La Théorie de la monnaie et du crédit

Nouvelle édition de 1952 (réédité en 1971 par The Foundation for Economic Education)

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

Deuxième partie : la valeur de la monnaie

Chapitre 3 : Le problème de l'existence de différences locales de la valeur d'échange objective de la monnaie

1. Les relations entre les prix en différents lieux

Ignorons tout d'abord la possibilité de plusieurs types de monnaie employées simultanément et supposons que, en un lieu donné, un seul type de monnaie soit utilisé exclusivement comme moyen d'échange commun. Le problème des rapports d'échange réciproques de différents types de monnaie sera l'objet du chapitre suivant. Dans le présent chapitre, nous imaginerons une ère géographique isolée, d'une taille quelconque, dont les habitants commercent entre eux et utilisent un bien unique comme moyen d'échange commun. Dans l'immédiat, rien ne sera modifié selon que nous imaginions cette région comme composée de plusieurs États,comme faisant partie d'un grand État, ou comme étant un État particulier. Il ne sera pas nécessaire, jusqu'à un stade ultérieur, de signaler au cours de notre raisonnement les quelques modifications accessoires de la formulation générale qui résulteraient des différences entre les concepts légaux de la monnaie dans différents États.

Nous avons déjà signalé que deux biens économiques, qui ont par ailleurs une composition similaire, ne doivent pas être considérés comme appartenant à la même catégorie s'ils ne sont pas prêts tous les deux à être consommés au même endroit. Il semble plus commode, pour plusieurs raisons, de les considérer comme des biens de catégories différentes, reliés entre eux en tant que biens d'ordre plus et moins élevés. [1] Ce n'est que dans le cas de la monnaie qu'il est permis, sous certaines conditions, d'ignorer le facteur géographique. Il en est ainsi parce que l'utilité de la monnaie, au contraire de celle des autres biens économiques, est jusqu'à un certain point libérée des contraintes de distance géographique. Les chèques et le système de compensation, ainsi que les institutions similaires, ont tendance à rendre l'usage de la monnaie plus ou moins indépendant des difficultés et des coûts du transport. Ils ont eu pour effet de permettre à l'or stocké dans les coffres de la Banque d'Angleterre, par exemple, d'être utilisé comme moyen d'échange commun partout dans le monde. Nous pouvons facilement imaginer une organisation monétaire qui, par l'utilisation exclusive de billets ou de méthodes de compensation, permettrait de faire tous les transferts de sommes d'argent sans que la monnaie ne change de lieu. Si, de plus, nous supposons que les coûts associés à chaque transaction ne dépendent pas de la distance séparant les deux parties du contrat et séparant chacune de l'endroit où réside physiquement la monnaie (il est bien connu que cette condition est déjà réalisée dans certains cas : par exemple, pour les coûts pour les services postaux et les mandats), alors il est suffisamment justifié d'ignorer les différences concernant la situation géographique de la monnaie. Une telle hypothèse serait impossible pour les autres biens économiques. Aucune institution ne pourrait permettre de consommer en Europe le café présent au Brésil. Avant qu'on ne puisse créer le bien de consommation "café en Europe" à partir du bien de production "café au Brésil", il faut tout d'abord associer à ce bien de production le bien complémentaire "moyens de transport".

Si l'on élimine les différences concernant l'emplacement géographique de la monnaie de cette façon, nous obtenons la loi suivante pour le rapport d'échange entre la monnaie et les autres biens économiques : tout bien économique, prêt à être consommé (au sens dans lequel cette phrase est habituellement comprise dans les domaines commerciaux et techniques) a une valeur d'usage subjective en tant que bien de consommation à l'endroit où il se trouve et en tant que bien de production à l'endroit où il peut être apporté pour être consommé. Ces évaluations se font indépendamment l'une de l'autre. Mais, pour la détermination du rapport d'échange entre la monnaie et les marchandises, les deux sont également importantes. Le prix monétaire de toute marchandise, en tout lieu, sous l'hypothèse d'échanges totalement libres et sans prendre en compte les différences provenant de la durée du transit, doit être le même que le prix de cette marchandise en un autre lieu, augmenté ou diminué des coûts monétaires du transport.

