Liberté économique et interventionnisme

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

1. Les fondements économiques de la liberté

 

Publié pour la première fois dans The Freeman, avril 1960.

Les animaux sont poussés par des envies instinctives. Ils cèdent à la pulsion du moment qui exige d'être satisfaite. Ils sont les jouets de leurs appétits.

La grandeur de l'homme tient à ce qu'il choisit entre différentes possibilités. Il règle son comportement de manière délibérée. Il peut maîtriser ses pulsions et ses désirs ; il a le pouvoir de refouler des envies dont la satisfaction le forcerait à renoncer à parvenir à des buts plus importants. En résumé l'homme agit ; il poursuit intentionnellement des fins choisies. C'est cela que nous avons à l'esprit en disant que l'homme est une personne morale, responsable de sa conduite.

La liberté, postulat de la morale

Tous les enseignements et tous les principes de l'éthique, qu'ils soient basés sur une foi religieuse ou sur une doctrine laïque comme celle des philosophes stoïciens, présupposent cette autonomie morale de l'individu et en appellent donc à sa conscience. Ils présupposent que l'individu est libre de choisir entre divers modes de conduite et lui demandent de se comporter en conformité avec des règles données : les règles de la morale. Faites les choses justes, évitez les mauvaises choses.

Il est évident que les exhortations et les admonestations de la morale n'ont de sens que lorsqu'elles s'adressent à des individus qui sont des agents libres. Elles sont futiles quand elles s'adressent à des esclaves. Il est inutile de dire à un serf ce qui est moralement bien et ce qui est moralement mal. Il n'est pas libre de déterminer son comportement : il est obligé d'obéir aux ordres de son maître. Il est difficile de le blâmer s'il préfère suivre les commandements de son maître lorsque la punition la plus cruelle menace non seulement sa personne mais aussi les membres de sa famille.

C'est pourquoi la liberté n'est pas seulement un postulat politique mais tout autant un postulat de toute morale religieuse ou profane.

La lutte pour la liberté

Or, pendant des milliers d'années, une partie considérable de l'humanité était entièrement ou au moins à de nombreux égards privée de la faculté de choisir entre ce qui est bon et ce qui est mal. Dans la société de statut des temps anciens la liberté d'agir selon son propre choix était, pour les couches inférieures de la société qui représentaient la majorité de la population, fortement restreinte par un système rigide de contrôles. Une formulation ouverte de ce principe est donnée par le statut du Saint Empire romain, qui conférait aux princes et aux comtes de l'Empire le pouvoir et le droit de déterminer l'allégeance religieuse de leurs sujets.

Les orientaux acceptent humblement cet état de choses. Mais les peuples chrétiens d'Europe et leurs descendants établis dans les territoires d'outremer ne se sont jamais arrêtés dans leur lutte pour la liberté. Ils abolirent petit à petit tous les privilèges et handicaps de statut et de caste jusqu'à réussir finalement à mettre en place le système que les partisans du totalitarisme essaient de dénigrer en le traitant de système bourgeois.

La suprématie des consommateurs

Le fondement économique de ce système bourgeois est l'économie de marché, dans laquelle le consommateur est souverain. Le consommateur, c'est-à-dire tout le monde, détermine en achetant ou en s'abstenant d'acheter, ce qui doit être produit, en quelle quantité et à quelle qualité. Les hommes d'affaires sont forcés par le jeu des pertes et des profits d'obéir aux ordres des consommateurs. Ne peuvent prospérer que les entreprises offrant aux prix les plus bas et de la meilleure manière possible les biens et les services que les acheteurs sont les plus pressés d'acquérir. Ceux qui ne réussissent pas à satisfaire le public connaissent des pertes et sont finalement poussés hors du monde des affaires.

Aux époques pré-capitalistes les riches étaient les propriétaires de grands domaines terriens. Eux et leurs ancêtres avaient obtenu leurs propriétés en tant que dons — fiefs — du souverain qui — avec leur aide — avait conquis le pays et assujetti ses habitants. Ces propriétaires aristocratiques étaient de véritables seigneurs car ils ne dépendaient pas du soutien des gens qui achètent. Au contraire, les riches d'une société capitaliste industrielle sont soumis à la suprématie du marché. Ils tirent leur richesse en servant les consommateurs mieux que les autres et perdent cette richesse quand les autres satisfont les désirs des consommateurs mieux qu'eux ou à meilleur marché. Dans une économie de marché libre les propriétaires du capital sont forcés de l'investir dans les branches qui servent au mieux le public. Ainsi la propriété des biens du capital change continuellement de mains, allant vers celles qui ont le mieux réussi à servir les consommateurs. Dans l'économie de marché la propriété privée est en ce sens un service public qui impose aux propriétaires la responsabilité de l'employer au mieux des intérêts des consommateurs souverains. C'est ce que les économistes veulent dire quand il disent que l'économie de marché est une démocratie où chaque sou donne un droit de vote.

