Liberté économique et interventionnisme

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

32. Le cycle économique

 

Publié pour la première fois dans The Freeman, 24 septembre 1951.

L'interprétation du cycle économique — le retour de périodes d'affaires fiévreusement florissantes invariablement suivies de périodes de dépressions — initialement développée par la Currency School britannique et perfectionnée par la suite par les économistes modernes est la suivante : dans l'opinion publique prévaut un refus de considérer l'intérêt comme un phénomène dépendant uniquement de la situation générale de l'économie. Les gens répugnent à comprendre que l'escompte pratiqué sur les biens futurs par rapport aux biens actuels n'est pas une caractéristique de l'économie de marché mais un aspect inexorable de l'évaluation humaine, qui n'influencerait pas moins les décisions du comité planificateur d'un système socialiste qu'elle ne détermine la conduite de chaque individu dans un système capitaliste. Les gens croient que la réduction artificielle du taux d'intérêt par le biais d'une expansion du crédit bancaire est un bienfait pour tout le monde, hormis les capitalistes désoeuvrés. Ils n'arrivent pas à se rendre compte qu'il est impossible de substituer un crédit bancaire supplémentaire à des biens du capital qui n'existent pas et qu'un boom créé de manière artificielle doit par conséquence finir par une crise. Ils saluent la prospérité illusoire que suscite un tel accroissement du crédit dans les phases initiales et sont suffisamment fanatiques pour ne pas reconnaître que la dépression qui s'ensuit est la conséquence inévitable de l'orgie spéculative précédente.

Face à cette théorie, qu'on appelle habituellement théorie monétaire ou théorie du crédit de circulation du cycle économique, il n'a jamais été porté la moindre objection acceptable. Même le rapport à la Société des Nations, Prospérité et dépression, préparé par le professeur Gottfried Haberler, admet qu'un auteur qui veut expliquer le cycle économique d'une autre façon « admet implicitement — ou devrait l'admettre, en bonne logique — que les banques peuvent et veulent procéder à une expansion du crédit aux taux en vigueur. » (p. 7 de la nouvelle édition, 1939 [version en français]). Néanmoins, les gouvernements s'accrochent avec obstination à la politique de baisse artificielle des taux d'intérêt par l'expansion du crédit. De nombreux auteurs essaient de défendre cette politique en produisant des explications fallacieuses du cycle économique et en passant sous silence la théorie monétaire. D'après eux, le retour des crises économiques est inscrit dans la nature même de l'économie libre de marché.

Le créateur de ce sophisme est Karl Marx. L'un des principaux dogmes de ses enseignements est que le retour périodique des crises commerciales est un trait caractéristique inhérent à « l'anarchie de la production » du capitalisme. Marx fit plusieurs pauvres tentatives contradictoires pour démontrer son dogme ; même les auteurs marxistes admettent que ces entreprises étaient totalement futiles. Or Marx et Engels ainsi que tous leurs disciples jusqu'à Staline et ses acolytes ont bâti leurs espoirs en anticipant que les crises se répéteraient sans arrêt, chaque fois de manière un peu plus menaçante, et conduiraient en définitive les gens à abolir la liberté économique et à instaurer le socialisme. Des nuées de pseudo-économistes, tout en protestant énergiquement de leur anticommunisme, ont adopté sans réserves cette thèse fondamentale du credo marxiste. Ils ont l'intention de démontrer sa justesse et élaborent des programmes pour utiliser ce qu'ils appellent une « politique contre-cyclique positive ». En réalité tous leurs programmes visent à remplacer l'initiative privée par une planification intégrale par le gouvernement. Afin de remédier aux conséquences désastreuses des politiques d'expansion du crédit et d'inflation de gouvernement, ils suggèrent toujours davantage d'interférence du gouvernement jusqu'à ce que toute trace de liberté individuelle ait disparu.

Le livre du professeur Alvin H. Hansen, Business Cycles and National Income [Cycles économiques et revenu national] (Norton, 1951), est la dernière production de cette littérature qui s'agrandit quotidiennement. Il n'ajoute aucune nouvelle idée à celles avancées par ses prédécesseurs. Il ne fait que répéter ce qui a été dit à de multiples reprises et qui a été démoli de façon irréfutable une centaine de fois. Il essaie de faire revivre tous les spectres de la pensée économique confuse, comme par exemple la surproduction généralisée, le surinvestissement généralisé, le principe d'accélération, etc. Il propose un compte rendu insuffisant des opinions des auteurs précédents, omettant les contributions les plus importantes. Il inclut un ample matériau historique et statistique, mal assemblé et piètrement interprété.

Les tentatives du professeur Hansen visant à discréditer ceux qui prétendent que le seul moyen efficace pour empêcher la résurgence des crises est de s'abstenir de tout type d'expansion du crédit et d'inflation, ne mériteraient aucune attention particulière si elles n'étaient pas symptomatiques de la tendance dominante dans les cercles universitaires et officiels. Les idées ayant cours et propagées dans ces cercles sont même encore plus fatales que les politiques qu'ils essaient de justifier.

Les méthodes d'inflation et d'expansion du crédit insouciantes préparées par l'actuel gouvernement conduiront inévitablement, tôt ou tard, à une débâcle économique. Les gens, endoctrinés par les principes officiels, expliqueront alors : « Les dernières tentatives désespérées pour sauver le capitalisme, à savoir le New Deal et le Fair Deal, ont totalement échoué. Il est évident que le capitalisme doit nécessairement mener à une dépression. Il ne reste plus aucun autre remède que d'adopter le socialisme intégral. » Les enseignements donnés dans nos écoles ainsi que les déclarations passionnées des communistes de chaque côté du Rideau de fer n'autoriseront aucune autre interprétation.

Face à tout ce discours il est impérieux d'apprendre à temps aux gens que le cycle économique n'est pas un phénomène inhérent au fonctionnement non entravé de l'économie de marché mais au contraire l'effet inévitable de la manipulation du marché de la monnaie. Les gens doivent apprendre que le seul moyen d'éviter le retour des catastrophes économiques est de laisser le marché — et non le gouvernement —déterminer les taux d'intérêt. Il n'y a qu'un modèle de politique contre-cyclique positive, à savoir ne pas augmenter la quantité de monnaie en circulation et de dépôts bancaires permettant de tirer des chèques. Le déficit budgétaire par le biais de l'emprunt auprès des banques commerciales est le plus sûr moyen de se diriger vers un désastre économique.


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