Monnaie, méthode et marché

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

2. Le traitement de « l'irrationnel » dans les sciences sociales

 

Publié pour la première fois dans Philosophy and Phenomenological Research, numéro 4 (Juin 1944).

I

L'une des manifestations de l'actuelle « révolte contre la raison » est la tendance à critiquer les sciences sociales pour être purement rationnelles. La vie et la réalité, disent les critiques, sont irrationnelles : il est tout à fait erroné de les traiter comme si elles étaient rationnelles et ouvertes à une interprétation par le biais du raisonnement. Le rationalisme ne fixe son attention que sur des questions secondaires : ses connaissances sont superficielles et manquent de profondeur, il n'entre pas dans l'essence des choses. C'est une absurdité de faire entrer de force dans d'arides plans rationnels, dans des abstractions exsangues la grande variété des phénomènes du vivant. Ce qu'il faudrait, c'est une science de l'irrationnel et une science irrationnelle.

La cible principale de ces attaques est la science théorique de l'action humaine, la praxéologie, et plus particulièrement sa branche jusqu'ici la mieux développée, l'économie ou catallaxie. Mais elles portent aussi sur la discipline historique.

Il faut se rendre compte que ce sont des motivations politiques qui ont suscité cette tempête. Les partis politiques et les groupes de pression dont les programmes ne peuvent pas résister à une critique basée sur le raisonnement impartial se raccrochent désespérément à un semblant d'espoir via une telle évasion. La science n'a toutefois pas le droit d'écarter une objection quelconque uniquement en raison des motivations qui l'ont suscitée ; elle n'a pas le droit de présumer à l'avance qu'une réprobation doit nécessairement être sans fondement parce que certains de ses partisans sont imbus d'un préjugé partisan. Elle est obligée de répondre à toute critique sans s'occuper de ses motivations sous-jacentes et de son origine.

La remise en cause de la raison et de la rationalité n'est pas née en Allemagne. Comme toutes les autres doctrines et philosophies elle trouve son origine en Europe occidentale. Mais elle a davantage prospéré sur le sol allemand que partout ailleurs. Elle fut pendant longtemps la doctrine officielle des universités prussiennes. Elle a façonné la mentalité allemande actuelle et les philosophes nazis l'ont fièrement baptisée « philosophie sociale allemande ». Les Staatswissenschaften allemandes ont récusé toute l'économie comme produit fallacieux de l'esprit britannique et autrichien et les historiens allemands ont dénigré les réussites de l'historiographie occidentale. Nous ne devons cependant pas oublier qu'une longue lignée de philosophes et d'historiens allemands ont brillamment réussi à élucider les problèmes épistémologiques de l'Histoire 1. Bien entendu, aucune place n'est donnée dans le Panthéon de l'Allemagne actuelle à ceux à qui nous devons ces contributions.

Il serait logique de donner, au début d'une étude consacrée aux problème du « rationnel » et de « l'irrationnel », une définition précise des deux termes. Mais il est impossible de se conformer à cette exigence légitime. Le fait que les objections dont nous devons parler utilisent les termes de manière vague et ambiguë est précisément un de leur trait caractéristique. Elles prétendent que la précision et la rigueur logique seraient des moyens inadaptés pour appréhender la vie et la réalité et pratiquent délibérément l'obscurité. Elles ne recherchent pas la clarté mais la profondeur (Tiefe). Elles sont fières d'être imprécises et de parler par métaphores.

Le problème que nous avons à étudier est le suivant : Est-il vrai ou non que les sciences sociales se sont égarées parce qu'elles utilisent le raisonnement discursif ? Devons-nous chercher d'autres voies d'approche que celles offertes par le raisonnement et l'expérience historique ?

II

Le domaine des sciences sociales est celui de l'action humaine. L'histoire traite des événements passés, les présentant sous divers aspects. Elle comprend l'histoire proprement dite, la philologie, l'ethnologie ; l'anthropologie est une branche de l'histoire dans la mesure où elle ne fait pas partie de la biologie ainsi que la psychologie, dans la mesure où elle n'est ni de la physiologie, ni de l'épistémologie, ni de la philosophie. L'histoire économique, l'économie descriptive et la statistique économique sont, bien entendu, de l'histoire. Le terme de sociologie est utilisé de deux façons différentes. La sociologie descriptive traite des manifestations historiques de l'action humaine qui ne sont pas prises en compte par l'économie descriptive ; elle recoupe en partie les domaines relevant de l'ethnologie et de l'anthropologie. La sociologie générale, d'un autre côté, traite l'expérience historique d'un point de vue plus proche d'une quasi-universalité que les autres branches historiques. L'histoire proprement dite, par exemple, traite d'une ville particulière, ou des villes au cours d'une période donnée, ou d'un peuple donné, ou d'une certaine zone géographique. Max Weber, dans son principal traité, parle de la ville en général, c'est-à-dire de l'ensemble de l'expérience historique concernant les villes sans se limiter à certaines périodes historiques, certaines zones géographiques, ou certains peuples, nations, races et civilisations 2. Le sujet de toutes les sciences historiques est le passé, elles ne peuvent pas nous apprendre quoi que ce soit qui puisse être valable pour toutes les actions humaines, ce qui signifie aussi pour le futur.

Les sciences de la nature traitent elles aussi des événements passés. Toute expérience est bien entendu expérience d'une chose disparue : il n'y a pas d'expérience des manifestations futures. Mais l'expérience à laquelle les sciences de la nature doivent toutes leurs succès est l'expérience d'une expérimentation * au cours de laquelle les divers éléments du changement peuvent être observés de manière isolée. Les faits amassés de cette manière peuvent être utilisés pour l'induction, procédure d'inférence particulière qui a fait la preuve de sa pertinence bien que sa valeur épistémologique et logique soit encore un problème non résolu.

L'expérience dont les sciences sociales ont à traiter est toujours une expérience de phénomènes complexes. Ils sont ouverts à diverses interprétations. Ils ne nous proposent pas des faits pouvant être utilisés de manière comparable à celle dont les sciences de la nature utilisent les résultats de leurs expérimentations pour prévoir les événements futurs. Ils ne peuvent pas servir de matériaux de construction pour bâtir des théories.

La praxéologie est une science théorique et systématique, pas une science historique. Son domaine est l'action humaine en tant que telle, sans tenir compte des circonstances environnementales et accidentelles des actions concrètes. Elle cherche à obtenir une connaissance valable dans tous les cas où les conditions correspondent exactement à celles supposées par les hypothèses et les déductions. Savoir si les gens échangent des biens et des services directement par le troc ou indirectement en faisant usage d'un moyen d'échange, c'est une question concernant l'environnement institutionnel spécifique à laquelle seule l'histoire peut répondre. Mais à chaque fois et partout où l'on utilise un moyen d'échange, toutes les lois de la théorie monétaire sont valables pour les échanges ainsi effectués 3.

