Théorie et Histoire

Une interprétation de l'évolution économique et sociale

Première édition :Yale University Press, 1957. Réédité (et mis en ligne) par le Ludwig von Mises Institute

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

Troisième partie : Les problèmes épistémologique de l'Histoire

Chapitre 11. Le défi du scientisme

 

1. Positivisme et béhaviorisme

Ce qui différentie le domaine des sciences de la nature de celui des sciences de l'action humaine est le système de catégories auquel chacun a recours pour interpréter les phénomènes et construire des théories. Les sciences de la nature ne savent rien des causes finales ; la recherche et la théorisation sont entièrement guidées par la catégorie de la causalité. Le domaine de sciences de l'action humaine est la sphère du but et de la poursuite consciente de certaines fins : elle est téléologique.

Ce sont les deux catégories auxquelles avait recours l'homme primitif et auxquelles recourent aujourd'hui tout le monde dans ses réflexions et ses actions quotidiennes. Les compétences et les techniques les plus simples supposent une connaissance rassemblée en causalité par une recherche rudimentaire. Quand les gens ne savaient pas comment chercher la relation de cause à effet, ils recherchaient une interprétation téléologique. Ils inventaient des divinités et des démons dont l'action intentionnelle devait expliquer certains phénomènes. Un dieu créait les éclairs et le tonnerre. Un autre dieu, mécontent de certains actes des hommes, tuait les offenseurs en envoyaient des flèches. Le mauvais oeil d'une sorcière rendait les femmes stériles et empêchaient les vaches de donner du lait. De telles croyances ont généré des méthodes d'action spécifiques. Un comportement plaisant à la divinité, l'offrande de sacrifices et la prière étaient considérés comme des moyens adéquats pour apaiser la colère de la divinité et pour détourner sa vengeance ; des rites magiques étaient employés afin de neutraliser la sorcellerie. Les gens ont lentement appris que les événements météorologiques, les maladies et la propagation de la peste étaient des phénomènes naturels et que les paratonnerres et les agents antiseptiques constituaient des protections efficaces alors que les rites magiques étaient sans effet. Ce ne fut qu'à l'époque moderne que les sciences de la nature remplacèrent dans tous leurs champs d'application le finalisme par la recherche causale.

Les merveilleuses réalisations des sciences expérimentales de la nature ont entraîné l'émergence d'une doctrine matérialiste métaphysique, le positivisme. Celui-ci nie catégoriquement qu'il y ait un seul domaine de recherche qui soit ouvert à la recherche téléologique. Les méthodes expérimentales des sciences de la nature seraient les seules méthodes adéquates pour tout type de recherche. Elles seules seraient scientifiques, tandis que les méthodes traditionnelles des sciences de l'action humaine seraient métaphysiques, c'est-à-dire, dans la terminologie du positivisme, superstitieuses et erronées. Le positivisme enseigne que le rôle de la science serait exclusivement de décrire et d'interpréter l'expérience sensorielle. Il rejette l'introspection de la psychologie tout comme l'ensemble des disciplines historiques. Il est particulièrement virulent dans sa condamnation de l'économie. Auguste Comte, en aucun cas le fondateur du positivisme mais celui qui lui a trouvé son nom, suggérait de remplacer les méthodes traditionnelles d'étude de l'action humaine par une nouvelle branche de la science, la sociologie. La sociologie devait être une physique sociale, bâtie sur le modèle épistémologique de la mécanique newtonienne. Le projet était si creux et si peu réaliste qu'aucune tentative sérieuse de l'accomplir ne fut entreprise. La première génération des partisans de Comte se tourna à la place vers ce qu'ils croyaient être l'interprétation biologique et organique des phénomènes sociaux. Ils se laissaient aller librement à un langage métaphorique et discutaient assez sérieusement de problèmes comme celui de savoir si le "corps" social devait être classé parmi les "substances intercellulaires". Quand l'absurdité de ce biologisme et de cet organicisme devint évidente, les sociologues abandonnèrent totalement les ambitieuses prétentions de Comte. Il n'était plus question de découvrir les lois a posteriori du changement social. Diverses études historiques, ethnographique et psychologiques furent placées sous l'étiquette de la sociologie. Beaucoup de ces publications étaient un travail de dilettante et étaient confuses ; certaines étaient des contributions acceptables aux divers domaines de la recherche scientifique. Sans aucune valeur, d'un autre côté, étaient les écrits de ceux qui appelaient sociologie leurs épanchements arbitraires et métaphysiques sur la signification et la fin abstruses du processus historique qu'on appelait auparavant philosophie de l'Histoire. Émile Durkheim et son école firent ainsi revivre sous l'appellation d'esprit de groupe le vieux spectre du romantisme et de l'École historique allemande du droit, le Volksgeist.

