Planifier la liberté et autres essais

Traduction des articles du recueil Planning For Freedom, and sixteen other essays and adresses,

Quatrième édition publiée par Libertarian Press.

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

Essai 14 : Le problème de l'or

The Freeman, juin 1965

(Quelques modifications mineures ont été introduites dans la présente version, figurant dans le recueil publié en 1980, notamment sur les dates, par rapport à l'article original)

 

Pourquoi avons-nous un système monétaire basé sur l'or ? Parce que, dans les conditions actuelles et dans celles de l'avenir que nous pouvons prévoir aujourd'hui, seul l'étalon-or permet de déterminer le pouvoir d'achat de la monnaie indépendamment des ambitions et des machinations des gouvernements, des dictateurs, des partis politiques et des groupes de pression. Seul l'étalon-or représente ce que les chefs de file du dix-neuvième siècle, amoureux de la liberté, (eux qui défendaient le gouvernement représentatif, les libertés civiques et la prospérité pour tous) appelaient une "monnaie solide".

L'éminence et l'utilité de l'étalon-or vient du fait qu'il fait dépendre la quantité de monnaie de la rentabilité de l'exploitation des mines d'or et empêche les aventures inflationnistes à grande échelle des gouvernements.

L'étalon-or n'a pas échoué. Les gouvernements l'ont délibérément saboté et continuent de le saboter. Mais aucun gouvernement n'est assez puissant pour détruire l'étalon-or tant que l'économie de marché n'aura pas été totalement supprimée par l'instauration du socialisme partout dans le monde.

Les gouvernements croient que c'est uniquement la faute de l'étalon-or si leurs projets inflationnistes n'ont pas produit les bénéfices escomptés mais ont inévitablement conduit à une situation qui (y compris aux yeux des dirigeants eux-mêmes et de la majorité du peuple) est considérée comme bien pire que les maux réels ou prétendus que ces projets étaient censés éliminer. S'il n'y avait pas l'étalon-or, expliquent les pseudo-économistes aux gouvernements, ces derniers auraient pu rendre tout le monde parfaitement prospère. Examinons les trois doctrines avancées en faveur de cette fable de l'omnipotence du gouvernement.

1. La fiction de l'omnipotence du gouvernement.

"L'État, c'est Dieu," disait Ferdinand Lassalle, fondateur du mouvement socialiste allemand. En tant que tel, l'État a le pouvoir de "créer" des quantités illimitées de monnaie et ainsi de rendre tout le monde heureux. Les personnes intrépides et lucides appelaient inflation une telle politique de "création" monétaire. La terminologie officielle l'appelle aujourd'hui "déficit budgétaire".

Mais quelle que soit le nom que l'on donne à ce phénomène, sa signification est évidente. Le gouvernement accroît la quantité de monnaie en circulation. Une plus grande quantité de monnaie "chasse" (façon populaire, bien que plutôt sotte, de parler de ces phénomènes) alors une quantité de biens et de services qui, elle, n'a pas augmentée. L'action du gouvernement n'a rien ajouté à la quantité de choses et de services utiles. Il a seulement fait monter leurs prix.

Si le gouvernement souhaite accroître le revenu de certains, par exemple des employés du gouvernement, il doit confisquer par la taxation une partie du revenu des autres et redistribuer ensuite le montant collecté à ses employés ou aux groupes favorisés. Les contribuables sont alors forcés de réduire leurs dépenses tandis que ceux qui bénéficient de salaires plus élevés ou d'avantages plus grands augmentent leurs dépenses du même montant. Il n'en résulte pas de changement notable du pouvoir d'achat de l'unité monétaire.

Mais si le gouvernement se procure la monnaie dont il a besoin pour payer des salaires plus élevés en l'imprimant ou en octroyant des crédits supplémentaires, la nouvelle monnaie placées dans les mains des bénéficiaires constitue sur le marché une demande supplémentaire pour la quantité, qui n'a elle pas augmenté, de biens et de services vendus. Il en résulte inévitablement une tendance générale à la hausse des prix.

Toutes les tentatives faites par les gouvernements et leurs bureaux de propagande pour cacher cet enchaînement d'événements sont inutiles. Déficit budgétaire signifie augmentation de la quantité de monnaie en circulation. Que la nouvelle terminologie évite de l'appeler inflation ne sert à rien.

Le gouvernement et ses chefs n'ont pas les pouvoirs du Père Noël. Ils ne peuvent pas dépenser sans prendre dans les poches de certains au profit des autres.

2. Le sophisme de "l'argent facile"

L'intérêt constitue la différence entre l'évaluation de biens actuels et celle de biens futurs : c'est la remise portant sur l'évaluation des biens futurs par rapport à celle des biens actuels. L'intérêt ne peut pas être "supprimé" tant que les gens préfèreront une pomme disponible aujourd'hui à une pomme disponible uniquement dans un an, dans dix ans ou dans cent ans.