Cet article ne cherche pas à savoir ce qui permet à une telle science praxéologique d'exister, ce qu'est sa nature logique et épistémologique et quelles méthodes elle utilise. L'étude des problèmes épistémologiques des sciences sociales a été négligée pendant longtemps. Même des auteurs qui, comme David Hume, l'archevêque Whately, John Stuart Mill et Stanley Jevons, étaient eux-mêmes d'éminents économistes, ne parlaient dans leurs écrits logiques et épistémologiques que des sciences de la nature et ne se souciaient pas de la nature spécifique des sciences de l'action humaine. L'épistémologie des sciences sociales est la plus jeune branche de la connaissance. En outre la plupart de ses travaux ne se réfèrent qu'à l'histoire, l'existence d'une science théorique ayant été longtemps ignorée. Le travail pionnier de Senior et de Cairnes n'a porté ses fruits que récemment 4. Les économistes manquent totalement de formation philosophique et les philosophes ne sont pas familiers de l'économie. L'importance de la phénoménologie pour la solution des problèmes épistémologiques de la praxéologie n'a pas été notée du tout 5.

Mais cet article ne porte pas sur ces points. Nous devons nous occuper des critiques qui accusent les économistes et les historiens d'avoir négligé la réalité de « l'irrationnel ».

Action veut dire comportement conscient ou activité intentionnelle. Elle diffère en tant que telle des processus biologiques, physiologiques et instinctifs se produisant dans les êtres humains. Il s'agit d'un comportement pouvant être maîtrisé et dirigé par la volonté et l'esprit. Son domaine coïncide avec la sphère au sein de laquelle l'homme est libre d'influencer le cours des événements. Dans la mesure où un homme a le pouvoir de produire un effet ou un changement, il agit nécessairement, qu'il fasse quelque chose ou qu'il abstienne de faire quoi que ce soit. L'inactivité et la passivité, le fait de laisser faire les choses, résultent d'un choix et constituent donc une action à chaque fois qu'une autre forme de comportement serait possible. Celui qui tolère ce qu'il pourrait changer agit tout autant que celui qui intervient pour obtenir un autre résultat. Un homme qui s'abstient d'exercer une influence sur l'opération des facteurs physiologiques et instinctifs qu'il pourrait influencer agit lui aussi. L'action, ce n'est pas seulement faire mais aussi omettre de faire ce qu'il est possible de faire.

La majorité du comportement quotidien d'un homme est une simple routine. Il accomplit certains actes sans leur accorder une attention spéciale. Il fait beaucoup de choses parce qu'il a été habitué durant sa jeunesse à les faire, parce que d'autres personnes se comportent de la même façon et parce que c'est habituel dans son milieu. Il acquiert des habitudes, il développe des réactions automatiques. Mais il s'adonne à ces habitudes uniquement parce qu'il se félicite de leurs résultats. Dès qu'il se rend compte que la poursuite de son comportement habituel l'empêche d'atteindre des fins qu'il estime plus désirables, il change d'attitude. Un homme élevé dans une région où l'eau est propre prend l'habitude de boire, de se laver et de se baigner sans faire attention. S'il se rend dans un lieu où l'eau est polluée par des microbes malsains, il prendra grand soin de respecter des procédures dont il ne s'était jamais soucié auparavant. Il se surveillera en permanence pour ne pas se faire de mal en se laissant aller sans réfléchir à ses réactions automatiques et à sa routine traditionnelle. L'abandon d'une pratique établie dont un homme a pris l'habitude n'est pas chose facile. C'est la principale leçon à retenir par tous ceux qui aspirent à s'élever au-dessus du niveau des masses. (Arrêter la consommation de drogues créant une accoutumance réclame souvent l'emploi de procédures thérapeutiques.) Le fait qu'un acte soit accompli pour ainsi dire spontanément dans le cours habituel des affaires ne veut pas dire qu'il n'est pas dû à une volonté consciente. S'adonner à une routine que l'on pourrait changer est une action.

L'action est la réponse de l'esprit aux stimuli, c'est-à-dire aux conditions dans lesquelles la nature et les actions des autres plonge un homme. Elle se différentie en tant que telle de la réaction fonctionnelle des organes du corps. Elle résulte de la volonté d'un homme. Bien entendu nous ne savons pas ce qu'est la volonté. Nous appelons simplement volonté la faculté de l'homme à choisir entre différentes situations, à préférer l'une et à écarter l'autre, et appelons action un comportement recherchant un état et renonçant à un autre. L'action est l'attitude d'un être humain poursuivant certaines fins.

La praxéologie ne s'occupe pas du problème métaphysique du libre-arbitre, par opposition au déterminisme. Son idée fondamentale est le fait incontestable que l'homme est en mesure de choisir entre différentes situations à propos desquelles il n'est pas indifférent et qui sont incompatibles entre elles, c'est-à-dire qu'ils ne peut pas jouir de toutes à la fois. Elle n'affirme pas que le choix d'un homme est indépendant de certaines conditions antérieures, physiologiques et psychologiques. Elle ne discute pas des motifs déterminant un choix. Elle ne se demande pas pourquoi un client préfère un type de cravate à un autre ou une automobile à un cheval avec boguet. Elle traite du fait de choisir en tant que tel, avec les éléments conceptuels de choix et d'action.

La praxéologie ne s'occupe pas non plus des buts ultimes de l'activité humaine. Nous aurons également à traiter de ce problème. Pour le moment il nous suffit de souligner que la praxéologie n'a pas à mettre en doute les fins ultimes mais doit seulement étudier les moyens utilisés pour parvenir à certaines fins. C'est une science des moyens, pas des fins.

Étudier si un moyen concret convient pour parvenir, en se conformant aux lois de la nature, à des fins données relève du champ du savoir-faire pratique, c'est le rôle des diverses branches de la technologie. La praxéologie ne traite pas de problèmes techniques, mais des concepts de choix et d'action en tant que tels, des éléments purs que représentent le fait de se fixer des buts et celui d'utiliser des moyens.

La praxéologie n'est pas basée sur la psychologie et ne fait pas partie de la psychologie. C'est une grosse erreur de qualifier la théorie moderne de la valeur de théorie psychologique et ce fut une confusion de la rattacher à la loi de la psychophysique de Weber-Fechner 67.

La praxéologie traite du choix et de l'action ainsi que de leur résultat. La psychologie traite des processus internes qui déterminent les divers choix concrets. On peut mettre de côté la question de savoir si la psychologie peut parvenir à expliquer pourquoi un homme dans un cas concret a préféré rouge à bleu ou du pain à une chanson. En tout cas une telle explication n'a rien à voir avec une branche de la connaissance pour laquelle les choix concrets sont des données ne nécessitant aucune explication ou analyse. Ce n'est pas ce que choisit un homme mais le fait qu'il choisit qui compte pour la praxéologie.

Les motifs et les ressorts de l'action ne concernent pas la recherche praxéologique. Peu importe pour la formation des prix de la soie que les gens demandent de la soie parce qu'ils veulent se protéger contre le froid, parce qu'ils la trouve belle ou parce qu'ils veulent être sexuellement plus attirants. Ce qui compte est qu'il y ait une demande de soie d'une certaine intensité.

Certes, la psychologie moderne a fourni quelques résultats qui peuvent susciter l'intérêt de la praxéologie. Il était autrefois habituel de considérer le comportement des fous et des névrosés comme n'ayant pas de sens et comme étant « irrationnels ». Le grand mérite de Breuer et de Freud est d'avoir réfuté cette idée. Les névrosés et les fous diffèrent des gens que nous appelons normaux et sains à propos des moyens qu'ils choisissent pour parvenir à la satisfaction et à propos des moyens qu'ils emploient pour arriver à ces premiers moyens. Leur « technologie » est différente de celle des gens sains mais ils n'agissent pas d'une manière totalement différente 8. Ils poursuivent des fins et utilisent des moyens pour arriver à leurs fins. Une personne mentalement dérangée chez laquelle il reste une trace de raison et qui n'est pas littéralement retombée au niveau intellectuel d'un animal est encore un être agissant. Quiconque possède les vestiges d'un esprit humain ne peut échapper à la nécessité d'agir.

