Le Chaos du planisme

Éditions Génin — Librairie de Médicis — Paris (1956)

par Ludwig von Mises

traduit par J.-P. Hamilius, Jr.

 

8. Le nazisme (National-Socialisme)

 

La philosophie des nazis, le parti ouvrier allemand national-socialiste, constitue la manifestation la plus pure et la plus puissante de l'esprit anticapitaliste et socialiste de notre ère. Ses idées essentielles ne sont ni d'origine allemande ou « aryenne », ni particulières aux Allemands d'aujourd'hui. Dans l'arbre généalogique de la doctrine nazie, des latins tels Sismondi et Georges Sorel et des anglo-saxons tels Carlyle, Ruskin et Houston Stewart Chamberlain étaient plus marquants que n'importe quel Allemand. Même l'ornement idéologique le plus connu du nazisme, la fable de la supériorité de la race aryenne, n'était pas de provenance allemande ; son auteur fut un Français, Gobineau. Des Allemands de descendance juive, tels Lassalle, Lasson, Stahl et Walter Rathenau contribuèrent davantage aux théories essentielles du nazisme que des hommes comme Sombart, Spann et Ferdinand Fried. Le slogan dans lequel les nazis condensèrent leur philosophie économique : Gemeinnutz vor Eigennutz (ce qui veut dire : le bien public prime le bien privé) constitue également l'idée sur laquelle se fonde le New Deal américain et l'administration des affaires économiques soviétique. Ce slogan implique que « le monde des affaires », qui ne cherche que son profit, port préjudice aux intérêts vitaux de l'immense majorité et que c'est un devoir sacré du gouvernement populaire d'empêcher par un contrôle public de la production et de la distribution que des profits ne se fassent.

Le seul ingrédient spécifiquement allemand du nazisme était son aspiration vers la conquête de l'espace vital. mais celui-là également provenait du fait que les nazis avaient accepté les idées qui guidaient la politique des partis les plus influents de tous les autres pays. Ces partis proclament l'égalité de revenu comme étant l'affaire principale. Les nazis font de même. Ce qui caractérise les nazis c'est qu'ils ne sont pas prêts à consentir à une situation dans laquelle les Allemands sont condamnés à être « emprisonnés », comme ils disent, pour toujours dans un espace relativement étroit et surpeuplé dans lequel la productivité du travail doit être moindre que dans les pays relativement sous-peuplés et mieux dotés de ressources naturelles. ils aspirent à une plus juste distribution de ressources naturelles de la terre. En tant que nation de « have-not » ils voient la richesse de nations plus riches avec les mêmes sentiments que le font beaucoup de gens dans les pays occidentaux à l'égard des revenus plus élevés de leurs compatriotes. Les « progressistes » dans les pays anglo-saxons affirment que « la liberté ne vaut pas grand-chose » pour ceux qui ont été désavantagés par suite de la médiocrité relative de leurs revenus. Les nazis défendent le même point de vue pour ce qui est des relations internationales. A leur avis, la seule liberté qui importe est la « Nahrungsfreiheit » (c'est-à-dire, l'affranchissement de la nourriture importée). Il visent à l'acquisition d'un territoire si grand et si riche en ressources naturelles qu'ils pourraient vivre en autarcie intégrale, sur un standard de vie aussi élevé que celui de toute autre nation. Ils se considèrent comme des révolutionnaires qui combattent pour leurs droits naturels inaliénables contre les privilèges usurpés d'une foule de nations réactionnaires.

Les économistes peuvent facilement faire éclater les erreurs contenues dans les doctrines nazies. Mais ceux qui méprisent les sciences économiques comme « orthodoxes et réactionnaires » et soutiennent fanatiquement les fausses croyances du socialisme t du nationalisme économique, ne pouvaient pas réfuter les erreurs des doctrines nazies. Car le nazisme n'était rien d'autre que l'application logique de leurs propres théories aux conditions particulières de l'Allemagne relativement surpeuplée.

Pendant plus de soixante-dix ans, les professeurs allemands de science politique, d'histoire, de droit, de géographie et de philosophie remplirent ardemment leurs disciples d'une haine hystérique du capitalisme et prêchèrent la guerre de « libération » contre l'ouest capitaliste. Les « socialistes de la chaire » d'Allemagne, tant admirés dans tous les pays étrangers, préparaient la voie aux deux guerres mondiales. Au début de notre siècle, l'immense majorité des Allemands étaient déjà des partisans radicaux du socialisme et du nationalisme agressif. A ce moment, ils s'étaient déjà livrés entièrement aux principes du nazisme. Ce qui manquait et ce qui fut ajouté plus tard, c'était uniquement le terme pour désigner leur doctrine.

Lorsque la politique soviétique d'extermination en masse de tous les dissidents et de violence impitoyable avait écarté toute gêne à l'égard des meurtres en masse, gêne qui troublait encore quelques Allemands, rien ne pouvait arrêter l'avance du nazisme. Les nazis furent prompts à adopter les méthodes soviétiques. Ils importèrent de Russie : le système du parti unique et la prééminence de ce parti dans la vie politique ; la position souveraine assignée à la police secrète ; les camps de concentration : l'exécution administrative ou l'emprisonnement de tous les adversaires ; l'extermination des familles des suspects ou des exilés ; les méthodes de propagande ; l'organisation à l'étranger de partis affiliés pour l'espionnage et le sabotage et le recours à eux pour combattre leurs gouvernements ; les emplois des services diplomatiques et consulaires pour fomenter des révolutions ; et beaucoup d'autres choses encore. Il n'y eut nulle part des disciples aussi dociles de Lénine, de Trotsky et de Staline que ne le furent les nazis.

