Le Libéralisme

Première édition allemande (sous le titre Liberalismus) en 1927

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

Annexe

 

1. La littérature du libéralisme

Afin que ce livre ne prenne pas de trop grandes proportions, j'ai dû être bref. Je m'estime d'autant plus justifié à l'avoir été que j'ai déjà traité à fond tous les problèmes fondamentaux du libéralisme dans une série d'ouvrages et d'essais détaillés.

Pour le lecteur qui désirerait acquérir une compréhension plus profonde de ces sujets, j'ajoute la compilation suivante des écrits les plus importants.

Les idées libérales se trouvent déjà dans les œuvres de nombreux auteurs anciens. Les grands penseurs anglais et écossais du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle furent les premiers à formuler ces idées sous la forme d'un système. Quiconque veut se familiariser avec l'esprit libéral doit reprendre leurs livres :

John Stuart Mill est un épigone du libéralisme classique qui fut plein de piteux compromis, particulièrement à la fin de sa vie et sous l'influence de sa femme. Il glissa progressivement vers le socialisme et est à l'origine de la confusion irréfléchie des idées libérales et socialistes qui conduisit au déclin du libéralisme anglais et à la diminution du niveau de vie de la population anglaise. Malgré cela — ou peut-être précisément à cause de cela — il convient de se familiariser avec les principaux écrits de Mill :

Sans une étude sérieuse de Mill, il est impossible de comprendre les événements qu'ont subis les deux dernières générations, car Mill est le grand défenseur du socialisme. Il a élaboré avec attention et amour tous les arguments pouvant être avancés en faveur du socialisme. Comparés à Mill, tous les autres auteurs — même Marx, Engels et Lassalle — ont bien peu d'importance.

Il est impossible de comprendre le libéralisme sans connaître l'économie, car le libéralisme est de l'économie appliquée : il constitue une ligne politique et sociale fondée sur une base scientifique. Sur ce sujet, outre les écrits déjà mentionnés, il convient de se familiariser avec le grand maître de l'économie classique :

Les meilleures introductions à l'étude de l'économie scientifique moderne sont :

Les chefs-d'œuvre en langue allemande de l'économie moderne sont :

Les deux principales contributions allemandes à la littérature libérale ont connu le même malheur que le libéralisme allemand. Essai sur les limites de l'action de l'Etat [On the Sphere and Duties of Government] (London, 1854) de Guillaume de Humboldt fut terminé en 1792. Schiller en publia la même année un extrait dans Neuen Thalia, d'autres extraits apparaissant dans le Berliner Monatsschrift.Par la suite, toutefois, l'éditeur de Humboldt eut peur de sortir le livre, qui fut laissé de côté et demeura oublié pour n'être redécouvert et publié qu'après la mort de l'auteur.

L'ouvrage d'Hermann Henrich Gossen, Entwicklung der Gesetze des menschlichen Verkehrs und der daraus. fliessenden Regein für menschliches Handeln trouva certes un éditeur, mais ne rencontra aucun lecteur à sa sortie, en 1854. Le livre et son auteur demeurèrent oubliés jusqu'à ce que l'Anglais Adamson tombât sur un exemplaire.

La pensée libérale imprègne la poésie classique allemande, par-dessus tout les œuvres de Goethe et de Schiller.

L'histoire du libéralisme politique en Allemagne est brève et marquée par de trop rares succès. L'Allemagne moderne — et ceci comprend les défenseurs de la Constitution de Weimar tout autant que ses adversaires — est un monde vivant à l'écart de l'esprit du libéralisme. Le peuple allemand ne sait plus ce qu'est le libéralisme mais il sait l'insulter. La haine du libéralisme est le seul point rassemblant les Allemands. Il faut signaler, parmi les écrits allemands récents sur le libéralisme, les ouvrages de Leopold von Wiese : Der Liberalismus in Vergangenheit und Zukunft (1917) ; Staatssozialismus (1916) ; et Freie Wirtschaft (1918).

Pas un souffle de l'esprit libéral n'a jamais atteint les peuples de l'Europe de l'Est.

Bien que l'esprit libéral soit en déclin même en Europe occidentale et aux États-Unis, on peut considérer ces nations comme libérales en comparaison des Allemands.

