lisières.

Selon M. de Molinari (ab Jove principium), ce que tout père doit à son enfant pour être quitte envers lui de "la dette de paternité ;" ce que tout enfant doit recevoir de son père pour être par lui rendu "un homme ;" c'est ce qui est indispensable pour remplir un jour "l'emploi le plus bas de la société au sein de laquelle il est appelé à vivre." C'est là, M. de Molinari ne peut s'empêcher de le sentir, "une donnée assez vague ;" et il est bien permis, à ce qu'il me semble, malgré ses affirmations réitérées, de se demander si, pour être admis dans les petites hordes de Fourrier, ou pour trouver de l'emploi dans quelque entreprise analogue, il est absolument nécessaire de savoir "lire, écrire et compter." Il serait permis, peut-être aussi, de se demander si ces trois choses sont des quantités précises et invariables, et si la "solution" est moins "vague" que la "donnée." C'est à elles, quoi qu'il en soit, que M. de Molinari borne sa requête ; et avec elles chacun, selon lui, aura son dû. Il n'est question, dans son programme, ni des connaissances professionnelles, ni de la littérature, ni des arts, ni de la morale, ni de l'hygiène, ni de la religion, ni du droit, ni même de l'économie politique [1]. Sa prévoyance ne s'étend, d'ailleurs, qu'aux couches les plus inférieures de la société, et il met sans difficulté hors de page tout ce qui peut justifier de quelque aisance ou de quelque importance. Enfin, il borne l'action de l'État à la promulgation d'une obligation, à la sanction de cette obligation, au besoin, par une pénalité qu'il ne détermine pas ; et il lui interdit positivement tout concours par l'impôt, toute assistance, toute direction, toute influence, presque toute vérification et tout contrôle, car comment contrôler sans diriger [2] ?

M. Rossi (Cours d'Econ. pol., 1er vol., 20e leçon), quoique moins affirmatif à l'égard du droit de l'État, est à peu près du même avis. Il pense également que le gouvernement, dans l'intérêt de la nation tout entière, peut, et doit "peut-être, imposer à tous les membres de la société une éducation de l'esprit comme il exige un vêtement et une tenue décente pour le corps [3]." Il pense encore que l'éducation peut être "générale et obligatoire sans être entièrement gratuite ;" mais il ne repousse pas, il appelle plutôt, le concours de l'État dans cette oeuvre d'intérêt général. Il ne détermine pas non plus "les limites de cette instruction commune et de cette éducation initiale," attendu, dit-il, que "ces limites doivent varier selon les conditions morales et politiques de la société." Mais, sans faire cette détermination, il insiste sur la nécessité de ne pas donner seulement "de l'instruction," mais aussi "de l'éducation," ou plutôt quelque chose qui tienne de l'une et de l'autre, et qu'il voudrait pouvoir désigner par "un mot qui réunisse par un lien indissoluble les deux idées." Et il arrive à indiquer qu'il y a "trois ordres d'études communes, comme il y a trois espèces de professions : les professions mécaniques, les professions industrielles, les professions savantes ou esthétiques." Nous voilà déjà loin des simples notions de la lecture, de l'écriture et du calcul ; ce n'est rien encore pourtant, et nous ferons bien un autre chemin.

M. de Brigode (Adrien), dans un travail fort sérieux, quoique non livré au public (Projet de loi sur l'Instruction Primaire, présenté à la Conférence Molé en janvier 1850), croit devoir, à la différence des précédents, indiquer avec précision l'objet de cette instruction. Elle comporte, suivant lui, "pour les garçons, 1° l'enseignement religieux et moral, 2° l'instruction civique ; 3° la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française, les éléments du calcul, le système légal des poids et mesures, des notions élémentaires sur les faits principaux de l'agriculture et de l'industrie, le dessin linéaire, la musique vocale [4], des notions élémentaires sur l'histoire et la géographie de la France : - pour les filles, outre l'enseignement religieux et moral, la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française, les éléments du calcul, le dessin linéaire, les travaux d'aiguille, la musique vocale, et des notions élémentaires sur l'histoire et la géographie de la France." (L'instruction civique n'est pas mentionnée de nouveau ; il paraît que les femmes n'avaient pas besoin de civisme dans la République de M. de Brigode.)