Dès lors, il n'y a pas de difficulté supplémentaire à inclure dans cette formulation les coûts de transport de la monnaie, ou tout autre facteur auquel le banquier ou l'agent de change donnent une grande importance, par exemple les coûts issus d'une nouvelle frappe monétaire qui pourrait s'avérer nécessaire. Tous ces facteurs, qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer plus longtemps, ont un effet combiné sur le taux de change internationaux, dont la résultante doit être incluse positivement ou négativement dans notre calcul. Afin d'éviter toute erreur d'interprétation, il faut signaler à nouveau explicitement que nous ne considérons ici que le taux de change entre des lieux qui emploient le même type de monnaie, le fait que les mêmes pièces aient cours légal ou non aux deux endroits n'ayant toutefois ici aucune importance. Les problèmes essentiellement différents du taux de change entre deux types de monnaie différentes ne sera pas étudié avant le chapitre suivant.

2. Les prétendues différences locales de pouvoir d'achat de la monnaie

En contradiction avec la loi qui vient d'être énoncée sur les relations entre les prix en différents lieux, on rencontre la croyance populaire à des variations du pouvoir d'achat de la monnaie en fonction du lieu. On répète sans cesse l'affirmation selon laquelle le pouvoir d'achat de la monnaie peut être, au même instant, différent sur différents marchés. Pour soutenir cette théorie, on met continuellement en avant des données statistiques. Il y a peu d'idées économiques qui soient aussi profondément ancrées dans la tête du profane que celle-ci. Les voyageurs ont l'habitude de revenir à la maison avec elle, souvent en tant que connaissance issue de l'observation personnelle. Parmi les gens venus d'Allemagne en Autriche au début du vingtième siècle, bien peu ont douté que la valeur de la monnaie fut plus grande en Allemagne qu'en Autriche. Le fait que la valeur d'échange objective de l'or, notre monnaie-marchandise, fut à des niveaux différents selon les régions du globe, était une vérité établie, même dans la littérature économique. [2]

Nous avons vu où réside l'erreur dans tout cela et pourrions nous épargner une répétition inutile. S'il y a confusion, c'est parce que l'on oublie de tenir compte du facteur géographique dans la nature des biens économiques, oubli qui provient de la conception matérialiste du problème économique. Toutes les prétendues différences locales de pouvoir d'achat peuvent facilement s'expliquer de cette façon. Il n'est pas possible de déduire une différence de pouvoir d'achat de la monnaie en Allemagne et en Russie en raison de la différence du prix du blé dans ces deux pays : le blé en Russie et le blé en Allemagne sont deux types de biens différents. A quelles conclusion absurdes n'aboutirions-nous pas, si nous considérions comme faisant partie de la même catégorie de biens, au point de vue économique, des articles attendant dans les entrepôts des douanes et des articles techniquement identiques, mais pour lesquelles les taxes auraient été payées ? Nous devrions alors supposer que le pouvoir d'achat de la monnaie pourrait varier d'un immeuble à un autre ou d'un quartier d'une ville à un autre. Bien sûr, s'il se trouve des gens qui préfèrent retenir une terminologie commerciale, et pensent qu'il vaut mieux distinguer les biens d'après leurs simples caractéristiques extérieures, nous ne pouvons pas dire qu'ils ont tort. Les disputes sur des questions de terminologie sont futiles. Nous ne nous occupons pas des mots, mais des faits. Mais si l'on utilise cette forme d'expression, à notre avis inadéquate, il convient de faire attention, d'une façon ou d'une autre, afin de bien prendre en compte les distinctions fondées sur les différences des lieux où les biens sont prêts à être consommés. Il n'est pas suffisant de prendre simplement en compte les frais de transport, les droits de douanes et les impôts indirects. Il convient, par exemple, de prendre également en compte dans le calcul l'effet des impôts directs, dont la charge est en grande partie transférable.

Il nous semble préférable d'utiliser la terminologie suggérée plus haut, qui souligne avec une plus grande netteté le fait que le pouvoir d'achat de la monnaie a tendance à s'aligner au même niveau à travers le monde entier et le fait que ses prétendues différences sont presque toujours explicables par les différences résidant dans les caractéristiques des biens offerts et demandés, de telle sorte qu'il ne reste qu'une faible partie, presque négligeable, qui soit due aux différences résidant dans les caractériqtiques de la monnaie offerte et demandée.

