Réunion du 30 mai 1858
Etaient présents : MM. Le comte J. Arrivabene, président ; de Bonne, Ad. Le Hardy de Beaulieu, Eug. Snoeck, M. Gouvy, Victor Deheselle, d'Hauregard, G. de Molinari, Corr Van der Maeren, Mayer-Hartogs, Aug. Couvreur, E. de Molinari, secrétaire.
M. Funck, avocat, présenté par un membre de la Société, assistait à la séance, qui était présidée par M. Ch. Le Hardy de Beaulieu, vice-président.
Les deux questions à l'ordre du jour étaient : 1° l'enseignement obligatoire et 2° la propriété artistique et littéraire.
Abordant la question de l'enseignement obligatoire, l'assemblée a d'abord entendu M. Funck, qui a fait un exposé de la question telle qu'elle est posée actuellement en Belgique. L'utilité de l'enseignement obligatoire, c'est-à-dire de l'enseignement primaire, n'est contestée par personne ; tous les organes de la presse, même les plus retardataires, font des vœux pour sa vulgarisation. Quant à la nécessité de ce principe civilisateur et à l'opportunité de le faire entrer dans nos lois, on semble aussi généralement d'accord, quoique un petit nombre de voix discordantes et rétrogrades se soient fait entendre dans les derniers temps. Cette nécessité se base sur deux principaux arguments tirés de l'économie sociale. Il est d'abord incontestable que l'ignorance accroît la misère et que cette dernière décroît en raison de la diffusion des lumières. Ceci est devenu un axiome que la statistique et les annales de la criminalité ne font que confirmer tous les jours. On peut conclure ensuite que, si les plus grands maux qui affectent le corps social proviennent de l'ignorance des masses, il est de l'intérêt de la société d'empêcher cette dernière, et qu'il est par conséquent de son devoir d'imposer le remède propre à la faire disparaître, c'est-à-dire l'enseignement obligatoire.
M. Funck répond ensuite aux deux objections qui ont été faites contre l'enseignement obligatoire et qui sont la liberté de l'enseignement et la liberté individuelle, deux principes consacrés dans notre Constitution. La liberté de l'enseignement ne pourrait être compromise que dans l'hypothèse qu'on imposât aux citoyens un établissement ou un instituteur quelconque à l'exclusion des autres ; mais du moment qu'on leur laisse le choix de faire instruire leurs enfants dans telle école qu'il leur plait, le principe de l'enseignement obligatoire n'est nullement inconstitutionnel. Quant à la liberté individuelle, elle n'est pas davantage compromise, à moins qu'on ne se jette dans les théories absolues, qu'on ne se place à ce point de vue social, primitif, qui est incompatible avec une société civilisée. Mais à ce point de vue philosophique toutes les lois répressives, les obligations civiques, les règlements administratifs seraient également attentatoires à la liberté individuelle. Quoi de plus contraire à la liberté que la conscription, que d'imposer au jeune homme de 18 ans l'enseignement militaire, l'école de peloton, pendant plusieurs années, de le distraire de la carrière dans laquelle il est sur le point de se créer une position, pour compromettre son avenir par un fatal temps d'arrêt ? Les raison d'ordre social qui militent en faveur de l'enseignement obligatoire sont plus plausibles, croyons-nous, que toutes celles qu'on pourrait jamais alléguer pour une foule d'obligations et de servitudes qu'on nous impose au nom de l'intérêt social.
Après avoir établi la nécessité de l'enseignement obligatoire, M. Funck conclut qu'il est du devoir de l'État de lui donner une sanction et que la seule juste et efficace est une pénalité. Il a fait bonne justice des jérémiades des partisans de l'ignorance que représentent le père de famille attrait en justice, condamné à l'amende, à la prison, pour n'avoir pas envoyé ses enfants à l'école ; si ces législateurs philanthropes voulaient regarder autour d'eux, voir ce qui se passe tous les jours, ils verraient un pauvre père de famille condamné, incarcéré au nom de la loi, pour n'avoir pas payé les impôts, pour avoir cherché à soustraire son enfant au plus terrible des impôts, à l'impôt du sang. Et cependant la nécessité du maintien de la conscription ne paraît pas être, à en juger par l'opinion publique, par la presse et l'histoire nationale, aussi bien établie, aussi généralement admise que la nécessité de l'enseignement obligatoire.