M. de Brigode admet, d'ailleurs, dans toute son étendue, le principe de la gratuité, "dette aussi vraie que la gratuité de la justice ;" il est aussi-large à l'égard de l'intervention de l'État, et il se méfie beaucoup au contraire de l'instruction privée, contre laquelle il croit utile de se mettre en garde par toutes sortes de précaution. "Permettre à tout individu d'ouvrir école, dit-il, est aussi funeste que de permettre à tout citoyen d'ouvrir un club ;" et "l'enseignement privé doit être placé sous la surveillance du gouvernement, en qui la sagesse de la nation est censée reposer avec le pouvoir." - Quant aux moyens de coercition, ils ne lui manquent pas non plus : c'est "la réprimande" avec affiche, "l'amende, la destitution, la privation de secours publics ;" et, par contre, l'allocation d'une "indemnité en nature," en sus des secours ordinaires, aux indigents qui "envoient régulièrement leurs enfants à l'école primaire."

Mac Culloch (Principes, etc. T. 2, p. 113), estime qu'il est "assez généralement reconnu aujourd'hui qu'un des devoirs les plus impérieux du gouvernement est de pourvoir à l'instruction élémentaire de toutes les classes de ses sujets ;" et il fait en conséquence des voeux pour "l'établissement d'un système réellement utile [5] d'éducation nationale," attendu que des "écoles fondées à l'aide de la charité et des souscriptions ne peuvent jamais compenser complètement le défaut de fonds alloués par statuts pour l'éducation," et que dans ces écoles une foule de "matières importantes doivent être laissées à la discrétion d'agents irresponsables."

M. Guizot (Robert Peel, p. 289 et s.) est d'avis que ce qu'il y a de mieux, de plus conforme aux "principes sains et pratiques," c'est "l'État venant en aide aux efforts, SOIT de l'Église, SOIT des sectes dissidentes, SOIT des corporations laïques en faveur de l'éducation populaire, et apportant PARTOUT dans cette grande oeuvre sa puissance et sa surveillance sans gêner NULLE PART ni la foi religieuse ni le libre développement du zèle volontaire."

M. Banfield (Organisation de l'Industrie, ch. VI, de l'Impôt), pense que "les meilleurs impôts sont ceux qui provoquent le progrès intellectuel," et spécialement que "la promotion des véritables sentiments religieux est le premier pas de l'organisation de l'industrie." D'où il résulte, évidemment, que le plus grand bien qu'on puisse faire à un peuple, et le plus sûr moyen de l'enrichir, c'est de lui prendre son argent pour lui faire donner les sentiments religieux de M. Banfield.

M.E. Thomas, traducteur de M. Banfield, traitant à son tour la même question dans une note fort étendue, après avoir déclaré que "l'État n'a pas le droit d'imposer l'éducation, et à plus forte raison un certain genre d'éducation, bien qu'il y ait l'obligation d'accroître la puissance productive par la PROMOTION DE L'INTELLECTUALITÉ," propose de transformer "l'armée en une école professionnelle obligatoire." Il demande également qu'on modifie profondément, toujours dans le sens "professionnel," l'instruction de la jeunesse ; qu'on "interdise absolument aux écoles publiques tout enseignement d'appréciations préconçues en histoire, en politique ou en philosophie ;" qu'on se "borne à la chronologie et à la géographie comme moyen mnémonique," etc., etc. Il insiste, enfin, pour qu'en "généralisant l'instruction primaire gratuite," on "y ajoute, à différents degrés, une instruction secondaire" (toujours gratuite), "de plus en plus élevée," mais conforme à ses idées ; et, pour subvenir à ces créations nouvelles, il recommande un "impôt pour l'instruction publique proportionnel au revenu ; car, dit-il, les fruits s'en partagent au prorata de la fortune."