L'existence de cette tendance est rarement remise en question en elle-même. Mais la force qu'elle exerce, et par conséquent son importance, est estimée de façon variable. Et l'on présente comme erronée la vieille proposition classique, qui affirme que la monnaie recherche toujours, comme tous les autres biens, le marché sur lequel sa valeur est la plus élevée. Wieser a dit à ce propos que les transactions monétaires impliquées dans l'échange sont le résultat des transactions de marchandises. Qu'elles constituent un mouvement auxiliaire, qui se poursuit autant que nécessaire pour permettre le mouvement principal. Or, note Wieser, le commerce international des marchandises est de nos jours très faible en comparaison du commerce intérieur. L'équilibre des prix transmis au plan national n'est brisé que par les biens relativement peu nombreux dont les prix sont des prix mondiaux. Par conséquent, la valeur transmise de la monnaie est encore en majorité aussi importante qu'auparavant. Il n'en sera pas autrement jusqu'à ce qu'une organisation mondiale complète prenne la place de l'organisation nationale de production et de travail qui prévaut encore aujourd'hui. Et il faudra attendre un long moment avant qu'il n'en soit ainsi. A présent, le facteur principal de la production et du travail est encore partout sujet aux limites nationales. Une nation n'adopte les progrès étrangers, en ce qui concerne la technique et l'organisation, que dans la mesure où ses caractéristiques nationales le permettent. En général, elle ne saisit pas très facilement les occasions de travail à l'étranger, alors que les entrepreneurs et les salariés se déplacent au sein de la nation de façon assez importante. Les salaires restent donc au niveau national auxquels ils sont historiquement parvenus, et l'élément le plus important des coûts demeure ainsi déterminé au plan national à ce niveau historique. Il en est de même pour la plupart des autres éléments des coûts. En gros, la valeur de la monnaie transmise au plan national forme la base des calculs sociaux ultérieurs des coûts et des valeurs. Au même moment, les contacts internationaux ne sont pas encore assez puissants pour élever les méthodes de production nationales à un niveau mondial unique et pour effacer les différences entre les valeurs d'échange de la monnaie transmises au plan national. [3]

Il est difficile d'être d'accord avec ce raisonnement, qui sent un peu trop la théorie expliquant la valeur par les coûts de production, et qui ne peut certainement pas être réconcilié avec les principes de la théorie subjective de la valeur. Personne ne voudra discuter le fait que les coûts de production diffèrent grandement d'un lieu à un autre. Mais il faut nier que ceci ait une influence sur le prix des marchandises et sur le pouvoir d'achat de la monnaie. Le contraire est trop clairement la conséquence des principes de la théorie des prix, et est démontré tous les jours de manière trop évidente sur le marché, pour qu'il soit nécessaire d'ajouter une preuve particulière. Le consommateur qui cherche l'offre au prix le plus bas et le producteur qui cherche à vendre au plus haut, aident par leur comportement à libérer les prix des limites du marché local. Les acheteurs potentiels se préoccupent bien peu des coûts de production nationaux quand ceux de l'étranger sont plus faibles. (Et parce qu'il en est ainsi, le producteur qui travaille avec des coûts de production plus grands réclame des droits de douanes protecteurs.) Le meilleur exemple que des différences de salaires dans des pays différents ne peuvent pas exercer d'influence sur les niveaux des prix des biens est le suivant : même les pays à hauts salaires peuvent être capables d'être présents sur les marchés des pays à bas salaires. Les différences locales des prix de biens dont la nature est techniquement identique doivent s'expliquer d'une part par des différences du coût nécessaire pour les préparer à la consommation (dépenses de transport, coûts de la vente au détail, etc.) et d'autre part par les obstacles physiques et légaux qui restreignent la mobilité des biens et des hommes.