M. le comte Arrivabene croit qu'il faudrait également répondre à deux autres objections qui ont été soulevées à propos de l'enseignement obligatoire, à savoir : qu'il contribuerait à la dépopulation des campagnes, que s'empressent de déserter chaque jour ceux qui ont acquis quelque instruction, les moindres notions de l'industrie et des affaires ; ensuite qu'il faudrait songer à procurer de bons instituteurs aux campagnes avant de leur imposer l'enseignement.
M. de Bonne demande si, vu le manque d'organisation de l'enseignement dans les campagnes, on ne pourrait pas confier, provisoirement, aux vicaires l'instruction des enfants et leur allouer de ce chef une indemnité.
M. Ch. Le Hardy de Beaulieu pense que ce moyen ne serait pas applicable dans la plupart des petites localités où les desservants n'ont pas de vicaires ; du reste, il est convaincu qu'on pourra facilement se passer de cet expédient ; car le jour où l'enseignement sera obligatoire et partout répandu, la carrière d'instituteur deviendra lucrative et sera recherchée par une foule de jeunes gens qui lui préfèrent aujourd'hui l'industrie et les affaires.
Plusieurs membres font observer que l'enseignement obligatoire doit être gratuit. M. Aug. Couvreur croit que c'en est le corollaire naturel ; car il y a une foule de familles qui opposeront à la loi leur manque de ressources, l'impossibilité où elles sont de subvenir aux frais de l'enseignement de leurs enfants. Dans le cas de l'enseignement gratuit, il s'agit de savoir sur qui l'État en fera retomber la charge, soit sur les classes riches seulement, soit sur la masse de la nation ?
M. Funck dit que le principe de la gratuité est contenu implicitement dans la loi de 1842, sur l'enseignement primaire ; une circulaire de M. Nothomb, ministre de l'intérieur, l'a interprétée en ce sens en enjoignant aux bureaux de bienfaisance de refuser tout secours aux individus qui négligeraient de faire instruire leurs enfants. Interrogé par des administrations communales si l'on pouvait inscrire d'office les pauvres aux écoles primaires, le ministre répondit affirmativement, ne donnant, toutefois, d'autre sanction à cette mesure que le refus de tout secours par les bureaux de bienfaisance.
M. Aug. Couvreur envisage la question de l'enseignement obligatoire au point de vus général, abstraction faite de telle législation en particulier, et il demeure convaincu que cette question restera irréalisable tant qu'on n'aura pas mis les pauvres à même de s'acquitter de l'obligation nouvelle qu'on veut leur imposer ; c'est-à-dire qu'il faut non-seulement que le pauvre trouve une instruction gratuite, mais que des institutions philanthropiques viennent à son secours pour lui procurer les vêtements, les livres, etc., nécessaires pour fréquenter décemment, utilement, l'école. En Angleterre on a commencé par ce côté économique de la question, et le pauvre, naturellement désireux de s'instruire, n'a pas même eu besoin de la contrainte de la loi pour se rendre aux écoles.
M. Victor Deheselle donne des détails sur la manière dont est organisé, en Prusse, l'enseignement obligatoire. Il montre, par cet exemple, qu'on pourrait à peu de frais l'introduire en Belgique, sans porter la moindre perturbation dans l'économie sociale.
M. Ch. Le Hardy de Beaulieu démontre que l'obligation imposée au père de famille de faire instruire ses enfants est naturelle et juste ; que si la loi civile contraint le père de donner la nourriture corporelle à son enfant, il est aussi juste, aussi naturel qu'elle sanctionne l'obligation de lui donner la nourriture intellectuelle : l'une est aussi nécessaire que l'autre. C'est, du reste, une dette que le père contracte en donnant la vie à son enfant, dette plus sacrée que toutes celles pour l'exécution desquelles on peut requérir l'emploi de la force publique. Les effets d'une telle loi seraient éminemment salutaires à l'ordre social en inspirant à ceux qui veulent devenir pères de famille une juste idée des devoirs que cet état impose, ou en les éloignant s'ils ne se sentent pas assez d'énergie pour accomplir ces devoirs.
