Les Problèmes fondamentaux de l'économie politique

Études sur la méthode, l'objet et la substance de l'économie politique et de la sociologie

par Ludwig von Mises

Texte établi à partir d'une traduction anonyme inédite
(1933 pour la première édition allemande de l'ouvrage)

Nota : dans la préface de l'édition anglaise, Mises signale qu'il a d'abord employé (en 1929) le terme de sociologie, pour lui substituer par la suite celui de praxéologie.

 

Chapitre II — Sociologie et histoire

 

4. L'origine des malentendus sur le caractère logique de l'économie politique

La théorie économique, comme toute théorie et toute science, est rationaliste, en ce sens qu'elle procède avec les moyens de la raison — ratio. Que pourrait être la science sans la raison ? On est libre, naturellement, d'opposer la subtilité de constructions métaphysiques à la critique scientifique et l'intuition à la pensée discursive, mais on refuse, ce faisant, le point de vue de la science.

Ce refus de la science de la pensée scientifique, et par là du rationalisme, n'est nullement cette exigence de « la vie, » que l'on voulait y faire voir, mais un postulat, monté de toutes pièces par des snobs pleins de partis-pris et de ressentiment contre la vie. Sans doute le mondain n'a-t-il que du mépris pour la « grisaille de la théorie. » Mais la vie s'assimile avec avidité les résultats de la pensée scientifique, qui se traduisent par l'amélioration de l'outillage technique de l'homme dans sa lutte pour l'augmentation de son bien-être et de sa richesse. Et même si la science n'apporte pas à tous ceux qui s'y consacrent la satisfaction intérieure, ce n'est pas là un argument en faveur de sa suppression.

Mais les tendances qui, en sociologie, spécialement dans le domaine de l'économie politique et dans les sciences historiques, se groupent autour de la bannière anti-rationaliste, ne veulent nullement supprimer la science. Leur objet est tout différent. Ce qu'elles veulent, c'est d'une part introduire frauduleusement dans les différents domaines du raisonnement scientifique des arguments et des affirmations qui ne résistent pas à la critique et, d'autre part, écarter, sans les honorer d'une critique objective, les propositions qu'elles ont impuissantes à critiquer. Il s'agit là dans la plupart des cas d'une prévenance de leur part à l'égard des intentions ou des théories de partis politiques ; mais il arrive aussi, et moins rarement qu'on ne pense, qu'il n'y ait là que le désir d'attirer à tout prix l'attention, chez des personnages relativement moins doués pour le travail scientifique. Tout le monde n'a pas alors l'honnêteté d'avouer le véritable mobile — à savoir qu'il est assez déplaisant de passer sa toute vie dans l'ombre d'un plus grand que soi 48.

Si quelqu'un se fait le défenseur d'une politique nationale d'autarcie, s'il entend retrancher son peuple du commerce avec les autres, s'il est prêt à supporter les conséquences matérielles et morales d'une semblable politique pour arriver à ses fins, c'est là une affirmation de valeur que l'on ne peut pas, en tant que telle, réfuter par des arguments. Mais ce n'est précisément pas ainsi qu'il en va généralement. On pourrait peut-être décider les masses à consentir à de menus sacrifices en faveur de l'autarcie, mais on n'obtiendra jamais d'elles des sacrifices considérables pour un tel idéal. Car il n'y a finalement que les gens de plume à s'enthousiasmer pour la pauvreté, pour celle des autres bien entendu ; ces autres préféreront toujours le bien-être au besoin. Comme on n'a ainsi aucune chance de réussir en affirmant à l'opinion que ce n'est pas acheter trop cher cet idéal de théoricien, que de le payer d'un abaissement considérable du bien-être général, on est alors obligé de chercher à faire la preuve que sa réalisation ne coûtera que des sacrifices minimes, voire aucun sacrifice, qu'elle entraînera même un profit matériel concret. Pour administrer une telle preuve, pour démontrer que la limitation du commerce et des rapports avec l'étranger, que les socialisations ou collectivisations, que même les guerres sont « par dessus le marché une bonne affaire, » on est obligé de chercher à introduire dans la démonstration des éléments irrationnels, parce que ce sont là des choses qui ne se laissent pas démontrer avec les arguments rationnels et réfléchis de la science. Il est évident que l'introduction d'arguments irrationnels dans l'argumentation est inadmissible. Les fins, sans doute, sont irrationnelles, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas besoin d'une justification rationnelle et qu'elles n'en sont pas capables ; mais ce qui n'est que moyen en vue d'une fin doit être toujours soumis à un examen rationnel.

Une erreur généralement répandue, — excusable, sans doute si l'on tient compte de l'évolution des doctrines, mais d'autant plus redoutable par là, — est celle qui identifie l'action « rationnelle » avec l'action « convenable ». Max Weber a expressément repoussé cette confusion 49, même si, comme nous l'avons vu, il ne cesse de la commettre en d'autres parties de ses œuvres.