3. Les prétendues différences locales du coût de la vie

Il y a un certain lien entre l'affirmation de différences locales de pouvoir d'achat de la monnaie et la croyance répandue en l'existence de différences locales du coût de la vie. On pense qu'il est possible de "vivre" à meilleur marché en certains lieux. On peut supposer que les deux affirmations reviennent au même et qu'il n'y a pas de différence entre dire d'un côté que la couronne autrichienne "valait" en 1913 moins que les 85 pfennigs correspondant à sa valeur en or, et d'un autre côté que la "vie" était plus chère en Autriche qu'en Allemagne. Mais ce n'est pas vrai. Les deux propositions ne sont en rien identiques. L'opinion selon laquelle la vie est plus chère à un endroit qu'à un autre n'implique en aucune façon la proposition selon laquelle le pouvoir d'achat de la monnaie est différent. Même avec une complète égalité des rapports d'échange entre la monnaie et les autres biens économiques, il peut arriver que, pour un individu, il faille des coûts inégaux pour produire le même niveau de satisfaction à deux endroits différents. C'est particulièrement probable lorsque la vie à un endroit donné éveille des désirs dont le même individu n'aurait pas eu conscience ailleurs. Ces désirs peuvent être de nature sociale ou physique. Ainsi, l'Anglais des classes riches est capable de vivre à moindre frais sur le continent parce qu'il est obligé de remplir une série d'obligations sociales chez lui qui n'existent pas à l'étranger. De même, vivre dans une grande ville est plus cher que vivre à la campagne, ne serait-ce que parce que la proximité immédiate en ville de tant de possibilités de réjouissance stimule les désirs et engendre des demandes qui sont inconnues aux provinciaux. Ceux qui vont souvent au théâtre, aux concerts, aux expositions artistiques, et dans des lieux similaires de distraction, dépensent naturellement plus d'argent que ceux qui vivent dans des circonstances par ailleurs similaires mais doivent faire sans ces plaisirs. Il en est de même pour les désirs physiques des êtres humains. Dans les régions tropicales, les Européens doivent prendre toute une série de précautions pour protéger leur santé, ce qui ne seraient pas nécessaire dans des zones tempérées. Tous les désirs dont l'origine dépend de circonstances locales réclament pour leur satisfaction un ensemble donné de biens qui seraient sinon utilisés pour satisfaire d'autre besoins. Et, par conséquent, ils diminuent le degré de satisfaction que peut apporter cet ensemble donné de biens.

Ainsi, l'énoncé selon lequel le coût de la vie diffère selon les localités signifie seulement que le même individu ne peut pas obtenir en différents endroits le même degré de satisfaction avec un ensemble donné de biens. Nous venons juste de donner une raison de ce phénomène. Mais, en dehors de cela, la croyance qui veut qu'il y ait des différences locales du coût de la vie est également soutenue par référence aux différences locales du pouvoir d'achat de la monnaie. Il serait possible de démontrer le caractère incorrect de cette idée. Il n'est pas plus correct de parler d'une différence entre le pouvoir d'achat de la monnaie de l'Allemagne et celui de l'Autriche, qu'il ne serait justifié de parler des différences des prix demandés par les hôtels dans les sommets et dans les vallées des Alpes pour en conclure que la valeur d'échange objective de la monnaie est différente dans les deux cas et d'énoncer une proposition affirmant que le pouvoir d'achat de la monnaie varie inversement avec la hauteur par rapport à la mer. Le pouvoir d'achat de la monnaie est le même partout : seuls les biens offerts ne sont pas les mêmes. Ils différent par une caractéristique économiquement importante : la position dans l'espace du lieu où ils sont prêts à être consommés.