Malgré cet échec manifeste du programme positiviste, un mouvement néopositiviste est né. Il répète avec obstination tous les sophismes de Comte. La motivation qui inspire ces auteurs est la même que celle de Comte. Ils sont poussés par une aversion particulière envers l'économie de marché et son corollaire politique : le gouvernement représentatif, la liberté de pensée, de parole et de la presse. Ils désirent le totalitarisme, la dictature et l'oppression impitoyable pour tous les dissidents, considérant bien entendu comme acquis qu'ils seront investis eux-mêmes ou leurs amis intimes du poste suprême et du pouvoir de faire taire tous les opposants. Comte préconisait sans honte la suppression de toutes les doctrines qu'il n'aimait pas. Le champion le plus ostentatoire du programme néopositiviste dans le domaine des sciences de l'action humaine était Otto Neurath, qui fut, en 1919, l'un des dirigeants éminents de l'éphémère Soviet de Munich et qui collabora plus tard brièvement à Moscou avec la bureaucratie bolchevique [1]. Sachant qu'ils ne pourraient pas avancer le moindre argument valable pour répondre à la critique de leurs projets faite par les économistes, ces communistes passionnés essayent de discréditer l'économie dans son ensemble sur des bases épistémologiques. [*]

Les deux principaux types d'attaque des néopositivistes à l'encontre de l'économie sont le panphysicalisme et le béhaviorisme. Les deux prétendent remplacer par un traitement purement causal de l'action humaine le traitement téléologique, non scientifique selon eux.

Le panphysicalisme enseigne que les procédures de la physique sont les seules méthodes scientifiques pour toutes les branches de la science. Il nie qu'il existe la moindre différence essentielle entre les sciences de la nature et les sciences de l'action humaine. Ce refus explique le slogan des panphysicalistes : "la science unifiée". L'expérience des sens, qui transmet à l'homme ses informations sur les événements physiques, lui fournirait aussi toute l'information concernant le comportement de ses semblables. L'étude de la manière dont ses semblables réagissent aux divers stimuli ne diffèrerait pas fondamentalement de l'étude de la manière dont réagissent les objets. Le langage de la physique serait le langage universel de toutes les branches de la connaissance, sans exception. Ce qui ne peut être expliqué dans le langage de la physique serait un non sens métaphysique. Ce serait une prétention arrogante de l'homme qui lui ferait croire que son rôle dans l'univers serait différent de celui des autres objets. Aux yeux du scientifique toutes les choses seraient égales. Toute discussion sur la conscience, la volonté et poursuivant des fins serait vide. L'homme serait juste un des éléments de l'univers. La science appliquée de la physique sociale, l'ingénierie sociale, pourrait ainsi étudier l'homme de la même manière que la technologie étudie le cuivre et l'hydrogène.

Le panphysicaliste peut admettre au moins une différence essentielle entre l'homme et les objets de la physique. Les pierres et les atomes ne réfléchissent pas sur leur nature, leur propriétés et leur comportement, ni sur celles de l'homme. Elles ne construisent rien pour elles ou pour l'homme. L'homme est au moins différent d'elles dans la mesure où il est physicien et ingénieur. Il est difficile de concevoir comment l'on pourrait parler des activités d'un ingénieur sans comprendre qu'il choisit entre diverses possibilités et qu'il est décidé à atteindre des objectifs déterminés. Pourquoi construit-il un pont plutôt qu'un ferry ? Pourquoi construit-il un pont ayant une capacité de dix tonnes et un autre ayant une capacité de vingt tonnes ? Pourquoi cherche-t-il à construire des ponts qui ne s'écroulent pas ? Ou est-ce seulement un hasard que la plupart des ponts ne n'écroulent pas ? Si l'on élimine de l'étude de l'action humaine la notion de poursuite consciente d'objectifs déterminés, on doit la remplacer par l'idée — réellement métaphysique — qu'une certaine force suprahumaine conduit les hommes, indépendamment de leur volonté, vers un but prédestiné : ce qui a mis en mouvement le constructeur de ponts, c'est le plan préétabli du Geist ou les forces productives matérielles que les hommes sont obligés de suivre.

Dire que l'homme réagit à des stimuli et s'adapte aux conditions de son environnement ne nous donne pas une réponse satisfaisante. Au stimulus offert par la Manche, certaines personnes ont réagi en restant à la maison ; d'autres l'on traversée sur des canots, des bateaux à voiles, des paquebots ou à l'époque moderne tout simplement à la nage. Certains l'ont survolé en avion ; d'autres ont faits des projets de tunnel pour passer dessous. Il est vain d'attribuer les différences de réaction aux différences des circonstances concomitantes, comme l'état de la connaissance technique et l'offre de travail et de biens du capital. Ces autres conditions ont également une origine humaine et ne peuvent être expliquées que par des méthodes téléologiques.

L'approche du béhaviorisme est à certains égards différente de celle du panphysicalisme mais lui ressemble dans sa tentative sans espoir d'étudier l'action humaine sans faire référence à la conscience et la poursuite de fins. Il fonde son raisonnement sur le slogan de "l'adaptation". Comme tout autre être vivant, l'homme s'adapte aux conditions de son environnement. Mais le béhaviorisme n'arrive pas à expliquer pourquoi des personnes différentes s'adaptent différemment aux mêmes conditions. Pourquoi certains individus s'enfuient-ils devant une agression violente alors que d'autres y résistent ? Pourquoi les peuples de l'Europe occidentale se sont-ils adaptés à la rareté de toutes les choses dont dépend le bien-être humain d'une façon totalement différente de celle des Orientaux ?