Th. Fix (État des classes ouvrières, p. 252 et suiv., devoirs et moyens du gouvernement), commence par constater que l'instruction élémentaire est insuffisante. "Il s'agit, dit-il, pour l'ouvrier d'aborder le travail dans LES MEILLEURES CONDITIONS POSSIBLES...... Or, on n'arrive à ces conditions que par une instruction préparatoire que l'autorité doit faire donner aux classes inférieures." Cette instruction (préparatoire !) comprend, d'après M. Fix..., "des notions élémentaires des sciences enseignées d'un point de vue pratique." Elle doit "réveiller les facultés" de ceux à qui elle sera donnée ; "les conduire dans le domaine de la pensée, et leur fournir des connaissances utiles dans toutes les professions..., les principes de la morale, les premières notions de la physique, de la chimie, des mathématiques, de l'histoire naturelle, de l'histoire nationale et du dessin linéaire....." "Les principes de l'hygiène et des détails sur la structure du corps humain" ne sont pas moins nécessaires... Il s'agit encore pour "l'autorité" de "former des bibliothèques, d'encourager la lecture," et de mettre la gymnastique à l'ordre du jour. - "La santé et la force du corps, en effet, important plus qu'on ne pense à l'élévation et au développement des facultés morales. La gymnastique devrait donc être une institution nationale ;" et à ce titre quelques bons petits règlements seraient bien à propos ; car il est évident que les hommes ne sautent que quand on les fait sauter, - témoin Paillasse et les nègres, - et "l'intervention de l'État est" incontestablement "nécessaire pour établir et propager les exercices gymnastiques chez les classes inférieures." Voilà pour le plus pressé. Mais à quoi servirait la prévoyance du législateur s'il ne songeant qu'au plus pressé ? "Quand l'État" aura rempli ces premières obligations, "il lui restera à compléter sa mission en faisant connaître aux ouvriers les conditions civiles et politiques de leur existence," et à se souvenir qu'il "est le gardien de la morale publique." C'est pourquoi il ne ferait pas mal, entre autres choses, d'interdire la travail à la tâche ; car tout le monde sait que c'est là une invention de fainéants et de mauvais sujets, et que "les ouvriers à la tâche s'épuisent" régulièrement "en trois ou quatre jours pour se livrer ensuite à la débauche." Demandez-plutôt à Franklin.

M. Louis Blanc (Organisation du travail), en vertu d'une "distinction qui n'est pas vaine," à ce qu'il assure, (et on peut le croire), entre "le Droit et le Pouvoir d'exercer ses facultés," affirme que "la société doit à chacun de ses membres L'INSTRUCTION CONVENABLE, sans laquelle l'esprit humain ne peut se développer, et les instruments du travail, sans lesquels l'activité humaine ne peut se DONNER CARRIÈRE. Or, par l'intervention de qui la société donnerait-elle à chacun de ses membres l'instruction convenable et les instruments de travail nécessaires, si ce n'est par l'intervention de l'État ?"

