Liberté économique et interventionnisme

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

42. Les objectifs de l'enseignement économique

 

Extraits d'un mémorandum de 1948 pour Leonard E. Read, fondateur et président de la Foundation for Economic Education alors nouvellement créé.

La lutte entre les deux systèmes d'organisation sociale, celui de la liberté et celui du totalitarisme, sera décidé dans les nations démocratiques par les élections. Telles que sont les choses aujourd'hui, le résultat aux États-Unis déterminera également le résultat pour les autres peuples. Tant que ce pays ne devient pas socialiste, les victoires socialistes dans les autres régions du monde revêtent une importance mineure.

Certaines personnes — et parmi elles de très brillants esprits — s'attendent à un soulèvement révolutionnaire des communistes, à une guerre avec la Russie et ses satellites ou à une combinaison des deux événements.

Quoi qu'il en soit, il est évident que le résultat final dépend de facteurs idéologiques. Les champions de la liberté ne peuvent l'emporter que s'ils sont soutenus par une population totalement et inconditionnellement gagnée aux idées de liberté. Ils seront battus si ceux qui fabriquent l'opinion publique dans leur camp sont atteints de sympathies pour le programme totalitaire. Les hommes combattent jusqu'à la mort pour leurs convictions. Mais personne n'est disposé à se consacrer sérieusement à une cause qui n'est à ses yeux qu'à 50 % juste. On ne peut pas compter sur ceux qui disent : « Je ne suis pas communiste, mais ... » pour se battre avec rigueur en faveur de la liberté et contre le communisme.

En Russie, en 1917, les bolcheviques ne représentaient que quelques milliers d'hommes. Du point de vue arithmétique leurs forces étaient négligeables. Ils furent cependant capables de s'emparer du pouvoir et de plonger dans la soumission la nation entière parce qu'ils ne rencontrèrent aucune opposition idéologique. Dans le vaste empire des Tsars, il ne se trouvait aucun groupe ou parti défendant la liberté économique. Il n'y a avait aucun auteur ou enseignant, aucun livre, magazine ou journal qui aurait déclaré que se libérer de l'enrégimentement bureaucratique était la seule méthode pour rendre le peuple russe aussi prospère que possible.

Tout le monde est d'accord pour dire que le danger communiste est très grand en France et en Italie. Pourtant il est vrai que la majorité est dans ces pays hostile au communisme. Toutefois, la résistance de ces majorités est faible car elles ont épousé des parties essentielles du socialisme et de la critique marxiste du capitalisme. Grâce à cette pénétration idéologique des adversaires du communisme en France et en Italie, les chances des communistes sont bien meilleures que ne le justifie le nombre des membres du Parti communiste.

Le problème philosophique sous-jacent

Ceux qui se sont engagés dans la conduite d'affaires commerciales, dans leur métier, dans la politique, dans l'édition et l'écriture de journaux et de magazines sont tellement absorbés par les problèmes divers auxquels ils doivent faire face qu'ils négligent de prêter attention aux grands conflits idéologiques de notre temps. Les tâches urgentes de la routine quotidienne leur impose une énorme quantité de travail pressant et il ne leur reste pas de temps pour un véritable examen des principes et des doctrines sous-jacentes. Rendu perplexe par la vaste quantité de détails et de futilités, l'homme pratique ne regarde que les conséquences à court terme des possibilités alternatives entre lesquelles il doit choisir à l'instant et ne se soucie pas des conséquences à long terme. Il est victime de l'illusion que seule cette attitude est digne d'un citoyen actif contribuant avec succès au progrès et au bien-être ; se préoccuper des questions fondamentales serait juste un passe-temps pour auteurs et lecteurs de livres et de magazines intellectuels et inutiles. Dans l'Amérique démocratique les hommes les plus distingués du monde des affaires, des divers métiers et de la politique font montre de la même attitude envers les « théories » et les « abstractions » que Napoléon Bonaparte lorsqu'il tournait en ridicule et injuriait les « idéologues ».

Le mépris envers les théories et les philosophies a pour principale cause la croyance erronée que les faits d'expérience parlent d'eux-mêmes, que les faits peuvent en eux-mêmes démolir des interprétations fausses. L'idée dominante est qu'une philosophie fallacieuse, un « isme », ne peut pas faire beaucoup de mal, aussi venimeuse et insidieuse soit-elle : la réalité est plus forte que les fables et les mythes ; la vérité écarte automatiquement les mensonges ; il n'y a aucune raison de se soucier de la propagande des apôtres du mensonge.

