Le Libéralisme

Première édition allemande (sous le titre Liberalismus) en 1927

Traduction française parue dans Les essais : Cahiers trimestriels.
(Contributions à la nouvelle pensée économique) pp. 47-157, 1964-195. Paris — L'imprimerie du Delta

par Ludwig von Mises

2. Les conditions du libéralisme


1. L'organisation de l'économie

On peut se représenter de différentes manières le concours qu'apportent les individus à une société fondée sur la division du travail. Nous pouvons distinguer cinq systèmes d'organisation sociale : le système de la propriété privée des moyens de production (qui, dans sa forme évoluée, s'appelle le capitalisme), le système de la propriété privée des moyens de production avec confiscation périodique et nouveau partage des biens, le système du syndicalisme, le système de la propriété collective des moyens de production connu sous le nom de socialisme ou de communisme, et enfin le système de l'interventionnisme.

L'histoire du système de la propriété privée des moyens de production coïncide avec l'histoire du passage de l'humanité de l'état bestial à la civilisation moderne. Les adversaires de la propriété privée se sont efforcés de fournir après coup la preuve qu'il n'existait pas encore, à l'origine de la société humaine, de propriété privée totale puisqu'une partie des biens-fonds faisaient l'objet de répartitions périodiques. Ils ont voulu déduire de cette constatation, selon laquelle la propriété privée n'est qu'une « catégorie historique », la conclusion qu'on pouvait l'abolir à nouveau sans faire de tort à qui que ce soit. L'absence de logique inhérente à cette argumentation est trop évidente pour qu'on en tienne compte. Le fait qu'il y ait eu, dans les temps les plus reculés, une coopération sociale même sans propriété privée absolue ne peut être une preuve de ce que l'on puisse, aux étapes plus avancées de la culture, se passer de la propriété privée. Si à cet égard l'histoire pouvait prouver quelque chose, ce serait seulement qu'il n'a jamais ni nulle part existé de peuples qui, sans la propriété privée, se soient élevés au-dessus de la nécessité la plus pressante et de la sauvagerie semi-bestiale.

Les anciens adversaires du système de la propriété privée ne combattaient pas la propriété privée en tant que telle mais simplement l'inégalité de la répartition de la propriété. Pour écarter la disparité des revenus et des fortunes, ils recommandaient le système d'une nouvelle répartition périodique de l'ensemble des biens, ou du moins du moyen de production qui, en ce temps, entrait à peu près seul en ligne de compte : le sol. Dans les pays dont la culture n'a pas progressé et où la production agricole primitive domine, cet idéal du partage égal de la propriété est aujourd'hui encore vivace ; on a coutume d'appeler cette politique, de façon assez peu pertinente (car elle n'a rien de commun avec le socialisme) le socialisme agraire. La révolution russe du bolchevisme, qui avait débuté comme une révolution socialiste, a institué dans l'agriculture non pas le socialisme — c'est-à-dire la propriété collective du sol — mais le socialisme agraire. Dans de grandes parties du reste de l'Europe orientale, le partage entre les petits paysans de la grande propriété foncière agricole est, sous le nom de réforme agraire, l'idéal des partis politiques influents. Il est superflu de s'expliquer en détail sur ce système. Il n'est guère contesté que son succès ne consiste qu'en un abaissement de la productivité du travail humain. On ne peut méconnaître la diminution de la productivité consécutive à un tel partage que là où l'agriculture en est encore à sa forme la plus primitive. Et chacun admettra que le parcellement d'une métairie moderne est une absurdité. La transposition du principe de répartition au domaine de l'industrie ou des transports est absolument inconcevable. On ne peut en effet partager une voie ferrée, une laminerie, une fabrique de machines. On ne peut en venir à une nouvelle répartition périodique de la propriété qu'après avoir réduit en pièces toute l'économie construite sur la division du travail et sur le principe d'une propriété privée qui ne subit aucune entrave et aucune limitation, et qu'après un retour à une économie fermée, où chaque ferme est exploitée pour se suffire à elle-même.

L'idée su syndicalisme représente la tentative d'adapter l'idéal du partage égal de la propriété aux conditions de la grande entreprise moderne. Le syndicalisme ne veut transmettre la propriété des moyens de production ni aux individus ni à la société mais aux travailleurs employés dans une entreprise ou dans une branche de la production 1. Mais comme la façon dont les facteurs matériels et personnels de production se combinent diffère pour chaque branche, on ne pourrait par ce moyen, atteindre à un partage égal de la propriété. Tout d'abord le travailleur recevra, dans certaines branches de l'industrie, un équipement représentant une propriété plus importante que pour d'autres branches. Et que l'on songe aux difficultés qui naîtraient de la nécessité constante où l'on est, en économie, de placer le capital et le travail parmi les branches de la production. Sera-t-il possible de retirer des capitaux d'une branche de la production pour accroître l'équipement d'une autre branche ? Sera-t-il possible de retirer des ouvriers d'une branche pour les transférer dans une autre où l'équipement en capital par travailleur est moindre ? L'impossibilité d'opérer de tels déplacements fait que le système d'organisation de la société fondé sur le syndicalisme représente le summum du contresens et de l'inopportunité sociale. Mais à supposer qu'un pouvoir central, dominant les différents groupes, soit habilité à opérer de tels déplacements, nous ne nous trouvons plus en présence du syndicalisme mais du socialisme. En fait le syndicalisme en tant que but est si absurde que seuls des esprits brouillons n'ayant pas suffisamment approfondi le problème ont osé plaider par principe en sa faveur.

Le socialisme et le communisme représentent l'organisation de la société dans laquelle la propriété — le pouvoir de disposer de tous les moyens de production — échoit à la société, c'est-à-dire à l'État en tant qu'appareil social de coercition. Il est indifférent, pour juger du socialisme, que la répartition des dividendes sociaux se fasse en vertu du principe d'égalité ou de tout autre principe. Il n'est pas davantage déterminant que le socialisme soit instauré par une transmission formelle de la propriété de tous les moyens de production à l'appareil coercitif de la société, c'est-à-dire à l'État, ou que, cette propriété restant nominalement aux propriétaires, la socialisation consiste à ne laisser les « propriétaires » disposer des moyens de production qu'ils ont en mains que selon les instructions données par l'État. Lorsque le gouvernement décide ce qui doit être produit, comment produire, à qui et à quel prix vendre, la propriété privée n'existe plus que de nom ; toute propriété est alors socialisée, car le ressort de toute action économique n'est plus le désir de profit des entrepreneurs et propriétaires mais la nécessité d'accomplir un devoir imposé et d'obéir aux ordres.

Il faut enfin parler de l'interventionnisme. Selon une opinion largement répandue, il existe, entre le socialisme et le capitalisme, une troisième possibilité d'organisation sociale : le système de la propriété privée réglementée, contrôlée et dirigée par des décrets particuliers de l'autorité.

Nous ne parlerons pas du système de la répartition périodique de la propriété et du système du syndicalisme. Aucun homme sérieux n'est partisan de ces deux systèmes. Nous n'aurons qu'à traiter du socialisme, de l'interventionnisme et du capitalisme.

2. Les critiques de la propriété privée

La vie de l'homme n'est pas toute de bonheur et la terre n'est pas un paradis. Bien que les institutions sociales ne soient pas la cause de cet état de fait, on a l'habitude de les en rendre responsables. Le principe fondamental de notre civilisation et de toute civilisation humaine est la propriété privée des moyens de production. Celui qui veut critiquer la civilisation moderne s'en prend donc à la propriété privée. Tout ce qui ne plaît pas au critique est imputé à la propriété privée, et notamment les inconvénients qui ont précisément leur origine dans le fait qu'on a limité et rétréci à plus d'un égard cette propriété privée, au point qu'elle ne peut exercer pleinement son action sociale.

Les choses se passent habituellement ainsi : le critique imagine combien tout serait beau si cela dépendait de lui. Il efface en pensée toute volonté étrangère s'opposant à sa propre volonté et se pose, ou pose toute autre personne voulant exactement ce qu'il veut, comme le maître absolu du monde. Quiconque prône le droit du plus fort se tient lui-même pour le plus fort ; il ne vient jamais à l'idée de qui est partisan de l'institution de l'esclavage qu'il pourrait être lui-même un esclave ; celui qui exige la contrainte morale l'exige à l'égard des autres et non à son propre égard ; celui qui est en faveur d'une institution politique oligarchique se compte lui-même dans l'oligarchie, et celui qui rêve de despotisme éclairé ou de dictature est assez peu modeste pour s'imaginer dans le rôle du despote éclairé ou du dictateur ou du moins pour espérer devenir le despote des despotes ou le dictateur des dictateurs. De même que personne ne souhaite être dans la situation du plus faible, de l'opprimé, du violenté, du privilégié négatif, du sujet ne possédant aucun droit, personne dans le socialisme ne souhaite avoir un autre rôle que celui de directeur général ou d'inspirateur du directeur général. Il n'est en effet dans la chimère du socialisme, aucune autre existence qui soit digne d'être vécue.

La littérature a créé, pour ce raisonnement de rêveur, un schéma fixe dans l'opposition habituelle entre rentabilité et productivité. En regard de ce qui se passe dans l'ordre social capitaliste, on imagine ce qui — conformément au souhait du critique — s'accomplirait dans l'ordre social socialiste ; tout ce qui s'écarte de cette image idéale est qualifié d'improductif. Le fait que la rentabilité de l'économie privée ne coïncide pas avec la productivité de l'économie nationale a été pendant longtemps considéré comme le reproche le plus grave à l'encontre du système du capitalisme. C'est seulement dans ces dernières années qu'on a pris de plus en plus conscience du fait que dans la majorité des cas mentionnés ici, la communauté socialiste ne pourrait pas agir autrement qu'une communauté capitaliste. Mais même là où la prétendue opposition existe réellement, il n'y a pas le moindre lieu d'admettre que ce que ferait l'ordre social socialiste soit absolument correct, et qu'il faille toujours condamner l'ordre social capitaliste lorsqu'il s'écarte de cette voie. La notion de productivité est absolument subjective, et elle ne peut jamais servir de point de départ à une critique objective.