Le niveau du taux d'intérêt naturel [1], qui constitue la principale composante du taux d'intérêt du marché, taux déterminé sur le marché des prêts, reflète la différence entre l'évaluation par les individus des satisfactions présente et future de leurs besoins. La disparition de l'intérêt, c'est-à-dire un taux d'intérêt nul, signifierait que les gens se moqueraient totalement de satisfaire le moindre de leur besoins actuels et se préoccuperaient exclusivement de satisfaire leurs besoins futurs, leurs désirs des années, des décennies et des siècles à venir. Les gens ne feraient qu'épargner et investir, et ne consommeraient pas.

En revanche, si les gens s'arrêtaient d'épargner, c'est-à-dire s'arrêtaient de mettre de côté pour le futur, y compris pour le lendemain, et n'épargnaient plus du tout pour consommer tous les biens du capital accumulés par les générations passées, le taux d'intérêt deviendrait infini.

Il est donc évident que le niveau du taux d'intérêt du marché ne dépend en fin de compte pas des lubies, caprices et intérêts financiers des employés travaillant pour le compte de l'appareil de coercition et de contrainte du gouvernement, le fameux "secteur public" de l'économie. Mais le gouvernement a le pouvoir de pousser la Réserve fédéral et les banques qui lui sont liées à mettre en place une politique d'argent facile. Les banques accroissent alors les crédits. En proposant des taux inférieurs au taux d'intérêt établi sur un marché des prêts non manipulé, elles offrent des crédits supplémentaires créés à partir de rien. Elles faussent ainsi inévitablement les appréciations des conditions du marché que font les hommes d'affaires. Bien que la quantité de biens du capital (qui ne peut être augmentée que par une épargne supplémentaire) reste inchangée, on leur donne l'illusion d'une plus grande offre de capitaux. L'industrie est conduite à se lancer dans des projets qu'un calcul sérieux, non égaré par les politiques aventureuses de monnaie facile, auraient jugé être des investissements injustifiés (car constituant un surinvestissement en capital). Les quantités de crédits supplémentaires inondant le marché font grimper les prix et les salaires. Il se développe un boom économique artificiel, entièrement construit sur l'illusion d'une monnaie facile et abondante. Mais un tel boom ne peut pas durer. Tôt ou tard, il doit devenir clair que l'industrie, sous l'illusion créée par l'accroissement du crédit, s'est lancée dans des projets pour la réalisation desquels il n'y a pas assez d'épargne réelle. Quand ces mauvais investissements deviennent manifestes, le boom s'effondre.

La dépression qui suit constitue le processus de liquidation des erreurs commises par les excès du boom artificiel : c'est le retour au raisonnement posé et à une conduite des affaires raisonnable dans les limites de la quantité disponible en biens du capital. C'est un processus certes douloureux, mais qui rétablit la bonne santé de l'industrie.

L'accroissement du crédit n'est pas un remède pour rendre les gens heureux. Le boom qu'il engendre doit inéluctablement conduire à la débâcle et au malheur.

S'il était vraiment possible de remplacer l'accumulation des biens du capital obtenue grâce à l'épargne par l'accroissement du crédit (par une politique d'argent facile), il n'y aurait plus aucune pauvreté dans le monde. Les nations économiquement arriérées n'auraient pas de raison de se plaindre de leur insuffisance en biens du capital. Tout ce qu'elles auraient à faire pour améliorer leur situation serait d'augmenter de plus en plus la quantité de monnaie et de crédit. Aucun plan "d'aide étrangère" ne serait apparu. Mais en accordant des aides étrangères aux pays sous-développés, le gouvernement américain reconnaît implicitement que l'accroissement du crédit n'est pas un véritable substitut à l'accumulation authentique du capital par le biais de l'épargne.

3. L'échec de la législation sur le salaire minimum et de la contrainte syndicale

Le niveau des taux de salaire est déterminé par la façon dont les consommateurs apprécient la valeur que le travail des salariés ajoute à la valeur de l'article proposé à la vente. Comme l'immense majorité des consommateurs sont eux-mêmes des salariés, cela veut dire que la détermination de la somme payée pour le travail et les services rendus est faite par le même type d'individus que ceux qui perçoivent ces salaires. Les gros revenus d'une star de cinéma et d'un champion de boxe proviennent des soudeurs, des balayeurs et des femmes de ménage qui assistent aux séances et aux matchs.

Un entrepreneur qui essaierait de payer un salarié en dessous de ce que le travail de cet homme ajoute à la valeur du produit, se verrait chassé du marché du travail par la concurrence des autres entrepreneurs désireux de gagner de l'argent. D'un autre côté, aucun entrepreneur ne peut offrir plus à son personnel que le montant que les consommateurs sont disposés à lui rembourser en achetant son produit. S'il devait payer des salaires plus élevés, il subirait des pertes et serait éjecté des rangs des hommes d'affaires.

Les gouvernements qui décrètent des lois instituant un salaire minimum supérieur au taux du marché réduisent le nombre de bras qui peuvent trouver du travail. De tels gouvernements engendrent le chômage d'une partie de la force de travail. Il en est de même pour ce que l'on appelle par euphémisme les "négociations collectives".