Parmi les auteurs anciens, il convient également de lire les Œuvres complètes de Frédéric Bastiat (Paris, 1855). Bastiat était un brillant styliste, de sorte que la lecture de ses écrits constitue un véritable plaisir. Étant données les fantastiques avancées de la théorie économique depuis sa mort, il n'est pas surprenant que ses enseignements soient aujourd'hui obsolètes. Cependant, sa critique de toutes les tendances protectionnistes et assimilables reste encore aujourd'hui pleinement valides. Les protectionnistes et les interventionnistes n'ont pas été en mesure d'avancer un seul argument pertinent et n'ont pu donner aucune réponse objective. Ils ont simplement continué à bégayer : Bastiat est « superficiel. »

En ce qui concerne les ouvrages politiques plus récents en langue anglaise, il ne faut pas oublier que le mot « libéralisme » a aujourd'hui souvent le sens de socialisme modéré. Une brève présentation du libéralisme est donné par l'Anglais L. T. Hobhouse dans Liberalism (1911), et par l'Américain Jacob H. Hollander dans Economic Liberalism (1925). Des introductions encore meilleures aux idées des libéraux anglais se trouvent dans :

On trouve une critique des politiques protectionnistes par Francis W. Hirst dans son ouvrage Safeguarding and Protection (1926).

Est également instructif le compte-rendu du débat public qui s'est tenu à New York le 23 janvier 1921 entre E. R. A. Seligmann et Scott Nearing sur le sujet : « Le capitalisme a plus à offrir aux travailleurs des États-Unis que le socialisme. »

Les ouvrages La Cité moderne de Jean Izoulet (première édition en 1890) et Community de R. M. MacIver (1924) constituent des introductions à la pensée sociologique.

L'histoire des idées économiques se trouve exposée par : Charles Gide et Charles Rist, Histoire des doctrines économiques (nombreuses éditions); Albert Schatz, L'individualisme économique et social (1907); et Paul Barth, Die Philosophie der Geschichte als Soziologie (nombreuses éditions).

Le rôle des partis politiques est traité par Walter Sulzbach dans Die Grundlagen der politischen Parteibildung (1921).

L'ouvrage Geschichte des deutschen Liberalismus (1911-1912, deux volumes) d'Oskar Klein- Hattingen constitue un essai sur l'histoire du libéralisme allemand, et Guido de Rugaiero a fait la même chose pour le libéralisme européen dans The History of European Liberalism (Oxford, 1927).

Pour finir, je citerai parmi mes propres ouvrages ceux qui sont en liaison étroite avec les problèmes du libéralisme :

2. A propos du terme « libéralisme »

Ceux qui ont l'habitude des écrits publiés ces dernières années sur le libéralisme vont peut-être m'objecter que ce qui est appelé libéralisme dans le présent ouvrage ne coïncide pas avec ce que l'on comprend habituellement sous ce terme dans la littérature politique contemporaine. Je suis loin de le nier. Au contraire, j'ai moi-même souligné que ce que l'on entendait sous le vocable « libéralisme » aujourd'hui, particulièrement en Allemagne, est totalement différent de ce que l'histoire des idées appelle « libéralisme » pour décrire le contenu du programme libéral des XVIIe et XVIIIe siècles. Presque tous ceux qui se prétendent de nos jours « libéraux » refusent de se prononcer en faveur de la propriété privée des moyens de production et défendent des mesures en partie socialistes et interventionnistes. Ils cherchent à justifier leur position en expliquant que l'essence du libéralisme ne consisterait pas à adhérer à l'institution de la propriété privée mais à d'autres choses, et que ces autres choses exigent un développement plus poussé du libéralisme, qui ne devrait plus dès lors défendre la propriété privée des moyens de production mais se faire à la place l'avocat du socialisme et de l'interventionnisme.

Ce que ces « autres choses » peuvent bien être, les pseudo-libéraux doivent encore nous l'expliquer. Nous les entendons beaucoup parler d'humanité, de magnanimité, de véritable liberté, etc. Il s'agit certainement de sentiments nobles et respectables que tout le monde approuvera immédiatement. En fait, toute idéologie y souscrit. Toute idéologie — hormis quelques courants de pensée cyniques — pense défendre l'humanité, la magnanimité, la véritable liberté, etc. Ce qui distingue une doctrine sociale d'une autre n'est pas l'objectif ultime du bonheur humain universel, qu'ils désirent tous, mais la façon dont ils cherchent à l'atteindre. Le trait caractéristique du libéralisme est de proposer d'arriver à cet objectif par la propriété privée des moyens de production.

Les questions de terminologie sont cependant, somme toute, secondaires. Ce qui compte n'est pas le nom mais la chose dont on parle. Aussi fanatiquement opposé à la propriété privée que l'on puisse être, on devra toutefois concéder au moins la possibilité que quelqu'un puisse la défendre. Et si l'on accepte ce point, on devra bien entendu donner un nom à ce courant de pensée. Il faudrait demander à ceux qui se prétendent aujourd'hui libéraux comment ils appelleraient l'idéologie qui défend la préservation de la propriété privée des moyens de production. Peut-être répondront-ils qu'ils souhaitent l'appeler « manchesterisme ». Ce terme a été initialement créé avec une connotation de dérision et d'insulte. Néanmoins, cela n'empêcherait pas de l'employer pour désigner l'idéologie libérale si ce n'était que l'expression a toujours été utilisée jusqu'ici pour marquer le programme économique plutôt que le programme général du libéralisme.