Il est par conséquent de peu d'intérêt de s'occuper des creuses médiations de notre dictateur chimérique ; dans sa vision, tous les hommes sont prêts à exécuter ses ordres scrupuleusement et en toute obéissance. Mais autre chose est de savoir comment les choses iraient dans une communauté socialiste vivante et non pas seulement rêvée. Comme le montrent de simples calculs statistiques, il est faux de supposer que cette communauté socialiste pourrait parvenir à une répartition égale du revenu total, entre tous les membres de la société, telle que l'obtient chaque année l'économie capitaliste, et qui assure à chaque individu une existence décente. L'ordre social socialiste pourrait donc à peine atteindre, par ce moyen, à une élévation sensible du niveau de vie des masses. Quand cet ordre social laisse entrevoir la prospérité, voire même la richesse pour tous, ceci ne peut advenir qu'en admettant que le travail sera plus productif dans l'ordre social socialiste que dans l'ordre capitaliste et que l'ordre social socialiste pourra économiser quantité de tâches superflues, donc improductives.

Pour ce qui est de ce deuxième point, on pense à la suppression de tous les frais résultant de la distribution, de la concurrence et de la publicité. Il est clair qu'il n'y a pas place, dans une communauté socialiste, pour de telles dépenses. On ne doit cependant pas oublier que l'appareil de distribution socialiste occasionne lui aussi des frais qui ne sont pas de peu d'importance, qui sont peut-être encore plus élevés que ceux de l'ordre social capitaliste. Mais dans le jugement que l'on porte sur l'importance de ces frais, ceci n'est pas décisif. Le socialiste admet tout bonnement comme allant de soi que la productivité du travail sera, dans un ordre social socialiste, au moins la même que dans la société capitaliste, et il cherche à démontrer qu'elle sera plus forte. Mais le premier fait n'est pas aussi évident que le socialisme semble le penser. La quantité des biens produits dans la société capitaliste n'est pas indépendante de la manière dont la production s'effectue. Ce qui est d'une importance prépondérante, c'est le fait qu'à chaque stade de toute production, l'intérêt particulier des personnes qui y sont employées est des plus intimement liés au rendement de la partie du travail qui s'effectue à un moment précis. C'est seulement parce que chaque travailleur doit tendre ses forces au maximum (son salaire étant déterminé par le résultat de son travail) et parce que chaque chef d'entreprise doit tendre à produire meilleur marché, c'est-à-dire en employant moins de capital et moins de main-d'œuvre que ses concurrents, que l'économie capitaliste a pu engendrer les richesses dont elle dispose. C'est voir les choses de la perspective d'une grenouille que de prendre ombrage des coûts prétendument trop élevés de l'appareil de distribution capitaliste. Celui qui reproche au capitalisme sa prodigalité, parce qu'il existe dans les artères pleines d'animation commerciale plusieurs magasins de cravates et plus encore de débits de tabac, ne voit pas que cette organisation de vente n'est que le dernier achèvement d'un appareil de production qui se porte garant du rendement du maximum du travail. Tous les progrès de la production n'ont été obtenus que parce qu'il est inhérent à cet appareil de faire des progrès incessants. C'est seulement parce que tous les chefs d'entreprise sont constamment en concurrence et qu'ils sont impitoyablement éliminés s'ils ne produisent pas de la manière la plus rentable que l'amélioration et le développement des méthodes de production se poursuivent inlassablement. Que cette incitation disparaisse, et il n'y aura plus aucun rendement économique dans les méthodes acquises. C'est donc poser la question à l'envers que de se demander ce que l'on pourrait économiser par une suppression des frais de publicité. La réponse à une telle question ne peut faire de doute.

Les hommes ne peuvent consommer que s'ils travaillent et ils ne peuvent consommer qu'autant que leur travail leur a rapporté. Et c'est le trait caractéristique de l'ordre social capitaliste qu'il transmet cette incitation au travail à chaque membre individuel de la société, qu'il fait tendre chacun au rendement le plus élevé d'où, des résultats magnifiques. Ce rapport immédiat entre le travail de l'individu et ce qui lui en revient ferait défaut dans l'ordre social socialiste. L'incitation au travail ne résiderait pas pour l'individu dans le résultat obtenu par son propre travail mais dans l'ordre donné par l'autorité de travailler et dans le sentiment que l'individu a de son devoir. La preuve exacte de l'impossibilité de cette organisation du travail sera apportée dans un chapitre ultérieur.

Ce que l'on reproche sans cesse à l'ordre social socialiste, c'est que les propriétaires des moyens de production occupent une place privilégiée. Ils peuvent vivre sans travailler. A considérer l'ordre social du point de vue individualiste, il faut voir là une grave lacune du système. Mais celui qui voit les choses non pas sous l'angle des individus mais sous celui de la généralité s'aperçoit que les possédants ne peuvent conserver leur position favorable qu'à la condition de rendre à la société un service indispensable. Le propriétaire ne peut conserver sa situation privilégiée qu'en utilisant les moyens de production au mieux de la société. S'il ne le fait pas — s'il dispose mal de ce qu'il possède — il subit des pertes, et, s'il ne ravise pas à temps en changeant ses méthodes, il sera bientôt chassé de sa position avantageuse. Il cesse d'être propriétaire tandis que d'autres ayant les qualités requises prennent sa place. Ceux qui, dans l'ordre social capitaliste, disposent des moyens de production sont toujours les plus compétents, et il faut faire en sorte, nolens volens, d'utiliser les moyens de production de la façon qui procure le rendement maximum.

3. Propriété et gouvernement

Les hommes au pouvoir, les gouvernements, les rois et les autorités républicaines ont toujours été mal disposés à l'égard de la propriété privée. Il est inhérent à tout pouvoir politique de ne fixer aucune borne à son action et d'étendre le plus possible sa sphère d'influence. Tout dominer, ne laisser aucune latitude permettant aux choses d'évoluer librement et sans l'intervention des autorités, c'est à quoi tend en secret tout homme au pouvoir. Mais la propriété privée contrecarre ce désir. Elle crée pour l'individu une sphère qui échappe à l'État, elle fixe des limites aux pouvoirs publics, elle fait naître, à côté de et contre la puissance politique, d'autres puissances. La propriété privée devient ainsi le fondement de toute manifestation libre de la vie, de toute manifestation affranchie de l'État et du Pouvoir, le terrain nourricier de la liberté, de l'autonomie de l'individu et, à plus long terme, de tout progrès intellectuel et matériel. C'est en ce sens qu'on a qualifié la propriété de condition fondamentale de l'évolution de l'individu. On ne peut admettre cette formulation que sous les plus grandes réserves, car l'opposition habituelle entre l'individu et la collectivité, entre les idées et les fins individualistes et les idées et les fins collectivistes, ou même entre la science individualiste et la science universaliste est une expression vide de sens.

Il n'a jamais existé de pouvoir politique qui ait volontairement renoncé à freiner le libre et plein épanouissement de la propriété privée des moyens de production. Les gouvernements ne tolèrent la propriété privée que lorsqu'ils y sont obligés, mais ils ne la reconnaissent pas volontiers du fait de sa nécessité. Même les hommes politiques libéraux une fois qu'ils furent au pouvoir ont mis en veilleuse plus ou moins les principes libéraux. La tendance à opprimer la propriété privée, à abuser du pouvoir politique et à refuser de respecter toutes les sphères affranchies de l'État est trop profondément enracinée dans l'âme des hommes au pouvoir pour qu'ils puissent s'en défaire de leur plein gré. Un gouvernement libéral est une contradiction in adjecto. Les gouvernements doivent être forcés à adopter le libéralisme par la puissance de persuasion d'un peuple unanime ; on ne peut compter qu'ils puissent être libéraux de leur propre volonté.

On comprend aisément ce qui, dans une société constituée de paysans également riches, oblige les hommes au pouvoir à reconnaître les droits de propriété. Toute tentative pour diminuer le droit de propriété dans un tel ordre social se heurterait aussitôt à un front uni de tous les sujets décidés à provoquer la chute du gouvernement. Il en va tout autrement dans une société qui n'est pas purement agricole mais où existent, à côté de l'agriculture, des industries et notamment des grandes entreprises et des grandes propriétés industrielles, minières et de transport. Les pouvoirs publics sont, dans une telle société, parfaitement en mesure de s'en prendre à la propriété privée. Rien n'est en effet, politiquement parlant, plus avantageux pour un gouvernement que la lutte contre la propriété privée, puisque les masses peuvent être facilement montées contre les possédants. C'est pourquoi l'idée chère à tous les monarques absolus, à tous les despotes et tyrans fut toujours de s'allier avec le « peuple » contre les couches des possédants. L'idée de césarisme ne fut pas le fondement du seul deuxième Empire napoléonien. L'État autoritaire prussien des Hohenzollern a lui aussi repris dans la politique allemande l'idée (exprimée par Lassalle dans la discussion constitutionnelle) de gagner à sa cause, dans la lutte contre la bourgeoisie libérale, la masse des travailleurs par une politique étatique et interventionniste. Ce fut l'idée fondamentale de la « royauté sociale » vantée par Schmoller et son école.