Le béhaviorisme propose d'étudier le comportement humain selon les méthodes développées par la psychologie des animaux et des enfants. Il cherche à étudier les réflexes et les instincts, les automatismes et les réactions inconscientes. Mais il ne nous a rien dit sur les réflexes qui auraient construit les cathédrales, les chemins de fer et les châteaux forts, sur les instincts qui auraient produits les philosophies, les poèmes et les systèmes juridiques, sur les automatismes qui auraient abouti à la croissance et au déclin des empires, sur les réactions inconscientes qui réalisent la fission des atomes. Le béhaviorisme veut observer le comportement humain de l'extérieur et l'étudier comme une simple réaction à une situation donnée. Il évite de façon pointilleuse toute référence au sens et au but. Une situation ne peut toutefois pas être décrite sans analyser la signification que l'homme étudié y trouve. Si l'on évite de traiter de cette signification, on néglige le facteur essentiel déterminant de façon catégorique le mode de réaction. Cette réaction n'est pas automatique mais dépend entièrement de l'interprétation et des jugements de valeur de l'individu, qui cherche à créer, si possible, une situation qu'il préfère à l'état qui prévaudrait s'il n'agissait pas. Imaginez un béhavioriste décrivant la situation résultant d'une proposition de vente sans faire allusion au sens que chaque agent y attache !

En réalité, le béhaviorisme éliminerait l'étude de l'action humaine et y substituerait la physiologie. Les béhavioristes n'ont jamais réussi à rendre claire la différence entre physiologie et béhaviorisme. Watson a déclaré que la physiologie s'intéresse "tout particulièrement au fonctionnement des parties d'un animal [...], le béhaviorisme, d'un autre côté, s'il s'intéresse très fortement à tous les fonctionnements de ces diverses parties, s'intéresse essentiellement à ce que fera l'animal dans son ensemble." [2] Toutefois, des phénomènes physiologiques comme la résistance du corps à l'infection ou la croissance et le vieillissement d'un individu ne peuvent certainement pas être appeler un comportement des parties. D'autre part, si l'on veut qualifier un geste comme le mouvement d'un bras (pour faire la grève ou pour caresser) de comportement de la totalité de l'homme, la seule idée qui le justifie est qu'un tel geste ne peut pas être imputé à une quelconque partie séparée de l'être. Mais à quoi peut-on alors l'imputer si ce n'est au sens et à l'intention de l'agent ou à cette chose sans nom dont le sens et l'intention découlent ? Le béhaviorisme affirme qu'il veut prédire le comportement humain. Mais il est impossible de prédire la réaction d'un homme abordé par un autre avec les mots "espèce de rat" sans faire référence au sens que l'homme auquel ils sont adressés attache à cette expression [**].

Les deux types de positivisme refusent de reconnaître le fait que les hommes poursuivent intentionnellement des fins précises. Selon eux, tous les événements doivent être interprétés dans la relation entre un stimulus et une réponse et il n'y a pas de place pour une recherche de causes finales. En réponse à ce dogmatisme rigide, il est nécessaire de souligner que le rejet du finalisme dans l'étude des événements situés hors de la sphère de l'action humaine ne s'impose à la science qu'en raison de l'insuffisance de la raison humaine. Les sciences de la nature doivent s'abstenir de traiter des causes finales parce qu'elles sont incapables de les découvrir et non parce qu'elles peuvent prouver qu'il n'y en aurait pas. La connaissance de l'interconnexion de tous les phénomènes et de la régularité dans leur succession et dans leur enchaînement, et le fait que la recherche causale ait réussi et élargi la connaissance humaine, ne permettent pas d'éliminer de manière péremptoire l'hypothèse qu'il y ait des causes finales à l'oeuvre dans l'univers. La raison pour laquelle les sciences de la nature négligent les causes finales et se préoccupent exclusivement de la recherche de causalités est que cette dernière méthode marche. Les dispositifs conçus d'après les théories scientifiques fonctionnent comme les théories l'avaient prédit et fournissent ainsi une vérification pragmatique de leur exactitude. Au contraire, les moyens magiques n'ont pas répondu aux attentes et ne témoignent pas en faveur d'une vision magique du monde.

Il est évident qu'il est également impossible de démontrer de manière satisfaisante par la ratiocination que l'alter ego est un être qui poursuit intentionnellement des buts. Mais la même preuve pragmatique qui peut être donnée en faveur de l'usage exclusif de la recherche causale dans le champ de la nature peut être avancée en faveur de l'usage exclusif des méthodes téléologiques dans le domaine de l'action humaine. Cela marche, alors que l'idée d'étudier les hommes comme s'ils étaient des pierres ou des souris ne marche pas. Cela marche non seulement pour la recherche de la connaissance et des théories, mais également dans la pratique quotidienne.

Le positiviste arrive à son point de vue subrepticement. Il dénie à ses semblables la faculté de choisir des fins et les moyens d'y parvenir, mais revendique en même temps pour lui-même la capacité de choisir consciemment entre les diverses méthodes de procédure scientifique. Il change de terrain dès qu'il s'agit de problèmes d'ingénierie, qu'elle soit technique ou "sociale". Il conçoit des projets et des politiques qui ne peuvent pas être interprétés comme de simples réactions automatiques à des stimuli. Il veut priver tous ses semblables du droit d'agir afin de se réserver ce privilège, pour lui et pour lui seul. En fait, c'est un dictateur.

Selon ce que nous explique le béhavioriste, l'homme peut être imaginé comme "une machine organique assemblée et prête à marcher" [3]. Il écarte le fait qu'alors que les machines marchent comme le veulent l'ingénieur et l'opérateur, les hommes marchent ici et là spontanément. "A la naissance les enfants de l'homme, quelle que soit leur hérédité, sont aussi égaux que des automobiles Ford." [4] En partant de cette erreur manifeste, le béhavioriste propose de diriger la "Ford humaine" de la façon dont un automobiliste conduit sa voiture. Il agit comme s'il possédait l'humanité et était appelé à la contrôler et à la façonner selon ses propres desseins. Car il serait, lui, au-dessus des lois, chef de l'humanité envoyé par Dieu [5].