Il n'est pas nécessaire de se lancer dans une analyse des questions épistémologiques impliquées par cette opinion largement répandue. Il est peut-être suffisant de citer quelques lignes de John Stuart Mill. « L'homme, dit Mill, « [...] est capable de rectifier ses erreurs par la discussion et par l'expérience. Pas par l'expérience seule. Il doit y avoir discussion, afin de montrer comment il faut interpréter l'expérience. Des opinions et des pratiques erronées cèdent peu à peu devant le fait et l'argument, mais des faits et des arguments, pour avoir un quelconque effet sur l'esprit, doivent lui être apportés. Très peu de faits sont capables de raconter leur propre histoire, sans commentaires indiquant leur signification. » 1

Les gens qui pensent que le simple récit des réalisations américaines de l'individualisme économique met la jeunesse des États-Unis à l'abri de l'endoctrinement par les idées de Karl Marx, Thorstein Veblen, John Dewey, Bertrand Russell et Harold Laski se trompent lourdement. Ils n'arrivent pas à voir le rôle que le polylogisme marxiste joue dans la philosophie actuelle de notre époque.

D'après la doctrine du polylogisme marxiste, les idées d'un homme reflètent nécessairement sa situation de classe : elles ne sont rien d'autre qu'un déguisement des intérêts égoïstes de sa classe et s'opposent de manière irréconciliable aux intérêts des autres classes sociales. Les « forces matérielles productives » qui déterminent le cours de l'histoire humaine ont choisi la « classe » laborieuse, le prolétariat, pour abolir tous les antagonismes de classe et pour apporter le salut durable à tout l'humanité. Les intérêts des prolétaires, qui constituent déjà aujourd'hui l'immense majorité, coïncideront finalement avec les intérêts de tous. Ainsi, du point de vue de l'inévitable destin de l'homme, disent les marxistes, les prolétaires ont raison et les bourgeois ont tort. Il n'est par conséquent nullement nécessaire de réfuter un auteur en désaccord avec les enseignements « progressistes » de Marx, Engels et Lénine : il suffit de démasquer son origine bourgeoise et de montrer qu'il a tort parce qu'il est soit un bourgeois soit un « sycophante » de la bourgeoisie.

Sous sa forme cohérente et radicale le polylogisme n'est accepté que par les bolcheviques russes. Ceux-ci distinguent des doctrines « bourgeoises » et « prolétariennes » y compris en mathématiques, en physique, en biologie et en médecine. Mais le modèle plus modéré du polylogisme, qui n'applique le critère « bourgeois » ou « prolétarien » qu'aux branches sociales et historiques de la connaissance, est accepté en règle générale même par de nombreuses écoles et de nombreux auteurs qui se qualifient énergiquement d'anti-marxistes. Même dans les universités, que les marxistes radicaux traitent de forteresses de la mentalité bourgeoise, l'histoire générale comme l'histoire de la philosophie, de la littérature et des arts sont souvent enseignées du point de vue de la philosophie matérialiste marxiste.

Les principes des gens acceptant le polylogisme marxiste ne peuvent pas être ébranlés par le moindre argument avancé par un auteur, par un politicien ou par un autre citoyen suspecté d'affiliation bourgeoise. Tant qu'une partie considérable de la nation est imprégnée — pour beaucoup sans le savoir — de la doctrine polylogiste, il est inutile de discuter avec eux des théories particulières des diverses branches de la science ou de l'interprétation de faits concrets. Ces hommes sont immunisé contre la pensée, les idées et les informations factuelles provenant de la source sordide de l'esprit bourgeois. Il est dès lors évident que les tentatives de libérer la population, et plus particulièrement la jeunesse intellectuelle, des chaînes de l'endoctrinement « hétérodoxe » doit commencer au niveau philosophique et épistémologique.

La répugnance à s'occuper de la « théorie » équivaut à céder docilement au matérialisme dialectique de Marx. Le conflit idéologique entre la liberté et le totalitarisme ne se décidera pas dans des débats sur la signification des chiffres statistiques et des événements historiques, mais par un examen profond des questions fondamentales de l'épistémologie et de la théorie de la connaissance.

