Traduction des articles du recueil Planning For Freedom, and sixteen other essays and adresses,
Quatrième édition publiée par Libertarian Press.
par Ludwig von Mises
traduit (pour les parties manquantes) par Hervé de Quengo
Farmand, 17 février 1951, Oslo (Norvège) [*]
Les pronostics de plusieurs champions éminents du Libéralisme économique sont aujourd'hui plutôt pessimistes. D'après eux, les slogans au vitriol des socialistes et des interventionnistes obtiennent un écho plus favorable auprès des masses que le raisonnement serein des hommes sages. La majorité des électeurs sont simplement des gens bornés et mentalement inertes, qui n'aiment pas réfléchir et se laissent trop facilement tromper par les promesses séduisantes de joueurs de flûte irresponsables. Des complexes d'infériorité subconscients et des sentiments d'envie poussent les gens vers les partis de gauche. Ils se réjouissent à l'idée de politiques visant à confisquer la plus grande partie du revenu et de la richesse des industriels prospères sans comprendre que ces politiques nuisent à leurs propres intérêts matériels. Sans tenir aucun compte des objections soulevées par les économistes, ils croient fermement pouvoir obtenir de nombreuses choses agréables gratuitement. Même aux États-Unis les gens, bien qu'ils bénéficient du niveau de vie le plus élevé jamais atteint au cours de l'Histoire, sont prêts à condamner le capitalisme, traité d'ignoble économie de la pénurie, et à s'adonner aux rêveries d'une économie d'abondance où tout le monde serait servi "selon ses besoins." La défense de la liberté et de la prospérité matérielle est sans espoir. L'avenir est aux démagogues qui ne savent rien d'autre que dissiper le capital accumulé par les générations précédentes. L'humanité plonge vers un retour aux siècles de l'ignorance, la civilisation occidentale est condamnée.
La principale erreur de ce pessimisme fort répandu est de croire que les idées et politiques destructives de notre époque ont surgi du "prolétariat" et sont une "révolte des masses." En fait, les masses précisément parce qu'elles ne sont pas créatives et ne développent pas une philosophies propre suivent les guides.
Les idéologies qui ont produit tous les méfaits et les catastrophes de notre siècle ne furent pas l'oeuvre de la foule ; mais le fait de pseudo-savants et de pseudo-intellectuels. Elles ont été propagées depuis les chaires universitaires et ont été disséminées, à partir de ces chaires, par la presse, les romans, les pièces, les films et la radio. Les intellectuels ont converti les masses au socialisme et à l'interventionnisme. Ces idéologies doivent la puissance qu'elles ont aujourd'hui au fait que tous les moyens de communication ont été mis à disposition de leurs partisans et que presque tous les dissidents ont été virtuellement réduits au silence. Ce qu'il faut pour renverser la tendance, c'est un changement de mentalité des intellectuels. Les masses suivront l'action.
En outre, il n'est pas vrai que les idées du libéralisme authentique, du véritable libéralisme [i], soient trop compliquées pour plaire à l'esprit, prétendu trop faible, de l'électeur. Ce n'est pas une tâche impossible que d'expliquer aux salariés que le seul moyen d'augmenter les taux de salaire pour tous ceux veulent trouver un emploi et toucher un salaire est d'accroître la quantité de capital investi par tête. Les pessimistes sous-estiment les capacités mentales de "l'homme moyen" quand ils affirment qu'il ne peut saisir les désastreuses conséquences des politiques qui aboutissent dissiper les capitaux. Pourquoi tous les "pays sous-développés" demandent-ils l'aide américaine et des capitaux américains ? Pourquoi n'attendent-ils pas plutôt une aide de la Russie socialiste ?
Le point culminant des politiques de tous ces soi-disant partis et gouvernements progressistes est d'augmenter artificiellement le prix des biens vitaux au-dessus du niveau qu'ils auraient atteint sur le marché dans un capitalisme de laissez-faire. Seule une proportion infinitésimale du peuple américain a intérêt à conserver un prix élevé pour le sucre. L'immense majorité des électeurs américains sont des acheteurs et des consommateurs, et non des vendeurs et des producteurs de sucre. Néanmoins, le gouvernement américain s'est fermement engagé à poursuivre une politique de prix élevé du sucre en restreignant sévèrement à la fois l'importation de sucre étranger et sa production nationale. Des politiques similaires ont été adoptées en ce qui concerne les prix du pain, de la viande, du beurre, des oeufs, des pommes de terre, du coton et de nombreux autres produits agricoles. C'est une grosse erreur de considérer aveuglément cette procédure comme étant une politique favorable aux agriculteurs. Moins d'un cinquième de la population totale des États-Unis dépend de l'agriculture pour gagner sa vie. Et pourtant, les intérêts de ces gens en ce qui concerne le prix des divers produits agricoles ne sont pas identiques. Le producteur de lait n'a pas intérêt à des prix élevés mais à des prix bas pour le blé, le fourrage, le sucre et le coton. Les éleveurs de poulets subissent des dommages du fait de prix élevés pour tout produit agricole autre que les poulets et les oeufs. Il est évident que les cultivateurs de coton, de raisins, d'oranges, de pommes, de pamplemousses et de canneberges sont pénalisés par un système qui augmente le prix des aliments de base. Ainsi, la plupart des mesures de la prétendue politique de soutien à l'agriculture ne favorisent qu'à une minorité de la population rurale, au détriment non seulement de la majorité de la population non rurale, mais aussi de la majorité des ruraux.