Mais en dépit de toutes les attaques, l'institution de la propriété privée s'est conservée. L'hostilité de tous les hommes politiques puissants, la lutte que lui ont livrée les littéraires et les moralistes, les Églises et religions, l'inimitié profondément enracinée dans les instincts d'envie des masses n'ont pas réussi à supprimer la propriété privée. Chaque tentative visant à remplacer la propriété privée par un autre ordre de production et de distribution s'est toujours révélée rapidement absurde. Force fut de reconnaître qu'on ne peut se passer de la propriété privée, et l'on en est, encore qu'à contrecœur, revenu à elle. Mais l'on n'a ce faisant jamais voulu admettre que la raison de ce retour à l'institution de la propriété privée des moyens de production réside dans le fait qu'une organisation judicieuse de l'économie humaine et de la vie des hommes en société n'est pas réalisable sur une autre base. On n'a pas pu se résoudre à abandonner une idéologie devenue chère et selon laquelle la propriété individuelle est un mal auquel on ne peut malheureusement remédier présentement parce que les hommes n'avaient pas encore une moralité assez élevée. Tandis que les gouvernements — il va sans dire contre leur intention et contre les impulsions de toute organisation souveraine — s'accommodaient de la propriété, ils restaient fidèles — non seulement de l'extérieur mais encore dans leur conception philosophique — à l'idéologie hostile à la propriété. D'après eux, ce n'était que par faiblesse ou par égard aux intérêts de groupes puissants qu'ils s'écartent du principe à leur avis juste de l'hostilité à l'égard de la propriété.

4. Le caractère irréalisable du socialisme

On invoque généralement, pour démontrer le caractère irréalisable du socialisme, que les hommes manquent des qualités morales qu'exige un ordre social socialiste. Il est à craindre, selon cette conception, que la plupart des hommes ne fassent pas preuve, dans un ordre social socialiste, du zèle qu'ils mettent, dans un ordre social basé sur la propriété individuelle des biens de production, à l'exécution des affaires et des travaux qui leur sont confiés. Dans l'ordre social capitaliste, chaque individu sait que c'est à lui que revient le fruit de son travail, que son revenu croît ou diminue à la mesure de son rendement. Dans l'ordre social socialiste, en revanche, chacun pensera que son rendement personnel importe peu puisqu'il lui revient une quote-part du rendement global du travail de tous et que la valeur totale de ce rendement ne diminuera que peu du fait de l'inactivité d'un paresseux. Si cet état d'esprit se généralise — comme il y a lieu de le craindre — la productivité de la collectivité socialiste baissera considérablement.

Si l'objection ainsi formulée contre le socialiste est absolument fondée, elle ne touche pas l'essentiel. Si, dans la collectivité socialiste la possibilité existait d'évaluer le résultat du travail de chaque camarade avec la même rigueur que ne le fait le calcul économique de l'ordre social capitaliste, la réalisation du socialisme ne dépendrait pas de la bonne volonté de chaque camarade ; la société serait en mesure de graduer à l'intérieur de certaines limites la participation des camarades individuels au résultat de l'activité économique totale d'après l'importance de leur contribution à la production. L'impossibilité dans laquelle se trouve la société socialiste de faire le moindre calcul économique explique l'impraticabilité de tout socialisme.

L'ordre social capitaliste possède, dans le calcul de rentabilité, une norme qui indique à l'individu si l'entreprise qu'il dirige est exploitable de la façon la plus conforme au but prévu, c'est-à-dire aux moindres coûts. Lorsqu'une entreprise fait preuve d'improductivité cela revient à dire qu'il y a des entreprises qui dirigent les matières premières, les semi-produits et le travail, dont cette entreprise a besoin pour fonctionner, vers un but plus urgent et plus important, ou vers le même but mais d'une manière plus économique, c'est-à-dire avec une dépense moindre en capital et en travail. Lorsqu'on dit par exemple que le tissage à la main s'est avéré non rentable, cela signifie que dans le tissage mécanique le capital et la main-d'œuvre utilisés ont un rendement plus élevé et que c'est par conséquent peu économique de se cramponner à un mode de production où la même dépense en capital et en main-d'œuvre produit un rendement moindre.

Lorsqu'on envisage une nouvelle entreprise, on peut calculer à l'avance la rentabilité et la façon d'après laquelle elle peut être rendue rentable. A-t-on par exemple l'intention de construire une voie ferrée, on peut calculer, grâce aux estimations de trafic probable et de la possibilité pour ce trafic de payer les tarifs de transport, la rentabilité d'un investissement en capitaux et en travail dans cette entreprise. S'il s'avère que la construction de la voie ne promet aucune rentabilité, cela veut dire qu'il existe une autre utilisation plus urgente pour le capital et le travail à dépenser pour la construction de la voie ; le monde n'est pas encore assez riche pour s'offrir cette construction. Mais le calcul de valeur et de rentabilité n'est pas déterminant seulement lorsque la question se pose de savoir s'il faut on non entreprendre certains travaux : il contrôle même chaque pas que fait l'entrepreneur dans la conduite de son affaire.

Le calcul économique capitaliste, qui seul nous permet une production rationnelle, repose sur le calcul monétaire. La seule existence, sur le marché, de prix pour toutes les marchandises et pour tous les services — prix exprimés en monnaie — permet d'inclure dans un calcul uniforme les biens et les services les plus hétérogènes. L'ordre social socialiste, où tous les moyens de production sont la propriété de la collectivité, qui ne connaît par conséquent aucune circulation de marché et aucun échange de biens et de services de production, ne peut connaître non plus de prix en monnaie pour les biens d'ordre plus élevé et pour le rendement. De cet ordre social serait donc absent le moyen permettant d'assurer la conduite rationnelle d'une entreprise : le calcul économique. Car ce dernier ne peut exister sans un dénominateur commun, auquel les différents biens et services sont ramenés.

Que l'on imagine un cas très simple. On peut, lors de la construction d'une voie ferrée, concevoir plusieurs itinéraires. Une montagne se dresse entre A et B. On peut construire la voie en franchissant la montagne, ou en la contournant ou en la traversant par un tunnel. Dans l'ordre social capitaliste, c'est chose facile de déterminer par calcul la ligne la plus rentable. On établit pour chacune des trois lignes les coûts de construction et la différence entre les frais d'exploitation relatifs au trafic anticipé respectif. En tablant sur ces données on trouvera aisément la ligne la plus rentable. De tels calculs ne seraient pas réalisables dans une société socialiste. Celle-ci n'aurait en effet aucune possibilité de réduire à une échelle de valeur unique les différentes qualités et quantités de biens et de travaux qui entrent ici en ligne de compte. L'ordre social socialiste serait décontenancé devant les problèmes habituels et quotidiens qu'offre la conduite d'une économie, car il n'aurait aucune possibilité de se livrer d'abord à un calcul comptable.

Le mode de production capitaliste, avec les vastes chaînes de production que nous lui connaissons et auxquelles seules nous devons cette prospérité qui permet aujourd'hui de vivre à un plus grand nombre d'hommes que dans les temps pré-capitalistes, exige le calcul monétaire que le socialisme ne peut pas connaître. Les auteurs socialistes se sont efforcés en vain de montrer comment on peut s'en sortir sans le calcul monétaire et des prix. Toutes leurs tentatives à cet égard ont échoué.

La direction d'une société socialiste serait donc confrontée avec une tâche qu'elle ne pourrait pas assumer. Elle ne serait pas en mesure de décider quelle est, parmi les innombrables façons de procéder, la plus rentable. L'économie socialiste en serait réduite à un chaos qui entraînerait rapidement et irrésistiblement un appauvrissement général et une rétrogression vers les conditions primitives si caractéristiques de la vie de nos ancêtres.

L'idéal socialiste réalisé conséquemment jusqu'au bout de son programme nous ferait présent d'un ordre social dans lequel tous les moyens de production sont la propriété de l'ensemble du peuple. La production est entièrement entre les mains du gouvernement, du pouvoir social central. C'est lui seul qui décide alors de la production, du mode de production et de la manière dont le produit consommable doit être distribué. Il importe peu de s'imaginer ce futur État socialiste comme reposant sur une base démocratique ou autre. Même un État socialiste organisé de façon démocratique devrait constituer un corps de fonctionnaires organisé de façon rigide, dans lequel chacun, à part ceux qui assument la haute direction des affaires publiques, est employé et obéit, dût-il même, d'autre part, participer de façon quelconque, en tant qu'électeur, à la formation de la volonté centrale.

Nous ne devons pas comparer un tel État socialiste avec les entreprises d'État, aussi importantes soient-elles, que nous avons vues naître en Europe au cours des dernières décennies et notamment en Allemagne et en Russie. Toutes ces entreprises existent en effet à côté de la propriété privée des moyens de production. Elles ont, avec les entreprises que possèdent et dirigent les capitalistes, des échanges et elles reçoivent de ces entreprises des stimulants divers qui vivifient leur entreprise étatique.

C'est ainsi par exemple que les chemins de fer d'État sont approvisionnés par leurs fournisseurs en locomotives, wagons, installations de signalisation et autres moyens d'exploitation, toutes installations qui, ailleurs, ont fait leurs preuves dans une exploitation capitaliste des chemins de fer. C'est de là que ces États reçoivent l'incitation à innover afin de s'adapter au progrès qui se poursuit dans la technique et dans l'économie.

On sait que les entreprises étatiques et municipales ont dans l'ensemble échoué, que les travaux qu'elles entreprennent reviennent cher et sont inopportuns, et qu'elles sont obligées, pour pouvoir se maintenir, de recourir à des contributions supplémentaires en provenance des impôts publics. Il va sans dire que là où l'entreprise publique prend une position de monopole — comme c'est par exemple le cas pour les transports urbains et la distribution de la lumière — les mauvais résultats de la gestion n'apparaissent pas toujours clairement dans les comptes financiers. Il peut y avoir parfois possibilité de les camoufler en utilisant la latitude laissée aux monopoles d'augmenter le prix de leurs produits et de leurs services à un point tel que ces entreprises soient encore rentables en dépit d'une conduite peu économique de la direction. La moindre productivité du mode de production socialiste se manifeste ici d'une autre manière et n'est pas aussi facile à reconnaître ; mais au fond rien n'est changé par rapport aux autres cas.