Il est vrai que les masses n'ont qu'une connaissance très grossière et simplifiée du matérialisme dialectique et de son rejeton qu'on appelle la sociologie de la connaissance. Mais toute connaissance du grand nombre est rudimentaire et simplifiée. Ce qui compte n'est pas de changer l'idéologie des masses mais de changer tout d'abord celle des couches intellectuelles, de « l'intelligentsia », dont la mentalité détermine le contenu des simplifications que retiennent les couches populaires.

Marxisme et « progressisme »

Les enseignements sociaux et économiques des soi-disant « progressistes hétérodoxes » sont un mélange confus de divers éléments de doctrines hétérogènes incompatibles entre elles. Les composantes principales de cet ensemble d'idées ont été prises dans le marxisme, le socialisme fabien britannique et l'École historique prussienne. Des éléments essentiels ont aussi été empruntés aux enseignements des réformateurs monétaires inflationnistes connus depuis longtemps sous le nom de « fous monnayeurs » [monetary cranks]. L'héritage mercantiliste est également important.

Tous les progressistes détestent le XIXe siècle, ses idées et ses politiques. Toutefois, les principaux ingrédients du progressisme, à l'exception du mercantilisme qui vient du XVIIe siècle, furent construits au cours de ce XIXe siècle tant diffamé. Mais, bien entendu, le progressisme est différent de chacune de ces doctrines dont des parties ont été synthétisées pour faire le progressisme tel qu'il est. [...] Parmi ceux qui se qualifient de progressistes il y a certainement plusieurs marxistes cohérents. [...] La grande majorité des progressistes sont cependant modérés et éclectiques quant à leur appréciation de Marx. Bien qu'ils éprouvent en règle générale de la sympathie pour les objectifs matériels des bolcheviques, ils critiquent certains phénomènes accompagnateurs du mouvement révolutionnaire, comme par exemple les méthodes dictatoriales du régime soviétique, son anti-christianisme et son « Rideau de fer. » [...]

De nombreux champions éminents du progressisme déclarent ouvertement qu'ils visent en définitive à substituer le socialisme à la libre entreprise. Mais d'autres progressistes affirment sans cesse qu'il souhaitent sauver le capitalisme par les réformes proposées, capitalisme qui serait condamné s'il n'était pas réformé et amélioré. Ils défendent l'interventionnisme comme système permanent d'organisation économique de la société et non, comme le font les groupes marxistes modérés, comme méthode de réalisation graduelle du socialisme.

Il n'est pas besoin d'entreprendre ici une analyse de l'interventionnisme. Il a été montré de manière irréfutable que toutes les mesures interventionnistes entraînent des conséquences qui — du point de vue des gouvernements et des partis qui y ont recours — sont moins satisfaisantes que l'état de choses précédent qu'elles étaient destinées à changer. Si le gouvernement et les politiciens ne tirent pas la leçon que ces échecs leur enseignent et ne veulent pas s'abstenir de toute ingérence dans les prix des biens, les salaires et les taux d'intérêt, ils doivent ajouter de plus en plus de discipline à leurs premières mesures, jusqu'à ce que tout le système de l'économie de marché ait été remplacé par une planification intégrale et par le socialisme.

Toutefois, mon but n'est pas de traiter des politiques préconisées par les champions de l'interventionnisme. Ces politiques pratiques diffèrent entre les divers groupes. Il est à peine exagéré de dire que non seulement chaque groupe de pression a sa propre variante de l'interventionnisme, mais qu'il en est de même de chaque professeur. Chacun est ardemment résolu à démolir les défauts des variantes rivales. Mais la doctrine qui est au cœur des entreprises interventionnistes, l'hypothèse que le capitalisme comprend en lui des contradictions et des maux, est en règle générale présente chez toutes les variétés du progressisme et est habituellement acceptée presque sans opposition. Les théories qui expriment un désaccord sont pratiquement interdites. Les idées anti-progressistes sont présentées sous une forme caricaturale dans les cours universitaires, dans les livres, les brochures, les articles et les journaux. La génération montante n'entend rien à leur sujet hormis qu'il s'agit des doctrines des Bourbons de l'économie, des exploiteurs sans pitié et des « requins de l'industrie » dont la suprématie est finie pour toujours.