Aussi longtemps que le positivisme n'explique pas les philosophies et les théories, les plans et les politiques qui en découlent, selon son schéma stimulus-réponse, il se détruit lui-même.

2. Le dogme collectiviste

La philosophie collectiviste moderne est une vulgaire descendante de la vieille doctrine du réalisme conceptuel. Elle a rompu avec l'antagonisme philosophique général entre réalisme et nominalisme et ne prête quasiment aucune attention au conflit continuel entre les deux écoles. C'est une doctrine politique et elle emploie en tant que telle une terminologie sensiblement différente de celle utilisée lors des débats scolastiques sur les universaux tout autant que de celle du néoréalisme contemporain. Mais le noyau de ses enseignements ne diffère pas de celui des réalistes du moyen âge. Elle attribue aux universaux une existence objective réelle, et même une existence supérieure à celle des individus, voire, en niant catégoriquement l'existence autonome des individus, la seule existence réelle.

Ce qui distingue le collectivisme du réalisme conceptuel tel qu'il est enseigné par les philosophes n'est pas sa méthode d'approche mais les tendances politiques implicites. Le collectivisme transforme la doctrine épistémologique en revendication éthique. Il dit aux gens ce qu'ils devraient faire. Il établit une distinction entre la véritable entité collective à laquelle les gens devraient montrer leur loyauté et des pseudo entités fallacieuses dont elles ne devraient pas se soucier du tout. Il n'existe pas d'idéologie collectiviste uniforme mais de nombreuses doctrines collectivistes. Chacune d'elles chante les louanges d'une entité collectiviste différente et demande à tous les gens biens de s'y soumettre. Chaque secte révère son idole et est intolérante vis-à-vis de toutes les idoles rivales. Toutes ordonnent la soumission totale de l'individu, toutes sont totalitaires.

Le caractère particulier des diverses doctrines collectivistes peut facilement être ignoré parce qu'il part habituellement d'une opposition entre la société en général d'une part et les individus d'autre part. Dans cette opposition il n'apparaît qu'un seul collectif regroupant tous les individus. Il ne peut donc y avoir aucune rivalité entre plusieurs entités collectives. Mais dans le cours ultérieur de l'analyse un collectif particulier remplace subrepticement l'image d'ensemble d'une grande société unique.

Examinons tout d'abord le concept de société en général. Les hommes coopèrent les uns avec les autres. La totalité des rapports entre les hommes engendrés par cette coopération est appelée société. La société n'est pas une entité en elle-même. C'est un aspect de l'action humaine. Elle n'existe pas et ne vit pas en dehors du comportement des gens. C'est une orientation de l'action humaine. La société ne pense pas et n'agit pas. Les individus, en pensant et en agissant, constituent un ensemble de rapports et de faits qu'on qualifie de sociaux.

La question a été embrouillée par une métaphore arithmétique. La société n'est-elle, demandent les gens, qu'une somme d'individus, ou est-elle plus que cela et donc une entité possédant une réalité indépendante ? La question n'a pas de sens. La société n'est ni la somme des individus ni plus ou moins que cette somme. Les concepts arithmétiques ne peuvent pas être appliqués à ce sujet.

Une autre confusion survient de la question tout aussi creuse de savoir si la société serait ou non — logiquement et chronologiquement — antérieure aux individus. L'évolution de la société et celle de la civilisation ne constituèrent pas deux processus distincts mais un seul et même processus. Le mouvement biologique d'une espèce de primate dépassant le stade d'une simple existence animale et sa transformation en hommes primitifs supposaient déjà le développement des premiers rudiments de coopération sociale. L'Homo Sapiens n'apparut pas sur la scène des événements terrestres en tant que chercheur de nourriture solitaire, ni comme membre d'une bande grégaire, mais comme être coopérant consciemment avec les autres êtres de son espèce. Ce n'est qu'en coopération avec ses semblables qu'il put développer le langage, outil indispensable à la pensée. Nous ne pouvons même pas imaginer un être raisonnable vivant en parfait isolement et ne coopérant pas au moins avec les membres de sa famille, de son clan, de sa tribu. L'homme et tant qu'homme est nécessairement un animal social. Un certain type de coopération est un trait caractéristique de sa nature. Mais avoir conscience de ce fait ne justifie pas d'étudier les rapports sociaux comme s'ils étaient quelque chose d'autre que des rapports ou la société comme si elle était une entité indépendante extérieure ou située au-dessus des actions des individus.

Il y a enfin des interprétations erronées causées par la métaphore organiciste. Nous pouvons comparer la société à un organisme biologique. Le tertium comparationis est en réalité que la division du travail et la coopération existent entre les diverses parties d'un corps biologique comme elle existe entre les membres de la société. Mais l'évolution biologique qui a conduit à l'émergence de systèmes fonctionnels et structurels dans le corps des plantes et des animaux était un processus purement physiologique dans lequel on ne peut trouver aucune trace d'activité consciente de la part des cellules. De l'autre côté, la société humaine est un phénomène intellectuel et spirituel. En coopérant avec ses semblables, les individus ne se dépouillent pas de leur individualité. Ils conservent le pouvoir d'agir de manière antisociale et font souvent usage de cette possibilité. La place de chaque cellule dans la structure du corps lui est toujours attribuée. Mais les individus choisissent spontanément la façon dont ils s'intègrent au sein de la coopération sociale. Les hommes ont des idées et poursuivent des fins qu'ils ont choisies, tandis que les cellules et les organes du corps n'ont pas une telle autonomie.