« La théorie de l'utilité marginale, dit Max Weber, traite de l'action humaine comme si elle se déroulait tout entière sous le contrôle d'un calcul marchand — d'un calcul tenant compte de toutes les conditions à envisager » 50. C'est à proprement parler le procédé de l'économie politique classique, nullement celui de la théorie moderne. L'économie politique classique, n'ayant pu résoudre le paradoxe apparent de la valeur, n'avait plus d'autre issue possible que de partir de l'activité du vendeur. Elle ne pouvait arriver à la réalité qui se situe derrière l'attitude du marchand et de l'entrepreneur, et qui, en dernière analyse, la commande et la conduit : l'attitude du consommateur. Car elle ne savait quelle signification attribuer à la valeur du consommateur, étant incapable d'y faire le partage de la valeur objective et de la valeur subjective. Elle ne voyait ainsi pas plus loin que les comptes et les livres de comptes. Or, si l'on borne ainsi son étude à l'attitude du négociant, on est alors obligé de distinguer entre une « bonne » et une « mauvaise » attitude commerciale. Car l'entrepreneur, en tant que commerçant, non pas en tant que consommateur, a un but bien défini, qui est de tirer de son entreprise un revenu maximum.

L'économie politique moderne ne part cependant pas de l'attitude du marchand, mais de celle du consommateur, de celle de chacun de nous. Il n'y a ainsi pour elle ni « bonne » ni « mauvaise » attitude économique, et c'est là précisément ce qui constitue à la fois son « subjectivisme » par opposition à l' « objectivisme » des économistes classiques, et son « objectivité » par opposition à leur position normative. Elle n'a pas à savoir si l'on préfère une nourriture saine ou si l'on recourt aux stupéfiants ; elle n'a pas à connaître les opinions, si erronées fussent-elles, que tel ou tel individu professe au nom d'une affirmation de valeur de caractère moral ou autre. Car le problème qui l'occupe, c'est celui de l'établissement des prix ; elle a à expliquer comment s'instituent les prix, non pas à trancher de ce qu'ils devraient être. L'anti-alcoolisme voit dans la consommation de boissons alcooliques un dangereux attentat à l'humanité, qu'il explique comme une erreur, une faiblesse de caractère, une immoralité. La demande en boissons alcooliques est le seul fait qu'ait à retenir la science de l'action humaine : qui veut expliquer le prix de l'alcool ne s'occupe pas de savoir si la consommation en est « rationnelle » ou morale. Je puis avoir l'opinion que je veux du mélo que nous présente le film : en tant que savant, je dois expliquer l'établissement des prix pour le film, les acteurs et les fauteuils de la salle de spectacle, non pas juger des films. La science de l'action n'examine pas si le consommateur s'abuse ou non, s'il est noble, généreux, moral, sage, patriote ou religieux : elle ne s'intéresse pas aux motifs mais seulement aux modalités de l'action.

L'économie politique subjectiviste d'aujourd'hui — la doctrine de l'utilité marginale — reprend la vieille théorie de l'offre et de la demande, abandonnée autrefois en raison de son impuissance à résoudre le paradoxe de la valeur, mais en la développant. Du moment que, comme le fait la théorie moderne, on découvre le sens du mouvement des prix dans le fait que la stabilité ne s'introduit qu'au moment où la demande totale et l'offre totale coïncident, il devient évident que tous les facteurs qui influent sur l'attitude des parties, par conséquent les facteurs « extra-économiques » et « irrationnels » eux-mêmes, tels que l'erreur, l'amour, la haine, les mœurs, l'habitude, la noblesse des sentiments, etc. jouent leur rôle dans ce mouvement. Donc, lorsque Schelting affirme que « la théorie économique imagine une société qui se serait développée uniquement par l'action de facteurs économiques » 51, cette affirmation, dans le sens où Schelting entend ces « facteurs économiques, » ne vaut pas pour l'économie économique moderne. Nous ferons voir par la suite 52 que Menger et Böhm-Bawerk eux-mêmes n'ont pas parfaitement pénétré le sens de ce fondement logique de la doctrine dont ils ont la pérennité et que ce n'est que par la suite que l'on ne reconnut dans toute sa portée le sens du passage de l'objectivisme au subjectivisme des valeurs.

On se trompe tout autant en affirmant — selon l'opinion généralement répandue chez les adeptes de l'école historico-idéaliste — que « les autres fictions capitales de la théorie abstraite sont l'idée de la "libre-concurrence" et de l'indépendance absolue du mouvement général de l'économie par rapport aux règlements établis, d'origine politique au autres » 53. Cela n'est pas davantage vrai pour l'économie politique classique. Personne ne songera sans doute à prétendre que la théorie moderne n'ait pas suffisamment étudié le problème des prix en régime de monopole. Le cas de la concurrence limitée, soit du côté du vendeur, soit du côté de l'acheteur, ne pose aucun problème spécial à la théorie : elle n'a jamais à connaître que des agents économiques effectivement présents et actifs sur le marché. Quant à ceux qui pourraient y apparaître si certains facteurs ne les en empêchaient pas, elle n'a rien de plus à en dire, sinon que leur appréciation modifierait la physionomie du marché. Le théoricien — et ceci est vrai de la théorie classique tout autant que de la théorie moderne — ne suppose pas davantage la fiction de « l'indépendance absolue » des phénomènes du marché « par rapport aux règlements politiques ou autres. » Elle consacre au contraire à ces « intrusions » des recherches très poussées et établit une théorie spéciale du contrôle des prix et de l'interventionnisme.