Les aspects politiques de la liberté

Le gouvernement représentatif est le corollaire politique de l'économie de marché. Le même mouvement intellectuel qui a créé le capitalisme moderne a remplacé le règne autoritaire des rois absolus et des aristocraties héréditaires par des dirigeants élus. C'est le libéralisme bourgeois tant décrié qui a apporté la liberté de conscience, de pensée, de parole et de la presse et qui a mis fin à la persécution intolérante des dissidents.

Un pays est libre quand chaque citoyen est libre de mener sa vie selon ses propres plans. Il est libre de postuler sur le marché aux emplois les plus désirables et sur la scène politique aux plus hautes fonctions. Il ne dépend pas plus de la faveur d'autres personnes que ces autres ne dépendent de la sienne. S'il veut réussir sur le marché il doit satisfaire les consommateurs ; s'il veut réussir dans les affaires publiques il doit satisfaire les électeurs. Ce système a conduit dans les pays capitalistes de l'Europe occidentale, en Amérique et en Australie à un accroissement sans précédent des chiffres de la population et au plus haut niveau de vie jamais atteint dans l'Histoire. L'homme ordinaire dont on parle tant dispose de commodités dont les hommes les plus riches des époques pré-capitalistes ne rêvaient même pas. Il est en situation de jouir des accomplissements spirituels et intellectuels de la science, de la poésie et des arts, ce qui n'était réservé dans des temps plus anciens qu'à une petite élite de gens aisés. Et il est libre de rendre un culte comme sa conscience le lui ordonne.

La déformation socialiste de l'économie de marché

Tous les faits concernant le fonctionnement du système capitaliste sont déformés et distordus par des politiciens et des auteurs qui s'arrogent l'étiquette du libéralisme, école de pensée qui a démoli au XIXe siècle le règne arbitraire des monarques et des aristocrates et ouvert la voie à la libre entreprise et au commerce sans entraves. Selon ces partisans d'un retour au despotisme, tous les maux dont souffre l'humanité sont dus à de sinistres machinations de la part du grand capital. Ce qu'il faudrait pour apporter la richesse et le bonheur à toutes les honnêtes gens c'est de placer les sociétés sous un contrôle strict de la part du gouvernement. Ils admettent, bien qu'indirectement, que ceci veut dire adopter le socialisme, système de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Mais ils protestent en disant que le socialisme sera dans les pays de la civilisation occidentale quelque chose de totalement différent de ce qu'il est en Russie. Et de toute façon, disent-ils, il n'y a pas d'autre méthode pour priver les gigantesques sociétés du formidable pouvoir qu'elles ont acquis et pour les empêcher de faire encore plus de tort aux intérêts du peuple.

Face à toute cette propagande fanatique il est nécessaire de souligner sans cesse cette vérité que c'est le grand capital qui a apporté l'amélioration sans précédent du niveau de vie des masses. Les biens de luxe pour un nombre relativement réduit de gens aisés peuvent être produits par des entreprises de petite taille. Mais le principe fondamental du capitalisme est de produire en vue de satisfaire les besoins du grand nombre. Ce sont les mêmes gens qui travaillent dans les grandes sociétés qui représentent les principaux consommateurs des biens fabriqués. Si vous observez le foyer d'un salarié américain moyen, vous verrez pour qui tournent les machines. C'est la grande industrie qui rend accessible à l'homme ordinaire toutes les réalisations de la technologie moderne. Tout le monde bénéficie de la forte productivité de la production à grande échelle.