La psychologie de la Gestalt rejette avec passion la doctrine psychologique de l'associationnisme. Elle tourne en ridicule l'idée d'une "mosaïque sensorielle que personne n'a jamais observée" et enseigne que "l'analyse, si elle veut révéler l'univers dans sa totalité, doit s'arrêter aux touts, quelle que soit leur taille, qui possèdent une réalité fonctionnelle." [6] Quoi qu'on puisse penser de la psychologie de la Gestalt, il est évident qu'elle n'a aucun lien avec les problèmes de la société. Il est clair que personne n'a jamais étudié la société comme un tout. Ce qui peut être étudié, ce sont toujours les actions d'individus. C'est en interprétant les divers aspects des actions de l'individu que les théoriciens ont développé le concept de société. Il ne peut pas être le moins du monde question de comprendre "les propriétés des parties à partir des propriétés du tout." [7] Ils n'y a pas de propriétés de la société qu'il serait impossible de découvrir dans le comportement de ses membres.

En opposant la société et les individus et en niant à ces derniers toute "véritable" réalité, les doctrines collectivistes considère l'individu comme un simple rebelle réfractaire. Ce malheureux pécheur aurait l'impudence de donner sa préférence à ses petits intérêts égoïstes face aux sublimes intérêts de la grande société divine. Bien entendu, le collectiviste n'attribue cette éminence qu'à la seule idole sociale légitime et à aucune autre de ses prétendantes.

Mais qui est le Prétendant, et qui est le Roi,
Dieu nous bénisse tous — c'est une tout autre chose. [***]

Quand le collectiviste chante les louanges de l'État, ce dont il parle n'est pas n'importe quel État mais uniquement le régime qu'il approuve, que cet État légitime existe déjà ou qu'il reste à créer. Pour les irrédentistes tchèques de l'ancienne Autriche et pour les irrédentistes irlandais du Royaume-Uni, les États dont les gouvernements siégeaient à Vienne et à Londres étaient des usurpateurs : leur État légitime n'existait pas encore. La terminologie des marxistes est particulièrement remarquable. Marx était profondément hostile à l'État prussien des Hohenzollern. Pour bien faire comprendre que l'État qu'il voulait voir omnipotent et totalitaire n'était pas celui dont les dirigeants se trouvaient à Berlin, il appela le futur État de son programme société et non État. La nouveauté ne concernait que le vocabulaire. Car ce que Marx recherchait, c'était d'abolir toute sphère réservée à l'initiative de l'action individuelle en transférant le contrôle de toutes les activités économiques à l'appareil social de contrainte et de répression qu'on appelle habituellement État ou gouvernement. Cette astuce réussit à tromper beaucoup de monde. Car même aujourd'hui il y a encore des dupes qui pensent qu'il existe une différence entre le socialisme d'État et les autres types de socialisme.

La confusion entre les concepts de société et d'État a commencé avec Hegel et Schelling. On a pris l'habitude de distinguer deux écoles d'hégéliens : le courant de gauche et le courant de droite. La distinction ne porte que sur l'attitude de ces auteurs vis-à-vis du royaume de Prusse et des doctrines de l'Église prussienne. Le credo politique des deux courants est essentiellement le même. Les deux préconisent un gouvernement omnipotent. C'est un hégélien de gauche, Ferdinand Lassalle, qui a le plus clairement exprimé la thèse fondamentale de l'hégélianisme. : "L'État, c'est Dieu." [8] Hegel lui-même avait été un peu plus prudent. Il déclarait seulement que c'était "la marque de Dieu dans le monde qui constituait l'État" et qu'en étudiant l'État il fallait contempler "l'Idée, Dieu incarné sur Terre." [9]

Les philosophes collectivistes n'arrivent pas à comprendre que ce qui constitue l'État, ce sont les actions des individus. Les législateurs, ceux qui font appliquer les lois par la force des armes, ceux qui se plient aux ordres donnés par les lois, ainsi que la police, créent l'État par leur comportement. Ce n'est que dans ce sens que l'État possède une réalité. Il n'y a pas d'État en dehors de telles actions de la part des individus.

3. Le concept de sciences sociales

La philosophie collectiviste nie qu'il y ait des choses comme les individus et les actions des individus. L'individu ne serait qu'un fantôme sans existence réelle, une image illusoire inventée par la pseudo-philosophie des apologistes du capitalisme. Le collectivisme rejette par conséquent l'idée d'une science de l'action humaine. Selon lui, le seul traitement légitime des problèmes qui ne sont pas étudiés par les sciences de la nature traditionnelles nous est fourni par ce qu'ils appellent les sciences sociales.

Les sciences sociales sont supposées traiter des activités de groupe. L'individu n'a d'importance dans ce contexte que comme membre d'un groupe [10]. Or cette définition suppose implicitement qu'il y ait aussi des actions dans lesquelles l'individu n'agit pas comme membre d'un groupe et qui par conséquent n'intéresseraient pas les sciences sociales. S'il en est ainsi, il est évident que les sciences sociales ne traitent que d'une partie arbitrairement choisie de la totalité du domaine de l'action humaine.