Mitscherlich prétend lui aussi que la théorie de l'utilité marginale s'accommode « avant tout de l'économie libérale. » Le moyen-âge aurait été ainsi « hors d'état de la comprendre, » elle y eut été « sans objet. » « Qu'aurait pensé, dit-il, le moyen-âge de la théorie émise par Carl Menger, disant que le critère de la valeur est constitué par ce dernier degré d'intensité du besoin qui peut être couvert par les stocks constitués ? » 54 On est fondé à penser que le moyen-âge aurait aussi peu compris la théorie moderne des prix que la mécanique de Newton ou les conceptions modernes des fonctions du cœur. Cependant, les gouttes de pluie tombaient au moyen-âge de la même façon qu'aujourd'hui et les cœurs battaient de même. S'il est vrai que les hommes du moyen-âge n'auraient pas compris la loi de l'utilité marginale, ils n'ont pourtant et n'auraient pu agir autrement que selon cette même loi. Ils ont eux aussi cherché à répartir les ressources dont ils disposaient de façon à attendre, pour chaque besoin particulier, le même degré de satisfaction. Au moyen-âge non plus, le riche ne s'est pas distingué du pauvre uniquement parce qu'il mangeait davantage. Personne n'a, au moyen-âge, échangé volontairement un cheval contre une vache, à moins de préférer la vache au cheval. Les interventions de l'autorité et d'autres forces de contrainte n'ont pas eu au moyen-âge d'autres conséquences que celles qu'établit la théorie moderne du contrôle des prix et de l'interventionnisme.

Contre le reproche fait à l'économie politique moderne selon lequel « le système de la libre-concurrence constitue nécessairement son schéma fondamental, » et qu'elle se trouve incapable de saisir théoriquement « l'économie organisée de l'heure actuelle, une économie de concurrence réglementée » et « le phénomène de l'impérialisme dans son ensemble » 55, il suffit de faire remarquer que ce qui fut historiquement à l'origine de cette guerre menée contre la théorie, ce qui l'a rendue si opiniâtre et populaire, c'est le fait que c'est sur ce terrain — et sur ce terrain seulement — qu'il est possible de fonder un jugement précis sur les conséquences de chaque mesure interventionniste en particulier et de l'interventionnisme dans son ensemble sous ses formes historiques. C'est déformer systématiquement un fait historique établi que de prétendre que l'école historique repousse la théorie parce que celle-ci aurait été impuissante à expliquer l'interventionnisme comme phénomène historique ; elle ne l'a en vérité repoussée que parce que la théorie conduisait à une explication, — explication qui d'une part était politiquement désagréable aux tenants de l'école et que d'autre part elle n'était pas en état de la réfuter. Et seul celui pour qui « comprendre sur le plan théorique » est synonyme de « glorifier les yeux fermés » peur reprocher à la théorie moderne de n'avoir pas « compris » l'impérialisme. »

Au demeurant, aucun esprit ayant suivi avec quelque attention les études économiques des dernières années, ne pourra contester que toutes les recherches entreprises pour éclairer les problèmes que nous pose l'économie « dirigée » provinrent exclusivement de « théoriciens » et par les moyens de la « pure » théorie. Que l'on songe, sans parler des problèmes monétaires et du problème des prix en régime de monopole, aux recherches sur les causes du chômage chronique et sur les problèmes du protectionnisme 56.

L'économie politique abstraite se fonde, d'après Max Weber, sur trois postulats : une organisation sociale fondée sur l'échange économique, la libre-concurrence et une action strictement rationnelle » 57. Nous avons déjà parlé de la seconde et de la troisième de ces conditions. Concernant la première condition, nous renvoyons le lecteur au point de départ de toutes les recherches de l'école moderne : l'économie isolée et sans échange, que l'on a cherché à rendre ridicule comme robinsonnade, et d'autre part aux études consacrées à l'économie de la communauté socialiste théorique.

5. Histoire sans sociologie

On ne peut qu'approuver entièrement Max Weber, lorsqu'il déclare :

Partout où l'on vise à faire comprendre par ses causes un « phénomène de civilisation », un « personnage » historique; la connaissance de lois causales ne peut être que l'instrument et non le but de la recherche. Elle nous facilite et nous rend possible la tâche de rattacher à leurs causes concrètes ces aspects des phénomènes qui dans leur singularité ont une signification particulière pour la civilisation. En ce sens, et en ce sens seulement, elle est d'une haute valeur pour la compréhension des rapports et enchaînements individuels. 58

Mais Max Weber fait erreur, lorsqu'il ajoute :

Plus les lois sont « générales », c'est-à-dire plus elles sont abstraites, moins elles présentent d'utilité pour l'imputation causale des phénomènes singuliers et ainsi pour la compréhension des événements.... Pour les sciences de la nature, qui sont du type mathématique, les « lois » sont d'autant plus importantes et précieuses que leur portée est plus générale ; pour l'étude des phénomènes historiques dans leur contexte concret, les lois les plus générales sont au contraire, en tant que les plus pauvres de contenu, celles qui ont le moins de valeur. Car plus s'étend la portée, la compréhension, d'un concept générique, plus il nous éloigne de la plénitude du réel, puisque, pour enfermer les caractères communs d'un nombre aussi grand que possible de phénomènes, pour être aussi abstrait qu'il se puisse, il faut être d'un contenu aussi pauvre que possible. » 59

Quoique Weber parle, au cours du développement qui le fait aboutir à cette conclusion, de « toutes ces lois, sans exception, que l'on appelle économiques » il semble cependant qu'il n'ait eu en vue, ce faisant, que les tentatives que l'on connaît d'établir des lois de l'histoire. Que l'on songe à la célèbre phrase de Hegel : « L'histoire universelle... est la représentation de la conscience que l'esprit prend de sa liberté et de sa réalisation comme produit de cette conscience » 60 ou à l'une des « lois » de Breysig, et les affirmations de Weber paraîtront comme allant de soi. Mais, appliquées à la sociologie, elles demeurent incompréhensibles.