M. A. Le Hardy de Beaulieu, appuyant ce que vient de dire M. Ch. Le Hardy de Beaulieu, fait observer que dans toute la polémique sur l'enseignement obligatoire, on se préoccupe presque uniquement du droit et de la liberté du père de famille et qu'on se préoccupe très-peu des droits des enfants. Il rappelle, à ce propos, l'état de l'enfant dans les sociétés modernes et en particulier sous le Code Napoléon.
Il croit, en particulier, d'après la loi de 1842, citée par M. Funck, que l'enfant a droit à l'enseignement gratuit et qu'on devrait rendre les pères, mères, tuteurs, responsables de l'ignorance des enfants qui ne fréquentent pas les écoles.
L'orateur développe ensuite les raisons économiques qui militent en faveur de l'enseignement obligatoire.
M. Ch. Le Hardy de Beaulieu combat le principe de la gratuité de l'enseignement. Il croit qu'il n'y arien d'exorbitant à i ;poser au père de famille l'obligation d'instruire ses enfants ; l'enseignement primaire fait aujourd'hui nécessairement partie de la somme d'éducation, quelque minime qu'elle soit, que chacun, même le plus pauvre, doit à ses enfants. Il voit dans l'enseignement gratuit une atteinte à la justice, en imposant des citoyens pour soutenir des institutions dont ils n'useront pas, soit parce qu'ils n'ont pas d'enfants, soi parce qu'ils les feront instruire par des précepteurs ou dans des instituts privés ; il y voit une atteinte aussi grave à la liberté de l'enseignement en introduisant, sous forme d'institutions gratuites, des monopoles qui seront aussi funestes à l'enseignement privé qu'aux progrès de l'enseignement lui-même. L'État se croira aussi infaillible dans la science que dans les autres services publics, et il nous mènera infailliblement, cette fois, la routine et à l'abrutissement des intelligences.
M. de Bonne est d'avis qu'on ne devrait pas laisser à l'État seul le soin d'organiser les écoles gratuites pour les pauvres, mais obliger les communes et même, en une certaine mesure, la province, à y concourir ; ensuite il croit qu'on pourrait prévenir les abus d'un enseignement officiel en fixant d'avance certains principes à cet enseignement ; en décrétant, par exemple, qu'aux rudiments de la science, de la religion et des arts, on joindrait enseignement de la Constitution belge. (Applaudissements.)
M. Funck pense que l'obligation et la gratuité de l'enseignement sont inséparables. Il répond à l'objection que l'on n'a pas le droit de priver le père de famille des services qu'il peut tirer de ses enfants en disant qu'on lui enlève bien, au nom de l'intérêt public, son enfant à l'âge où il lui est le plus utile, à l'âge de 18 ans. Dans certains pays, où l'enseignement n'est pas obligatoire, on oblige, par mesure d'humanité et de salubrité publique, à fermer les ateliers à certaines heures, à limiter le temps du travail des enfants ; on porte même des lois en faveur des animaux… Qu'y a-t-il d'étrange que l'on demande l'appui des lois pour la conservation, le développement des intelligences ?
M. Funck croit qu'il ne faut pas s'arrêter au moyen transitoire de l'enseignement par les vicaires, mais organiser largement le service de l'enseignement gratuit. Le ministère de l'instituteur, ce ressort caché du progrès des masses, ne paraît pas être estimé haut en Belgique : c'est ainsi que l'on voit de temps à autre, au Moniteur, des annonces vraiment incroyables, dans le sens de celle-ci : "Une place d'instituteur est vacante dans telle commune, aux appointements de 400 fr. par an, avec ou sans habitation ! on accordera la préférence à un candidat diplômé !" L'orateur entre ensuite dans une comparaison entre le budget de l'instruction publique, qui est de 2 millions environ, en Belgique, et les autres budgets et en particulier celui de la guerre qui coûte annuellement 34 millions à la nation. Il croit que la Belgique n'a pas de raison pour se montrer, d'une part, si parcimonieuse envers cette armée véritablement militante d'instituteurs occupés à lutter contre l'ignorance et, d'autre part, si prodigue pour l'entretien de ses troupes, de ses places fortes, etc… A ceux qui prétextent l'insuffisance des ressources publiques, on doit répéter les paroles prononcées à l'assemblée de Francfort de 1848 par M. Reinhard de Boitzenburg : "Lorsqu'on élève des casernes, lorsqu'on décrète des uniformes, des casques nouveaux ou d'autres armures quelconques, on ne demande pas d'où viendront les ressources ; on se contente de dire brièvement : cela doit être. La question que nous traitons exige une réponse semblable [1]."