M. Michel Chevalier, enfin (Organisation du travail, lettre 18, extension et perfectionnement de l'instruction publique), repousse les théories de M. L. Blanc et réduit à néant ses arguments ; mais il demande à son tour, pour mettre l'instruction de la nation au niveau de ses besoins, des changements qui ne sont pas de médiocre importance, il ne se borne pas à dire (p. 497) que "le plus précieux des capitaux, le plus fécond incomparablement, est celui que l'homme porte en lui-même, l'intelligence et l'adresse, le goût du travail, la conscience dans le travail, la prévoyance après le travail ;" que "l'éducation et l'instruction ont, pour accroître ce capital-là, une force prodigieuse ;" et que, "dans l'intérêt spécial du grand nombre, un bon système d'éducation et d'instruction, tant général que professionnel, doit désormais fixer, de la manière la plus sérieuse, l'attention du législateur et prendre place aux budgets de l'État et des localités." Il ajoute que "ce qu'il y aurait à faire au sujet de la partie de la population qui est dans une condition meilleure ne doit pas moins exciter la sollicitude publique et le zèle prévoyant des individus." Quant au grand nombre, il faut pour lui, suivant M. Michel Chevalier, une "instruction professionnelle," des "fermes-modèles," des "écoles d'arts et métiers." Il faut que "partout, dans les villes comme dans les champs, on apprenne aux populations les règles de l'hygiène qu'elles ignorent, et qu'on leur donne de saines idées sur l'économie nationale," etc. Quant au petit nombre, il n'y a pas pour lui moins à faire. "Chez nous, les hommes qui ont reçu même une bonne éducation, dans le sens ordinaire du mot, sont ignorants de beaucoup de choses qui devraient être sues généralement... Les ," entre autres [6] "sont beaucoup trop délaissées en France. Jusqu'ici pas un des gouvernements que nous avons eus n'a sérieusement voulu qu'on initiât le public à cette partie des connaissances humaines. Erreur fatale ! Ils avaient alors à traiter avec les préjugés, qui sont toujours plus difficiles à manier que les lumières. Que de soucis et d'échecs ils se seraient épargnés si le public eût été plus familier avec la science de Smith et de Turgot, de Ricardo et de Say !"

 

 

Certes il y a dans les réflexions de l'illustre économiste, et dans beaucoup de celles des différents écrivains que j'ai cités, une part de vérité qu'il est impossible de méconnaître ; et, pour mon compte, je suis convaincu, avec eux et avec d'autres, que l'éducation des classes aisées de la société n'est pas moins défectueuse que celles des classes pauvres, et que l'ignorance et l'erreur sont aussi grandes, et plus désastreuses peut-être, en haut qu'en bas [7]. Mais on conviendra que la tâche se complique singulièrement, et que, plus nous avançons, plus nous trouvons de choses à faire et d'avis différents sur ce qu'il y a à faire.

Je n'ai puisé mes citations jusqu'à présent, cependant, que dans des écrits d'une valeur non contestable. Que serait-ce si, recueillant des déclarations plus étranges sans doute, mais non moins puissantes peut-être sur l'esprit des peuples, je montrais Robespierre s'apprêtant sérieusement à "faire des républicains" et décrétant "la Terreur" pour établir "la vertu ;" - Rabaut Saint-Etienne demandant que, "suivant les principes de Crétois et des Spartiates, l'État s'empare de l'homme dès le berceau et même avant sa naissance ;" ou Saint-Just formulant en ces termes son programme d'éducation obligatoire : "Les enfants sont vêtus de toile en toute saison. Ils couchent sur des nattes et dorment huit heures. Ils sont nourris en commun, et ne vivent que de racines, de fruits, de légumes, de pain et d'eau. Ils ne peuvent goûter de chair qu'après l'âge de seize ans ? etc., etc." Saint-Just était un fou furieux, dira-t-on, et rabaut Saint-Etienne et Robespierre, malgré la probité incorruptible de l'un et les vertus de l'autre, ne sont pas en tout des modèles à suivre. Soit ! mais cela ne diminue pas le danger de leurs élucubrations ; et, fous ou non, on avouera que les faiseurs de systèmes abondent plus qu'ils ne s'accordent. Platon, Lycurgue, Rousseau, Mably, Fénelon, Saint-Simon, Fourrier, Babeuf, R. Owen ; combien d'autres encore, dont je n'ai rien dit, ayant chacun sa théorie sur les devoirs de l'État et les obligations des citoyens, son programme pour l'instruction de la jeunesse ! Auquel l'État entendra-t-il, et par quel procédé choisira-t-il le moule qui nous est nécessaire ? N'est-il pas plus simple qu'il n'entende à personne, qu'il ne brevète aucun procédé, et qu'il laisse à chacun le choix de son moule et la responsabilité de son choix ? Les hommes se tromperont souvent ; mais qu'y faire, puisque telle est la condition de la nature humaine ? Et, trompés pour trompés, ne vaut-il pas mieux, et n'est-il pas plus juste, qu'ils se trompent librement eux-mêmes que de leur faire subir de force l'erreur d'autrui ? Tant qu'on n'aura pas trouvé un moyen de discerner à coup sûr la vérité, il faudra bien se résigner à laisser chacun la chercher à sa façon. Cela est aussi vrai du corps que de l'âme, de l'intelligence que de la richesse ; et, quel que soit l'intérêt qui soit en cause, il faudra toujours en revenir à cette déclaration catégorique : "S'il y a au monde un homme (ou une secte) infaillible, remettons-lui non-seulement l'éducation, mais tous les pouvoirs, et que ça finisse. Sinon éclairons-nous le mieux que nous pourrons ; mais n'abdiquons pas." Bastiat (Baccalauréat et Socialisme.)