Le futur historien de la dernière décennie ne pourra passer sous silence le problème des réparations 61. Au centre de ce problème se pose celui des transferts ; le sens en est de savoir si, du fait des paiements effectués au titre des répartitions, et particulièrement de leur transfert à l'étranger, la devise allemande peut ou non être atteinte dans sa stabilité par rapport à l'or. On ne peut étudier cette question autrement que par les moyens de l'économie politique théorique. Toute autre méthode d'étude serait absolument inconcevable. On remarquera d'ailleurs que tous ceux, sans exception, qui prennent la parole dans ce débat invoquent toujours finalement des lois économiques générales. Partir de la doctrine, ruinée sans doute aux yeux de la science, de la balance des paiements, c'est adhérer à une théorie qui revêt logiquement le même caractère d'universalité que la théorie admise comme juste par la science moderne. Sans recours à de telles propositions générales, il ne saurait y avoir de discussion sur les conséquences résultant de certaines circonstances déterminées. Que les paiements prévus par le Plan Dawes soient vraiment effectués ou qu'ils viennent à ne pas se produire pour une raison que l'on ne saurait prévoir aujourd'hui, l'historien ne saurait rien dire de tous les problèmes liés à celui du transfert sans recourir à de telles lois générales. En supposant que les paiements aient lieu et que la valeur-or du mark ne se modifie pas, on ne saurait cependant en déduire, sans recourir à la théorie de la parité des pouvoirs d'achat, que ces paiements de l'Allemagne n'ont pas atteint sa devise. Car il pourrait se faire qu'un autre enchaînement causal s'exerçant en même temps empêche la manifestation des conséquences que la théorie de la balance des paiements nous fait attendre pour la devise allemande. Et, s'il en était ainsi, l'historien ou bien ne saurait rien de l'existence de ce second système de causes, ou bien ne serait pas en état d'apprécier son effet.

Une histoire sans théorie est inconcevable. La conviction naïve qu'il est possible, en abordant les faits sans « théorie » et sans prévention, de passer immédiatement des documents à l'histoire, est impossible à défendre. Rickert a établi de façon irréfutable 62 que l'objet de l'histoire n'est pas de reproduire le réel, mais d'en donner une image transformée et simplifiée par des idées. En renonçant à établir ou à utiliser des théories sur les liens entre les phénomènes, on n'arrive nullement, pour autant, à résoudre les problèmes de l'histoire sans théorie, et ainsi avec plus de fidélité au réel. Nous ne pouvons penser sans causalité. Toute pensée, et celle de l'historien également, postule la causalité. Toute la question se ramène ainsi à savoir si l'historien peut se servir des explications causales élaborées par la réflexion scientifiques et éprouvées du point de vue de la critique, ou s'il prétend utiliser sans critique les « lois » populaires d'une pensée pré-scientifique. Même à vouloir, sans plus d'examen, conclure du post hoc au propter hoc, on resterait cependant perplexe devant la complexité et la diversité déconcertantes des phénomènes. Le fait, précisément, de cette complexité des séries causales dont parle Muhs 63 rend la théorie nécessaire.

Érudits et historiens se sont toujours servis, dans les recherches historiques, de théories créées par la pensée extra-économiques, et revendiquant une valeur universelle. Que l'on réfléchisse une minute au nombre de théories qu'enferme la phrase suite « Le roi vaincu se vit dans l'obligation de conclure la paix dans des conditions défavorables. » Sans doute s'agit-il ici de théories extrêmement simples et à peine contredites, de caractère extra-scientifique : mais cela ne change rien au fait que ce sont des théories, des propositions dont on admet qu'elles valent universellement. De plus l'histoire utilise des théories provenant de toutes les autres sciences et il va de soi que l'on est fondé à exiger sur ce point que les théories dont elle se sert répondent à l'état présent de la science, qu'elles soient à nos yeux des théories exactes. Les historiens de la Chine ancienne pouvaient expliquer une sécheresse extraordinaire par quelque manquement moral de l'Empereur et noter que la pluie refit son apparition après un acte impérial de purification, l'historien antique pouvait attribuer à la jalousie des dieux la mort prématurée du fils du monarque. Dans l'état actuel de la météorologie et des sciences médicales, il nous faut aujourd'hui rechercher d'autres explications. Quand bien même les documents nous décriraient avec toutes les précisions possibles les relations d'Égérie et de Numa Pompilius, nous n'y ajouterions pas foi et n'y pourrions prêter attention. Des actes de tribunal établissent les relations des sorcières et du Malin : malgré tous les actes de ce genre, nous nions au nom de nos théories la possibilité de telles relations 64. L'historien doit considérer toutes les autres sciences comme, au sens large du terme, des sciences auxiliaires de l'histoire et en assimiler ce qu'exigent les problèmes spécifiques qu'il se propose de résoudre. Pour écrire une histoire de la dynastie des Claude, il faudra de toute nécessité quelques notions de psychiatrie et d'hérédité. Il faudra connaître la construction des ponts pour en faire l'histoire et une histoire de la stratégie suppose une connaissance approfondie celle-ci.