Hitler n'était pas le fondateur du nazisme ; il était son produit. Tout comme la plupart de ses collaborateurs, c'était un gangster sadique. Ignorant et sans éducation, il avait même échoué aux examens des échelons inférieurs de l'enseignement secondaire. Il n'eut jamais un emploi honnête. C'est une fable qu'il ait jamais été peintre en bâtiments. Sa carrière militaire dans la première guerre mondiale fut plutôt médiocre. La croix de fer de première classe lui fut décernée après la fin de la guerre en récompense de ses activités comme agent politique. Il était un maniaque obsédé par la mégalomanie. Mais de savants professeurs nourrissaient son orgueil. Werner Sombart, qui s'était vanté une fois que sa vie était vouée à la tâche de combattre pour les idées de Marx 1. Cet homme que la « American Economic Association » avait élu comme membre honoraire et à qui beaucoup d'universités non-allemandes avaient conféré des titres honorifiques, avait déclaré candidement que « Führertum » signifie une révélation permanente et que le « Führer » reçoit ses ordres directement de Dieu, le « Führer » suprême de l'Univers 2.

Le plan nazi fut plus vaste et par conséquent plus pernicieux que celui des marxistes. Il visait à abolir la liberté non seulement dans la production de biens matériels, mais aussi dans la production d'hommes. Le Führer n'était pas seulement le directeur général de toutes les industries, mais également le directeur général de la pépinière destinée à produire des hommes supérieurs et à éliminer la souche inférieure. Un plan grandiose d'eugénisme devait être mis en œuvre selon des « principes » scientifiques.

Peu importe que les champions de l'eugénisme prétendent qu'ils n'avaient pas projeté ce que les nazis ont exécuté. L'eugénisme vise à donner à quelques hommes, qui seraient soutenus par la police, le contrôle complet de la reproduction humaine. Il suggère d'appliquer aux hommes les méthodes appliquées aux animaux domestiques. C'est précisément ce que les nazis avaient essayé de faire. La seule objection qu'un eugéniste logique puisse élever, c'est que son propre plan diffère de celui des savants nazis et qu'il désire élever un autre type d'hommes que les nazis. Tout comme chaque partisan de l'économie planifiée n'aspire qu'à l'exécution de son propre plan, chaque défenseur de l'eugénisme aspire à l'exécution de son plan pour l'élevage du bétail humain.

Les eugénistes prétendent qu'ils veulent éliminer les individus criminels. Mais pour qualifier un homme de criminel, on se réfère aux lois en vigueur dans le pays, lois qui varient avec les changements qui s'opèrent dans les idéologies sociales et politiques. Jeanne d'Arc, Jean Huss, Giordano Bruno et Galileo Galilei furent des criminels au point de vue des lois que leurs juges appliquèrent. Lorsque Staline vola plusieurs millions de roubles à la banque d'État russe, il commit un crime. ne pas être d'accord avec Staline quelques années plus tard équivalait à un crime en Russie. Dans l'Allemagne nazie, les rapports sexuels entre « aryens » et les membres d'une race « inférieure », constituaient un crime. Qui, de Brutus ou de César, les eugénistes désirent-ils éliminer ? Tous les deux violèrent les lois de leur pays. Si les eugénistes du XVIIIe siècle avaient empêché les alcooliques d'engendrer des enfants, leur « planification » aurait éliminé Beethoven.

Qu'il soit permis de relever encore une fois qu'il n'y a pas de chose telle qu'un « il le faut » (une nécessité) scientifique. Quels hommes sont des êtres supérieurs et quels autres sont des êtres inférieurs, voilà ce qu'on ne peut décider que par des jugements de valeurs personnels, qui ne sont pas soumis à une vérification ou à une falsification. les eugénistes se font des illusions lorsqu'ils pensent qu'ils seront appelés à décider quelles qualités devront être conservées dans le « bétail humain ». Ils ne sont pas assez intelligents pour prendre en considération la possibilité que d'autres gens pourraient faire leur choix d'après leurs propres jugements de valeur 3. Aux yeux des nazis le tueur brutal, la « bête blonde », est le spécimen le plus parfait de l'humanité.

Les massacres en masse, commis dans les camps d'horreur nazis sont trop horribles pour pouvoir être décrits adéquatement par des paroles. Mais ils étaient l'application logique et nécessaire de doctrines qui se vantaient d'être de la science appliquée et qui furent approuvées par quelques hommes qui, dans un secteur des sciences naturelles, ont déployé beaucoup de finesse et d'habileté technique dans le domaine des recherches de laboratoire.


Notes

1. Sombart, Das Lebenswerk von Karl Marx, Iéna, 1909, p. 3.

2. Sombart, A New Social Philosophy, traduit et édité par K.F. Geiser, Princeton University Press, 1937, p. 194.

3. Cf. La critique dévastatrice de l'eugénisme racial par H.S. Jennings, The Biological Basis of Human Nature, New York, 1930, pp. 223 à 252.


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