III

Toute action humaine cherche à substituer une situation plus satisfaisante à une situation qui l'est moins. L'homme agit parce qu'il se sent mal à l'aise et croit avoir le pouvoir de soulager dans une certaine mesure son malaise en influençant le cours des événements. Un homme parfaitement content de l'état de ses affaires n'aurait aucune raison de changer les choses : il n'aurait ni souhaits ni désirs, il n'agirait pas parce qu'il serait parfaitement heureux. Un homme n'agirait pas non plus s'il ne voyait aucune possibilité d'améliorer sa condition, quand bien même elle ne lui conviendrait pas.

A proprement parler seul un accroissement de satisfaction (une diminution du malaise) devrait être appelé fin, et donc tous les états qui apporteraient un tel accroissement devraient être qualifiés de moyens. Dans le langage de tous les jours les gens utilisent une terminologie vague. Ils appellent fins des choses qui devraient être plutôt appelées moyens. Ils disent : « Cet homme n'a qu'une fin, à savoir accumuler davantage de richesses », au lieu de dire : « Il considère l'accumulation d'une quantité plus grande de richesses comme le seul moyen d'obtenir davantage de satisfaction. » S'ils devaient utiliser ce mode d'expression plus adéquat, ils éviteraient de faire certaines erreurs courantes. Ils se rendraient compte que personne d'autre que l'individu lui-même ne peut décider ce qui le satisfait lui le plus et ce qui le satisfait moins. Ils comprendraient que les jugements de valeur sont purement subjectifs et qu'un état de satisfaction ou de bonheur absolu ne tenant pas compte des désirs de l'individu concerné, cela n'existe pas. En fait, celui qui émet un jugement sur une prétendue fin la réduit du rang de fin à celui de moyen. Il la juge du point de vue d'une fin (supérieure) et demande s'il s'agit d'un moyen adapté pour parvenir à cette fin (supérieure). Mais la fin la plus haute, le but ultime de l'action humaine, est toujours de satisfaire le désir d'un individu. Il n'y a pas d'autre critère permettant de juger de la plus ou moins grande satisfaction en dehors des jugements de valeur individuels, qui diffèrent d'une personne à une autre et qui changent avec le temps chez une même personne. Ce qui fait qu'un homme se sent mal à l'aise ou mieux à son aise est établi par chaque individu avec sa propre volonté et son propre jugement, à partir de son évaluation personnelle. Personne n'est en position de décréter ce qui pourrait rendre un autre homme plus heureux. L'esprit d'intolérance inné et le « complexe dictatorial » névrotique poussent les gens à oublier joyeusement la volonté et les aspirations des autres personnes. Or quelqu'un qui émet un jugement sur les buts et les désirs d'un autre homme ne dit pas ce qui rendrait cet autre homme plus heureux ou moins mécontent : il ne fait qu'affirmer quelle est la situation de cet autre homme qui lui conviendrait le mieux, à lui le censeur.

C'est de ce point de vue que nous devons apprécier les énoncés de l'eudémonisme, de l'hédonisme et de l'utilitarisme. Toutes les objections émises à l'encontre de ces écoles sont caduques si l'on attache aux mots bonheur, douleur, plaisir et utilité un sens formel. Le bonheur et le plaisir sont ce que les gens considèrent comme tel ; sont utiles les choses que les gens jugent être des moyens appropriés pour atteindre les buts poursuivis. Le concept d'utilité tel qu'il a été développé par l'économie moderne signifie capacité à rendre certains services estimés utiles d'un certain point de vue. Voilà ce que veut dire le subjectivisme axiologique [subjectivisme de la théorie de la valeur] de l'économie moderne. C'est en même temps le critère de son impartialité et de son objectivité scientifique. Il ne traite pas de ce qui devrait être, mais de ce qui est. Son objet est, par exemple, d'expliquer la formation des prix tels qu'ils sont, non tels qu'ils devraient être si les hommes agissaient autrement qu'ils ne le font en réalité.

IV

La praxéologie n'emploie pas le terme rationnel. Elle traite du comportement intentionnel, c'est-à-dire de l'action humaine. Le contraire de l'action n'est pas le comportement irrationnel, mais une réponse de réaction face à des stimuli de la part des organes corporels et des instincts, qui ne peuvent pas être contrôlés par la volonté. Si nous devions attribuer un sens précis au terme rationalité tel qu'il est appliqué au comportement, nous ne pourrions trouver d'autre signification que la suivante : l'attitude d'hommes désireux de susciter certains effets.

Les termes rationnel et irrationnel sont utilisés le plus souvent pour blâmer certains modes d'action concrets. Une action est dite irrationnelle parce que le critique désapprouve la fin (c'est-à-dire la façon dont l'individu agissant veut obtenir satisfaction) ou parce que le critique croit que les moyens employés ne sont pas adaptés à produire l'effet immédiat recherché. Mais souvent qualifier une action d'irrationnelle implique des éloges : les actions poursuivant des buts altruistes, inspirées par des motifs nobles et accomplies au détriment du bien-être matériel de l'agent sont considérées comme irrationnelles.

Nous n'avons pas à nous étendre sur les contradictions et les incohérences logiques que sous-entend l'usage des mots. La façon dont on qualifie les fins importe peu à la praxéologie, science des moyens et non des fins. Il est évident que les mortels ne sont pas infaillibles et qu'ils choisissent parfois des moyens qui ne peuvent pas conduire aux fins recherchées.

Le rôle de la technologie et de la thérapeutique est de trouver les bons moyens pour parvenir à des fins données dans le domaine du savoir-faire technique. Le rôle de l'économie appliquée est de découvrir les méthodes appropriées pour parvenir à des fins données dans le domaine de la coopération sociale. Mais si les scientifiques échouent dans ces tentatives ou si les agents n'utilisent pas correctement les moyens recommandés, le résultat ne répond pas aux attentes des agents. Or une action mal adaptée à la fin recherchée est encore une action. Si nous disons qu'une action inadaptée et inopportune est irrationnelle, nous ne lui nions pas sa nature d'activité intentionnelle et ne réfutons pas l'affirmation selon laquelle la seule façon de concevoir ce concept et son essence nous est fournie par la praxéologie.

L'économie ne traite pas d'un homo œconomicus imaginaire, comme des fables tenaces le lui reprochent, mais d'un homo agens tel qu'il est, souvent faible, stupide, irréfléchi et mal éduqué. Il lui importe peu que ses motifs et ses émotions soient qualifiés de nobles ou de bas. Elle ne prétend pas que l'homme recherche exclusivement davantage de richesses matérielles pour lui ou sa famille. Ses théorèmes sont neutres vis-à-vis des jugements de valeur ultimes et valent pour toute action, quelle que soit son efficacité.

Étudier quelles sont les fins que poursuivent les gens et quels sont les moyens qu'ils utilisent pour réaliser leurs plans ne relève pas du domaine de la praxéologie mais de celui de l'Histoire.