Il faut en tout cas donner un nom au courant de pensée défendant la propriété privée des moyens de production. Le mieux est de s'en tenir au terme traditionnel. Il n'est source de confusion que si l'on suit le nouvel usage, qui autorise même les protectionnistes, les socialistes et les bellicistes à se présenter comme « libéraux » quand ça les arrange.

On pourrait aussi se demander si, en vue de diffuser plus largement des idées libérales, il ne faudrait pas trouver un nouveau nom à l'idéologie libérale, de sorte que les préjugés développés à son encontre, particulièrement en Allemagne, ne constituent pas un handicap. Une telle proposition partirait de bonnes intentions mais serait totalement opposée à l'esprit du libéralisme. Tout comme ce dernier doit, par nécessité interne, rester à l'écart de toute ruse de pure propagande et éviter tous les moyens qu'utilisent les autres mouvements pour faire accepter leurs idées, il faut aussi éviter d'abandonner cet ancien nom pour la simple raison qu'il est impopulaire. C'est précisément parce que le terme « libéral » a une connotation défavorable en Allemagne que le libéralisme doit le conserver. L'important n'est pas de rendre la pensée libérale plus facilement acceptable par tout le monde, mais de convertir les gens au libéralisme, de les faire penser et agir comme des libéraux.

Une deuxième objection pouvant être levée à l'encontre de la terminologie en usage dans le présent ouvrage consiste à dire que le libéralisme et la démocratie ne sont pas considérés ici comme étant en opposition. De nos jours, en Allemagne, le « libéralisme » indique souvent la doctrine qui soutient l'idée d'une monarchie constitutionnelle, et la « démocratie » signifie le soutien à l'idéal politique de la république parlementaire. Même sur le plan historique, cette conception est totalement indéfendable. C'est la république parlementaire et non la monarchie constitutionnelle pour laquelle le libéralisme s'est battu. Sa défaite à cet égard consista précisément en ce que l'Empire allemand et l'Autriche ne réussirent qu'à créer une monarchie constitutionnelle. Le triomphe des antilibéraux vient de ce que le Reichstag allemand était si faible qu'il peut être qualifié, si l'on veut être précis et non poli, de « club de bavards ». Le dirigeant du parti conservateur qui affirmait qu'un lieutenant et douze hommes suffiraient à dissoudre le Reichstag disait la vérité.

Le libéralisme est le concept le plus général. C'est une idéologie qui embrasse toute la vie sociale. L'idéologie de la démocratie ne comprend que les aspects sociaux qui relèvent de la constitution de l'État. La raison pour laquelle le libéralisme exige la démocratie comme corollaire politique a été démontrée dans la première partie de l'ouvrage. Montrer pourquoi tous les mouvements antilibéraux, socialisme compris, doivent être antidémocratiques est le but des recherches voulant analyser de manière approfondie la nature de ces idéologies. En ce qui concerne le socialisme, j'ai essayé de le faire dans le livre qui porte ce titre.

Il est facile à un Allemand de s'égarer, car il pense toujours en ayant à l'esprit les libéraux-nationaux et les sociaux-démocrates. Les libéraux nationaux ne furent jamais, même à l'origine, un parti libéral — tout au moins sur les questions de droit constitutionnel. Ils constituaient ce courant du vieux parti libéral qui a toujours expliqué qu'il prenait en compte « les faits tels qu'ils sont réellement », c'est-à-dire qu'il considérait comme certaine la défaite du libéralisme dans son conflit constitutionnel prussien contre les adversaires de la « Droite » (Bismarck) et de la « Gauche » (les partisans de Lasalle). Les sociaux-démocrates n'étaient démocrates que tant qu'ils n'étaient pas au pouvoir, c'est-à-dire tant qu'ils ne se sentaient pas assez puissants pour éliminer leurs adversaires par la force. Dès qu'ils s'estimèrent les plus forts, ils se déclarèrent partisans de la dictature — comme leurs auteurs l'avaient toujours recommandé. Ce n'est qu'après avoir subi des défaites sanglantes face aux bandes armées des partis de droite qu'ils se sont à nouveau déclarés en faveur de la démocratie « jusqu'à nouvel ordre ». Leurs penseurs l'expliquèrent en ces termes : « Au sein des partis sociaux-démocrates, le courant en faveur de la démocratie a triomphé sur celui préconisant la dictature. » Bien entendu, seul un parti qui défend les institutions démocratiques en toutes circonstances — même s'il est le plus fort et qu'il est au pouvoir — peut être qualifié de démocratique.


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