Les partisans de l'historicisme reconnaissent cette nécessité, tant du moins qu'elle se limite aux sciences. Mais ils ne veulent plus en entendre parler dès qu'il est question de la sociologie. A leur avis, il en va ici tout autrement. On serait bien embarrassé de trouver à cette différence une seule raison acceptable. Mais l'opposition de nombreux historiens se laisse facilement expliquer de façon psychologique. Pour ce qui est des autres sciences, il s'agit tout au plus pour l'historien d'acquérir avec elles ce degré de familiarité qui ne dépasse pas ce que l'on est en droit d'attendre de toute personne cultivée — ou alors de spécialités historiques qui, dans leur quasi-autonomie, n'entretiennent que de lointains rapports avec le domaine proprement dit de l'histoire. Pour savoir que même les plus manquements les plus coupables du monarque n'exercent pas d'influence sur le temps, il n'est pas besoin d'être météorologiste, et sans connaître grand-chose des théories de l'hérédité, on fera cependant aisément justice des documents affirmant une origine divine de telle ou telle maison régnante. En devenant une discipline autonome, l'histoire de la médecine, par exemple, ou d'autres spécialités de ce genre, n'influent pas sur les problèmes propres de l'histoire. Mais pour de nombreux historiens, les prétentions de la sociologie, ne serait-ce que par la méconnaissance des frontières entre les recherches de l'histoire et celles de la sociologie, apparaissent comme une menace directe de leurs droits les plus sacrés.

Or il n'est pas d'affirmation historique qui ne contienne implicitement une théorie sociologique. On ne saurait rien énoncer des conséquences à attendre de telle ou telle mesure politique, si l'on renonce à recourir à des propositions générales valables pour toute activité humaine. Que l'on parle de la « question sociale, » de politique mercantiliste, d'impérialisme, de politique de puissance, de guerres et de révolutions, les raisonnements de l'historien ne cessent de présenter des affirmations qui résultent directement de lois sociologiques générales. Il en va là comme de Monsieur Jourdain, étonné d'entendre qu'il s'était toujours exprimé en prose : les historiens se montrent trop surpris, lorsqu'on leur fait remarquer qu'ils ne cessent d'utiliser des propositions relevant de la sociologie.

Malheureusement, il arrive que ces théories, dont ils n'hésitent pas à se servir, appartiennent parfois à la pensée pré-scientifique. Ce n'est pas non plus travailler « sans théorie » que de ne pas tenir compte des conclusions de la sociologie moderne : c'est seulement utiliser la théorie naïve et abandonnée aujourd'hui d'une période révolue de la réflexion scientifique, ou même la théorie plus naïve encore de la pensée pré-scientifique. Les effets de cette attitude se manifestent parfois de façon grotesque dans l'histoire économique. Celle-ci ne devint possible qu'après que l'économie classique eut fourni son appareil scientifique à la réflexion appliquée à ces problèmes. Les essais antérieurs, concernant l'histoire du commerce par exemple, n'étaient que des collections de notices. Or voici que l'histoire économique cherche de nos jours à s'émanciper de la théorie. Elle renonce à s'attaquer à son problème avec l'appareil logique mis au point par la science et préfère se contenter du modeste bagage de connaissances théoriques que chacun de nous retire aujourd'hui de la lecture des journaux et de la conversation sur ce qui est à l'ordre du jour. L' « absence de parti-pris » d'une telle histoire ne consiste au vrai qu'à ressasser sans aucun effort critique des erreurs populaires qui, dans leur éclectisme et leurs contradictions logiquement indéfendables, ont été mille fois réfutées par la science moderne 65. C'est ainsi que les efforts et le travail de plusieurs générations de savants restent frappés de stérilité : l'école historique s'est avérée impuissante, sur le terrain précisément de l'histoire sociale et économique qu'elle revendiquait comme son domaine par excellence.

