Liberté économique et interventionnisme

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

44. A propos du problème monétaire international

 

Publié pour la première fois dans American Opinion, mars 1967.

Ce que l'on appelle de nos jours la gestion monétaire du gouvernement comprend deux types de politique. Il s'agit, d'une part, du déficit budgétaire, c'est-à-dire d'une inflation non dissimulée destinée à permettre au gouvernement de dépenser plus que le montant des fonds collectés par les impôts ou empruntés auprès du public. Il s'agit d'autre part d'une politique d'argent facile, c'est-à-dire cherchant à faire baisser le taux d'intérêt du marché par une expansion du crédit.

Les gouvernements tout comme leurs partisans sont pleinement convaincus que cette politique expansionniste est hautement bénéfique pour l'immense majorité de tous les gens honnêtes. Ils nient catégoriquement que l'accroissement de la quantité de monnaie en circulation constitue ce que les économistes, les politiciens et tous les gens raisonnables avaient l'habitude d'appeler « inflation ». D'après eux, l'inflation n'a rien a voir avec la quantité de monnaie en circulation : c'est plutôt un moyen répréhensible d'hommes d'affaires cupides qui devrait être empêché par un contrôle des prix de la part du gouvernement. Aux yeux de la doctrine officielle, l'intérêt est essentiellement un facteur entravant le développement des affaires « réellement productives ». Une telle doctrine considère l'intérêt comme un tribut que les membres travailleurs de la société sont obligés de payer à une race de prêteurs d'argent paresseux.

Seuls quelques marginaux ont le courage de s'écarter des méthodes décrétées par le gouvernement pour traiter de la politique expansionniste. On rencontre très rarement lors d'un débat public sur le problème de la hausse des prix et des taux de salaire la moindre référence à l'inflation créée par le gouvernement. Ce n'est pas que les auteurs de livres, articles et discours sur les problèmes concernés évitent consciemment de traiter de la véritable cause du phénomène étudié. Ils sont honnêtes dans leur raisonnement. Leur « nouvelle économie » leur a dit que rien d'autre que le mal ne peut sortir de « l'anarchie » du marché. Leur panacée est le « plan », c'est-à-dire la dictature illimitée du gouvernement dans toutes les affaires économiques et politiques.

En matière monétaire l'humanité a déjà bénéficié depuis de nombreuses années d'un bureau de planification mondial, mais il semble que les résultats ne satisfassent personne. Il y a des discussions colériques à propos d'un problème international ou mondial concernant les rapports monétaires entre les nations. Il y a des comités nationaux et internationaux et des conférences ayant pour but d'étudier le sujet. De nombreux livres et d'innombrables brochures et articles traitent du sujet. Il existe un accord général pour dire que l'état actuel n'est pas satisfaisant et qu'un changement est inévitable. Ayant tout cela à l'esprit, essayons d'examiner le problème monétaire international.

La doctrine de la balance des paiements

Quand les fonctionnaires d'un gouvernement cherchent la cause d'une situation peu satisfaisante, ils trouvent toujours que les autorités ont fait tout ce qui pouvait être fait pour conduire à une solution parfaitement satisfaisante au problème étudié. Mais les effets bénéfiques de leur action n'ont pas réussi à surgir parce que les gens ont fait échouer le sage plan de leurs dirigeants. La plus connue des doctrines de ce type était autrefois la théorie de la balance commerciale, puis par la suite sa variante moderne, la théorie de la balance des paiements 1.

Après tout il avait quelque sens au XIXe siècle quand certains se référaient encore à cette doctrine réfutée depuis longtemps pour justifier certaines restrictions sur les importations de marchandises étrangères et sur d'autre paiements aux étrangers. Cela donnait au gouvernement une excuse — bien entendu, mauvaise — pour maintenir qu'en se consacrant aux biens de luxe étrangers les gens sabotaient la sage politique monétaire de leur dirigeant. Quand la monnaie nationale est envoyée vers des pays étrangers pour payer les « biens de luxes superflus » importés, affirmaient les fonctionnaires, elle devient surabondante à l'étranger et son prix, exprimé dans la monnaie étrangère, chute, entraînant la hausse du prix de la monnaie étrangère par rapport à la monnaie nationale. Cette hausse malvenue du prix des devises étrangères par rapport à la monnaie nationale vient, disait-on, d'une « balance des paiements défavorable », due à l'envoi de monnaie à l'étranger afin de payer les importations étrangères. Cette doctrine expliquaient la dépréciation de la monnaie nationale par les habitudes de consommation « antipatriotiques » des consommateurs. Ce serait par conséquent un devoir sacré pour un bon gouvernement que d'empêcher de si mauvais citoyens de nuire aux intérêts de la nation.