La seule différence entre les deux méthodes concerne l'organe qui oblige à accepter le salaire minimum. Le gouvernement fait accepter ses ordres par la police et les gardiens de prison. Les syndicats par les "piquets de grève". Ces derniers, leurs adhérents et leurs représentants ont obtenu le pouvoir et le droit de commettre des exactions envers les personnes et les biens, de priver les individus des moyens de gagner leur vie, et d'entreprendre de nombreuses actions que personne d'autre ne peut entreprendre impunément [2]. Personne n'est aujourd'hui en position de désobéir à un ordre donné par un syndicat. Les employeurs n'ont pas d'autre choix que d'accepter les oukases des syndicats ou d'arrêter leur affaire.

Cependant, les gouvernements et les syndicats sont impuissants face aux lois économiques. La violence peut empêcher les employeurs d'embaucher du personnel aux taux potentiels du marché, mais elle ne peut pas les forcer à employer tous ceux qui désirent trouver du travail. Le résultat de l'intervention des gouvernements et des syndicats dans le niveau des taux de salaire ne peut être rien d'autre qu'une augmentation incessante du nombre des chômeurs.

C'est précisément pour éviter ce résultat que, dans toutes les nations occidentales, les systèmes bancaires manipulés par le gouvernement ont recours à l'inflation. En accroissant la quantité de monnaie en circulation et en diminuant ainsi le pouvoir d'achat de l'unité monétaire, on ramène les salaires trop élevés à un niveau compatible avec l'état du marché. Aujourd'hui, on appelle cela une politique keynésienne de plein-emploi. C'est en fait une méthode pour perpétuer, par une inflation poursuivie, les vaines tentatives des gouvernements et des syndicats de se mêler des conditions du marché du travail. Dès que l'avancée de l'inflation a ajusté les taux de salaire à un niveau évitant la diffusion du chômage, les gouvernements et les syndicats reprennent avec un zèle renouvelé leurs tentatives pour faire monter les taux de salaire au-dessus du niveau auquel chaque chercheur d'emploi peut trouver du travail.

L'expérience de notre époque, avec ses projets de New Deal, de Fair Deal, de "Nouvelle frontière" et de "Grande société" confirme la thèse fondamentale des véritables amis de la liberté politique de la Grande-Bretagne du dix-neuvième siècle, à savoir qu'il n'existe qu'un moyen d'améliorer les conditions matérielles de tous les salariés : augmenter la quantité de capital réel investi par tête. Ce résultat ne peut être obtenu que par une épargne et une accumulation du capital supplémentaires, et jamais par des décrets du gouvernement, par la violence et l'intimidation des syndicats et par l'inflation. Les ennemis de l'étalon-or ont aussi tort à cet égard.

4. La conséquence inévitable : les réserves d'or de gouvernement des États-Unis diminueront

Dans plusieurs régions du globe, un nombre croissant d'individus se rendent compte que les États-Unis et la plupart des autres nations se sont fortement engagés dans une politique d'inflation croissante. Ils en ont appris suffisamment par l'expérience des dernières décennies pour conclure que, sur la base de ces politiques inflationnistes, une once d'or vaudra un jour plus exprimée en dollars ou en devises de leur propre pays. Ils s'inquiètent et voudraient éviter d'être victimes de cette conséquence.

Les Américains avaient autrefois l'interdiction de posséder des pièces et des lingots d'or (de 1933 à 1976). Leurs tentatives pour protéger leurs avoirs financiers consistaient à faire ce que les Allemands ont appelé, lors de la plus spectaculaire inflation de l'Histoire, la "Flucht in die Sachwerte" (fuite dans les valeurs réelles). Ils investissaient dans l'immobilier et dans les actions et préféraient avoir des dettes remboursables dans la monnaie ayant cours légal que de détenir des titres remboursables dans cette même monnaie.

Même dans les pays où les gens sont libres d'acheter de l'or il n'y a pas encore (1965) d'achats notables d'or de la part des institutions et des personnes financièrement puissantes. Jusqu'au moment où les services gouvernementaux français commencèrent à acheter de l'or, les acheteurs d'or étaient pour la plupart des gens disposant de revenus modestes et désirant conserver quelques pièces d'or comme réserve pour les mauvais jours. Ce furent les achats d'or de telles personnes sur le marché de Londres qui réduisirent les réserves d'or des États-Unis.

* * *

Il n'y a qu'une méthode possible pour empêcher une diminution encore plus grande des réserves d'or américaines : l'abandon radical du déficit budgétaire ainsi que de toute politique "d'argent facile".

 

Notes

[1] Voir "Originary Interest" dans Human Action, de Ludwig von Mises, pages 523-529 (troisième édition, Henry Regnery Company, Chicago, Illinois, 1966).

[2] Cf. Roscoe Pound, Legal Immunities of Labor Unions, Washington D.C., 1957, page 21.


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