En agissant, l'homme doit nécessairement choisir entre divers modes d'action possibles. En limitant leur analyse à une seule catégorie d'actions, les sciences sociales renoncent à l'avance à étudier les idées qui déterminent le choix d'un mode de conduite par l'individu. Elles ne peuvent pas traiter des jugements de valeur qui, dans toute situation, font préférer à un homme une action comme membre d'un groupe à une action différente. Elles ne peuvent pas non plus traiter des jugements de valeur qui poussent un homme à agir comme membre du groupe A plutôt que comme membre d'un des groupes autres que A.

L'homme n'appartient pas qu'à un seul groupe et n'apparaît pas sur la scène des relations humaines que comme membre d'un groupe unique bien déterminé. En parlant des groupes sociaux il faut se souvenir que les membres de chaque groupe sont en même temps membres d'autres groupes. Les conflits de groupes ne sont pas des conflits entre des bandes de personnes parfaitement intégrées. Ce sont des conflits entre divers intérêts dans les têtes des individus.

Ce qui constitue l'appartenance à un groupe est la manière dont un homme agit dans une situation concrète. Cette appartenance n'est donc pas quelque chose de rigide et d'immuable. Elle peut changer d'un cas à l'autre. Le même homme peut accomplir le même jour des actions dont chacune l'identifie comme membre d'un groupe différent. Il peut donner à son Église et voter pour un candidat qui s'oppose à sa religion sur des questions essentielles. Il peut agir à un moment comme membre d'un syndicat, à un autre comme membre d'une communauté religieuse, à un autre comme membre d'un parti politique, à un autre comme membre d'un groupe linguistique ou racial, etc. Ou alors il peut agir comme individu travaillant pour gagner plus d'argent, pour envoyer son fils à l'université, pour acheter une maison, une voiture ou un réfrigérateur. Il agit en réalité toujours comme individu, sans cesse à la poursuite de ses propres fins. En rejoignant un groupe et en agissant comme membre de ce groupe, il vise tout autant à réaliser ses propres désirs que lorsqu'il agit sans rapport avec un quelconque groupe. Il peut rejoindre une communauté religieuse afin de chercher le salut de son âme et trouver la tranquillité d'esprit. Il peut s'affilier à un syndicat parce qu'il croit qu'il s'agit de la meilleure façon d'obtenir une paie plus élevée ou d'éviter d'être physiquement blessé par les membres du syndicat. Il peut adhérer à un parti politique parce qu'il espère que l'application de son programme améliorera sa situation et celle de sa famille.

Il est vain d'étudier "les activités de l'individu en tant que membre d'un groupe" [11] tout en omettant les autres activités de l'individu. Les activités de groupe sont fondamentalement et nécessairement les activités des individus qui forment le groupe et qui veulent atteindre leurs fins. Il n'y a pas de phénomène social qui ne trouve son origine dans les activités de plusieurs individus. Ce qui crée l'activité d'un groupe est une fin précise que recherchent des individus et la conviction de ces individus que la coopération au sein de ce groupe est un moyen adéquat pour atteindre l'objectif voulu. Un groupe est le produit des désirs humains et des idées sur le moyen de les réaliser. Ses racines se trouvent dans les jugements de valeur des individus et dans les opinions qu'ils se font des effets à attendre de certains moyens.

Pour étudier des groupes sociaux de manière appropriée et complète, il faut partir des actions des individus. Aucune activité de groupe ne peut être comprise sans analyser l'idéologie qui réunit le groupe, qui le fait vivre et fonctionner. L'idée de traiter des activités de groupe sans traiter tous les aspects de l'action humaine est ridicule. Il n'y a pas de domaine distinct de celui des sciences de l'action humaine qui pourrait être étudié par quelque chose que l'on appellerait sciences sociales.

Ce qui poussait ceux qui proposaient de substituer les sciences sociales aux sciences de l'action humaine était, bien sûr, un programme politique bien précis. A leurs yeux les sciences sociales avaient pour but d'effacer la philosophie sociale de l'individualisme. Les champions des sciences sociales ont inventé et popularisé la terminologie qui caractérise l'économie de marché, dans laquelle chacun cherche à réaliser son propre plan, comme système sans plan et par conséquent chaotique et qui réserve le terme de "plan" aux projets d'une force qui, soutenue par le pouvoir de police du gouvernement ou identique à celui-ci, empêche les citoyens de réaliser leurs propres plans et leurs propres projets. On n'accordera jamais trop d'importance au rôle que l'association d'idées créée par cette terminologie a joué dans la formation des principes politiques de nos contemporains.

4. La nature du phénomène de masse

Certains croient que l'objet des sciences sociales serait d'étudier les phénomènes de masse. Alors que l'étude des traits individuels n'a pas d'intérêt particulier pour eux, ils espèrent que l'étude du comportement des agrégats sociaux donnera des informations de caractère véritablement scientifique. Le principal défaut des méthodes traditionnelles de la recherche historique est précisément, aux yeux de ces gens, qu'elles traitent des individus. Ils apprécient les statistiques, précisément parce qu'elles observent et enregistrent, d'après eux, le comportement des groupes sociaux.

Les statistiques enregistrent en réalité les traits individuels des membres de groupes arbitrairement sélectionnés. Quel qu'ait pu être le principe ayant déterminé le scientifique à choisir un groupe, les traits enregistrés se réfèrent en premier lieu aux individus formant le groupe et seulement de manière indirecte au groupe. Les membres individuels du groupe sont les unités d'observation. Ce que fournissent les statistiques, ce sont des information sur le comportement des individus formant un groupe.