Il en va de même dans les autres domaines. Quand les cheminots et les travailleurs de l'industrie du bâtiment, soutenus par des lois et des pratiques administratives qui pipent les dés en défaveur des employeurs, s'adonnent à la limitation du rendement et à d'autres pratiques destinées à "créer plus d'emplois," ils escroquent de façon malhonnête l'immense majorité de leurs concitoyens. Les syndicats d'imprimeurs font monter le prix des livres et des périodiques, pénalisant ainsi les gens cherchant à lire et à apprendre. Résultat de la soi-disant politique ouvrière : elle crée une situation dans laquelle chaque groupe de salariés s'efforce d'améliorer sa propre situation aux dépens des consommateurs, donc de l'énorme majorité.
Personne aujourd'hui ne sait s'il gagne davantage par ces mesures de privilège en faveur du groupe auquel il appartient, qu'il ne perd du fait des mesures privilégiant tous les autres groupes. Mais il est indubitable que tous sont affectés, quoique diversement, par la baisse générale de la productivité de l'effort industriel, que ces prétendues mesures bienfaisantes entraînent nécessairement.
Jusqu'à ces dernières années, les partisans de ces mesures inadéquates à leur objet, essayaient de les défendre en soulignant que leurs incidences réduisaient seulement la richesse et le revenu des riches, et n'avantageait la multitude qu'au détriment de parasites. Il n'est plus nécessaire de démontrer les erreurs de ce raisonnement : même en le supposant vrai, ce "surplus" des riches est épuisé dans presque tous les pays. Même Mr. Hugh Gaitskell [ii], successeur de Sir Stafford Cripps au poste de Führer de l'économie britannique, a bien dû déclarer que : "il n'y a pas assez d'argent à prendre aux riches d'Angleterre, pour pouvoir relever le niveau de vie moyen." Aux États-Unis, la politique cherchant à "faire casquer les riches" n'est pas allée aussi loin. Mais si la tendance de la politique américaine ne revenait pas rapidement en arrière, ce pays, le plus riche de tous, aurait à faire face à la même situation dans quelques années.
Dans de telles conditions, les perspectives d'un renouveau libéral authentique peuvent paraître propices. Au moins la moitié du corps électoral est constituée par des femmes, en majorité des ménagères ou des ménagères potentielles ; un programme de "bon marché" peut fortement impressionner le sens pratique de ces ménagères Elles déposeraient certainement un bulletin dans l'urne en faveur de candidats qui proclameraient : Oublions vite toutes les politiques et toutes les mesures destinées à augmenter les prix au-dessus de ceux d'un marché libre ! Oublions tout ce morne fatras sur le soutien des prix, la parité des prix, les tarifs et les quotas, les accords intergouvernementaux de contrôle des marchandises, etc. ! Abstenons-nous de toute augmentation de la quantité de monnaie en circulation et de tout accroissement du crédit, de toutes ces tentatives illusoires pour faire baisser le taux d'intérêt et de toutes les dépenses conduisant au déficit ! Ce que nous voulons, ce sont des prix bas.
A la fin, ces sages ménagères arriveront même à convaincre leur maris.
Dans le Manifeste communiste, Karl Marx et Friedrich Engels ne disaient-ils pas: "Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine." Nous pouvons espérer que les prix bon marché de l'économie concurrentielle battront aussi en brèche la plus haute de toutes les murailles de Chine, celle qu'ont érigée les folies d'une mauvaise politique économique.
Le fait d'exprimer de tels espoirs n'est pas seulement prendre ses désirs pour la réalité.
Notes
[*] Des extraits de ce texte ont été ajoutés à la fin de la traduction de l'essai 2 en français sous le titre "La Chaîne sans fin des interventions étatiques" dans Angoisses et espoirs de la civilisation occidentale, Éditions Sédif en 1952.
[ii] Hugh Gaitskell, qui succéda à Cripps "au poste de Führer de l'économie britannique" comme le dit Mises (expression non reprise dans la traduction partielle de 1952) assista à certaines séances du "Privatseminar" de Mises à Vienne, ainsi que le raconte Mises dans un autre texte ! (Remarque d'Hervé de Quengo).