V

Une erreur fréquente consiste à supposer que le désir de se procurer les nécessités vitales de la vie et de la santé est plus rationnel que la poursuite d'autres biens. Il est vrai que la recherche de nourriture et de chaleur est commune aux hommes et aux autres mammifères et qu'en règle générale quelqu'un qui n'a pas de nourriture ou d'abri concentre ses efforts pour satisfaire ces besoins urgents et ne se soucie pas des autres choses. La volonté de vivre, de préserver sa propre vie et de tirer avantage de toute occasion lui permettant d'augmenter sa force vitale est une caractéristique première de la vie, présente dans tout être vivant. Toutefois, céder à cette pulsion n'est pas — pour l'homme — une nécessité inextricable.

Tous les autres animaux sont inconditionnellement poussés par les pulsions les poussant à préserver leur vie et à proliférer. Ils sont obligés, sans volonté de leur part, d'obéir à l'impulsion du moment. Il en va différemment avec l'homme. Ce dernier a la faculté de maîtriser ses instincts. Il peut diriger à la fois ses appétits sexuels et sa volonté de vivre. Il peut renoncer à sa vie lorsque les seules conditions dans lesquelles il pourrait vivre semblent intolérables. L'homme est capable de mourir pour une cause ou de se suicider. Vivre est pour l'homme le résultat d'un choix, d'un jugement de valeur.

Il en va de même avec le désir de vivre dans l'abondance. L'existence même de l'ascétisme démontre que rechercher davantage de commodités n'est pas inévitable mais résulte d'un choix. Bien sûr l'immense majorité préfère la vie à la mort et la richesse à la pauvreté.

Inversement, il est arbitraire de considérer que seule la satisfaction des besoins physiologiques du corps sont « naturels » et donc « rationnels », tout le reste étant « artificiel » et donc « irrationnel ». L'un des traits caractéristiques de la nature humaine est de ne pas rechercher uniquement de la nourriture et un abri comme tous les autres animaux, mais d'aspirer à d'autres types de satisfaction, d'avoir aussi des besoins spécifiquement humains. Ignorer ce point constituait l'erreur fondamentale de la loi d'airain des salaires.

VI

Les jugements de valeur concrets ne sont pas susceptibles d'analyse. Nous pouvons penser qu'ils sont totalement dépendants de leurs causes et conditionnées par elles. Mais tant que nous ne savons pas comment des faits extérieurs (physiques et physiologiques) ont donné naissance dans « l'âme » humaine à des pensées et des volontés données aboutissant à des actes concrets, nous devons faire face à un dualisme insurmontable. En l'état actuel de notre connaissance les affirmations fondamentales du positivisme et du monisme ne sont que des postulats métaphysiques dénués de tout fondement scientifique. La raison et l'expérience nous montrent deux domaines séparés : le monde physique externe des événements physiques et physiologiques et le monde interne des pensées, des sentiments et de l'action intentionnelle. Aucun pont ne relie — autant que nous le sachions aujourd'hui — ces deux sphères. Des événements externes identiques aboutissent parfois à des réponses humaines différentes et des événements externes différents produisent parfois la même réponse humaine. Nous ne savons pas pourquoi.

Nous n'avons pas encore découvert d'autres méthodes pour étudier l'action humaine que celles offertes pas la praxéologie et l'Histoire. La suggestion du panphysicalisme d'appliquer les méthodes de la physique aux actions humaines est vaine. La stérilité de la recette panphysicaliste est hors de doute. Malgré la propagande fanatique de ses partisans personne ne l'a jamais utilisée. Elle est tout simplement inapplicable. Le positivisme constitue l'échec le plus manifeste de toute l'histoire de la métaphysique.

Les jugements de valeur concrets et les actes qui en résultent sont pour l'Histoire des données ultimes. L'Histoire essaie de rassembler tous les faits pertinents et elle doit, dans cette tentative, faire usage de toutes les connaissances fournies par la logique, les mathématiques, les sciences de la nature et aussi en particulier par la praxéologie. Mais elle ne pourra jamais réussir à réduire tous les faits historiques à des événements extérieurs susceptibles d'être interprétés par la physique et la physiologie. Elle devra toujours arriver à un point au-delà duquel toute nouvelle analyse échoue. Elle ne peut alors rien établir de plus que le fait qu'elle se trouve en face d'un cas unique ou individuel.

L'acte mental permettant de traiter de ce genre de faits historique est, dans la philosophie de Bergson, une « intuition », à savoir « la sympathie par laquelle on se transporte a l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique, et par conséquent d'inexprimable. » 9 L'épistémologie allemande appelle cet acte das spezifische Verstehen der Geisteswissenschaften ou plus simplement Verstehen. Je suggère de le traduire en anglais par « specific understanding » [compréhension spécifique] ou plus simplement par « understanding » [compréhension]. Le Verstehen n'est pas une méthode ou un processus intellectuel que les historiens devraient appliquer ou que l'épistémologie leur conseille de pratiquer. C'est la méthode que tous les historiens et tous les autres ont toujours utilisée pour commenter les événements sociaux du passé et pour prévoir les événements futurs. La découverte et la délimitation du Verstehen fut l'une des plus importantes contributions de l'épistémologie. Ce n'est pas le projet d'une science qui n'existerait pas encore et qui serait à bâtir.

L'unicité et le caractère individuel qui restent à la base de tout fait historique, quand tous les moyens d'interprétation fournis par la logique, la praxéologie et les sciences de la nature ont été épuisés, est une donnée ultime. Mais, alors que les sciences de la nature ne peuvent rien dire de plus sur leurs données ultimes que le fait qu'elles en sont, l'Histoire peut essayer de rendre ses données compréhensibles. Bien qu'il soit impossible de les réduire à leurs causes — si une telle réduction était possible elles ne seraient pas des données ultimes — l'observateur peut les comprendre parce qu'il est lui-même un être humain. Nous pouvons appeler sympathie ou intelligence sympathique cette faculté de comprendre. Mais nous devons nous garder de l'erreur consistant à confondre l'intuition avec l'approbation, quand bien même elle n'est que conditionnelle et circonstanciée. L'historien, l'anthropologue et le physiologiste enregistrent parfois des actions qui sont à leur avis tout simplement répugnantes et écœurantes : elles ne les comprennent qu'en tant qu'actions, c'est-à-dire en établissant les buts sous-jacents et les méthodes techniques et praxéologiques employées. Comprendre un cas particulier ne veut pas dire l'expliquer, encore moins l'excuser.

L'intuition ne doit pas être confondue avec l'acte d'empathie esthétique en vertu de laquelle un individu cherche le plaisir esthétique dans un phénomène. L'Einfühlung [empathie] et le Verstehen sont deux attitudes radicalement différentes. C'est une chose différente de comprendre historiquement une œuvre d'art, de déterminer sa place, sa signification et son importance dans l'enchaînement des événements d'une part et de l'apprécier émotionnellement en tant qu'œuvre d'art d'autre part. On peut regarder une cathédrale avec les yeux d'un historien. Mais on peut regarder la même cathédrale comme admirateur enthousiaste ou comme simple touriste indifférent. On peut regarder une chaîne de montagnes avec les yeux d'un naturaliste — d'un géologue, d'un géographe ou d'un zoologue — ou avec ceux d'un amateur de belles choses — avec répugnance comme les anciens avaient l'habitude de le faire ou avec l'enthousiasme moderne pour le pittoresque. Les mêmes individus sont capables de différents modes de réaction, de jugement esthétique et de compréhension scientifique soit par le Verstehen soit par les sciences de la nature.