Mais dans les dernières décennies les déclarations des autorités gouvernementales américaines à propos du spectre de la « balance des paiements » ne pouvaient même pas innocenter le gouvernement et rejeter la responsabilité sur le peuple. Le gouvernement des États-Unis de cette période a non seulement dépensé plusieurs milliards de dollars pour mener des guerres à l'étranger et pour établir des garnisons de forces armées dans des régions très éloignées du monde, mais il a distribué des aides de plusieurs douzaines de milliards sous le titre bien moderne d' « aide étrangère ». C'était une démagogie ridicule que de parler de la question de la « balance des paiements » à propos des dépenses des touristes américains visitant l'Acropole et des étudiants américains suivant des cours à l'Université de Paris tout en passant sous silence les subventions qui permettaient aux divers « Führers » de pays semi-barbares d'établir ou de préserver leurs régimes despotiques. Seule l'ignorance des représentants de la « nouvelle économie » peut expliquer leurs tentatives de faire revivre l'interprétation totalement discréditée depuis longtemps de la « balance des paiements » pour expliquer les rapports d'échange mutuels entre les différentes devises.

La théorie soutenue par les économistes, dite théorie de la parité des pouvoirs d'achat, dit que le rapport d'échange entre les différentes devises tend vers un point pour lequel utiliser l'une ou l'autre devise pour vendre ou acheter ne fait plus de différence. La parité se caractérise par le fait qu'aucun gain ne peut être réalisé en achetant en unités de la devise A et en vendant en unités de la devise B ou vice versa. Tout écart vis-à-vis de cette parité sera corrigé — « automatiquement, » comme le dit fréquemment une expression erronée — par les actions de ceux qui souhaitent tirer profit de ce type de ventes et d'achats. Cette idée était déjà présente dans le raisonnement de la loi de Gresham. Quand l'inflation intérieure fait monter les prix dans le pays utilisant la monnaie A alors qu'il n'y a pas d'inflation et donc pas de tendance à la hausse de prix dans le pays utilisant la monnaie B, l'ancien rapport d'échange entre les deux devises A et B doit changer 2.

Les taux de change internationaux

Si un étalon-or pur et strict prévalait partout dans le monde, il n'y aurait pas de problèmes monétaires autres que techniques, c'est-à-dire que ceux concernant la frappe convenable des pièces. Aucune immixtion gouvernementale dans la production technique des pièces ne serait nécessaire. Il en irait de même si l'on pouvait mettre sur pied un centre monétaire mondial, et non une banque, dirigé par des anges détachés de tout intérêt matériel.

Dans notre monde réel tout gouvernement revendique la souveraineté nationale en matière monétaire. Même cet état de fait pourrait conduire, au moins pour la majorité des nations civilisées, à une situation plutôt satisfaisante, c'est-à-dire caractérisée par l'absence des crises et des problèmes monétaires. Afin de parvenir à cette situation et de la préserver, chaque nation appartenant à ce groupe de nations civilisées devrait s'abstenir de toute « aide monétaire ». Chacune devrait éviter soigneusement toute politique interférant avec le taux de change décidé — une fois pour toutes — entre sa devise nationale et les devises de toutes les autres nations procédant de même et appartenant ainsi à ce groupe de nations civilisées.

La situation actuelle est totalement différente. La plupart des nations civilisées se sont officiellement engagées à suivre une politique de rapports de change stables entre leur monnaie nationale et l'or ou, ce qui devrait revenir au même, entre sa monnaie nationale et les monnaies des autres pays, qui aspirent aussi officiellement à un taux de change stable entre leur propre devise et celles des autres nations suivant ce même principe. Mais les économistes du gouvernement affirment que les conditions sont telles qu'il est extrêmement difficile, voire impossible, aux autorités monétaires d'une nation de préserver ce taux de change officiel. Il y a des citoyens peu patriotes dont les transactions commerciales nuisent à la balance des paiements de la nation. Pire encore, il se trouve des spéculateurs qui cherchent délibérément à faire monter le prix des devises étrangères au-dessus de la parité fixée par les autorités. Contrecarrer ces « attaques » contre la stabilité des taux de change étrangers serait l'un des devoirs principaux d'un bon gouvernement.