Il est stupide de parler du « pouvoir » de la grande industrie. La marque même du capitalisme se trouve dans le pouvoir suprême des consommateurs pour toutes les questions économiques. Toutes les grandes entreprises sont parties de débuts modestes pour devenir grandes parce que la clientèle des consommateurs les a fait grandir. Il serait impossible à des firmes de petite ou moyenne taille de produire les produits dont aucun Américain d'aujourd'hui ne voudrait se passer. Plus une société est grande, plus elle dépend de la volonté des consommateurs d'acheter ses marchandises. Ce sont les souhaits — ou la folie, comme le disent certains — des consommateurs qui ont poussé l'industrie automobile vers la production de voitures de plus en plus grosses et qui la forcent aujourd'hui à fabriquer des voitures plus petites. Les chaînes de magasins et les grands magasins ont la nécessité d'adapter leur fonctionnement tous les jours de nouveau, en fonction des désirs changeants de leurs clients. La loi fondamentale du marché est la suivante : le client a toujours raison.

Quelqu'un qui critique la conduite des affaires commerciales et qui prétend connaître de meilleures méthodes pour approvisionner les consommateurs n'est qu'un bavard stérile. S'il pense que ses propres plans sont meilleurs, pourquoi ne les essait-il pas lui-même ? Il y a toujours aux États-Unis des capitalistes à la recherche d'un investissement rentable pour leurs fonds, disposés à fournir le capital nécessaire à n'importe quelle innovation raisonnable. Le public est toujours prêt à acheter ce qui est mieux ou moins cher, ou encore mieux et moins cher. Ce qui compte sur le marché, ce ne sont pas les rêveries impossibles, mais l'action. Ce ne sont pas les discours qui ont rendu riches les gros hommes d'affaires, mais les services rendus aux consommateurs.

L'accumulation du capital est bénéfique pour tous

Il est à la mode de nos jours de passer sous silence le fait que toutes les améliorations économiques dépendent de l'épargne et de l'accumulation du capital. Aucune des merveilleuses réalisations de la science et de la technologie n'aurait pu être utilisée en pratique si le capital nécessaire n'avait pas été préalablement rendu disponible. Ce qui empêche les nations économiquement arriérées de tirer tous les avantages des méthodes de production occidentales et qui maintient par conséquent leurs masses dans la pauvreté, ce n'est pas le manque de familiarité avec les enseignements de la technologie mais l'insuffisance de capitaux. On se trompe lourdement sur les problèmes qui se posent aux pays sous-développés lorsque l'on affirme qu'il leur manque les connaissances techniques, le « savoir-faire ». Leurs industriels et leurs ingénieurs, la plupart diplômés des meilleures écoles d'Europe et d'Amérique, sont parfaitement au courant de l'état de la science appliquée contemporaine. Ce qui lie leurs mains est la pénurie de capitaux.

Il y a une centaine d'années l'Amérique était même plus pauvre que ces nations arriérées. Ce qui permit aux États-Unis de devenir le pays le plus riche du monde fut le fait que « l'individualisme farouche » d'avant le New Deal ne plaçait pas de trop sérieux obstacles sur la route des hommes entreprenants. Les industriels devenaient riches parce qu'ils ne consommaient qu'une petite partie de leurs profits et réinvestissaient une part bien plus grande dans leurs affaires. Ils purent ainsi s'enrichir et enrichir tout le monde. Car ce fut cette accumulation de capital qui augmenta la productivité marginale du travail et par là les taux de salaire.

Dans un régime capitaliste le goût de la propriété de l'homme d'affaires individuel ne bénéficie pas qu'à lui mais aussi aux autres gens. Il existe une relation de réciprocité entre le fait qu'il tire sa richesse en servant les consommateurs et accumule du capital d'une part, et l'amélioration du niveau de vie des salariés qui constituent la majorité des consommateurs d'autre part. Les masses ont intérêt à la prospérité des affaires, à la fois en tant que salariés et que consommateurs. C'est ce que les vieux libéraux avaient en tête lorsqu'ils déclaraient qu'une harmonie des vrais intérêts de tous les groupes de la population prévalait dans une économie de marché.