L'intuition établit le fait qu'un individu, ou un groupe d'individus, s'est lancé dans une action donnée, émanant de jugements de valeur et de choix donnés et poursuivant certaines fins. Elle essaie de plus d'apprécier les effets et l'ampleur des effets engendrés par une action. Elle essaie d'attribuer à chaque action son importance, c'est-à-dire son poids sur le cours des événements.

L'historien nous donne un compte rendu de tous les faits et événements concernant la bataille de Waterloo qui soit aussi complet et exact que le permettent les données disponibles. Tant qu'il parle des forces en présence et de leur équipement, des opérations tactiques, des chiffres des soldats tués, blessés et faits prisonniers, de la suite chronologique des divers événements, des plans des chefs militaires et de leur exécution, il se situe sur le terrain de l'expérience historique. Ce qu'il affirme est soit exact soit contraire aux faits, les documents disponibles lui donnent raison ou tort ou l'issue est incertaine parce que les sources ne nous donnent pas assez d'information. D'autres experts seront en accord ou en désaccord avec lui, mais ils le seront sur la base d'une interprétation raisonnable des preuves disponibles. Jusque-là l'ensemble du débat doit être mené avec des affirmations et des négations raisonnables. Mais le travail accompli par l'historien ne s'arrête pas là.

La bataille s'est terminée par une cuisante défaite de l'armée française. Il y a de nombreux faits, établis de manière indubitable sur la base de preuves documentaires, qui pourraient expliquer ce résultat. Napoléon souffrait d'une maladie, il était nerveux, il manquait de confiance en lui. Son jugement et sa compréhension de la situation n'étaient plus ce qu'elles avaient été. A de nombreux égards ses plans et ses ordres n'étaient plus appropriés. L'armée française avait été organisée à la hâte, numériquement trop peu nombreuse et constituée de soldats étant pour partie des vétérans fatigués par d'incessantes guerres et pour une autre partie des recrues inexpérimentées. Ses généraux n'étaient pas à la hauteur de leur tâche, et il y eut en particulier la grave erreur de Grouchy 10. De l'autre côté les Britanniques et les Prussiens se battaient sous les ordres directs de Wellington et de Gneisenau, leur moral était excellent, ils étaient bien organisés, richement équipés et nombreux. Jusqu'à quel point ces diverses circonstances et de nombreuses autres ont-elles contribué au résultat ? On ne peut pas répondre à cette question à partir des informations tirées des données de cet exemple, il y plusieurs interprétations possibles. Les avis de l'historien à ce sujet ne peuvent ni les confirmer ni les réfuter à la façon dont nous pouvons confirmer ou réfuter ses affirmations sur le fait que l'avant-garde ou l'armée de Blücher 11 soit arrivée à telle heure sur le champ de bataille.

Prenons un autre exemple. Nous avons de nombreux chiffres disponibles à propos de l'inflation allemande au cours des années 1914-1923. La théorie économique nous donne toutes les connaissances requises pour comprendre parfaitement les causes du changement des prix. Mais ces connaissances ne nous donnent pas de valeurs quantitatives précises. L'économie est, comme l'on dit, qualitative et non quantitative. Cela n'est pas dû à un prétendu retard de l'économie. Il n'existe pas dans le domaine de l'action humaine de relations constantes entre les grandeurs. Pendant longtemps de nombreux économistes ont cru qu'il en existait une de cette nature. La démolition de cette hypothèse infondée fut l'une des plus importantes réalisations de la recherche économique moderne. La théorie monétaire a prouvé de manière irréfutable que la hausse des prix entraînée par un accroissement de la quantité de monnaie ne peut jamais être proportionnelle à cet accroissement. Elle a ainsi détruit par son analyse des processus la seule place forte d'une erreur bien enracinée. Il ne peut exister de mesure dans le champ de l'économie. Tous les chiffres statistiques disponibles n'ont d'importance que pour l'histoire économique : ce sont des données historiques comme les chiffres concernant la bataille de Waterloo ; ils nous disent ce qui s'est passé dans un cas historique unique et non répétable. La seule façon de les utiliser est de les interpréter par le Verstehen.

La hausse des prix en Allemagne au cours de la Première Guerre mondiale n'était pas seulement due à l'accroissement de la quantité des billets de banque. D'autres changements y contribuèrent également. L'offre de marchandises diminua parce que des millions de travailleurs étaient dans l'armée et ne travaillaient plus dans les usines, parce que le contrôle gouvernemental de l'économie réduisait la productivité, parce que le blocus empêchait les importations en provenance de l'étranger et parce que les travailleurs souffraient de malnutrition. Il est impossible d'établir par des méthodes autres que le Verstehen à quel point ces facteurs — et certains autres facteurs importants — ont contribué à la hausse des prix. Les problèmes quantitatifs relèvent d'une sphère de l'action humaine qui n'est pas ouverte à une autre solution. L'historien peut faire la liste de tous les facteurs qui contribuent à faire apparaître un certain effet et de tous les facteurs qui s'y opposent et peuvent retarder ou atténuer le résultat final. Mais il ne pourra jamais relier les diverses causes aux effets produits d'une manière quantitative. Le Verstehen est dans le domaine de l'histoire le substitut, pour ainsi dire, de l'analyse quantitative et de la mesure, qui sont impossibles pour les actions humaine se situant en dehors du champ de la technologie.

La technologie nous dit quelle doit être l'épaisseur d'une plaque d'acier pour qu'elle ne soit pas traversée par une balle tirée à une distance de 300 mètres par un mauser. Elle peut ainsi répondre à la question de savoir pourquoi un homme étant abrité derrière une plaque d'acier d'une épaisseur connue a été ou n'a pas été blessé par un coup de feu. L'Histoire est incapable d'expliquer avec la même assurance pourquoi Louis-Philippe a perdu sa couronne en 1848 ou pourquoi la réforme a mieux réussi dans les pays scandinaves qu'en France. Ce type de problèmes n'autorise pas d'autre traitement que celui de la compréhension intuitive.

L'intuition n'est pas une méthode que l'on pourrait utiliser à la place du raisonnement a priori de la logique, des mathématiques et de la praxéologie ou des méthodes expérimentales des sciences de la nature. Son domaine réside là où les autres méthodes échouent : dans la description d'un cas unique et individuel non ouvert à la poursuite de l'analyse — c'est son rôle qualitatif — et dans l'appréciation de l'intensité, de l'importance et de la force des divers facteurs qui ont produit un effet conjointement — c'est son rôle de substitut à l'impossible analyse quantitative.