Dans la terminologie économique, ce que le jargon militaire employé par les autorités monétaires qualifie d' « attaques » est une hausse de la demande de devises étrangères. En dépit de sa politique d'accroissement de la quantité de monnaie et d'abaissement des taux d'intérêt, le gouvernement veut conserver un taux de change fixe entre sa devise intérieure (nationale) d'une part et les devises des autres pays menant la même politique d'autre part. Comme la demande d'or ou de devises étrangères augmente, le gouvernement voit chuter le montant de ses « réserves ». C'est dans cette situation que les gouvernements et l'opinion publique déclarent « qu'il faut faire quelque chose ». Il n'est nullement nécessaire de s'étendre sur ce fait et sur ses conséquences. La question à poser et à laquelle il convient de répondre est la suivante : Qu'est-ce qui fait monter la demande de devises étrangères et qui conduit les gens à proposer davantage de devises nationales pour en obtenir ?

Inflation et inflationnisme

Presque tous les gouvernements considèrent que les deux buts principaux de la politique monétaire sont : premièrement faire croître la quantité de monnaie de leur nation afin de pouvoir dépenser plus que les montants collectés par l'impôt ou empruntés auprès du public ; deuxièmement accroître le crédit pour faire baisser les taux d'intérêt sous le niveau auquel ils seraient sur un marché libre de la monnaie. Ce sont ces deux politiques qui produisent nécessairement et inévitablement tous les phénomènes que les autorités monétaires attribuent à la balance des paiements prétendument défavorable et aux machinations des spéculateurs.

Commençons avec l'inflation et l'inflationnisme. L'inflation est un accroissement de la quantité de monnaie en circulation qui dépasse l'accroissement de la demande d'encaisses monétaires. L'inflationnisme est une politique gouvernementale d'accroissement de la quantité de monnaie afin de permettre au gouvernement de dépenser plus que les fonds fournis par la taxation et l'emprunt. Ce type de « déficit budgétaire » est de nos jours, comme chacun le sait, la signature des politiques financières du gouvernement des États-Unis. On loue grandement cette politique sous le nom de « nouvelle économie ».

Bien sûr ces avocats de l'inflation illimitée ont adopté une terminologie qui donne un sens différent aux mots. Ils utilisent le terme d' « inflation » pour se référer à ce qui n'est que l'effet inévitable de l'inflation, à savoir la tendance générale des prix et des salaires à augmenter et attribuent cette tendance à la cupidité et à l'avarice des hommes d'affaires. Ils prétendent que le gouvernement est sincèrement et honnêtement engagé dans une politique de stabilité des prix.

Regardons de plus près. Le gouvernement prévoit des dépenses supplémentaires. Supposons qu'il veuille augmenter les salaires pour une catégorie de fonctionnaires. Il collecte les fonds nécessaires en augmentant les impôts que doivent payer certains. Alors l'accroissement des achats, exprimés en monnaie nationale, de la part de ceux qui bénéficient de salaires plus élevés correspond à une baisse des achats de la part de ceux qui sont forcés de payer des impôts plus lourds. En gros, il n'en résulte aucun changement du pouvoir d'achat de l'unité monétaire.

Mais si le gouvernement se procure simplement les fonds requis pour la hausse des salaires en émettant une quantité supplémentaire de monnaie légale, les choses sont différentes. Ceux qui bénéficient de la quantité supplémentaire font concurrence sur le marché à ceux dont la demande déterminait déjà les prix précédents. Une quantité de monnaie plus importante est offerte pour acheter une quantité de biens qui n'a pas augmenté. Le résultat, ce sont des prix plus élevés pour la marchandise vendable ou, ce qui est la même chose, une baisse du « pouvoir d'achat » de l'unité monétaire du pays.

Supposons que le taux de change entre le rur ruritanien et le mar maritanien soit de 1 contre 2. Le gouvernement ruritanien fait alors de l'inflation et les prix exprimés en rurs montent en conséquence, alors qu'aucun changement ne se produit en Maritanie. Il est évident qu'une telle situation doit nécessairement entraîner une modification correspondante du prix des rurs exprimés mars ou, ce qui revient au même, du prix des mars exprimés en rurs. Car désormais un rur ne permet d'acheter qu'une quantité de marchandises inférieure à celle que l'on peut se procurer avec 2 mars. Il est possible de réaliser un gain en achetant contre des mars, en vendant contre des rurs puis en échangeant ces rurs au taux de 1:2 contre des mars. De telles transactions conduisent inévitablement à modifier le taux de change antérieur et à établir une parité de pouvoir d'achat correspondant au pouvoir d'achat altéré du rur.