Pourtant toutes ces tentatives de direction socialiste des entreprises ne nous donnent pas des points de repère permettant d'apprécier la signification de l'idéal de socialisation accompli pour tous les moyens de production. Dans l'État socialiste de l'avenir, où il n'y aura plus que le socialisme, sans le moindre épanouissement, à côté du socialisme, d'entrepreneurs privés, il manquera aux dirigeants de l'économie socialiste le critère que fournissent pour toute économie le marché et les prix de marché. Du fait que sur le marché, où aboutissent tous les biens et services en vue d'un échange, des relations s'établissent pour chaque bien en termes de monnaie, la possibilité existe, dans l'ordre social reposant sur la propriété privée, de contrôler par le calcul le résultat des faits et gestes économiques. Toute activité économique peut être examinée sous l'angle de la productivité sociale par le calcul comptable de la rentabilité. Il y aura encore lieu de montrer que la plupart des entreprises publiques ne peuvent pas faire usage du calcul de la rentabilité le même usage qu'en fait l'entreprise privée. Toujours est-il cependant que le calcul monétaire donne encore à l'entreprise étatique et à l'entreprise commerciale certains points de repère sur lesquels elles peuvent orienter le succès ou l'échec de leur gestion. Cette possibilité manquera totalement à l'ordre social intégralement socialiste, puisqu'il ne peut y avoir, dans cet ordre social, ni propriété individuelle des moyens de production ni, partant, de cours des changes et de calcul monétaire. La direction générale d'une société purement socialiste n'aura donc aucun moyen à sa disposition pour ramener à un dénominateur commun les dépenses qu'exige chaque production particulière. On ne peut atteindre ici ce but en confrontant dépenses en nature et épargnes en nature. Si l'on n'a pas la possibilité de réduire à une expression commune les heures de travail des différentes qualifications, le fer, le charbon, le matériel de construction de toute sorte, les machines et autres choses exigées par la construction et l'exploitation des entreprises, on ne peut se livrer au calcul. On ne peut le faire que lorsqu'on peut ramener à des termes monétaires tous les biens qui entrent en ligne de compte. Certes, le calcul monétaire a ses imperfections et ses graves lacunes, mais nous n'avons rien de mieux pour le remplacer ; pour les buts pratiques de la vie, le calcul monétaire d'un système monétaire sain suffit. Si nous y renonçons, tout calcul économique devient tout simplement impossible.

L'objection majeure de l'économiste à l'égard de la possibilité d'un ordre socialiste est qu'il lui faut renoncer à cette division intellectuelle du travail, qui réside dans la coopération de tous les entrepreneurs, capitalistes, propriétaires fonciers et travailleurs en tant que producteurs et consommateurs, en vue de la formation des prix de marché. Sans cette division du travail toute rationalité, c'est-à-dire toute possibilité de calcul économique est inconcevable.

5. L'interventionnisme

L'idéal socialiste perd de plus en plus de partisans. Les études économiques et sociologiques poussées auxquelles on s'est livré sur les problèmes du socialisme, et qui ont démontré le caractère irréalisable des idées socialistes, n'ont pas manqué d'impressionner. Les échecs par lesquels se sont soldées les expériences socialistes ont déconcerté jusqu'aux plus enthousiastes. On recommence petit à petit à comprendre que la société ne peut pas se passer de la propriété individuelle. Pourtant les attaques dont le système de la propriété privée des moyens de production a été l'objet pendant des décennies ont laissé une telle prévention à l'égard de l'ordre social capitaliste que l'on ne peut se décider à admettre ouvertement, bien que l'on reconnaisse l'insuffisance et le caractère irréalisable du socialisme, qu'il faut revenir aux idées libérales sur le problème de la propriété. On admet certes que la propriété collective des moyens de production, le socialisme, est absolument irréalisable du moins présentement, mais on déclare d'autre part que la propriété individuelle sans limite des moyens de production nuit aussi à la société. Aussi veut-on créer une troisième chose, un état social qui se situerait à mi-chemin entre la propriété individuelle des moyens de production et la propriété collective de ces mêmes moyens. On veut laisser subsister la propriété individuelle des moyens de production, mais on veut réglementer, contrôler et diriger l'action des propriétaires des moyens de production — les décisions des entrepreneurs, capitalistes et propriétaires fonciers — par des ordres et des interdictions des pouvoirs publics. On crée ainsi l'image idéale d'une circulation réglementée, d'un capitalisme limité par des règles administratives, d'une propriété individuelle que les interventions des pouvoirs publics dépouillent de ses traits accessoires prétendument nuisibles.

On perçoit mieux le sens et l'essence de ce système en se représentant, par quelques exemples, les effets que ne manquent pas d'avoir les interventions des pouvoirs publics. Les interventions décisives dont il s'agit visent à fixer les prix des marchandises et des services autrement que ne le ferait le marché sans entrave.

Dans le niveau des prix qui s'établit sur le marché libre, ou qui s'établirait si les pouvoirs publics n'interdisaient pas la libre formation des prix, les coûts de production sont couverts par le produit des ventes. Que les autorités exigent un prix moindre, et le produit de la vente est inférieur aux coûts. Les commerçants et fabricants s'abstiendront donc de vendre (à moins qu'il ne s'agisse de marchandises subissant, du fait de leur stockage, une rapide dévalorisation), dans l'espoir de voir revenir les pouvoirs publics sur leur décision. Si ces derniers ne veulent pas que leur décision ait pour résultat de voir les marchandises en question disparaître de la circulation, ils ne peuvent se limiter à fixer les prix ; il leur faut en même temps décider que tous les stocks existants seront vendus au prix prescrit.

Mais cela non plus ne suffit pas. Au prix de marché idéal, l'offre et la demande auraient coïncidé. Mais par suite de la fixation du prix à un niveau moindre par une décision des pouvoirs publics, la demande a augmenté tandis que l'offre est restée la même. Les stocks existants ne suffisent pas pour donner satisfaction à tous ceux qui sont prêts à payer le prix prescrit. Une partie de la demande ne sera pas satisfaite. Le mécanisme du marché, qui, normalement, par des modifications du niveau des prix, fait coïncider l'offre et la demande, ne joue plus. Les personnes qui seraient prêtes à payer le prix prescrit par les pouvoirs publics doivent quitter le marché bredouilles. Ceux qui étaient sur place les premiers ou qui savent profiter de leurs relations personnelles avec les vendeurs ont déjà acquis tout le stock, et les autres en seront pour leurs frais. Si les pouvoirs publics veulent éviter cette conséquence de leur intervention (contraire à leurs intentions) il leur faut ajouter, à la taxation des prix et à l'obligation de vendre, le rationnement. Des instructions autoritaires déterminent la quantité de marchandises qui doit être cédée au prix prescrit à chaque intéressé.

Pourtant, une fois épuisés les stocks existant au moment de l'intervention des pouvoirs publics, un problème autrement difficile se pose. Du fait que la fabrication n'est plus rentable au prix de vente imposé par les pouvoirs publics, elle se limite ou s'arrête. Si les pouvoirs publics désirent que la fabrication continue, il leur faut obliger les producteurs à fabriquer ; et il leur faut, dans ce dessein, fixer aussi le prix des matières premières, des produits intermédiaires et des salaires. Mais ces décisions ne doivent pas se cantonner uniquement à une ou à quelques branches de la production que l'on veut régler parce que l'on considère leurs produits comme particulièrement importants. Elles doivent embrasser toutes les branches de la production, réglementer les prix de toutes les marchandises et de chaque salaire, la conduite de tous les entrepreneurs, capitalistes, propriétaires fonciers et travailleurs. Si quelques branches échappaient à ces mesures, elles verraient affluer vers elles le capital et la main-d'œuvre, et le but que voulaient atteindre les pouvoirs publics par leur première intervention serait manqué. Ce qu'ils veulent pourtant, c'est que précisément la branche de production qu'ils ont dotée d'une réglementation spéciale en raison de l'importance qu'ils attachent à ses produits, soit suffisamment pourvue. Il va à l'encontre des intentions de ces pouvoirs publics que cette branche — à la suite précisément de l'intervention — soit délaissée.

On voit donc clairement ceci : l'intervention tentée par les pouvoirs publics dans les rouages de l'ordre social reposant sur la propriété individuelle des moyens de production manque le but que se proposaient ses auteurs ; elle est — dans le sens où l'entendaient ses auteurs — non seulement inutile mais contraire au but qu'ils se proposaient, puisque le « mal » qu'elle devait combattre s'accroît encore puissamment. Avant que les prix taxés ne soient promulgués, les marchandises — de l'avis des pouvoirs publics — étaient trop chères ; elles disparaissent maintenant du marché. Ce n'était cependant pas l'intention des pouvoirs publics, qui voulaient rendre les marchandises accessibles au consommateur à un prix moindre. Tout au contraire : la pénurie, l'impossibilité de se procurer des marchandises, doit leur apparaître comme le pire des maux. En ce sens on peut dire de l'intervention des autorités qu'elle est absurde et qu'elle manque son but, et du système de politique économique qui veut œuvrer à l'aide de telles interventions qu'il est irréalisable et impensable, qu'il contredit la logique économique.

Si les pouvoirs publics ne veulent pas remettre les choses en ordre en renonçant à leur intervention et en abolissant la taxation des prix, ils devront faire suivre ce premier pas d'autres. A l'ordre donné de n'appliquer aucun prix qui soit supérieur à celui prescrit doivent s'ajouter non seulement l'ordre de vendre les stocks et le rationnement mais encore la taxation des prix pour les biens d'un ordre plus élevé et pour les salaires, et enfin le travail forcé pour les entrepreneurs et les ouvriers. Et ces prescriptions ne doivent pas se limiter à une ou à quelques rares branches de la production, mais embrasser toutes les branches. Il n'est d'autre choix que celui-ci : ou bien s'abstenir d'intervenir dans le jeu du marché, ou bien confier aux autorités l'ensemble de la direction et de la distribution. Ou bien le capitalisme, ou bien le socialisme ; il n'existe pas de système intermédiaire.