M. A. Le Hardy de Beaulieu expose le système en usage dans différents États de l'Amérique du Nord au sujet de l'enseignement public. La société américaine, partant de l'idée que la bonne culture intellectuelle est la source de toute prospérité dans un État, même au point de vue des intérêts particuliers, a organisé (l'État de Pennsylvanie, par exemple), un enseignement public dont les frais sont supportés par la propriété foncière et mobilière. L'enseignement y est gratuit, mais non obligatoire, parce qu'il serait superflu d'imposer aux Américains une mesure aussi éminemment utile. Non-seulement ces écoles sont fréquentées par les classes pauvres et moyennes, mais même par les enfants des familles riches. Les catholiques seuls se tiennent à l'écart. Cette éducation présente de grands avantages tant par l'émulation qu'elle produit que par l'esprit de patriotisme, l'esprit d'union, de véritable démocratie qu'elle développe dans les différentes classes de la société réunies en commun. Le but des États américains en élevant ces écoles publiques est, d'après l'expression employée dans le différend entre la commune et l'évêque de New-York, "de créer des citoyens et pas des sectaires."
L'orateur fait remarquer que ces écoles publiques, loin d'avoir les désastreux effets que produisent ordinairement les monopoles, ne font que stimuler la concurrence et les progrès de l'instruction, le perfectionnement des méthodes, etc… L'opinion publique produit, en Amérique, des résultats que ne pourra jamais obtenir une loi coercitive ; car, bien que l'enseignement ne soit pas obligatoire, on y montrerait du doigt le citoyen qui négligerait de faire instruire ses enfants.
M. Le Comte Arrivabene demande si l'exemple de l'Amérique peut être appliqué aux nations de l'ancien continent, à la Belgique en particulier ?
M. Gust. de Molinari se déclare aussi partisan de l'enseignement obligatoire ; il croit qu'en donnant la vie à son enfant, le père contracte l'engagement de le nourrir, l'élever, lui donner les outils indispensables pour subvenir lui-même plus tard à ses besoins. Or, parmi ces outils devenus indispensables, de nos jours, pour toutes les conditions sociales, se trouve l'enseignement primaire. M. G. de Molinari se déclare, en même temps, opposé à l'enseignement gratuit ; il le considère comme une véritable prime accordée pour l'accroissement de la population, prime qui ne peut favoriser que l'imprévoyance et l'immoralité.
La question de l'enseignement obligatoire implique encore celle de la limitation de la durée du travail des enfants dans les manufactures. L'orateur ne croit pas que le père puisse être autorisé à exploiter d'une manière hâtive, à outrance, les forces physiques de son enfant de manière à abréger ses jours ; il y a donc lieu de lui imposer l'obligation d'entretenir son enfant, de le faire instruire jusqu'à un certains âge, sans exiger de lui un travail productif.
Répondant aux partisans de l'enseignement gratuit, M. G. de Molinari ne trouve pas fondé le raisonnement qui consiste à dire, qu'en imposant aux citoyens l'obligation de l'enseignement, l'État doit leur fournir les moyens de s'en acquitter. L'État n'est pas plus obligé à fournir aux citoyens les moyens de payer la dette de l'éducation, de l'enseignement, envers leurs enfants, qu'il ne l'est de payer leurs autres dettes, leurs lettres de change. Or, c'est une sorte de lettre de change que l'homme souscrit à l'ordre de son enfant et de la société, au moment où il donne l'être et la vie à un enfant. L'État ne doit rien autre chose que la protection, la sanction sociale, pour l'exécution des obligations naturelles et artificielles contractées par l'homme qui donne le jour à un enfant. Que la charité privée, la philanthropie isolée ou en association, vienne en aide au débiteur malheureux, au père pauvre pour l'aider à vêtir ses enfants, à leur donner une instruction convenable, rien de mieux ; mais le rôle de l'État c'est d'imposer des obligations ou plutôt de les sanctionner.