Le bien-être économique menacé par l'étatisme

C'est dans l'atmosphère morale et intellectuelle de ce système capitaliste que le citoyen américain vit et travaille. Il règne encore dans certaines parties des États-Unis des conditions qui paraissent hautement insatisfaisantes aux prospères habitants des régions avancées qui forment la plus grande partie du pays. Mais les progrès rapides de l'industrialisation auraient éliminé depuis longtemps ces poches arriérées si les politiques malheureuses du New Deal n'avaient pas ralenti l'accumulation du capital, outil irremplaçable du progrès économique. Habitué aux conditions d'un environnement capitaliste, l'Américain moyen considère comme allant de soi que l'industrie lui apporte chaque année quelque chose de nouveau et de meilleur. En revenant sur les années de sa propre vie, il se rend compte que beaucoup d'appareils totalement inconnus du temps de sa jeunesse, et de nombreux autres dont seule une petite minorité pouvait bénéficier, font désormais partie de l'équipement standard de presque tous les foyers. Il a pleine confiance dans le fait que cette tendance continuera aussi à l'avenir. Il l'appelle tout simplement le « mode de vie américain » et ne réfléchit pas sérieusement à la question de l'origine ayant permis cette amélioration continuelle dans la fourniture de biens matériels. Il n'est pas vraiment perturbé par la mise en œuvre de facteurs qui aboutiront inévitablement non seulement à arrêter toute nouvelle accumulation de capital mais qui pourraient très vite conduire à une consommation et à une diminution du capital. Il ne s'oppose pas aux forces qui — en augmentant de manière inconsidérée les dépenses publiques, en limitant l'accumulation de capitaux, voire en consommant une partie des capitaux investis dans les entreprises, et finalement par l'inflation — sont en train de saper les fondements mêmes de son bien-être matériel. Il ne s'intéresse pas à la montée de l'étatisme qui, partout où il a été essayé, a conduit à engendrer et à maintenir des conditions qui à ses yeux sont effroyablement misérables.

Pas de liberté personnelle sans liberté économique

Malheureusement beaucoup de nos contemporains n'arrivent pas à comprendre le changement radical de la condition morale de l'homme auquel la montée de l'étatisme, remplaçant l'économie de marché par une omnipotence du gouvernement, doit nécessairement conduire. Ils sont trompés par l'idée selon laquelle un dualisme net prévaudrait dans les affaires humaines, selon laquelle il existerait d'un côté une sphère des activités économiques et d'un autre un domaine réservé aux activités considérées comme non économiques. Entre ces deux domaines il n'y aurait selon eux aucun lien étroit. La liberté que supprime le socialisme ne serait « que » la liberté économique tandis que la liberté serait préservée pour toutes les autres questions.

Ces deux sphères ne sont toutefois pas indépendantes comme le suppose cette doctrine. Les êtres humains ne flottent pas dans des régions éthérées. Tout ce que fait un homme doit nécessairement d'une façon ou d'une autre affecter la sphère économique ou matérielle et réclame son pouvoir d'intervenir dans cet autre domaine. Afin de survivre, il doit travailler et avoir l'occasion de s'occuper de certains biens matériels tangibles.

La confusion se retrouve dans l'idée populaire d'après laquelle ce qui se passe sur le marché ne concerne que l'aspect économique de la vie et de l'action humaines. Mais en réalité les prix du marché reflètent non seulement les « préoccupations matérielles » — comme se procurer de la nourriture, un abri et d'autres commodités — mais aussi les préoccupations habituellement qualifiées de spirituelles, de supérieures ou de plus nobles. L'observance ou la non observance des commandements religieux — s'abstenir de certaines activités, en toutes circonstances ou seulement certains jours, aider ceux dans le besoin, bâtir et entretenir des maisons de prières, et de nombreuses autres choses — est l'un des facteurs qui déterminent l'offre et la demande des divers biens de consommation et par conséquent les prix et la conduite des affaires. La liberté que l'économie de marché octroie à l'individu n'est pas uniquement « économique » et distincte d'un autre type de liberté. Elle sous-entend la liberté de choix pour toutes les questions considérées comme morales, spirituelles et intellectuelles.

En contrôlant de manière exclusive tous les facteurs de production le régime socialiste contrôle aussi la totalité de la vie de chaque individu. Le gouvernement assigne à chacun un emploi donné. Il détermine quels livres et quels journaux ont le droit d'être imprimés et lus, qui peut bénéficier de l'occasion d'écrire, qui a le droit d'utiliser les salles de réunion publiques, d'émettre sur les ondes et d'utiliser tous les autres moyens de communication. Ceci signifie que les gens en charge de la conduite suprême des affaires du gouvernement déterminent en définitive les idées, enseignements et doctrines pouvant être propagés et celles qui ne peuvent pas l'être. Tout ce que peut dire une constitution écrite et promulguée quant à la liberté de conscience, de pensée, de parole et de la presse et quant à la neutralité en matière religieuse, demeure lettre morte dans un pays socialiste si le gouvernement ne donne pas les moyens matériels d'exercer ces droits. Celui qui monopolise tous les moyens de communication a les pleins pouvoirs pour contrôler d'une main ferme les esprits et les âmes des individus.