Le cours normal des événements dans les conditions actuelles est le suivant : La Ruritanie fait de l'inflation et les prix ruritaniens augmentent en conséquence. Mais le gouvernement ruritanien désire conserver le taux de change antérieur vis-à-vis des devises étrangères. Il essaie de maintenir ce taux dans ses propres opérations de change. Comme il est profitable d'acheter des mars au cours officiel, la demande de mars augmente et les autorités monétaires de Ruritanie voient baisser leurs « réserves » de devises étrangères. C'est la situation d'urgence que l'on qualifie de « manque de liquidités » et qui pousse les cercles officiels à réclamer à grands cris davantage de « réserves ».

Il y a un second type de politique gouvernemental qui conduit pareillement à une demande accrue de devises étrangères. Les gouvernements veulent faire baisser le taux d'intérêt du marché. Ils recourent à diverses mesures pour parvenir à leur fin. Dans la mesure où ces décisions entraînent un accroissement du crédit, elles produisent les mêmes effets que l'inflation simple par le déficit budgétaire. Mais elles provoquent de plus un déséquilibre sur le marché des prêts à court terme. Des fonds sont retirés du marché national des prêts à court terme, qualifié habituellement de marché monétaire, précisément parce que les autorités ont temporairement réussi à baisser les taux d'intérêt intérieurs. Ce mouvement conduit lui aussi à une hausse de la demande de devises étrangères.

Nous voyons maintenant que cette demande accrue de devises étrangères, ces « attaques » contre les « réserves » aux mains des autorités monétaires, de la Banque centrale ou de ses équivalents, ne sont ni des actes de Dieu ni le résultat de machinations de la part de citoyens égoïstes et antipatriotiques ou d'ennemis étrangers. C'est la réaction inévitable du marché à l'interventionnisme monétaire du gouvernement, à son assistance monétaire mal inspirée et déplacée.

L'inflationnisme n'est pas une politique économique. C'est un instrument de destruction : s'il n'est pas arrêté très vite, il détruit totalement le marché. Il n'est pas nécessaire de se référer aux expériences historiques, par exemple celle de la république allemande de Weimar dans les années 1920-1923. C'est une honte que, lors des débats concernant les problèmes monétaires actuels, l'on fasse revivre certains non-sens avancés lors d'anciennes périodes d'inflation.

L'inflation ne peut pas durer

Toutes les variantes d'inflationnisme et toutes les tentatives visant à faire baisser institutionnellement le taux d'intérêt sont incompatibles avec les plans de mise en œuvre de quelque chose pouvant être qualifié de système ou d'ordre monétaire international. Tant que les gouvernements de plusieurs ou même de la plupart des nations commercialement importantes pratiqueront de telles politiques, il est futile de parler d'une organisation monétaire internationale efficace.

Rien ne caractérise mieux l'état de la doctrine « officielle » actuelle que le fait que dans le grand flot des livres et des articles publiés à propos des problèmes monétaires internationaux il n'y a presque aucune référence à la question de l'inflation et des mesures de lutte contre l'intérêt. A la lumière de cette littérature et des déclarations des « autorités monétaires » il existerait un mal mystérieux, appelé la plupart du temps « manque de liquidités » ; les « réserves » des banques centrales ou des institutions auxquelles ont été confiées les fonctions d'une banque centrale, ne seraient pas assez importantes. Le remède est évident : il faut plus de réserves. Comment y parvenir ? En « créant » bien évidemment davantage de la monnaie officielle des nations dont les billets et les dépôts font l'objet de la demande la plus pressante.

La Ruritanie a réussi à baisser les taux d'intérêt de son marché national des prêts. Le résultat est un retrait des fonds à court terme en Ruritanie, à destination de l'étranger, et une demande plus forte pour les mars. La Banque centrale ruritanienne voit se réduire ses réserves en mars et en autres devises étrangères. Il y a, disent les experts, une solution à ce problème : laisser la Banque centrale maritanienne ou d'autre banques centrales prêter à leur sœur ruritanienne les mars ou une autre monnaie étrangère nécessaires.