 

Je m'aperçois, en relisant cette note, que je n'ai parlé que des opinions et que je n'ai rien dit des législations. M. de Molinari a cité plusieurs de celles des pays étrangers, et ce qu'il en a cité suffit pour montrer combien elles varient dans leurs exigences, depuis l'obligation pure et simple d'apprendre à lire, écrire et compter, jusqu'à celle d'être "bon citoyen et bon chrétien." En Prusse on sait que la loi de 1819 porte que "les ministres de la religion n'admettront aucun enfant aux conférences pour la confirmation et la communion s'ils ne présentent pas des certificats qui attestent qu'ils ont achevé leur temps à l'école." En Angleterre, un inspecteur des écoles "proposait récemment de déporter, dans certains cas, les enfants des pauvres n'ayant pas quelques notions de lecture et d'écriture." (V. art. Instruct. pub. du Dict. d'Ec. pol., p. 938)

- Quant à la France, le décret du 25 déc. 1793 (29 frim., 5 niv. an II), déclarait l'instruction du premier degré obligatoire. Diverses pénalités étaient attachées à l'inobservation de cette prescription. Et les art. 14 et 15, sect. 3, ajoutaient : "De plus, les jeunes gens qui, au sortir des écoles du premier degré d'instruction, ne s'occuperont pas du travail de la terre, seront tenus d'apprendre une science, art ou métier utile à la société," etc. - Une loi du 17 nov. 1794 aggrave les sévérités de ce décret. L'art. 14 de cette loi dispose que "les jeunes citoyens qui n'auront pas fréquenté les écoles primaires seront examinés, en présence du peuple, à la fête de la Jeunesse." La Constitution de 1791 portait, d'ailleurs, que l'instruction publique serait "gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables à tous les hommes." On lit également dans la Déclaration des droits de l'homme : "L'instruction est le besoin de tous : la société doit favoriser de tout son pouvoir le progrès de la raison publique, et mettre l'instruction publique à la portée de tous les citoyens." La gratuité est en conséquence établie par le décret de 1793 et la loi de 1794 (conformément au rapport de Lakanal), ce qui ne veut pas dire qu'elle ait été réalisée, non plus que l'obligation. Enfin tout le monde sait que le paragraphe 8 du Préambule de la Constitution de 1848 était ainsi conçu : "La République doit mettre à la portée de chacun l'instruction indispensable à tous les hommes ;" et que l'on lisait à l'art. 13 : "La société favorise et encourage le développement du travail par l'enseignement primaire gratuit."

 

Notes

[1] Il n'en est pas question dans son programme, mais il en est fortement question dans les considérations à l'appui ; et c'est encore là une contradiction qu'il est impossible de ne pas remarquer. "L'ouvrier, aujourd'hui," dit M. de Molinari (p. 44 et suiv.), ayant, grâce à la "liberté, le fardeau redoutable de la responsabilité d'une existence à conduire," n'a pas seulement besoin de "certaines connaissances professionnelles ;" il faut encore qu'il sache, " au moins d'une manière sommaire, jusqu'où s'étendent ses droits d'homme libre, en même temps que ses obligations et ses devoirs ;" et pour cela "il doit posséder quelques notions élémentaires de morale, de droit et d'économie politique." Sans ces notions, il est comme un "aveugle" perdu au milieu du tumulte "d'une immense capitale." Et l'on ne peut "sans crime" l'en laisser manquer. A merveille ; mais, si tout ce qui est nécessaire pour se bien conduire dans la vie doit être assuré à l'enfant par la loi, pourquoi ne pas comprendre toutes ces connaissances dans le cadre de l'obligation paternelle ? et, si la loi ne peut se charger de pourvoir à tous les besoins de l'enfant, pourquoi imposer ceci plutôt que cela ?