Le sujet de l'intuition historique est d'appréhender intellectuellement les phénomènes qui ne peuvent pas être totalement expliqués par la logique, les mathématiques, la praxéologie et les sciences de la nature dans la mesure où ils ne peuvent pas être expliqués par la science et la raison. Ceci montre que la recherche scientifique a atteint un point au-delà duquel elle ne peut pas aller et à partir duquel le Verstehen essaie de la remplacer 12. On peut, si l'on préfère, qualifier le Verstehen d'irrationnel parce qu'il comporte des jugements individuels ne relevant pas d'une critique par des méthodes purement rationnelles. Toutefois, la méthode de l'intuition n'est pas un passe-droit permettant de s'écarter des résultats certifiés obtenus par des preuves documentaires et de leur interprétation par le biais des enseignements des sciences de la nature et de la praxéologie. Le Verstehen dépasse ses limites lorsqu'il s'aventure à contredire la physique, la physiologie, la logique, les mathématiques ou l'économie. Les abus qu'ont fait de nombreux savants allemands partisans de la geisteswissenschaftliche Methode et les tentatives fallacieuses de l'École historique allemande pour substituer une imaginaire verstehende Nationalökonomie à l'économie praxéologique ne peuvent pas être mis sur le dos de la méthode elle-même.

Les Geisteswissenschaften allemandes ont prêché l'évangile ce qui devait être une science irrationnelle. Ils ont remplacé la raison et l'expérience par des jugements arbitraires. Ils déduisent de l'intuition une connaissance sur les événements historiques que les documents disponibles ne permettent pas ou qui est contraire aux faits établis après un examen attentif des documents disponibles. Ils ne s'abstiennent pas de tirer des conclusions contredisant les affirmations de la théorie économique qu'ils ne peuvent pas réfuter sur le terrain de la logique. Ils n'ont pas peur de dire des absurdités. Leur seule justification est la référence à l'irrationalité de la vie.

Prenons un autre exemple tiré d'un livre sérieux et savant traduit en anglais 13. M. Ernst Kantorowicz, historien du cercle ésotérique du poète et visionnaire Stephen George, dans sa biographie de l'empereur allemand Frédéric II, donne un récit correct des changements constitutionnels qui se produisirent durant le règne de ce monarque de Hohenstaufen. La situation de Frédéric était extrêmement précaire en Allemagne parce que son royaume héréditaire normand de Sicile le conduisit à des conflits avec le pape et les cités-républiques italiennes. Il n'avait pas assez de forces pour préserver son autorité royale en Allemagne et fut obligé d'abandonner la plupart des droits de la couronne et d'accorder de grands privilèges aux princes. Ce qui s'ensuivit, dit Kantorowicz de manière assez exacte, « fut l'indépendance presque souveraine pour tous les princes de son territoire » qui « empêcha de manière définitive l'unification du peuple allemand dans un État allemand ». Jusque-là Kantorowicz se situe encore sur la base d'un Verstehen normal et est en parfait accord avec tous les autres historiens sérieux. Mais arrive ensuite l'interprétation du visionnaire et du mystique ; il ajoute : « Pourtant, en un sens supérieur Frédéric II paracheva l'unification de l'Empire allemand. Il renforça le pouvoir des princes [...] avec une habileté politique plus grande, croyant que le pouvoir et l'éclat de son propre sceptre impérial ne pâlirait pas en émettant la lumière, mais gagnerait en splendeur et brillerait d'autant plus fort que les princes que l'Imperator César regardait comme des égaux autour de sa position de juge seraient puissants, brillants et majestueux. [...] Les princes ne sont plus des colonnes soutenant le poids du trône comme une charge. [...] Ils deviennent des piliers signifiant une force s'élançant vers le haut, préparant la glorieuse élévation du prince des princes et du roi des rois qui est né au ciel sur les épaules de ses pairs et qui à son tour exalte à la fois les princes et les rois. » 14 Il est vrai que certaines phrases utilisées par les princes de la Diète avant l'extorsion du privilège avaient une résonance similaire. Les princes étaient polis, ils ne voulaient pas que l'empereur devienne trop amer et désiraient dorer la pilule qu'ils le forcèrent à avaler. Quand Hitler réduisit la Tchécoslovaquie au statut de vassale, lui aussi dora la pilule en établissant le protectorat. Aucun historien n'oserait cependant déclarer que « dans un sens supérieur » Hitler « paracheva » l'indépendance du pays en lui accordant la protection du puissant Reich. Frédéric II désintégra le Saint Empire par les privilèges accordés aux princes. Il est absurde d'affirmer que « dans un sens supérieur » il le paracheva. Aucun discours métaphorique et aucun appel à l'irrationnel ne peuvent rendre une telle proposition plus acceptable.

L'intuition donne le droit à l'historien de déterminer le rôle joué par les deux privilèges en question dans l'évolution de la structure politique de l'Empire, de déterminer pour ainsi dire l'ampleur de leur effet. Il peut par exemple exprimer l'avis que le rôle qui leur est habituellement attribué a été exagéré et que d'autres événements ont été plus destructeurs que ces privilèges, et il peut essayer de démontrer sa thèse, son mode de raisonnement. Mais il est inacceptable de dire : oui, cela s'est produit, les conséquences furent celles-ci ; mais « dans un sens supérieur » c'était tout le contraire.

La connaissance humaine ne peut pas transcender le savoir offert par la raison et par l'expérience. S'il y a un quelconque « sens supérieur » dans le cours des événements, il est inaccessible à l'esprit humain.

VII

Une école de pensée enseigne qu'il existe un antagonisme éternel, irréconciliable, entre les intérêts de l'individu et ceux de la collectivité. Si l'individu poursuit égoïstement son propre bonheur, il arrive malheur à la société. La coopération sociale et la civilisation ne sont possibles qu'au prix du bien-être de l'individu. L'existence de la société et son épanouissement requièrent des sacrifices permanents de la part de ses membres. Il est par conséquent impensable d'imaginer une origine humaine et purement rationnelle à la loi morale et à la coopération sociale. Un être surnaturel a donné à l'humanité la révélation du code moral et a confié à de grands chefs la mission de faire appliquer cette loi. L'Histoire n'est pas le jeu combiné de facteurs naturels et d'une activité humaine délibérée qui, dans certaines limites, peut être expliquée par la raison, mais le résultat de l'interférence de facteurs transcendantaux, sans cesse répétés. L'Histoire est un destin, et la raison ne peut pas sonder ses profondeurs.

Le conflit entre le bien et le mal, entre le collectivisme et l'individualisme, est donc éternel et insoluble. Ce qui sépare les philosophies morales et sociales et les partis politiques est une divergence concernant leur vision du monde, une disparité portant sur les jugements de valeur ultimes. Ce désaccord est enraciné dans les plus profonds recoins de l'âme et du caractère inné d'un homme ; aucune ratiocination, aucun raisonnement discursif ne peuvent l'éliminer ou réconcilier ses contraires. Certains hommes sont nés avec la disposition divine à gouverner, d'autres avec la capacité d'épouser spontanément la cause du grand ensemble et de se soumettre de leur propre gré à l'autorité de ses champions, mais la plupart des gens sont incapables de trouver le bon chemin, ils cherchent le bonheur de leur propre misérable personne et doivent être maîtrisés et soumis par les dictateurs conquérants. La philosophie sociale ne peut consister en rien d'autre qu'à reconnaître la vérité éternelle du collectivisme et à démasquer les grossières erreurs et les prétentions de l'individualisme. Elle n'est pas le résultat d'un processus rationnel mais plutôt d'une illumination par laquelle l'intuition bénit l'élu. Il est vain de rechercher une vérité sociale et morale authentique en utilisant les méthodes rationnelles de la logique. Dieu ou le Weltgeist accorde à l'élu l'intuition juste ; le reste de l'humanité doit simplement renoncer à penser et doit obéir aveuglément à l'autorité venant de Dieu. La véritable sagesse et les fausses doctrines de l'économie et de l'Histoire rationalistes ne pourront jamais être d'accord sur leur appréciation des faits historiques et sociaux ou sur les mesures politiques et sur les actions d'un individu. La raison humaine n'est pas un outil approprié pour acquérir la véritable connaissance de la totalité sociale ; le rationalisme et ses dérivés, l'économie et l'histoire critique, sont fondamentalement faux 15.