La thèse principale du progressisme

Les doctrines qui sont enseignées de nos jours sous le nom d' « économie progressiste » peuvent être résumées par les dix points suivants.

1. La thèse économique fondamentale de tous les groupes socialistes est qu'il existe une abondance potentielle, grâce aux réalisations techniques des deux cents dernières années. L'offre insuffisante de choses utiles est due simplement, comme l'ont sans arrêt répété Marx et Engels, aux contradictions et défauts inhérents au mode de production capitaliste. Une fois le socialisme adopté, une fois que le socialisme aura atteint son « stade supérieur », et après que les derniers vestiges du capitalisme auront été éradiqués, l'abondance règnera. Travailler ne causera alors plus de peine, mais du plaisir. La société sera capable de donner « à chacun selon ses besoins. » Marx et Engels n'ont jamais remarqué qu'il existe une rareté inexorable des facteurs matériels de production.

Les progressistes universitaires sont plus prudents dans le choix des mots, mais tous adoptent en réalité la thèse socialiste.

2. L'aile inflationniste du progressisme est d'accord avec les marxistes les plus fanatiques pour ignorer le fait de la rareté des facteurs matériels de production. Elle tire de cette erreur la conclusion que le taux d'intérêt et le profit entrepreneurial peuvent être éliminés par l'expansion du crédit. Selon eux, seuls les intérêts égoïstes de classe des banquiers et des usuriers s'opposent à l'expansion du crédit.

Le succès irrésistible du parti inflationniste se manifeste dans les politiques monétaires et du crédit de tous les pays. Les changement doctrinaires et sémantiques qui ont précédé et permis cette victoire et qui empêchent désormais l'adoption de politiques monétaires saines, sont les suivants :

  1. Jusqu'à il y a quelques années, le terme d'inflation signifiait une augmentation substantielle de la quantité de monnaie et de substituts de monnaie. Un tel accroissement tend obligatoirement à engendrer une hausse généralisée du prix des biens. Mais aujourd'hui le terme d'inflation est utilisé pour signifier les conséquences inévitables de ce qu'on appelait autrefois inflation. Il est sous-entendu qu'une augmentation de la quantité de monnaie et des substituts monétaires n'a pas d'effet sur les prix et que la hausse générale des prix dont nous avons été témoins ces dernières années n'a pas été causée par la politique monétaire du gouvernement mais par la cupidité insatiable du monde des affaires.
  2. Il est présumé que la hausse des taux de change étrangers dans les pays où l'ampleur de l'augmentation inflationniste de la quantité de monnaie et de substituts monétaires en circulation dépassait celle des autres pays, n'est pas une conséquence de cet excès monétaire mais le résultat d'autres agents, comme : la balance défavorable des paiements, les sinistres machinations des spéculateurs, la « rareté » des devises étrangères et les barrières commerciales érigées par les gouvernements étrangers, non par le sien.
  3. Il est présumé qu'un gouvernement qui n'a pas d'étalon-or et qui contrôle un système de banque centrale a le pouvoir de manipuler le taux d'intérêt à la baisse autant qu'il le désire sans que cela ne conduise au moindre effet non désiré. On nie avec véhémence qu'une telle politique « d'argent facile » mène inévitablement à une crise économique. La théorie qui explique la récurrence des périodes de dépression économique comme le résultat nécessaire des tentatives répétées de réduction artificielle des taux d'intérêt et d'augmentation du crédit, est soit intentionnellement passée sous silence, soit déformée afin d'être tournée en ridicule et de pouvoir insulter ses auteurs.

3. Ainsi la voie est libre pour décrire la récurrence des périodes de dépression économique comme un mal inhérent au capitalisme. La société capitaliste, affirme-t-on, n'a pas le pouvoir de contrôler son propre destin.

4. La conséquence la plus désastreuse de la crise économique est le chômage de masse qui se perpétue année après année. Les gens ont faim, prétend-on, parce que la libre entreprise est incapable de fournir assez d'emplois. Avec le capitalisme, l'amélioration technique qui pourrait être un bienfait pour tous est un fléau pour les classes les plus nombreuses.