[2] Ainsi l'interdiction est-elle plus apparente que réelle, et M. de Molinari, quand il en vient aux voies et moyens, ne trouve-t-il rien de mieux que de proposer que le rétablissement, sous une forme déguisée et sous un nom d'emprunt, de cette gratuité qu'il;condamne et de cette intervention qu'il réprouve. Qu'y a-t-il d'autre dans ces "bons d'instruction" délivrés par la "charité publique," qu'une distribution légale et gratuite d'instruction ? Et quelle différence peut-on voir, économiquement parlant, entre ouvrir gratis l'école aux pauvres, ou fournir gratis aux pauvres l'argent nécessaire pour se la faire ouvrir ? Qu'est-ce, d'un autre côté, que cette prévention de fournir aux "établissements d'instruction élémentaire une clientèle ASSURÉE et aussi nombreuse que possible," sinon une variété très-efficace et très-connue de protection ? "En accroissant dans de vastes proportions la clientèle" de ces établissements, dit M. de Molinari, "en leur fournissant par là même amplement les moyens de subsister par eux-mêmes, l'enseignement obligatoire ruinerait le prétexte que l'on invoque aujourd'hui pour réclamer les subventions gouvernementales et communales ?" Je le crois parbleu bien. Eh ! qui serait ce sot-là qui irait faire le mendiant pour obtenir un secours quand on prendrait la peine de faire passer les gens à son comptoir ? MM. les prohibitionnistes eux-mêmes, j'en jurerais, sont prêts à renoncer demain à toutes les restrictions douanières et à toutes les primes avouées ou occultes, si l'on veut prendre l'engagement de "leur fournir," par "une clientèle assurée et nombreuse, LES MOYENS DE SUBSISTER AMPLEMENT PAR EUX-MÊMES." C'est une idée que l'association pour la réforme douanière n'a pas eu encore, mais qu'il serait bon qu'elle mît à l'essai. L'achat "obligatoire ne serait-il pas, en définitive, un moyen efficace d'arriver à la liberté" du commerce ?

[3] Il m'est impossible de dissimuler l'étonnement que j'éprouve en trouvant, dans cette bouche finement railleuse, cette assertion, reproduite depuis, presque textuellement, au sein de la Société d'Econ. pol. de Paris, par le savant professeur qui occupe aujourd'hui la chaire de M. Rossi, M Baudrillart. Oserai-je prier mon excellent collègue de vouloir bien me dire comment une société s'y prendrait pour imposer à un de ses membres, dénué de toutes ressources, "la dépense d'un habit décent," soit pour lui, soit pour ses enfants ? Je n'ignore pas qu'elle peut le mettre en prison et le vêtir gratis du costume pénitentiaire, s'il lui arrive de se promener par les rues sans être couvert ? mais quant à lui faire acheter à ses frais de quoi se couvrir, cela me paraît moins aisé. La faim et le froid sont des avertissements plus énergétiques, on en conviendra, que toutes les injonctions légales du monde : je n'ai jamais vu, pourtant, qu'il suffît de les éprouver pour se procurer tout aussitôt un dîner convenable et un habillement chaud. Ce que la nécessité ne peut pas, comment l'obligation le pourrait-elle ?