Les statistiques modernes visent à découvrir des rapports immuables entre des grandeurs établies par la statistique grâce à la mesure de leurs corrélations. Cette méthode est absurde dans le domaine des sciences de l'action humaine. Ceci a été clairement démontré par le fait qu'on a trouvé de nombreux coefficients de corrélation élevés qui n'indiquaient à l'évidence aucun lien entre deux groupes de faits [12].

Les phénomènes sociaux et les phénomènes de masse ne sont pas quelque chose d'extérieur, situé au-dessus des phénomènes individuels. Ils ne sont pas la cause des phénomènes individuels. Ils sont produits par la coopération des individus ou par des actions parallèles. Ces dernières peuvent être soit indépendantes soit imitatives. Ceci vaut aussi en ce qui concerne les actions antisociales. Le meurtre intentionnel d'un homme par un autre est en tant que tel une simple action humaine et n'aurait pas d'autre intérêt dans un état hypothétique (et irréalisable) où il n'y aurait pas de coopération entre les hommes. Il devient un crime, un meurtre, dans une situation où la coopération sociale exclut l'homicide à l'exception de cas déterminés de manière stricte par les lois de la société.

Ce qu'on appelle habituellement un phénomène de masse est la répétition fréquente et la récurrence d'un phénomène individuel particulier. La proposition : "Le pain est en Occident un article de consommation de masse", signifie : "L'immense majorité des hommes mangent du pain tous les jours en Occident". Ils ne mangent pas du pain parce que c'est un article de consommation de masse. Le pain est un article de consommation de masse parce que presque tout le monde en mange quotidiennement un morceau. On peut apprécier de ce point de vue les tentatives de Gabriel Tarde pour décrire l'imitation et la répétition comme des facteurs fondamentaux de l'évolution sociale [13].

Les champions des sciences sociales critiquent les historiens parce que ces derniers concentrent leur attention sur les actions des individus et négligent le comportement du nombre, de l'immense majorité, des masses. La critique est erronée. Un historien qui traite de la diffusion de la foi chrétienne et des diverses sectes et Églises, des événements qui ont conduit à l'émergence de groupes linguistiques unifiés, de la colonisation européenne de l'Occident, de l'essor du capitalisme moderne, ne passe certainement pas à côté du comportement du plus grand nombre. Toutefois, le principal rôle de l'Histoire est d'indiquer la relation entre les actions des individus et le cours des affaires du monde. Des individus différents influencent le changement historique de manières différentes. Il y a les pionniers qui conçoivent des idées nouvelles et imaginent de nouveaux modes de pensée et d'action ; il y a les chefs qui guident la population sur le chemin que les gens veulent prendre, et il y a les masses anonymes qui suivent les chefs. Il ne peut être aucunement question d'écrire l'Histoire sans le nom des pionniers et des chefs. L'histoire du christianisme ne peut pas passer sous silence des hommes comme Saint Paul, Luther et Calvin, de même que l'histoire de l'Angleterre du dix-septième siècle ne peut pas ne pas analyser le rôle de Cromwell, Milton et Guillaume III. Attribuer les idées engendrant le changement historique au psychisme des masses est la manifestation d'un préjugé métaphysique arbitraire. Les innovations intellectuelles qu'Auguste Comte et Buckle ont à juste titre considérées comme le thème principal de l'étude historique ne viennent pas des masses. Les mouvements de masse ne sont pas suscités par d'anonymes riens du tout mais par des individus. Nous ne connaissons pas le nom des hommes qui ont accompli les plus grands exploits à l'aube de la civilisation Mais nous sommes certains que les innovations techniques et institutionnelles de ces époques lointaines, elles non plus, n'ont pas été le résultat d'une inspiration soudaine ayant frappé les masses mais l'oeuvre de certaines personnes qui dépassaient de loin leurs contemporains.

Il n'y a pas de psychisme des masses ni d'esprit des masses, uniquement des idées possédées et des actions accomplies par les nombreuses personnes qui se rangent aux avis des pionniers et des chefs et qui imitent leur comportement. Les foules et les masses n'agissent elles aussi que sous la direction de meneurs. Les hommes ordinaires qui constituent les masses se caractérisent par leur manque d'initiative. Ils ne sont pas passifs, ils agissent eux aussi, mais ils n'agissent qu'à l'instigation d'autrui.

L'importance accordée par les sociologues aux phénomènes de masse et leur idolâtrie de l'homme ordinaire sont une conséquence du mythe selon lequel tous les hommes seraient biologiquement égaux. Quelles que soient les différences entre les individus, elles seraient, affirme-t-on, causées par des circonstances postnatales. Si tous les gens jouissaient pareillement des bénéfices d'une bonne éducation, de telles différences n'apparaîtraient jamais. Les partisans de cette doctrines sont incapables d'expliquer les différences entre des élèves d'une même école et le fait que beaucoup d'autodidactes dépassent de loin les titulaires d'un doctorat, d'une maîtrise ou d'une licence des universités les plus prestigieuses. Ils ne comprennent pas que l'éducation ne peut pas transmettre aux élèves plus que la connaissance de leurs professeurs. L'éducation crée des disciples, des imitateurs, des adeptes de la routine, pas des pionniers aux idées nouvelles et des génies créateurs. Les écoles ne sont pas des pépinières du progrès et de l'amélioration mais des conservatoires de la tradition et des modes de pensée invariables. La marque de l'esprit créateur est de défier une partie ou la totalité de ce qu'il a appris, ou au moins d'y ajouter quelque chose de neuf. On se trompe totalement sur les exploits d'un pionnier en les réduisant à l'instruction qu'il a reçu de ses maîtres. Aussi efficace que puisse être la formation scolaire, elle n'engendrerait que la stagnation, l'orthodoxie et le pédantisme rigide s'il n'y avait pas des hommes extraordinaires allant au-delà de la sagesse de leurs précepteurs.