Le mécanisme du phénomène que nous venons de décrire est familier à tous ceux qui ont vécu les tentatives faites par les gouvernements pendant la guerre et pendant l'inflation de bloquer autoritairement les prix. Chacun sait aujourd'hui que la taxation autoritaire des prix n'a eu d'autre résultat que de faire disparaître du marché les marchandises faisant l'objet de cette mesure. Partout où des mesures autoritaires ont été prises à l'égard des prix, le résultat a été le même. Lorsque par exemple les pouvoirs publics limitent le prix des loyers d'habitation, la pénurie des logements se fait aussitôt sentir. Le parti social-démocrate autrichien a pratiquement supprimé les loyers. Ce qui eut pour conséquence, dans la ville de Vienne par exemple, bien que la population ait considérablement diminué depuis le début de la guerre et que plusieurs milliers de nouveaux appartements aient été construits dans l'intervalle par la municipalité, que des milliers de personnes ne pouvaient trouver de logis.

Prenons un deuxième exemple, le salaire minimum ou les taux de salaire.

Si les rapports entre entrepreneurs et travailleurs ne sont pas influencés par des mesures législatives ou par les pressions syndicalistes, le salaire payé par l'entrepreneur pour chaque catégorie de travail correspond exactement à la plus-value que subissent, par ce travail, les produits en formation. Le salaire ne peut être supérieur à cette plus-value, car l'entrepreneur n'y trouverait pas son compte et serait obligé de suspendre une production qui ne « paie » pas. Il ne peut pas non plus être inférieur à cette plus-value, vu qu'il orienterait les travailleurs vers d'autres branches mieux rétribuées et forcerait les entrepreneurs à arrêter leur production en raison d'une pénurie de main-d'œuvre.

Il existe donc toujours dans une économie nationale un taux de salaire tel que chaque travailleur trouve à s'employer et chaque employeur trouve la main-d'œuvre désirée lorsqu'il veut commencer une entreprise rentable à un tel taux. Les économistes ont coutume d'appeler ce taux le salaire statique ou naturel. Il monte lorsque, toutes choses restant égales par ailleurs, le nombre des travailleurs diminue ; il baisse lorsque, toutes choses restant égales par ailleurs, la quantité disponible de capital pour laquelle on cherche une utilisation diminue. Il faut à cet égard observer qu'il n'est pas tout à fait exact de parler simplement de « salaire » et de « travail ». Le rendement du travail est très différent en qualité et en quantité (calculée par unité de temps) et il en est de même pour le salaire.

Si l'économie ne quittait jamais l'état stationnaire, il n'y aurait pas de chômeurs, pour autant que le marché du travail ne subisse aucune des entraves qui sont le fait des interventions gouvernementales et de la pression des syndicats. Pourtant l'état stationnaire n'est en soi qu'un expédient de notre théorie économique. Notre esprit en a besoin pour se représenter par contraste les phénomènes qui se déroulent dans l'économie qui nous entoure dans la réalité et dans laquelle nous vivons. La vie — heureusement — n'est jamais au repos. Il n'y a jamais de stagnation économique, mais des modifications incessantes, du mouvement, du nouveau. Il y a par conséquent toujours des branches de production qui sont délaissées ou limitées parce que les consommateurs se sont détournés de leurs produits, et des branches qui s'élargissent ou même se transforment entièrement. A ne considérer que les dernières décennies, nous pouvons dénombrer bien des industries qui ont fait leur apparition : celles de l'automobile, de l'aviation, du cinéma, des fibres artificielles, de l'électronique. Ces branches d'industrie emploient aujourd'hui des millions de travailleurs qu'elles n'ont puisés que partiellement dans l'accroissement de la population ; une partie est venue des branches de production qui se sont réduites et plus encore de celles qui peuvent, grâce à l'amélioration des techniques, maintenir leur production avec moins d'ouvriers.

Il peut parfois advenir que les changements qui se produisent dans les conditions des différentes branches de production se déroulent si lentement qu'aucun travailleur n'est obligé de changer d'emploi et de s'adonner à une nouvelle activité ; seuls les jeunes qui arrivent à l'âge de choisir un métier se tournent davantage vers les branches en expansion. Mais en général, dans l'ordre social capitaliste qui progresse rapidement et élève le niveau de vie des hommes, le progrès va beaucoup plus vite pour qu'il puisse dispenser l'individu de la nécessité de s'y adapter. Lorsque, il y a deux cents ans ou plus, un jeune garçon apprenait un métier, il pouvait compter l'exercer sa vie durant tel qu'il l'avait appris sans que son conservatisme puisse lui causer un préjudice. L'ouvrier lui-même doit s'adapter aux conditions changeantes, apprendre du nouveau ou changer de méthodes. Il lui faut quitter une branche qui ne nécessite plus le même nombre de travailleurs pour se tourner vers une nouvelle venue ou qui a besoin de plus de bras qu'avant. Mais même en restant dans son ancienne branche, il lui faut, si les circonstances l'exigent, apprendre du nouveau.

Tout ceci atteint le travailleur sous forme de modification des salaires. Lorsqu'une branche emploie relativement trop de travailleurs, cela donne lieu à des licenciements, et les licenciés ne retrouvent pas facilement à s'employer dans la même branche. La pression qu'ils exercent sur le marché du travail influe sur les salaires de cette branche. Et ceci oblige les travailleurs à chercher à s'employer dans les branches de production désireuses d'embaucher davantage et, par conséquent, prêtes à payer des salaires plus élevés.

On voit ainsi clairement ce qui peut arriver lorsqu'on satisfait le travailleur dans son désir de travailler, et d'avoir un salaire élevé. De façon générale, on ne peut, sans déclencher certains effets accessoires que ne peuvent souhaiter les travailleurs, faire monter les salaires au-delà du niveau qui serait le leur sur un marché aucunement entravé par les interventions des pouvoirs publics ou d'autres instances sociales. On peut, dans une branche de production particulière ou dans un pays particulier, faire monter le salaire en interdisant l'arrivée en renfort de travailleurs venant d'autres branches ou de l'étranger. De telles augmentations de salaires se font aux dépens des travailleurs dont le renfort est écarté. Leur salaire est plus bas que celui qu'ils pourraient obtenir si l'on n'entravait pas leur libre circulation. L'amélioration des salaires des uns se fait donc aux dépens des autres. Seuls peuvent se servir de cette politique tendant à paralyser la libre circulation des travailleurs, les ouvriers des pays et des branches de production qui souffrent d'une pénurie de main-d'œuvre. Dans une branche ou dans un pays où tel n'est pas le cas, une seule chose peut élever les salaires, un accroissement de la productivité générale, par l'augmentation du capital disponible ou par l'amélioration des techniques de production.

Mais lorsque le gouvernement promulgue une loi fixant des salaires minima au-dessus du niveau du salaire statique ou naturel, les entrepreneurs s'aperçoivent nécessairement qu'ils ne peuvent plus mener à bonne fin certaines affaires qui furent encore rentables à un niveau des salaires plus bas. Ils limitent par conséquent la production et licencient du personnel. La conséquence d'une augmentation artificielle des salaires, c'est-à-dire d'une augmentation venant de l'extérieur sur le marché, se traduit donc par un accroissement du chômage.

Il est vrai qu'en général de telles tentatives pour fixer légalement le salaire minimum ne revêtent pas aujourd'hui une grande ampleur. Pourtant, la puissance qu'acquièrent les syndicats leur a permis de fixer pour les salaires un minimum. Que les travailleurs s'unissent au sein d'associations afin d'établir un dialogue avec les entrepreneurs, c'est un fait qui en soi n'est pas de nature à provoquer des perturbations dans le déroulement des phénomènes du marché. Le fait que les travailleurs revendiquent avec succès le droit de rompre sans autre forme de procès des contrats auxquels ils ont consenti et qu'ils arrêtent le travail, n'entraînerait pas non plus une perturbation du marché du travail. Ce qui crée une nouvelle situation sur le marché du travail, c'est le fait, pour la plupart des pays européens industrialisés, que les grèves et le nombre important des membres des syndicats de travailleurs ne sont pas concevables sans la contrainte. Comme les travailleurs organisés en syndicats refusent l'admission au travail des travailleurs non organisés, et comme ils empêchent de vive force que, en cas de grève, d'autres prennent la place des grévistes, les revendications salariales qu'ils présentent aux entrepreneurs agissent de la même façon que le ferait une loi gouvernementale sur les salaires minima. Car l'entrepreneur est contraint, s'il ne veut pas arrêter toute l'exploitation, de se plier aux exigences du syndicat. Il lui faut payer des salaires tels que le montant de la production doit être limité, le produit fabriqué à des coûts élevés ne trouvant pas à s'écouler dans la même mesure que le produit fabriqué à moindre coût. C'est ainsi que le salaire plus élevé qui est le résultat des pressions exercées par les syndicats cause du chômage.

L'étendue et la durée du chômage né de cette situation sont tout autres que celle du chômage qui provient des déplacements continuels dans la demande de main-d'œuvre. Le chômage qui ne résulte que des progrès qui conditionnent le développement industriel ne peut ni prendre une grande envergure ni devenir une institution durable. Les ouvriers devenant excédentaires dans une branche trouveront bientôt à s'employer dans une branche nouvelle ou en extension. En cas de libre circulation des travailleurs et lorsque le passage d'un métier à un autre n'est pas entravé par des obstacles légaux ou autres, l'adaptation aux nouvelles conditions se fait sans trop de difficultés et assez vite. On peut d'ailleurs contribuer à réduire davantage encore l'importance de ce chômage par un développement des bureaux de placement.

Cependant le chômage qui résulte de l'intervention sur le marché du travail de facteurs contraignants n'est pas un mécanise qui, alternativement, apparaît et disparaît. Il dure irrémédiablement aussi longtemps que subsiste la cause qui l'a engendré, c'est-à-dire aussi longtemps que la loi ou la contrainte du syndicat empêche que le salaire soit ramené, par la pression des chômeurs cherchant un emploi, au niveau auquel il se serait établi s'il n'y avait pas eu d'intervention de la part du gouvernement ou des syndicats, au taux qui finalement permet à tous ceux qui cherchent du travail d'en trouver.