Mais bien que les rapports d'échange entre la monnaie et les biens économiques de composition parfaitement similaires, sur une zone de marché unitaire où le même type de monnaie est employé, soient à tout instant égaux, et même si l'on peut faire remonter toutes les exceptions apparentes à des différences dans la localisation spatiale de ces biens, il est néanmoins vrai que les différentiels de prix suscités par la situation géographique des biens (et donc par leur caractéristique économique) peut sous certaines circonstances constituer une justification subjective de l'affirmation selon laquelle il existe des différences du coût de la vie. Celui qui se rend volontairement à Karlsbad pour des raisons de santé aurait tort de déduire du prix élevé des habitations et de la nourriture qu'il serait impossible de retirer autant de plaisir avec la même somme d'argent à Karlsbad qu'ailleurs, et que la vie y est donc plus chère. Cette conclusion ne permet pas de prendre en compte la différence de la qualité des biens dont on compare les prix. C'est en raison de cette différence de qualité, précisément parce qu'elle a de la valeur pour lui, que le voyageur vient à Karlsbad. S'il doit payer plus à Karlsbad pour la même quantité de satisfactions, c'est dû au fait qu'en les payant il paie aussi le prix pour pouvoir les avoir au voisinage immédiat d'une source médicinale. Il en est autrement pour l'homme d'affaires, le travailleur et le fonctionnaire qui sont tout simplement attachés à Karlsbad par leur métier. La proximité des eaux n'a pas d'importance quant à la satisfaction de leurs désirs : comme ils n'en retirent aucune satisfaction supplémentaire, il semble donc que leur faire payer plus cher, à cause de ces eaux, tous les biens et services qu'ils veulent acheter, consiste à réduire les possibilités de réjouissances dont ils pourraient autrement bénéficier. S'ils comparent leur niveau de vie avec celui qu'ils pourraient avoir dans une autre ville avec les mêmes dépenses, ils arriveront à la conclusion que la vie est réellement plus chère à la station thermale qu'ailleurs. Ils transfèreront alors leur activité à la coûteuse station s'ils pensent pouvoir y recevoir un revenu monétaire suffisamment plus élevé pour assurer un niveau de vie comparable à celui des autres lieux. Cependant, en comparant les étalons de satisfaction qu'ils pourraient obtenir, ils oublieront l'avantage de pouvoir satisfaire leur désirs dans la station thermale elle-même, parce qu'elle n'a pas de valeur à leurs yeux. Tout type de salaire sera par conséquent, sous l'hypothèses d'une mobilité totale, plus élevé à la station qu'en d'autres lieux meilleur marché. Ceci est généralement connu pour les salaires contractuels, mais c'est également vrai pour le traitement des fonctionnaires. Le gouvernement paie une prime spéciale à ceux de ses employés qui doivent accomplir leur mission dans des lieux "chers", afin de les mettre à égalité avec les fonctionnaires pouvant vivre dans des régions meilleur marché. Les travailleurs, aussi, doivent être compensés par des salaires plus élevés en raison du coût de la vie.

C'est par ailleurs l'explication de ce que signifie la phrase "il est plus coûteux de vivre en Autriche qu'en Allemagne", phrase qui veut dire quelque chose, même s'il n'y a pas de différence entre le pouvoir d'achat de la monnaie dans les deux pays. Les différences de prix des deux zones ne se réfèrent pas à des biens de même nature. Les choses qui sont supposées être des biens identiques diffèrent en réalité par un point essentiel : elles sont disponibles pour la consommation en des lieux différents. Des causes physiques d'un côté, des causes sociales d'un autre, donnent à cette distinction une importance décisive pour la détermination des prix. Celui qui évalue l'occasion d'un travail en Autriche comme Autrichien parmi les Autrichiens, qui a été élevé en pour travailler et gagner sa vie Autriche, et ne peut pas vivre ailleurs à cause de difficultés linguistiques, d'habitudes nationales, de conditions économiques, etc., aurait néanmoins tort de conclure, en comparant les prix des marchandises dans son pays et à l'étranger, que la vie est plus chère chez lui. Il ne doit pas oublier qu'une partie de chaque prix qu'il paie l'est pour le privilège d'être capable de satisfaire ses besoins en Autriche. Un rentier indépendant ayant le libre choix de son domicile est en position de décider s'il préfère ou non une vie avec des satisfactions apparemment limitées dans son pays natal, au sein de ses semblables, à une vie avec apparemment un plus grand nombre de satisfaction, dans un pays étranger, au milieu d'étrangers. La plupart des gens n'ont en fait pas un tel choix : pour eux, rester chez eux est une question de nécessité, l'émigration une impossibilité.

Pour récapituler : le rapport d'échange subsistant entre les marchandises et la monnaie est partout la même. Mais les hommes et leurs désirs ne sont pas partout identiques, ni les marchandises. Ce n'est que si ces distinctions sont ignorées qu'il est possible de parler de différences du pouvoir d'achat de la monnaie selon le lieu, ou de dire que la vie est plus chère à un endroit qu'à un autre.

 

Notes

[1] Voir plus haut, Chapitre V, paragraphe 1.

[2] Cf. Senior, Three Lectures on the Cost of Obtaining Money, pp. 1 et suivantes.

[3] Cf. Wieser, Der Geldwert und seine Veränderungen, p. 531.


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