M. Mayer-Hartogs envisage la question au point de vue belge et il ne croit pas que l'on puisse dire que la loi de 1842, qui accorde l'enseignement gratuit, ait causé cet excès de population, cette imprévoyance coupable dont a parlé M. G. de Molinari. Il est convaincu qu'on ne parviendra pas à faire exécuter une loi sur l'enseignement obligatoire en Belgique, à moins que d'y organiser un vaste enseignement gratuit. La gratuité est, pour l'orateur, non-seulement le corollaire, mais la condition sine qua non d'une bonne loi sur l'enseignement obligatoire.
M. G. de Molinari ne croit pas devoir subordonner son opinion à la loi de 1842. Quant aux résultats de l'enseignement gratuit et commun aux États-Unis, il croit qu'exceptionnellement la prime pour l'accroissement de la population, dont il a parlé, peut n'y être point nuisible, parce que l'Amérique souffre, à l'inverse de l'Europe, d'une grande disette de bras ; que là, suivant le vieil adage, "une nombreuse postérité est une richesse."
Reprenant l'opinion qu'il a émise sur le travail des enfants dans les manufactures, M. G. de Molinari demande aux membres de l'assemblée qui sont à la tête d'établissements industriels ce qu'ils pensent de ce travail hâtif, au point de vue de la qualité du travail, de l'avenir des ouvriers et de la prospérité de l'industrie.
MM. Victor Deheselle, Mayer-Hertogs, Fl. Gouvy estiment qu'on devrait limiter à six heures le travail des enfants au-dessous de 14 ans, à dix au-dessous de 16 ; que, dans ces limites, la fréquentation de l'atelier ne pourrait être que profitable aux jeunes gens qui se destinent à l'industrie. M. Gouvy fait toutefois remarquer la supériorité qu'acquièrent, dans l'industrie, les ouvriers qui ont fréquenté l'école, qui l'ont même quittée tard pour l'atelier.
Une conversation s'engage entre MM. Le comte Arrivabene, Ad. Le Hardy de Beaulieu, G. de Molinari, de Bonne, sur l'enseignement gratuit. M. de Bonne voudrait que, pour être électeur, le citoyen belge sût tracer lui-même sur son bulletin électoral le nom du candidat qu'il élit ; ce serait une garantie de la sincérité et de la moralité des élections.
M. Fl. Gouvy pense que, si l'on portait à trois millions le budget pour l'enseignement obligatoire, on pourrait donner au moindre instituteur 1 000 francs d'appointement, avoir à ce prix de bons instituteurs et résoudre ainsi le problème.
M. G. de Molinari nie que la concurrence puisse subsister dans l'hypothèse d'un enseignement gratuit donné par l'État. Supposons, dit-il, qu'au lieu d'enseignement il s'agisse de drap, supposons que l'État fût chargé de fournir gratis à la nation tout le drap dont elle aurait besoin. Qu'en résulterait-il ? Verrait-on beaucoup de fabricants libres s'établir en concurrence avec ce fabricant qui donnerait sa marchandise gratis ? Sans doute si, comme il y a apparence, l'État finissait par négliger sa fabrication, s'il trouvait commode de ne fabriquer du drap que d'une seule couleur, du drap bleu, par exemple, les gens qui aiment le bon drap et qui n'aiment pas le drap bleu, finiraient par en demander d'autres à l'industrie libre. Mais ces clients difficiles seraient peu nombreux : la masse préférerait évidemment se vêtir gratis avec du drap bleu que d'acheter à l'industrie du drap noir ou du drap vert. Il en serait de même pour l'enseignement. La gratuité de l'enseignement ce serait, en fait, le monopole de l'enseignement dévolu à l'État.
La conversation se partage en différents groupes dans lesquels la question continue à être approfondie et poussée dans se dernières conséquences.
Enfin, M. Gouvy résume la discussion en constatant que les membres de l'assemblée sont d'accord sur le principe de l'enseignement obligatoire, mais qu'il y a divergence sur le mode d'application de ce principe ; les uns veulent que l'enseignement soit donné gratuitement aux frais de tous les citoyens, même de ceux qui n'ont pas d'enfants ou qui font instruire leurs enfants chez eux ; d'autres soutiennent la non-intervention de l'État dans l'enseignement comme dans les autres industries qui sont le partage de l'activité privée.
Notes