Il est difficilement possible de se tromper plus lourdement sur la signification de l'Histoire et de l'évolution de la civilisation qu'en concentrant son attention sur les phénomènes de masse et en négligeant les hommes individuels et leurs exploits. Aucun phénomène de masse ne peut être traité de manière adéquate sans analyser les idées sous-jacentes. Et aucune idée nouvelle ne surgit du mythique esprit des masses.

 

Notes

[*] On peut signaler que le propre frère de Ludwig von Mises, Richard von Mises (ingénieur en aéronautique, professeur à l'Université alors allemande de Strasbourg puis aux États-Unis) était un positiviste, membre du célèbre "Cercle de Vienne", et qu'il a même écrit des ouvrages sur le sujet. Quand Rothbard demanda à Ludwig von Mises ce qu'il pensait de l'ouvrage de son frère sur le positivisme, celui-ci répondit "Je suis en désaccord avec tout ce qui y est dit, de la première à la dernière phrase", le ton de la réponse n'invitant pas à poursuivre la discussion. Voir Ludwig von Mises : Scholar, Creator, Hero par Murray N. Rothbard, Ludwig von Mises Institute, 1988, p. 79 (note 34). NdT.

[**] D'après le dictionnaire, le terme anglais "rat" peut se traduire par rat, salaud, vache, mouchard, jaune ou lâcheur. NdT.

[***]

God bless the King, I mean the Faith's Defender.
God bless — no harm in blessing — the Pretender.
But who Pretender is, and who is King,
God bless us all — that's quite another thing

Soit 

Dieu bénisse le Roi, je parle du Défenseur de la Foi.
Dieu bénisse — il n'y a aucun mal à accorder sa bénédiction — le Prétendant.
Mais qui est le Prétendant, et qui est le Roi,
Dieu nous bénisse tous — c'est une tout autre chose

Mises ne cite que les deux dernier vers de ce toast jacobite de John Byrom (1692-1763), poète mineur et inventeur d'un système de sténographie ; à ne pas confondre avec Byron. NdT.

[1] Otto Neurath, "Foundations of the Social Sciences", International Encyclopedia of United Science, vol. 2, No. 1.

[2] John B. Watson, Behaviorism (New York, W.W. Norton, 1930), p. 11.

[3] Watson, p. 269.

[4] Horace M. Kallen, "Behaviorism", Encyclopedia of the Social Sciences, 2, p. 498.

[5] Karl Mannheim a développé un plan détaillé pour produire les "meilleurs" types humains possibles en réorganisant "délibérément" les divers groupes de facteurs sociaux. "Nous", c'est-à-dire Karl Mannheim et ses amis, déterminerons ce que réclament "le plus grand bien de la société et la tranquillité d'esprit de l'individu". Puis "nous" reconstruirons l'humanité. Car notre vocation est "l'orientation planifiée de la vie des gens". Manheim, Man in Society in an Age of Reconstruction (Londres, Routledge & Kegan Paul, 1940), p. 222. La chose la plus remarquable, à propos de ces idées est qu'elles étaient appelées démocratiques, libérales et progressistes dans les années 1930 et 1940. Joseph Goebbels était plus modeste que Mannheim en ce qu'il ne voulait reconstruire que le peuple allemand et non toute l'humanité. Mais dans son approche du problème il ne différait pas fondamentalement de Mannheim. Dans une lettre du 12 avril 1933, adressée à Wilhelm Furtwängler, il se référait au "nous" à qui l'on avait "confié la tâche pleine de responsabilités de fabriquer à partir du matériau brut que sont les masses la structure solide et bien formée de la nation (denen verantwortungsvolle Ausgabe anvertraut ist, aus dem rohen Stoff der Masse das feste und gestalhafte Gebilde des Volkes zu Formen)" Berta Geissmar, Musik im Schatten der Politik (Zurich, Atlantis Verlag, 1945), pp. 97-99. Malheureusement ni Mannheim ni Goebbels ne nous ont dit qui leur avait confié la tâche de reconstruire et de recréer les hommes.

[6] K. Koffka, "Gestalt", Encyclopedia of the Social Science, 6, 644.

[7] Ibid., p. 645.

[8] Gustav Meyer, Lassaleana, Archiv für Geschichte der Sozialismus, 1, p. 196.

[9] Hegel, Les principes de la philosophie du droit, sec. 258.

[10] E.R.A. Seligman, "What Are the Social Sciences ?" Encyclopedia of the Social Sciences, 1, p. 3.

[11] Seligman, loc. cit.

[12] M.R. Cohen et E. Nagel, An Introduction to Logic and Scientific Method (New York, Harcourt, Brace, 1934), p. 317.

[13] G. Tarde, Les lois de l'imitation, 3ème éd. Paris, 1900.


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