L'hypothèse fondamentale de cette doctrine, à savoir que la coopération sociale est contraire aux intérêts des individus et ne peut être obtenue qu'aux dépens du bien-être individuel, a été depuis longtemps démolie. Ce fut l'une des grandes réussites de la philosophie sociale britannique et de l'économie classique d'avoir développé une théorie de l'évolution sociale qui n'ait pas besoin de faire référence à l'apparition miraculeuse de chefs dotés d'une sagesse et de pouvoirs surhumains. La coopération sociale et son corollaire, la division du travail, servent mieux les intérêts égoïstes de tous les individus concernés que l'isolement et le conflit. Tout pas en direction d'une coopération pacifique apporte à tous les gens concernés un avantage immédiat et visible. Les hommes coopèrent et sont pressés d'intensifier leur coopération précisément parce qu'ils désirent poursuivre leurs intérêts égoïstes. Les sacrifices que fait l'individu pour maintenir la coopération sociale ne sont que temporaires ; s'il s'abstient de faire des actions antisociales qui pourraient lui apporter de petits gains immédiats, il obtient un profit bien plus grand des avantages qu'il tire de la plus grande productivité du travail accompli dans le cadre de la coopération pacifique de la division du travail. Le principe d'association explique ainsi les forces qui rassemblaient les hordes et les tribus primitives et qui agrandirent petit à petit les unités sociales jusqu'à ce qu'apparaisse enfin la Grande Société œcuménique. Il n'y a sur le long terme pas de conflit irréconciliable entre les intérêts égoïstes bien compris des individus et ceux de la société. La société n'est pas un Moloch auquel l'homme doit sacrifier sa propre personnalité. Elle est au contraire pour tout individu le principal outil pour parvenir au bien-être et au bonheur. C'est l'arme la plus appropriée de l'homme dans sa lutte pour la survie et pour le progrès. Elle n'est pas une fin mais un moyen, le plus éminent de tous les moyens permettant de réaliser tous les désirs humains.

Nous n'avons pas à entreprendre une critique détaillée des affirmations de la doctrine collectiviste. Il nous suffit seulement d'établir le fait que les actes des partis soi-disant collectivistes ne se conforment pas avec les principes de cette philosophie. Les représentants politiques de ces partis se réfèrent à l'occasion dans leurs discours à des slogans collectivistes et encouragent la propagation de chansons du parti ayant la même teneur. Mais ils ne demandent pas à leurs partisans de sacrifier leur propre bonheur et leur propre bien-être sur l'autel de la Collectivité. Ils cherchent à prouver par le raisonnement que les méthodes qu'ils préconisent serviront mieux à long terme les intérêts de leurs partisans. Ils ne demandent pas de sacrifices autres que temporaires qui, à ce qu'ils promettent, seront récompensés plus tard par un butin cent fois plus grand. Les professeurs et les rimailleurs nazis disent : « Effacez-vous devant la splendeur de l'Allemagne, donnez vos pauvres vies afin de faire vivre la Nation allemande pour toujours dans la gloire et dans la grandeur. » Mais les politiciens nazis utilisent un argument différent : « Battez-vous pour préserver votre avenir et votre bien-être futur. Les ennemis sont fermement résolus à exterminer la noble race des héros aryens. Si vous ne résistez pas, vous êtes perdus. Mais si vous accepter le défi avec courage, vous avez une chance de vaincre l'assaut. Beaucoup mourront en action, mais ils n'auraient pas survécu si les plans diaboliques de nos ennemis ne rencontraient aucune résistance. Si nous nous battons, bien davantage sera sauvé. Nous avons le choix entre deux possibilités seulement : d'une part une extermination certaine pour nous tous si les ennemis l'emportent, d'autre part la survie de la grande majorité dans le cas de notre victoire. »

Il n'y a aucun appel à « l'irrationnel » dans ce raisonnement purement rationnel — bien que non raisonnable. Mais même si la doctrine collectiviste était correcte et que les peuples, renonçant à d'autres avantages, ne recherchaient que l'épanouissement du Collectif, persuadés ou contraints par des chefs surhumains, toutes les affirmations de la praxéologie resteraient valides et l'Histoire n'aurait aucune raison de changer de méthode d'approche.

VIII

La véritable raison du dénigrement populaire des sciences sociales est la répugnance à accepter les restrictions imposées par la nature aux tentatives humaines. Cette répugnance est potentiellement présente chez tout le monde et très forte chez le névrosé. Les hommes se sentent malheureux parce qu'ils ne peuvent pas avoir deux choses incompatibles en même temps, parce qu'ils doivent payer un prix pour tout et ne peuvent jamais atteindre la pleine satisfaction. Ils blâment les sciences sociales parce qu'elles ont démontré la rareté des facteurs qui préservent et renforcent les forces vitales et écartent le malaise. Ils les dénigrent parce qu'elles décrivent le monde tel qu'il est et non tel qu'ils aimeraient qu'il soit, c'est-à-dire comme un univers d'occasions illimitées. Ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre que la vie est précisément une résistance active contre les conditions défavorables et ne se manifeste qu'au cours de cette lutte et que la notion d'une vie libérée de toute limitation et de toute restriction est même inconcevable pour un esprit humain. La raison est le principal équipement de l'homme dans la lutte biologique pour la préservation et l'allongement de son existence et de sa survie. Elle n'aurait aucune fonction et ne se serait pas développée du tout dans le paradis d'un fou 16.

Ce n'est pas de la faute des sciences sociales si elles ne sont pas en mesure de transformer la société en utopie. L'économie n'est pas une « science lugubre » parce qu'elle part de la reconnaissance du fait que les moyens permettant d'arriver aux fins sont rares. (En ce qui concerne les préoccupations humaines qui peuvent être totalement satisfaites parce qu'elles ne dépendent pas de facteurs rares, l'homme n'agit pas et la praxéologie, science de l'action humaine, n'a pas à les étudier.) Tant qu'il y a rareté des moyens l'homme se comporte de manière rationnelle, c'est-à-dire qu'il agit. Il n'y a jusque-là pas de place pour « l'irrationnel ».

Il est évident que l'homme doit payer un prix pour conserver des institutions sociales lui permettant de parvenir à des fins dont il estime qu'elles ont plus de valeur que le prix payé, que les sacrifices effectués. Il est vain de faire passer le mécontentement impuissant de cet état de choses comme une révolte contre une orthodoxie prétendument dogmatique des sciences sociales.

Si les méthodes « rationnelles » de la théorie économique démontrent qu'un a aboutit à un p, aucun appel à l'irrationnel ne peut faire que a aboutisse à q. Si la théorie était fausse seule une théorie correcte pourrait la réfuter et remplacer une solution incorrecte par une solution correcte.

