Liberté économique et interventionnisme

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

19. L'inflation

 

Publié pour la première fois dans le New York World Telegram & Sun, 7 mai 1951.

Le gouvernement fournit une partie des fonds requis pour le réarmement par le biais de l'inflation, c'est-à-dire en augmentant la quantité de monnaie en circulation et le montant des comptes bancaires permettant de tirer des chèques.

La conséquence inévitable de l'inflation est l'émergence d'une tendance générale à l'augmentation de tous les prix. Si le gouvernement s'était procuré tout l'argent dont il a besoin pour le réarmement en taxant les citoyens, la demande accrue de sa part aurait été contrebalancée par une baisse des achats des contribuables. La consommation accrue aurait été neutralisée sur le marché par une réduction de la consommation civile. Mais avec l'inflation la demande supplémentaire des forces armées vient s'ajouter à la demande non réduite du public et elle fait monter les prix.

Ce que les bureaucrates ont en tête lorsqu'ils parlent de « combattre » l'inflation n'est pas d'éviter l'inflation, mais de supprimer ses conséquences inévitables par le contrôle des prix. C'est une entreprise qui ne peut pas réussir. Tenter de fixer les prix à des valeurs inférieures à celles auxquelles conduirait le marché libre conduit à rendre non rentables les affaires de certains producteurs, à savoir ceux qui travaillent aux coûts les plus élevés. Ce qui les oblige à arrêter de produire.

L'expérience de la guerre

L'inflation, en liaison avec le contrôle des prix, conduit à la rareté. Les ménagères se rappellent très bien ce qui s'est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale pour la viande, le beurre, les œufs et beaucoup d'autres articles soumis au régime du Bureau de l'Administration des Prix. Or le contrôle des prix a été rétabli 1. Si le Congrès ne laisse pas la loi sur le contrôle des prix arriver à son terme le 30 juin, comme prévu, le pays connaîtra à nouveau très rapidement non seulement toutes les privations de l'inflation mais aussi tous les maux créés par les tentatives futiles de camoufler ces privations par le contrôle des prix.

Les économistes savent bien qu'il n'y a qu'un moyen disponible pour éviter une nouvelle hausse du prix de tous les biens, à savoir mettre totalement fin à l'inflation. Si le gouvernement tire tous ses fonds du public et arrête d'accroître la quantité de monnaie en circulation et d'emprunter auprès des banques commerciales, les prix resteront en gros inchangés et il n'y aura plus aucun besoin de dictateur des prix.

Mais le gouvernement ne veut pas arrêter l'inflation. Il ne veut pas mettre en péril sa popularité auprès des électeurs en collectant, par les impôts, tout ce qu'il veut dépenser. Il préfère tromper le peuple en ayant recours à la méthode, ne coûtant apparemment rien, de l'accroissement de la quantité de monnaie et de crédits. Pourtant, quel que soit le moyen de financement adopté, que ce soit la taxation, l'emprunt ou l'inflation, toutes les conséquences des dépenses du gouvernement devront retomber sur le public.

Avec l'inflation comme avec la taxation, ce sont les citoyens qui doivent payer toute la facture. La marque caractéristique de l'inflation, quand on la considère comme une méthode pour remplir les coffres du Trésor, est de répartir la charge d'un façon très injuste, faisant payer le plus ceux qui sont le moins capables de le supporter.

Une astuce sémantique

Pour éviter d'être rendu responsable des conséquences nuisibles de l'inflation, le gouvernement et ses partisans ont recours à une astuce sémantique. Ils essaient de changer le sens des mots. Ils appellent « inflation » la conséquence inévitable de l'inflation, à savoir la hausse des prix. Ils cherchent à faire oublier que cette hausse a été créée par un accroissement de la quantité de monnaie et de substituts monétaires. Ils ne parlent jamais de cet accroissement.

Ils font porter la responsabilité de la hausse du coût de la vie aux industriels. C'est l'exemple classique du voleur criant « au voleur ». Le gouvernement, qui a créé l'inflation en multipliant la quantité de monnaie, accuse les fabricants et les marchands et endosse fièrement le rôle de champion des prix bas. Alors que le Bureau de la Stabilisation et du Contrôle des Prix s'acharne à importuner les vendeurs ainsi que les consommateurs par un flot de décrets et de réglementations, dont le seul effet est la rareté, le Trésor continue à faire de l'inflation.



Note

1. Après le déclenchement de la guerre de Corée en juin 1950, le président Truman fut autorisé par le Defense Production Act (signé le 8 septembre 1950) à « stabiliser les prix et les salaires. » Ce contrôle des prix fut modifié plusieurs fois et étendu jusqu'au 30 avril 1953. Eisenhower, devenu président en janvier 1953, ne demanda pas une extension supplémentaire et il put ainsi s'arrêter.


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