Des indemnités de chômage allouées aux chômeurs par le gouvernement ou les syndicats ne font qu'aggraver le mal. En cas de chômage résultant de modifications dynamiques de l'économie, les allocations de chômage n'ont pour conséquence que de retarder l'adaptation des ouvriers aux nouvelles conditions. Le chômeur allocataire ne s'estime pas dans la nécessité de s'orienter vers un nouveau métier lorsqu'il ne trouve plus à s'employer dans l'ancien ; il laisse du moins passer plus de temps avant de se décider à prendre un autre métier ou à changer de lieu de travail ou encore à rabaisser ses exigences au taux de salaire auquel il pourrait trouver du travail. A moins que les allocations de chômage ne soient par trop réduites, on peut oser l'affirmation que le chômage ne peut pas disparaître tant qu'existent ces allocations.

Mais en cas de chômage provoqué par l'élévation artificielle du niveau des salaires (à la suite de l'intervention du gouvernement ou de l'appareil coercitif des syndicats, toléré par le gouvernement), la question est de savoir qui, des travailleurs ou des entrepreneurs, doit en supporter le fardeau. Ce n'est jamais l'État, le gouvernement, la commune, car ceux-ci s'en déchargent ou sur l'entrepreneur ou sur le travailleur ou le font partager à chacun d'eux. Si ce fardeau est imputé aux travailleurs, ils perdent le fruit de l'augmentation artificielle des salaires ; il se peut même que ce fardeau devienne plus lourd que ce que rapporte cette augmentation artificielle. On peut imposer à l'entrepreneur la charge des indemnités de chômage en lui faisant payer une taxe pour les besoins de ces indemnités, proportionnelle au total des salaires qu'il distribue. Dans ce cas l'allocation de chômage a pour effet d'élever le coût de la main-d'œuvre, à l'instar d'une augmentation de salaire au-delà du niveau statique. La rentabilité de l'emploi de la main-d'œuvre se réduit d'autant, en même temps que diminue le nombre d'ouvriers qui peuvent être employés de façon rentable. Le chômage ne fait donc qu'augmenter en une spirale sans fin. Mais on peut encore mettre les allocations de chômage à la charge des entrepreneurs en les imposant, quel que soit le nombre de leurs ouvriers, sur leurs bénéfices ou sur leur fortune. Cette imposition a également pour effet d'augmenter le chômage. En cas de consommation du capital ou de ralentissement dans la formation de nouveaux capitaux, les conditions d'emploi de la main-d'œuvre deviennent, cæteris paribus, moins favorables 2.

Que l'on ne puisse combattre le chômage en faisant exécuter, aux frais de l'État, des travaux publics dont on se serait sans cela dispensé, c'est là un fait d'évidence. Les ressources utilisées ici doivent être retirées à l'aide d'impôts ou d'emprunts aux champs d'application où elles auraient trouvé autrement à s'employer. On ne peut, de cette façon, atténuer le chômage dans une branche que dans la mesure où on l'accroît dans une autre.

De quelque côté que nous considérions l'interventionnisme, il s'avère toujours qu'il aboutit à un résultat que ne se proposaient pas ses auteurs et partisans et que, de leur propre point de vue, il doit paraître comme une politique absurde et inopportune.

6. Le capitalisme

Tout examen des diverses formes imaginables de sociétés basées sur la division du travail ne peut aboutir qu'à cette constatation : il n'est de choix, pour cette société, qu'entre la propriété collective et la propriété individuelle des moyens de production. Toutes les formes intermédiaires sont absurdes et se révèlent d'une réalisation inopportune. Si de plus on reconnaît que le socialisme est lui aussi irréalisable, on ne peut échapper à l'obligation d'admettre que le capitalisme est le seul système d'organisation sociale qui soit réalisable dans une société humaine soumise à la division du travail. Ce résultat de l'examen théorique ne pourra pas surprendre l'historien et le philosophe de l'histoire. Si le capitalisme s'est imposé, en dépit de l'hostilité qu'il a toujours rencontrée auprès des masses et des gouvernements, s'il n'a pas été obligé de céder la place à d'autres formes de coopération sociale qui ont joui de bien plus de sympathie de la part des théoriciens et praticiens, on ne peut l'attribuer qu'au fait qu'il n'existe absolument aucun autre ordre social possible.

Il n'est certes pas besoin d'expliquer pourquoi il ne nous est pas possible de revenir aux formes moyenâgeuses d'organisation sociale et économique. La population que le Moyen Âge a nourrie sur la terre habitée par les peuples civilisés de l'Occident ne représente qu'une fraction des habitants qui peuplent aujourd'hui ces territoires, et chaque individu avait à sa disposition, pour couvrir ses besoins, beaucoup moins de biens que la forme de production capitaliste n'en donne à l'homme moderne. On ne peut songer à un retour au Moyen Âge si l'on ne se décide pas tout d'abord à réduire la population actuelle au dixième ou au vingtième, et si de surcroît l'on n'impose pas à chaque individu une frugalité dont l'homme moderne ne peut se faire aucune idée. Certains auteurs proposent comme unique idéal souhaitable le retour au Moyen Âge ou, comme ils disent, à un « nouveau » Moyen Âge. Bien que tous ces auteurs reprochent surtout à l'âge capitaliste son état d'esprit matérialiste, ils sont eux-mêmes bien plus fortement enlacés qu'ils ne le pensent dans un mode de pensée matérialiste. N'est-ce pas faire preuve d'un matérialisme des plus grossiers que de croire, comme le font beaucoup de ces auteurs, que la société humaine pourrait, après un retour aux formes médiévales de l'économie et de l'ordre social, conserver toutes les ressources techniques de la production créées par le capitalisme et conserver ainsi au travail humain ce haut degré de productivité qu'il a atteint dans l'ère capitaliste ? La productivité du mode de production capitaliste est le résultat d'une manière de penser capitaliste et de la conception capitaliste que les hommes se font à l'égard de l'activité économique. Et cette productivité n'est un résultat de la technique moderne que pour autant que l'épanouissement de cette dernière ne pouvait nécessairement que résulter de l'esprit capitaliste. Rien n'est plus absurde que le principe de conception matérialiste de l'histoire énoncé par Karl Marx : « Le moulin à main produit une société de seigneurs féodaux, le moulin à vapeur une société de capitalistes industriels ». Pour faire naître l'idée du moulin à vapeur et pour créer les conditions permettant de réaliser cette idée, il a fallu la société capitaliste. C'est le capitalisme qui a créé la technique et non la technique le capitalisme. Non moins absurde pourtant la pensée que l'on pourrait conserver l'équipement technico-matériel de notre économie, une fois écartés les principes intellectuels qui en sont le fondement. On ne peut continuer à mener l'économie de façon rationnelle dès lors que l'on oriente à nouveau toute sa manière de penser sur le traditionalisme et sur la croyance en l'autorité. L'entrepreneur, l'élément agissant de la société capitaliste et par là aussi de la technique moderne, est impensable dans un milieu de gens qui ne s'intéressent qu'à une vie contemplative.

Si l'on qualifie d'irréalisable toute autre forme de société que celle qui repose sur la propriété individuelle des moyens de production, il s'ensuit évidemment que la propriété individuelle, en tant que fondement de l'association et de l'action concertée des hommes, doit être conservée et que l'on doit combattre énergiquement toute tentation en vue de la supprimer. En ce sens le libéralisme défend l'institution de la propriété individuelle contre toute tentative visant à l'écarter. C'est à juste titre qu'on peut qualifier les libéraux d'apologistes puisque le mot grec apologet signifie défenseur. On devrait d'ailleurs se contenter de la simple expression de défenseur, car dans l'esprit de beaucoup de gens s'allie aux termes « apologie » et « apologiste » l'idée que ce qui est défendu est injuste.

Mais il est une autre constatation bien plus importante que le rejet de l'insinuation contenue dans l'emploi de ces expressions, à savoir que l'institution de la propriété privée n'a absolument nul besoin d'être défendue, justifiée, motivée ou expliquée. La société a besoin, pour survivre, de la propriété privée, et comme les hommes ont besoin de la société, il leur faut, tous, rester fidèles à la propriété privée. La société ne peut en effet survivre que sur le fondement de la propriété privée. Celui qui est pour la propriété individuelle ainsi comprise est pour le maintien de l'union des hommes en société, pour le maintien de la culture et de la civilisation, et parce qu'il veut atteindre ces buts il lui faut aussi vouloir et défendre le seul moyen qui y mène, la propriété individuelle.

Celui qui est pour la propriété privée des moyens de production ne prétend pas le moins du monde que l'ordre social capitaliste reposant sur la propriété individuelle est parfait. Il n'est pas de perfection ici-bas. Il se peut, même dans l'ordre social capitaliste, que telle ou telle chose, ou même tout, ne plaise pas à tel ou tel individu. Mais il est le seul ordre social concevable et possible. On peut tendre à changer telle ou telle institution aussi longtemps qu'on ne touche pas, ce faisant, à l'essence et aux fondements de l'ordre social, à la propriété. Il nous faut néanmoins nous accommoder de cet ordre social puisque en réalité il ne peut en exister d'autre.

Il est aussi, dans la « nature », des choses qui peuvent ne pas nous plaire. Mais nous ne pouvons changer l'essence des phénomènes naturels. Lorsque par exemple quelqu'un prétend — et il en est qui l'ont prétendu — que la façon dont l'homme mange, assimile et digère est repoussante, on ne peut disputer contre lui. Mais on doit certes lui dire : il n'est que ce moyen ou la mort par inanition. Il n'y a pas une troisième solution. Le même raisonnement st vrai pour la propriété : ou bien la propriété individuelle des moyens de production ou bien la famine et la misère pour tous.