IX

Les sciences sociales n'ont pas négligé d'accorder toute leur attention à tous les phénomènes que les gens peuvent avoir à l'esprit en faisant allusion à l'irrationnel. L'Histoire a développé une méthode spécifique pour les traiter : l'intuition. La praxéologie a bâti son système de telle sorte que ses théorèmes valent pour toute action humaine, que les fins poursuivies soient qualifiées, selon un point de vue quelconque, de rationnelles ou d'irrationnelles. Il n'est tout simplement pas vrai que les sciences sociales soient coupables d'avoir laissé de côté une partie du domaine qu'elles devaient expliquer. Les propositions visant à construire une nouvelle science dont l'objet serait les phénomènes irrationnels n'ont aucune valeur. Il ne reste plus de terres vierges pour une telle science.

Les sciences sociales sont bien entendu rationnelles. Toutes les sciences le sont. La science est l'utilisation de la raison en vue d'une description systématique et d'une interprétation des phénomènes. Il n'existe pas de science qui ne soit basée sur la raison. Aspirer à une science irrationnelle est contradictoire.

L'Histoire devra un jour comprendre historiquement la « révolte contre la raison » comme l'un des facteurs de l'histoire des dernières générations. Certaines contributions particulièrement remarquables à ce problème ont déjà été publiées.

La théorie économique n'est pas parfaite. Aucune œuvre humaine n'est bâtie pour l'éternité. De nouveaux théorèmes peuvent s'ajouter ou remplacer les anciens. Mais dans les défauts de l'économie actuelle, on ne trouvera certainement pas le fait d'avoir échoué à saisir le poids et l'importance des facteurs communément qualifiés d'irrationnels.



Notes

*. Le texte anglais de Mises utilise les mots « experience » et « experiment ». Le premier terme a été traduit par « expérience » (connaissance) et le second par « expérimentation » (expérience de laboratoire) pour éviter la confusion. Note du traducteur.

1. Pour une présentation critique de ces théories, cf. The Structure of social Action (New York, Macmillan, 1937) de Talcott Parsons ; Raymond Aron, La Sociologie allemande contemporaine (Paris, Alcan, 1935).

2. Max Weber, The City, traduction et édition en anglais par Don Martindale et Gertrud Neuwirth (New York : the Free Press, 1958). Note de l'édition américaine.

3. Le terme de « praxéologie » a été utilisé pour la première fois par Espinas dans un essai publié dans la Revue Philosophique volume 30, pp. 114 et suivantes et dans son livre Les Origines de la Technologie (Paris : F. Alcan, 1897), pp. 7 et suivantes. Il fut utilisé plus tard par Slutsky dans son essai « Ein Beitrag zur formal-praxeologischen Grundlegung der Ökonomik », Académie Oukraïenne des Sciences, Annales de la Classe des Sciences Sociales-Économiques 4 (1926).

4. Cf. Nassau W. Senior, Political Economy, 6ème édition (Londres : J.J. Griffen, 1872) ; John E. Cairnes, The Character and Logical Method of Political Economy, 2ème édition (Londres : Macmillan, 1875) ; Lionel Robbins, An Essay on the Nature and Significance of Economic Science, 2ème édition (Londres : Macmillan, 1935) ; Mises, Epistemological Problems of Economics [1933] (New York, 1981); 3ème édition (Chicago : Henry Regenry, 1966) ; Alfred Schutz, The Phenomenology of the Social World [1932] (Evanston, Ill. : Northwestern University Press, 1967) ; F.A. Hayek, The Counter-Revolution of Science ([1952] ; Indianapolis, Ind. : Liberty Press, 1979).

5. Le livre de Josef Back, Die Entwicklung der reinen Ökonomie zur nationalökonomischen Wesensissenschaft (Iéna : Gustav Fischer, 1929) n'est pas satisfaisant en raison du manque de connaissances économiques de l'auteur. Cependant ce livre mériterait d'être mieux considéré qu'il ne l'a été.

6. Cf. Max Weber, « Marginal Utility Theory and the So-Called Fundamental Law of Psychophysics » [1905], Social Science Quarterly (1975), p. 21-36 ; Mises, Human Action; 3ème édition (Chicago : Henry Regnery, 1966), pp. 125-27.

7. Ernst H. Weber (1795-1878) affirmait avec sa loi psychophysique que la plus petite augmentation notable de l'intensité d'une sensation humaine résulte toujours d'une augmentation proportionnelle du stimulus qui la suscite. Gustav T. Fechner (1801-1887) la développa sous la forme de la loi de Weber-Fechner, qui dit que pour augmenter l'intensité d'une sensation en progression arithmétique, il est nécessaire d'accroître l'intensité du stimulus en progression géométrique, » Mises Made Easier: A Glossary for Ludwig non Mises' Human Action, Percy L. Greaves, Jr., (Dobbs Ferry, N.Y. : Free Market Books, 1974), p. 147. Note de l'édition américaine.

8. Il est peut-être intéressant pour l'histoire des idées de savoir que le jeune Sigmund Freud avait collaboré comme traducteur à l'édition allemande des œuvres complètes de John Stuart Mill éditées par Theodor Gomperz, l'historien autrichien de la philosophie grecque ancienne. Joseph Breuer était lui aussi, comme l'auteur de ces lignes peut en attester, familier des grands ouvrages de la philosophie utilitariste.

9. Cf. Henri Bergson, La Pensée le mouvant, 4ème édition (Paris : F. Alcan, 1934) p. 205.

10. Emmanuel Grouchy, l'un des généraux de Napoléon, signala trop tard à Napoléon, en raison d'une erreur de jugement, les mouvements des forces britanniques dans ce qui allait devenir la dernière tentative de l'armée française pour éviter la défaite Waterloo. Note de l'édition américaine.

11. Gebhard von Blücher commandait les forces prussiennes qui aidèrent les armées allemandes, britanniques et hollandaises à battre Napoléon à Waterloo en 1815. Note de l'édition américaine.

12. L'important problème des divers modes conflictuels de Verstehen (par exemple : les interprétations catholique et protestante de la Réforme, ou les diverses interprétations de la montée du nazisme en Allemagne) doit être traité dans un essai spécifique.

13. Cf. E. Kantorowicz, Frederick the Second, 1194-1250, traduction anglaise de E.O. Lorimer. (Londres : Constable, 1931), pp. 381-82.

14. Cf. Ibid., pp. 386-87.

15. Tels sont les enseignements de l'École historique allemande en sciences sociales, dont les derniers représentants sont Werner Sombart et Othmar Spann. Il est peut-être à noter que la philosophie catholique n'adhère pas la doctrine collectiviste. D'après les enseignements de l'Église romaine la loi naturelle n'est rien d'autre que les préceptes de la raison correctement appliqués et l'homme est capable d'en acquérir la pleine connaissance même sans l'aide de la révélation surnaturelle. « Dieu a créé l'homme en lui accordant des capacités amplement suffisantes pour parvenir à sa dernière fin. Et par dessus tout Il a décidé de permettre à l'homme d'atteindre encore plus facilement la béatitude en mettant à sa portée une façon bien plus simple et plus sûre pour connaître la loi dont l'observation décidera de son destin. » Cf. G.H. Joyce, article « Revelation » dans The Catholic Encyclopedia volume 13 (New York : Encyclopedia Press, 1913), pp. 1-5.

16. Cf. Benedetto Croce, History as the Story of Liberty, traduction anglaise de S. Sprigge (New York : W.W. Norton, 1941), p. 33.


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