L'insuffisance de cette proposition a poussé certains auteurs à élaborer des plans pour une « monnaie de réserve ». Cette monnaie ne devrait servir que pour accroître les « réserves » des banques centrales. Mais les retraits de fonds en Ruritanie ne sont pas uniquement l'œuvre des banques centrales étrangères : ils sont effectués en premier lieu par tous ceux qui veulent investir ou dépenser les fonds retirés. Pour ces gens une « monnaie de réserve » n'a aucune utilité. Ce qu'ils veulent c'est une « véritable » monnaie, mas une monnaie « de réserve ».

Quoi que les gens puissent dire à propos d'une politique augmentant la quantité de monnaie « décrétée » [fiat money], il est un point que même ses défenseurs les plus ardents ne peuvent pas nier : l'inflationnisme ne peut pas durer ; s'il n'est pas stoppé à temps de manière radicale, il doit inévitablement conduire à un effondrement total. C'est un expédient pratiqué par des gens qui ne se soucient pas une seconde de l'avenir de leur pays et de sa civilisation. C'est la politique de Madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV — Après nous le déluge.

Nous sommes aujourd'hui encore capables d'arrêter les progrès de l'inflation et de revenir à des principes sains concernant le financement des dépenses du gouvernement. Mais disposerons-nous de le même possibilité demain ?

Appendice

Afin d'éviter toute erreur concernant les affirmations précédentes sur le niveau du taux d'intérêt et des profits il convient de faire quelques remarques supplémentaires.

En étudiant les problèmes d'un mouvement inflationniste de hausse des prix, lorsque l'on se réfère au taux d'intérêt brut ou au taux d'intérêt du marché, il faut comprendre que l'anticipation d'un tel changement du niveau des prix affectera le niveau du taux d'intérêt brut. Les gens qui s'attendent à une hausse de certains prix sont disposés à emprunter à des taux bruts plus élevés qu'ils ne seraient prêts à le faire s'ils s'attendaient à une hausse moins forte des prix, voire à aucune hausse du tout. Par ailleurs, dans de telles conditions, le prêteur n'accorde de prêts que si le taux brut pratiqué est supérieur à ce qu'il serait en l'absence de telles anticipations. Ainsi, l'anticipation de la hausse des prix a tendance à faire monter le taux d'intérêt du marché, le taux d'intérêt brut. Il apparaît pour ce taux brut une composante — appelée « prime de prix » par les économistes — qui doit son existence à la reconnaissance et à l'anticipation du mouvement inflationniste des prix.

Il est nécessaire de souligner ce point afin de montrer la futilité des méthodes habituelles utilisées pour établir une distinction entre ce que les gens appellent des taux d'intérêt bas et des taux d'intérêt élevés. Quand le taux du marché monte au-dessus du niveau qu'ils considèrent « normal », les gens croient que tout ce qui est possible a été fait pour contrôler la « spéculation ». Ils estiment de ce point de vue que la hausse, par les autorités monétaires, du taux d'escompte de un ou quelques points comme une mesure pour « enrayer » la « spéculation inflationniste ».

Un autre point à noter concerne le niveau des profits. Toutes les méthodes de comptabilité traditionnelles sont nécessairement basées sur l'unité du système monétaire du pays. Elles ne prêtent pas attention aux changements du pouvoir d'achat de cette unité. L'une des conséquences en est qu'avec les progrès de l'inflation les amortissements habituels baissent sensiblement et que les profits calculés sans tenir compte de ce point sont illusoires. Une deuxième source de surévaluation des profits d'une entreprise vient de la baisse du pouvoir d'achat de la monnaie au cours de la période séparant l'acquisition de la vente d'une marchandise. Les autorités fiscales et les syndicats arrivent alors et revendiquent leur part de ces profits « démesurés » qui peuvent en réalité, c'est-à-dire quand on les calcule en or ou dans une monnaie étrangère ne connaissant pas l'inflation, ne pas être des profits du tout mais des pertes.



Notes

1. Pour une brillante critique de la théorie de la balance des paiements concernant les taux de change étrangers, voir Rothbard, Man, Economy and State [L'Économie, l'Homme et l'État], Princeton 1962, pp. 719-722.

2. Pour un exposé détaillé voir les écrits de Gustav Cassel, Edwin Cannan et Benjamin McAlester Anderson ainsi que mes propres contributions.


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