Ce qui aveugle beaucoup de gens à propos des caractéristiques essentielles de tout système socialiste ou totalitaire, c'est l'illusion que ce système fonctionnera précisément comme eux-mêmes le souhaitent. En soutenant le socialisme, ils considèrent comme allant de soi que « l'État » fera toujours ce qu'eux-mêmes voudraient qu'il fasse. La seule variété du totalitarisme qu'ils qualifient de « vrai », ou « authentique », ou « bon », socialisme est celui où les dirigeants seraient d'accord avec leurs propres idées. Ils dénoncent toutes les autres variantes comme étant une contrefaçon. Ce qu'ils attendent avant tout du dictateur est de supprimer toutes les idées qu'ils désapprouvent eux. En réalité, tous ces partisans du socialisme sont obsédés, à leur insu, par le complexe dictatorial ou autoritaire. Ils veulent écraser par une action violente du gouvernement toutes les opinions et tous les projets avec lesquels ils ne sont pas d'accord.

La signification d'un véritable droit à la dissidence

Les divers groupes qui défendent le socialisme, qu'ils se qualifient eux-mêmes de communistes, de socialistes ou de simples réformateurs sociaux, sont d'accord sur l'essentiel de leur programme économique. Tous veulent substituer le contrôle par l'État — ou, comme certains préfèrent dire, le contrôle social — des activités de production à l'économie de marché et à sa suprématie des consommateurs individuels. Ce qui les sépare n'est pas une question de gestion économique, mais leurs conviction religieuses et idéologiques. Il y a des socialistes chrétiens — catholiques et protestants de différentes confessions — et il y a des socialistes athées. Chacune de ces variantes socialistes considère comme acquis que la communauté socialiste sera guidée selon les principes de leur propre foi et par le rejet des autres credos religieux. Ils ne réfléchissent jamais à la possibilité que le régime socialiste puisse être dirigé par des hommes hostiles à leur foi et à leurs principes moraux, et qui pourraient considérer comme de leur devoir d'utiliser le formidable pouvoir de l'appareil socialiste pour supprimer ce qui est à leurs yeux erreur, superstition et idolâtrie.

La simple vérité est que les individus ne peuvent être libres de choisir selon ce qu'il estime être bon ou mauvais que lorsqu'ils sont indépendants du gouvernement. Un gouvernement socialiste a le pouvoir de rendre toute dissidence impossible en usant de la discrimination à l'encontre des groupes religieux et idéologiques importuns et en leur refusant tout équipement matériel nécessaire à la diffusion et à la pratique de leurs convictions. Le système du parti unique, principe politique de l'autorité socialiste, implique également une religion unique et un système moral unique. Un gouvernement socialiste a à sa disposition des moyens pouvant être utilisés pour garantir une soumission rigoureuse à tous les égards, la Gleichschaltung (mise au pas politique) comme les nazis l'appelait. Les historiens ont souligné le rôle important que la Réforme avait joué dans l'imprimerie. Mais quelles auraient été les chances des réformateurs si toutes les presses avaient été gérées par des gouvernements ayant Charles Quint et les Valois à leur tête ? * Et à ce sujet quelles auraient été les chances de Marx dans un système où tous les moyens de communication auraient été entre les mains du gouvernement ?

Quiconque souhaite la liberté de conscience doit avoir le socialisme en horreur. Bien entendu, la liberté permet à un homme non seulement de faire des bonnes choses mais aussi d'en faire de mauvaises. Mais aucune valeur morale ne peut être attachée à une action, aussi bonne soit-elle, accomplie sous la pression d'un gouvernement omnipotent.



Note

*. Charles Quint (1500-1558), fidèle catholique, persécuta l'hérésie religieuse aux Pays-Bas et lutta pour supprimer le luthéranisme dans les principautés germaniques. Durant le règne des Valois comme rois de France (1328-1589) des guerres de religion furent menées contre les protestants français, comprenant les Huguenots, qui luttaient pour la liberté du culte.


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