La même réflexion s'applique, évidemment, à cette proposition de M. de Molinari, que l'État n'a pas à s'occuper des ressources du père pour exiger de lui le paiement de la dette de la paternité, "pas plus qu'il n'est tenu de fournir à un débiteur dans la gêne les sommes qu'il le contraint de payer à ses créanciers." Jamais l'État n'a pu ni ne pourra faire donner par un homme ce qu'il n'a pas ; et tous les billets du monde ne sauraient être une sûreté pour un créancier si son débiteur n'a pas le sou. La contrainte par corps n'y peut rien ; ce n'est qu'une barbarie inutile et une dépense en pure perte, quand ce n'est pas une extorsion pratiquée sur la famille qui ne doit rien. Ne pas pouvoir n'est pas en soi-même un fait répréhensible, bien que ce puisse être la conséquence de faits répréhensibles ; et, si la loi pénale peut intervenir équitablement et utilement contre les débiteurs récalcitrants, ce n'est pas lorsqu'ils ne peuvent pas payer, mais lorsque le pouvant ils ne le veulent pas, ou lorsque l'ayant pu ils se sont mis, par leur faute, hors d'état de pouvoir.

[4] Et l'instrumentale ? Ne faut-il pas faire quelque chose pour ceux qui n'ont pas de voix ?

[5] Lequel ? l'illustre économiste oublie de le dire.

[6] Je ne donne qu'une faible partie des réflexions et des voeux de M. Chevalier.

[7] C'est encore là un point sur lequel je suis obligé de me séparer complètement de mon honorable adversaire. Selon M. de Molinari, "le sentiment de la paternité a une efficacité à laquelle on peut se fier PRESQUE entièrement quand il s'agit des classes éclairées et aisées de la société ; mais il n'en est pas de même des classes inférieures" (1er art., p. 28). Pour les premières, "l'intervention de la loi ne serait qu'une insulte gratuite ;" pour les secondes elles est indispensable, parce que "l'ignorance et la misère" les ont "ABRUTIES, au point d'affaiblir ou d'oblitérer même tout à fait, chez un grand nombre, le sentiment paternel." (Dernières observations, p. 165) - J'en demande bien pardon à M. de Molinari et aux classes éclairées et aisées ; mais je ne puis admettre, en aucune façon, l'exactitude de ce parallèle, et je suis forcé de dire qu'il constitue, contre l'intention de son auteur, "une insulte gratuite" à la majorité de nos semblables. Les enfants ne sont pas, eu égard aux ressources et aux exigences de leur situation, beaucoup mieux ou beaucoup plus mal élevés, en général, dans une condition que dans une autre, et le sentiment paternel n'est pas toujours plus vif et plus intelligent ici que là. La richesse a, pour les âmes faibles, une influence tout aussi énervante que la pauvreté ; et les tentations du luxe sont aussi dangereuses que les suggestions du besoin. Élever ses fils dans la vanité et dans l'orgueil, ses filles dans la frivolité et l'indolence ; persuader aux uns que la chose la plus importante de la vie est de bien tenir son rang dans le monde, aux autres que le dessin d'un châle ou la forme d'un chapeau sont les questions les plus graves dont leur intelligence puisse être occupée, n'est pas une faute moins réelle peut-être, ni de moindre conséquence, pour l'homme riche et influent, que ne l'est, pour le pauvre, la négligence qui lui fait laisser les siens sur la place publique, ou le faux calcul qui les lui fait traîner avant l'âge à l'atelier. s'il y a des parents pauvres qui dressent leurs fils à la mendicité et leurs filles à la débauche, il y a des parents riches qui enseignent à leurs fils à parvenir par l'intrigue et à leurs filles à ne pas les négliger les ressources de la coquetterie. Le bon ton de certains soupers fins n'est pas plus avouable, aux yeux des gens moraux, que le mauvais ton des cabarets de la barrière. Les tortures de la mode, le "travail forcé" qu'exige l'acquisition de beaucoup d'agréments peu agréables, et la vie meurtrière des salons, ne sont guère moins funeste à la santé de bon nombre de jeunes personnes du monde que les efforts prématurés, l'air des manufactures et le défaut de distractions aux enfants de l'ouvrier. Et sous le rapport de l'instruction proprement dite, je sais plus d'un bachelier propriétaire plus ignorant de ce qu'il y a à faire, plus ignorant peut-être dans le sens absolu du mot, que le dernier rattacheur ou le moindre gardeur de dindons.


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