Les précurseurs de l'histoire « dégagée de toute théorie » affirment il est vrai que l'appareil conceptuel et théorique de leur science doit être constituée à partir des données historiques elles-mêmes, parce qu'il n'existe pas de lois extra-temporelles et universelles de l'action humaine. Nous avons déjà vu que la thèse selon laquelle il existerait aussi une action irrationnelle — l'action rationnelle n'étant que le résultat d'une longue évolution historique — repose sur un grossier malentendu. Mais l'historicisme va plus loin : il condamne l'idée d'une raison supra-temporelle comme préjugé de l'époque des Lumières. La structure logique de la raison humaine se serait modifiée au cours des âges dans la même mesure que les connaissances et le savoir-faire techniques 66. Nous ne voulons pas insister ici sur les objections de principe qu'appelle ce postulat de l'empirisme du point de vue de la connaissance 67 : ce serait là un point de vue que l'historicisme repousserait sans doute également, puisqu'il nie la possibilité d'opposer à l'expérience historique une quelconque théorie supra-temporelle. Nous devons donc limiter notre discussion aux arguments auxquels l'historicisme lui-même reconnaît la valeur d'une critique immanente de sa thèse. Sur ce terrain, il nous faut d'abord souligner qu'il n'existe et que nous ne pouvons rencontrer aucun document historique capable l'ébranler l'idée de l'invariabilité de la raison. Aucun essai n'a jamais été tenté pour établir de façon concrète en quoi la structure logique de la raison pourrait s'être modifiée au cours des temps. Les représentants de l'historicisme seraient fort embarrassés si on leur demandait d'éclairer leur affirmation par un exemple. L'ethnologie, en la matière, n'a pas été moins impuissante que l'histoire. Wilhelm Jerusalem a, il est vrai, affirmé avec force que : « la ferme croyance de Kant en une structure logique intemporelle et parfaitement invariable de notre raison... n'a non seulement pas été vérifiée, mais a même été démontrée entièrement erronée par les conclusions de l'ethnologie moderne. » 68 Mais Jérusalem lui-même n'a, a aucun degré, entrepris de nous faire voir en quoi la logique des primitifs serait différente en sa structure de la nôtre. Il ne suffit pas d'invoquer sur ce point les écrits des ethnologues. L'ethnologie établit simplement que les conclusions auxquelles aboutit la pensée des primitifs sont différentes de celles auxquelles nous arrivons nous-mêmes et que le domaine des objets sur lequel les primitifs ont coutume de porter leur réflexion ne coïncide pas avec celui de nos intérêts intellectuels. Le primitif aperçoit, il est vrai, des enchaînements magiques et mystiques dans les cas où nous voyons des enchaînements tout différents ou où nous n'apercevons pas de lien entre les phénomènes ; inversement l'enchaînement causal lui échappe dans les cas où nous le saisissons. Mais cela prouve uniquement que le contenu de sa pensée est différent de celui de la nôtre, nullement que sa pensée serait d'une structure logique différente. Jérusalem ne cesse, à l'appui de son affirmation, d'invoquer les travaux de Lévy-Bruhl. Mais toutes les œuvres, excellentes d'ailleurs, de Lévy-Bruhl établissent uniquement le fait que les peuples primitifs ne comprennent pas les problèmes auxquels se consacrent, chez les peuples civilisés, un petit cercle d'individus d'une culture spécialement poussée. « L'Africain », dit Lévy-Bruhl après Bentley,

ne pousse jamais sa réflexion jusqu'au bout, à moins qu'il n'y soit contraint... Il n'a jamais saisi la ressemblance entre le commerce tel qu'il le pratique lui-même et un comptoir établi sur le côté. Il s'imagine que lorsqu'un Blanc a besoin de tissu, il n'a qu'à ouvrir une balle où il le découvrira. Mais l'origine, le pourquoi et le comment de ces balles, il n'y a jamais réfléchi.

L'intelligence primitive a coutume « de s'en tenir à la première impression qu'elle reçoit des objets, sans réfléchir davantage, autant que faire ce peut. » 69 Lévy-Bruhl et Bentley paraissent avoir borné leurs observations aux primitifs ; s'ils les avaient étendus à l'Europe — et, en tout premier lieu aux économistes et politiciens européens de toute tendance — ils n'auraient certainement pas vu dans le fait de « ne pas penser jusqu'au bout » et de « ne pas réfléchir » une caractéristique des primitifs. Ce qui manque aux Mossi du Niger, c'est, dit Lévy-Bruhl d'après une relation de Mangin, la réflexion ; et c'est là aussi la cause de sa pauvreté d'idées. « Sa conversation se borne presque exclusivement aux femmes, aux aliments et à la culture du sol pendant la saison des pluies. » 70 N'aurait-on pu affirmer la même chose des compatriotes et contemporains de Newton et de Kant ?

Il faut d'ailleurs souligner que Lévy-Bruhl ne tire nullement de ses remarques les conclusions que Jérusalem veut en déduire. A propos de la notion de causalité chez les primitifs, il remarque expressément dans sa conclusion :

La mentalité primitive s'attache comme la nôtre aux causes des événements. Mais elle ne cherche pas dans le même sens. Elle vit dans un monde où sont partout présentes d'innombrables forces occultes agissant incessamment ou toujours prêtes à agir. 71

Cassirer conclut, sur la base de recherches très poussées :

A comparer l'image empirico-scientifique et l'image mythique du monde, on distingue immédiatement que le contraste entre elles ne résulte nullement de l'utilisation, dans l'observation et l'interprétation du réel, de catégories radicalement différentes. Ce n'est pas la par structure ou la qualité de ces catégories, mais par leur modalité, que s'opposent le mythe et la connaissance empirique et scientifique. Les types d'associations employés pour donner à la diversité la forme de l'unité, pour imposer une forme à ce qui ne cesse de se dissoudre, présentent de l'une à l'autre une analogie et une correspondance très poussées. Ce sont ces mêmes « formes » les plus générales de l'intuition et de la pensée qui constituent l'unité de la conscience en tant que telle, et qui ainsi constituent également l'unité de la conscience mythique et celle de la connaissance pure. » 72

L'historicisme ne se doute pas qu'on ne saurait déclarer, par exemple, que « les doctrines de l'économie politique classique avaient pour l'époque où elles furent développées une vérité relative » qu'au nom d'une théorie supra-temporelle et universelle. Sans une telle théorie, l'histoire ne saurait avoir d'autre objet que de réunir et de publier des documents. Ce ne fut pas ainsi par l'effet d'une rencontre du hasard, mais d'une nécessité intérieure, que l'époque du triomphe de l'historicisme coïncida avec un déclin marqué de l'histoire et des recherches historiques. Tout le résultat de l'historicisme pour l'histoire fut, à quelques exceptions près, d'une part une simple activité de publication, d'autre part des constructions de dilettantes à la façon de Chamberlain et de Spengler.