Les adversaires du libéralisme ont continué de qualifier en général d'optimisme sa conception de la politique économique. C'est de leur part ou bien un reproche ou bien une façon dérisoire de caractériser la manière de penser des libéraux. Quelle absurdité que de dire de la doctrine libérale, qualifiée si souvent d'optimiste, qu'elle considère le monde capitaliste comme étant le meilleur des mondes. Pour une idéologie scientifiquement fondée comme l'est le libéralisme, la question n'est absolument pas de savoir si l'ordre social capitaliste est bon ou mauvais, si l'on peut ou non en imaginer un meilleur, et si, pour des raisons philosophiques ou métaphysiques, on doit ou non le rejeter. Le libéralisme part des pures disciplines de l'économie politique et de la sociologie qui, à l'intérieur de leur système, ne connaissent aucune appréciation, n'énoncent rien sur ce qui doit être, sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais, mais ne font que constater ce qui est et comment cela est. Lorsque ces sciences nous montrent que de tous les ordres sociaux imaginables il n'en est qu'un, l'ordre social reposant sur la propriété individuelle des moyens de production, qui soit viable, puisque tous les autres sont irréalisables, il n'y a absolument rien dans cette affirmation qui puisse justifier la qualification d'optimisme. Que l'ordre social capitaliste soit viable et efficace, c'est là une constatation qui n'a rien à voir avec l'optimisme.

Certes, de l'avis des adversaires du libéralisme, cet ordre social est très mauvais. Dans la mesure où cette affirmation contient un jugement de valeur, elle est naturellement inaccessible à toute explication qui irait au-delà des jugements extrêmement subjectifs et par conséquent dépourvus de tout caractère scientifique. Dans la mesure pourtant où cette affirmation se fonde sur une fausse conception des phénomènes à l'intérieur de l'ordre social capitaliste, l'économie politique et la sociologie peuvent la corriger. Cela non plus n'est pas optimisme. En faisant abstraction de tout le reste, la révélation elle-même des si nombreuses lacunes de l'ordre social capitaliste n'aurait pas la moindre signification pour les problèmes de politique sociale aussi longtemps qu'on ne réussit pas à montrer qu'un autre ordre social serait non pas meilleur mais seulement réalisable. C'est à quoi l'on n'est pas parvenu. La science, elle, a réussi à montrer que chacun des systèmes d'organisation sociale concevables en remplacement de l'ordre social capitaliste est en soi contradictoire et absurde, de sorte qu'il ne pourrait produire les effets qu'en attendent ses défenseurs.

Un fait montre parfaitement combien il est peu justifié de parler ici d'optimisme et de pessimisme, et combien ceux qui qualifient le libéralisme d'optimiste visent surtout, en faisant intervenir des motifs sentimentaux qui n'ont rien à voir avec la science, à créer un état d'esprit hostile au libéralisme. Car, on pourrait avec le même droit appeler optimistes ceux qui pensent que la construction d'une communauté socialiste ou interventionniste est réalisable.

La majorité des auteurs qui s'occupent de questions de politique économique ne laissent habituellement passer aucune occasion de s'attaquer de façon absurde et puérile à la société capitaliste et de vanter en termes enthousiastes le socialisme ou l'interventionnisme, ou même le socialisme agraire et le syndicalisme, comme des institutions excellentes. Il y eut, de l'autre côté, peu d'auteurs qui aient entonné, encore qu'ils l'aient fait en termes plus mesurés, les louanges de l'ordre social capitaliste. On peut, si l'on veut, appliquer à ces auteurs l'épithète d'optimistes du capitalisme. Mais il faudrait, si on le fait, attribuer avec infiniment plus de droit celui d'hyperoptimistes du socialisme, de l'interventionnisme, du socialisme agraire et du syndicalisme à ces auteurs antilibéraux. Le fait que tel ne soit pas la cas mais que l'on baptise purement et simplement d'optimistes des auteurs libéraux tels que Bastiat prouve qu'on n'est pas du tout ici en présence d'une tentative de classification scientifique mais bel et bien d'une distorsion partisane.

Il importe de répéter que le libéralisme ne prétend pas que l'ordre social capitaliste est bon à tout point de vue. Il dit simplement que seul l'ordre social capitaliste convient aux buts que les hommes se proposent et que les constructions sociales du socialisme, de l'interventionnisme, du socialisme agraire et du syndicalisme sont irréalisables. C'est pourquoi les neurasthéniques qui ne pouvaient supporter cette vérité ont fait de l'économie politique une science lugubre, « a dismal science ». En montrant le monde tel qu'il est en réalité, l'économie politique et la sociologie ne sont pas plus lugubres que ne sont lugubres d'autres sciences, la mécanique ou la biologie par exemple, l'une parce qu'elle enseigne que le perpetuum mobile est irréalisable, l'autre que les être vivants meurent.

7. Cartels et monopole

Les adversaires du libéralisme prétendent que les conditions d'une politique libérale n'existent plus de nos jours. D'après eux, le libéralisme aurait été réalisable lorsque, dans chaque branche de production, plusieurs entreprises de même envergure se concurrençaient âprement. C'en est fait du libéralisme puisque de nos jours les trusts, les cartels et autres exploitations monopolistes dominent partout le marché. Le libéralisme n'a pas été détruit par la politique mais par une tendance inhérente aux nécessités d'évolution du système de la libre entreprise.

La division du travail amène la spécialisation de l'économie. Ce processus ne s'arrête jamais tant que se poursuit le développement économique. Il n'y a pas si longtemps qu'existaient encore des ateliers de construction qui fabriquaient des machines de toutes sortes. De nos jours, un atelier qui ne se cantonne pas exclusivement dans la fabrication d'un type déterminé de machines n'est pas compétitif. Avec le progrès de la spécialisation, le cercle que fournit chaque entreprise doit s'agrandir. Le cercle de clients d'une fabrique de draps qui ne fabrique que quelques variétés de toiles doit être plus grand que celui du drapier qui tisse toutes les variétés. Il est indéniable que l'évolution tend, par une spécialisation progressive de la production dans chaque domaine, à faire naître des entreprises dont les débouchés s'étendent dans le monde entier. Si l'on ne s'oppose pas à l'évolution par des mesures douanières ou par d'autres mesures anticapitalistes, un jour viendra où n'existeront plus, dans chaque branche de la production, que relativement peu d'entreprises (ou même une seule) dont le but sera de se spécialiser à l'extrême et de fournir sa production au monde entier.

A l'heure actuelle nous sommes bien entendu assez éloignés de cette situation, car la politique de tous les États vise à découper dans l'unité de l'économie mondiale de petits domaines dans lesquels, sous la protection de douanes et d'autres mesures tendant au même résultat, des entreprises qui ne seraient plus compétitives sur le libre marché mondial sont maintenues artificiellement ou même créées. En faisant abstraction des points de vue de politique commerciale, on fait valoir, en faveur de cette politique allant à l'encontre de la concentration des entreprises, qu'elle seule a empêché l'exploitation des consommateurs par des organisations monopolistes de producteurs. Pour examiner le bien-fondé de cet argument, supposons le développement de la division du travail dans l'ensemble du monde avancé à un point tel que la production de chaque article est concentrée dans une seule entreprise, de telle sorte que le consommateur n'a plus affaire qu'à un seul vendeur. Dans ces conditions, prétend une théorie économique peu réfléchie, les producteurs seraient en mesure de maintenir à leur guise les prix à un niveau élevé, de réaliser des bénéfices démesurés et de diminuer considérablement le pouvoir d'achat du consommateur. On reconnaît aisément l'absurdité de cette conception. Des prix de monopole, qui ne sont pas facilités par des interventions gouvernementales bien déterminées, ne peuvent être pratiqués de façon durable que par suite de la disposition des richesses et des énergies du sol. Un monopole de transformation visant des bénéfices plus importants que les bénéfices habituels inciterait à la création d'entreprises compétitives, dont la concurrence briserait le monopole et ramènerait les prix et les profits au niveau général. Des monopoles dans l'industrie de transformation ne peuvent pas se généraliser, car à chaque stade d'une économie le montant total de capitaux actifs et de main-d'œuvre disponible et par conséquent aussi l'importance du produit social sont donnés. L'utilisation du capital et de la main-d'œuvre pourrait être diminuée dans une branche particulière ou dans un certain nombre de branches pour maintenir — en face d'une production moindre — à un niveau plus haut, les prix unitaires et le gain total du ou des monopoles. Les capitaux ou la main-d'œuvre ainsi libérés afflueraient dans une autre branche de production. Mais si l'on essaie de limiter la production dans toutes les branches afin d'obtenir des prix plus élevés, des travailleurs et des capitaux sont d'abord rendus libres et, par suite, viennent s'offrir à meilleur compte, incitant ainsi à la création de nouvelles entreprises qui, à leur tour, doivent briser à nouveau la position monopoliste des autres. L'idée d'un cartel et d'un monopole universels de l'industrie de transformation est par conséquent absolument irréalisable.

Les monopoles authentiques ne peuvent être fondés que sur la disposition des richesses et des énergies du sol. Comme nous n'avons pas à nous expliquer longuement sur la possibilité de réunir en un monopole mondial toutes les surfaces arables du globe, nous n'avons à considérer ici que les monopoles qui naissent à la disposition des gisements minéraux utilisables. De tels monopoles existent déjà pour quelques minéraux de faible importance et l'on peut toujours imaginer qu'on essaiera avec succès de procéder de la même façon pour d'autres minéraux. Cela signifierait que les propriétaires de ces mines tirent du sol une rente foncière plus importante et que les consommateurs restreignent la consommation et cherchent un ersatz à la matière devenue plus chère. Un monopole mondial du pétrole conduirait à une utilisation accrue de l'énergie hydraulique, du charbon, etc. A considérer les choses du point de vue de l'économie mondial et sub specie aeternitatis, cela voudrait dire que nous devons ménager davantage les matières précieuses que nous pouvons seulement exploiter et non remplacer, que nous ne le ferions si tel n'était pas le cas ; cela signifie aussi que nous devons en réserver plus aux générations futures que ne le ferait une économie affranchie de tout monopole.