5. L'amélioration des conditions de travail matérielles, la hausse des taux de salaire réels, la réduction des horaires de travail, l'abolition du travail des enfants et toutes les autres « victoires sociales » sont le résultat de la législation gouvernementale en faveur du travail et des syndicats. Sans l'intervention du gouvernement et des syndicats, les conditions de la classe laborieuse seraient aussi mauvaises qu'elles l'étaient aux premiers temps de la « révolution industrielle. »

6. Malgré toutes les tentatives des gouvernements populaires et des syndicats le sort des salariés est désespéré, affirme-t-on. Marx avait plutôt raison de prédire la progression progressive inévitable du prolétariat. Le fait que des facteurs accidentels ont provisoirement offert une légère amélioration du niveau de vie du salarié américain n'a pas d'importance : cette amélioration ne concerne qu'un pays dont la population ne représente pas plus de 7 % de la population mondiale et de plus, explique-t-on, ce n'est qu'un phénomène passager. Les riches sont toujours de plus en plus riches, les pauvres sont toujours de plus en plus pauvres ; les classes moyennes continuent à disparaître. La plus grande partie de la richesse est concentrée entre les mains de quelques familles. Ce sont des larbins de ces familles qui contrôlent les services publics les plus importants et qui les dirigent au seul bénéfice de « Wall Street ». Ce que les bourgeois appellent démocratie est en réalité une « ploutocratie », déguisement habile du règne de la classe des exploiteurs.

7. En l'absence de contrôle des prix par le gouvernement, les prix des biens sont manipulé ad libitum par les hommes d'affaires. En l'absence de taux de salaire minimums et de négociations collectives, les employeurs manipuleraient aussi les salaires de la même façon. Le résultat est que les profits absorbent de plus en plus le revenu national. Si des syndicats efficaces n'étaient pas disposés à enrayer les machinations des employeurs, il y aurait une tendance à la baisse des taux de salaire réels.

8. La description du capitalisme comme système de concurrence commerciale a pu être exacte à ses débuts. Elle est aujourd'hui manifestement inadéquate. De gigantesques cartels et des trusts monopolistes dominent les marchés nationaux. Leurs tentatives d'obtenir le monopole exclusif du marché mondial conduit à des guerres impérialistes aux cours desquelles les pauvres donnent leur sang pour permettre aux riches de s'enrichir.

9. Comme la production capitaliste est faite en vue du profit et non en vue de l'usage, les biens manufacturés ne sont pas ceux qui pourraient répondre au mieux aux désirs réels des consommateurs, mais ceux dont la vente est la plus avantageuse. Les « marchands de mort » produisent des armes destructives. D'autres groupes commerciaux empoisonnent le corps et l'âme des masses par des drogues créant une accoutumance, par des boissons enivrantes, par le tabac, par des livres et des magazines lascifs, par des films stupides et par des bandes dessinées idiotes.

10. La part du revenu national qui revient aux classes possédantes est tellement immense qu'elle peut être considérée, pour tous les objectifs pratiques, comme inépuisable. Pour un gouvernement populaire, qui n'a pas peur de taxer le riche selon sa capacité à payer, il n'y a aucune raison de s'abstenir de la moindre dépense favorable aux électeurs. Inversement, les profits peuvent être frappés pour faire monter les taux de salaire et pour faire baisser le prix des biens de consommation.

***

Voilà les principaux dogmes de « l'hétérodoxie » de notre temps, les sophismes que l'enseignement économique doit démasquer. Le succès ou l'échec des tentatives faites pour substituer des idées saines aux idées erronées dépendra en fin de compte de la capacité et de la personnalité des hommes cherchant à accomplir cette tâche. Si les hommes qu'il faut manquent au moment de la décision, le destin de notre civilisation est scellé. Mais même si de tels pionniers sont disponibles, leurs efforts seront vains s'ils ne rencontrent qu'indifférence et apathie de la part de leurs concitoyens. La survie de notre civilisation peut être mise en péril par les méfaits de dictateurs individuels, de Führers ou de Duces. Sa préservation, reconstruction et perpétuation réclament cependant les efforts conjoints de tous les hommes de bonne volonté.



Note

1. Mill, On Liberty, troisième édition, Londres, 1864, pp. 38-39.


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