Si l'histoire doit être autre chose qu'un absurde non-sens, chaque enchaînement causal qu'elle affirme doit être pensé jusqu'au bout et examiné du point de vue de sa cohérence avec l'édifice complet de notre connaissance. Mais ceci est impossible sans théorie sociologique.

On ne peut que souscrire à cette opinion de Max Weber qui dit que pour l'explication causale de phénomènes culturels, « la connaissance de lois de cause à effet ne peut être que le moyen, et non le but de la recherche. La sociologie est pour l'histoire une science auxiliaire mais cependant indispensable. La même relation existe entre la théorie sociologique, et spécialement économique, et la politique. Chaque science n'est fin en soi que pour celui qui en a soif. »

6. Histoire universelle et sociologie

L'ambition de Max Weber ne fut pas seulement de fixer à la sociologie un programme et une méthode. Il a, de plus, publié lui-même, à côté d'excellentes recherches historiques, d'importants travaux qu'il a qualifiés de sociologiques. Sur ce qualificatif, il nous faut le contredire. Ceci ne doit pas être compris comme une critique dédaigneuse : les études regroupées dans Wirtschaft und Gesellschaft, la principale de ses œuvres posthumes, doivent être comptées au nombre des meilleures qu'ait produites la science allemande dans les dernières années. Mais, dans leurs points les plus importants, elles n'ont rien à voir avec la théorie sociologique telle que nous l'entendons. Elles ne sont pas davantage histoire dans le sens généralement admis de ce terme. L'histoire nous donne l'histoire d'une ville, ou des villes allemandes, ou des villes d'Europe au moyen-âge. Mais elle ne connaissait rien jusqu'ici qui, comme le magistral chapitre qu'y consacre Weber, traitât de « la ville » en général — une théorie générale de l'institution urbaine à travers tous les temps et chez tous les peuples, la construction de « type-idéal » de la ville. Pour Weber, dont la science ne visait pas à l'établissement de concepts universels et de lois valables sans exception, c'était là de la sociologie.

Si nous acceptions telle quelle cette dénomination, il nous faudrait en chercher une autre pour ce que nous concevons sous le nom de sociologie — ce qui ne laisserait pas de créer une confusion irrémédiable. Il nous faut donc nous en tenir à la différence que nous avons statuée et essayer de trouver un autre nom à ce qui, pour Weber, était sociologie. L'expression la plus satisfaisante serait peut-être ici celle de « théorie universelle de l'histoire » ou, en plus court, d' « histoire universelle. »

On a coutume, il est vrai, de désigner de ce nom les représentations de l'histoire s'étendant à tous les temps et à tous les peuples, mais cette considération ne doit pas nous retenir. Car ces représentations ne peuvent procéder autrement qu'en faisant suivre le tableau des événements à l'intérieur d'un peuple ou d'un domaine défini de la civilisation du tableau des événements au sein d'une autre individualité historique. L' « histoire universelle » ainsi conçue ne désigne donc qu'un ensemble de recherches qui, du fait de leur regroupement systématique, ne perdent rien de leur caractère primitif ni de leur autonomie. L'histoire universelle, au sens où nous l'entendons, — la « sociologie » de Max Weber — consisterait par contre à faire ressortir les constructions, les « types-idéaux » de l'histoire, et à en faire un objet d'études spécial. Ceci correspondrait à peu près — mais à peu près seulement, à ce que Bernheim, dans sa division du domaine historique selon ses thèmes, appelle histoire universelle ou histoire de la civilisation au sens large du terme. Bernheim oppose en effet à l'histoire spécialisée, l'histoire universelle, qu'il divise en deux chapitres :

(1) l'histoire universelle ou histoire de la civilisation au sens large, désigné aussi comme « histoire du monde » l'histoire de l'homme dans ses activités en tant qu'être politique, à travers tous les temps et dans tous les pays, conçue dans l'unité de l'évolution historique ;
(2) l'histoire politique universelle (Allgemeine Staatengeschichte), désignée aussi du nom d' « histoire du monde » et autrefois également d'histoire universelle : un groupement et une compilation de l'histoire de tous les peuples connus » 
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Nous n'avons pas besoin de souligner que ce n'est pas ici la terminologie mais la distinction conceptuelle et logique qui importe.

A l'intérieur de l'ethnologie, on pourrait distinguer de façon analogue une ethnologie universelle et une ethnologie spéciale. Il en va sensiblement de même pour l'étude des problèmes économiques. Entre la théorie de l'économie politique d'une part et de l'autre l'histoire économique des « tableaux économiques » (de telle ou telle époque et de tel ou tel pays) qui, obligatoirement, sont toujours de l'histoire économique, se situe la science économique descriptive universelle, dont l'objet est l'étude spéciale des constructions, des « types-idéaux », dont se sert l'histoire économique.

Le travail scientifique concret et les exposés dans lesquels il se matérialise pour le public ne respectent pas toujours les frontières qui distinguent ce domaine. Une telle distinction n'est pas d'ailleurs nécessité : l'esprit créateur apporte ce qu'il a à nous donner et nous l'en remercions. Mais alors même que l'on ne songe pas à franchir les frontières qui séparent ces domaines les uns des autres, on doit savoir ce qui se passe au-delà de ces frontières. La sociologie ne peut se passer de l'histoire, l'historien de la sociologie.

L'historicisme a vu dans la méthode historique la seule méthode valable et féconde pour traiter des problèmes de l'action humaine ; une partie des représentants de l'historicisme tenaient qu'une science théorique de l'action humaine est impossible ; d'autres ne voulaient pas en contester tout à fait la possibilité, mais pour un futur lointain, disposant en plus grande abondance des travaux d'approche nécessaires dans le domaine historique. Les adversaires de l'historicisme n'ont naturellement jamais contesté le bien-fondé, l'admissibilité logique et la fécondité de la recherche historique ; la querelle des méthodes n'a pas porté sur la valeur de l'histoire, mais exclusivement sur celle de la théorie. Du point de vue de la politique économique, la grave erreur de l'historicisme fut de repousser la théorie ; tel était d'ailleurs le sens de ses avantages contre la théorie : il ne s'agissait de rien moins que de défendre, contre une critique désobligeante, des idées et une politique économique qui n'auraient pas résisté à un examen scientifique. Du point de vue scientifique, la méconnaissance du fait que toute étude historique et toute description de phénomènes sociaux supposent des concepts et des lois théoriques a pesé plus lourd que l'erreur qui consiste à s'imaginer que l'on peut faire de l'histoire ou de la science économique sans théorie. La tâche la plus pressante de la logique des sciences historiques est de dissiper ce malentendu.



Notes

48. Freud cite l'exemple d'un cas où l'aveu fut fait sans ambages. Cf. « Zur Geschichte der psychoanalytischen Bewegungs », Sammlung kleiner Schriften zur Neurosenlehre, 4e série, 2e édition, Vienne, 1922, p. 57.

49. Cf. Max Weber, Wissenschaftslehre, op. cit., p. 503.

50. Op. cit., p. 370.

51. Schelting, op. cit., p. 721.

52. Voir ci-dessous, pp. 160 sqq.

53. Schelting, op. cit., p. 721.

54. Mitscherlich, « Wirtschaftswissenschaft als Wissenschaft, » Schmollers Jahrbuch, tome L, p. 397.

55. Salin, Geschichte der Volkswirtschaftslehre, 2e édition, Berlin, 1929, pp. 97 sqq.

56. Cf. Heckscher, op. cit., p. 525.

57. Cf. Weber, Wissenschaftslehre, p. 190.

58. Cf. Weber, Op. cit., p. 178.

59. Cf. Op. cit., pp. 178 sqq.

60. Cf. Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Weltgeschichte, édition Lasson, Leipzig, 1917, volume I, Iéna 1917, p. 148.

61. On notera que notre exemple a été repris tel quel de la première édition de cet ouvrage en 1929.

62. Cf. Rickert, Kulturwissenschaft und Naturwissenschaft, op. cit., pp. 28 sqq et Sombart, « Zur Methode der exakten und historischen Nationalökonomie, » Schmollers Jahrbuch, LIIe année, p. 647.

63. Cf. Muhs, op. cit., p. 808.

64. « Historiquement, le diable est beaucoup plus solidement prouvé que Pisistrate : nous n'avons pas un seul mot d'un contemporain qui dise avoir vu Pisistrate ; des milliers des "temoins oculaires" déclarent avoir vu le diable, il y a peu de faits historiques établis sur un pareil nombre de témoignages indépendants. Pourtant nous n'hésitons plus à rejeter le diable et à admettre Pisistrate. C'est que 1'existence du diable serait inconciliable avec les lois de toutes les sciences constituées. » Langlois Seignobos, Introduction aux études historiques, 3e édition, Paris, 1905, pp. 177 sqq.

65. Cf. Bouglé, Qu'est-ce que la sociologie ? (5e édition, Paris, 1925, pp. 54 sqq.

66. Cf. Mannheim, « Historismus, » Archiv für Sozialwissenschaft, tome LII, p. 9.

67. Cf. Husserl, Logische Untersuchungen, tome I, p. 136 sqq.

68. Jerusalem, « Die soziologische Bedingtheit des Denkens und der Denkformen, » Versuche zu einer Soziologie des Wissens, publié par Max Scheler, Munich et Leipzig, 1924, p. 183.

69. Cf. Lévy-Bruhl, Die Gesitige Welt des primitiven, traduit par Hamburger, Munich, 1927, p. 12 sqq.

70. Ibid., p. 71.

71. Ibid., p. 437.

72. Cf. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Berlin, 1925, tome II, p. 78.

73. Bernheim, op. cit., p. 53  Kracauer, op. cit., pp. 24 sqq., parle d' « histoire comparative des sociétés » et d' « histoire comparative de la civilisation ».


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