Le spectre du monopole, que lors des discussions sur le développement d'une économie libre, on agite sans cesse à nos yeux, n'a pas à nous inquiéter. Ne seraient réalisables en réalité que des monopoles relatifs à quelques articles de la production primaire. On ne peut décider si leur action est avantageuse ou désavantageuse. Pour les économistes qui, en examinant des problèmes économiques, ne savent pas se libérer des instincts d'envie, ces monopoles semblent pernicieux pour la raison déjà mentionnée qu'ils procurent aux propriétaires des bénéfices accrus. A considérer le problème sans parti pris on s'apercevra qu'ils conduisent à une utilisation plus parcimonieuse des richesses du sol dont l'humanité dispose en quantités limitées. Si l'on envie aux monopolistes leurs gains, on peut sans danger et sans avoir à attendre des conséquences désavantageuses pour l'économie, faire affluer ce bénéfice dans les caisses publiques par le truchement d'un impôt sur la route minière.

Les monopoles nationaux et internationaux qui ont aujourd'hui une importance pratique se différencient fondamentalement des monopoles mondiaux par le fait qu'ils ne résultent pas de l'évolution d'une économie abandonnée à elle-même, mais sont plutôt le produit d'une politique économique antilibérale. La plupart des essais entrepris pour influencer de façon monopoliste le marché d'un article déterminé ne sont possibles que parce que les douanes divisent le marché mondial en de petits marchés nationaux. N'entrent plus en ligne de compte, à côté d'eux, que les cartels que peuvent former les propriétaires de certaines richesses du sol, parce qu'ils trouvent dans le cercle étroit de leur lieu d'exploitation, du fait des frais importants de transport, une protection contre la concurrence d'autres centres de production.

L'erreur fondamentale qui est commise lorsque l'on juge des effets des trusts, des cartels et des entreprises approvisionnant seules le marché avec un certain article apparaît lorsqu'on parle de la « domination » du marché et du « diktat sur les prix » des monopolistes. Le monopoliste ne domine pas le marché, pas plus qu'il n'est en mesure de dicter les prix. On ne pourrait parler de domination du marché ou de diktat sur les prix que si l'article en question était nécessaire à l'existence au sens le plus authentique du mot et que s'il ne pouvait être remplacé par aucun autre article. On sait que cette condition ne s'applique à aucun article. Il n'existe aucun bien économique indispensable à l'existence ou à la non existence des acheteurs. Ce qui différencie la formation du prix de monopole de celle du prix de concurrence est le fait que le monopoliste peut, sous certaines conditions précises, parvenir à un prix de vente plus élevé (que nous appelons prix de monopole) par la vente de quantités moindres que par la vente au prix qui s'établirait sur le marché si plusieurs vendeurs étaient en concurrence (prix de concurrence). La condition spéciale requise est que la consommation, en face d'une augmentation de prix, ne restreigne pas la demande à un point tel qu'on ne puisse atteindre un plus grand bénéfice total à prix plus élevé pour un chiffre d'affaires plus petit. S'il est en fait possible d'obtenir sur le marché une position de monopole et de l'exploiter en élevant le prix au prix de monopole, il en résulte, pour la branche d'industrie considérée, des bénéfices plus élevés que la moyenne. Même lorsque, nonobstant ces gains élevés, de nouvelles entreprises de la même espèce ne sont pas lancées, dans la crainte que les nouvelles exploitations ne s'avèrent, après la réduction du prix de monopole au niveau du prix de concurrence, d'une rentabilité insuffisante, on doit compter que les industries analogues, qui sont en mesure d'assurer à des coûts relativement moins élevés la production de l'article cartellisé, se dresseront en concurrents, et que de toute façon les industries de remplacement se mettront aussitôt à l'œuvre pour profiter, par un accroissement de la production, de la situation favorable. Pour toutes ces raisons les monopoles d'industrie de transformation qui ne reposent pas sur la disposition monopolistique de certains gisements de matières premières sont extrêmement rares. Ils n'ont toujours été rendus possibles, là où ils existent, que par certaines mesures légales, par des patentes ou autres droits analogues, par des dispositions douanières et fiscales et par le système des concessions. On a parlé, il y a quelques décennies, du monopole de transport ferroviaire. La question reste posée de savoir dans quelle mesure ce monopole a reposé sur le système de la concession. On n'en fait en général plus grand cas de nos jours. La voiture automobile et l'avion sont devenus pour les chemins de fer de dangereux concurrents. Mais déjà avant l'apparition de ces concurrents, la possibilité de recourir aux voies d'eau fixait une certaine limite que les tarifs des chemins de fer ne pouvaient pas dépasser.

Lorsqu'on dit de nos jours qu'une condition essentielle à la réalisation d'une société capitaliste selon l'idéal libéral a été écartée par la formation des monopoles, on exagère et même méconnaît les faits. De quelque façon que l'on tourne et retourne le problème des monopoles, il faudra toujours revenir au fait que les prix de monopole ne sont possibles que là où l'on est en présence d'une disposition de ressource naturelle d'une certaine variété ou que la législation et l'administration créent les conditions favorables à la formation des monopoles. A l'exception de l'exploitation des mines et des branches de production similaires, il n'y a pas, dans le développement économique, de tendance visant à écarter la concurrence. L'objection adressée au libéralisme selon laquelle les conditions de la concurrence, telles qu'elles existaient à l'époque de l'économie politique classique et lors de l'avènement des idées libérales, ne vaudraient plus, n'est absolument pas fondée. Il suffit de réaliser quelques exigences du libéralisme (liberté du commerce dans le trafic intérieur et dans le trafic extérieur) pour rétablir ces conditions.

8. La bureaucratisation

On a coutume de dire que les conditions de l'idéal social libéral, dans un autre sens encore, n'existent plus. On prétend que dans les grandes entreprises rendues nécessaires par le progrès de la division du travail le nombre du personnel va nécessairement en augmentant. Ces entreprises ressembleraient par conséquent, quant à leur direction, de plus en plus à l'entreprise publique, dont personne plus que le libéralisme ne décrie la bureaucratie. Elles deviendraient de jour en jour plus pesantes et incapables d'innover. La sélection pour les postes de direction ne se fait plus en fonction de la compétence et de la confirmation dans les affaires, mais selon une optique formelle tenant compte de la formation préalable, du temps de service, et fréquemment en raison de relations personnelles qui n'ont rien à voir à l'affaire. Finalement, le trait caractéristique qui distinguait l'entreprise privée de l'entreprise publique disparaît. Pour justifiée qu'ait été, à l'époque des libéraux classiques, l'hostilité à l'égard de l'entreprise publique qui coupait bras et jambes à la libre initiative et ôtait toute joie au travail, tel n'est plus le cas d'aujourd'hui où les procédés de gestion des entreprises privées ne sont pas moins bureaucratiques, pédantesques et formalistes que dans les services publics.

Il faut, pour pouvoir apprécier le bien fondé de ces objections, se représenter tout d'abord clairement ce qu'il faut entendre par bureaucratie et par gestion bureaucratique, et en quoi elles se distinguent du commerce et de la gestion commerciale. L'opposition esprit commercial, esprit bureaucratique est la transposition mentale de l'opposition capitalisme — et propriété individuelle des moyens de production d'une part, — et socialisme et propriété collective de ces moyens de l'autre. Celui qui dispose de moyens de production qui sont sa propriété ou qui lui ont été prêtés par leurs propriétaires en échange d'une rémunération, doit sans cesse prendre soin de les utiliser de façon qu'ils satisfassent, dans les circonstances données, les besoins sociaux les plus urgents. S'il n'agit pas ainsi, il travaille à perte pour se trouver d'abord restreint dans sa fonction de propriétaire et d'entrepreneur et, finalement, en être éliminé tout à fait. Il cesse d'être un propriétaire et un entrepreneur pour revenir dans les rangs de ceux qui ne sont qu'en mesure de vendre leur travail et qui n'ont pas pour mission de donner à la production une direction correcte — dans le sens des consommateurs. Les entrepreneurs et capitalistes possèdent dans le calcul du capital et de la rentabilité, qui constitue l'essence de la comptabilité commerciale, un procédé qui leur permet de contrôler avec la plus grande exactitude possible et dans le détail leurs activités, et de voir si possible, pour chaque action particulière — pour chaque opération commerciale — quels en sont les effets sur le résultat final de l'entreprise. La comptabilité monétaire et le calcul sont ainsi l'outillage le plus important de l'entrepreneur capitaliste, et Goethe lui-même a dit que la comptabilité double est « l'une des plus belles inventions de l'esprit humain ». Goethe a pu se permettre cette remarque parce qu'il était affranchi du ressentiment qui anime les écrivains sans grandeur à l'égard du commerçant. Leur chœur ne cesse de répéter qu'il n'y a rien au monde de plus infamant que le calcul monétaire et le fait de s'occuper de pertes et de profits.

Même dans l'entreprise la plus importante et la plus compliquée, le calcul monétaire, la comptabilité, les barèmes et statistiques d'exploitation permettent de contrôler exactement le résultat de chaque département. D'où la possibilité de juger de l'activité des différents chefs de service et de leur contribution au résultat d'ensemble de l'entreprise. On sait ainsi à quoi s'en tenir sur ces chefs de service, comment les traiter et les récompenser en fonction de leur valeur. L'accession aux postes de responsabilité est réservée à ceux qui ont donné des preuves indéniables de succès dans un domaine plus restreint. Et de même qu'on peut contrôler par la comptabilité des coûts l'action des chefs de service, on peut examiner l'activité de l'entreprise dans chaque domaine de son activité d'ensemble et les effets de certaines mesures touchant à l'organisation.

Il existe, certes, des limites à l'exactitude de ce contrôle. A l'intérieur d'un service on ne peut plus évaluer le succès ou l'échec de l'activité de tout travailleur individuel de la même manière que celle du chef de service. La contribution de certains services au rendement total ne peut pas être chiffrée ; on ne peut évaluer le rendement d'un bureau d'études, d'un bureau juridique, d'un secrétariat, d'un service de statistiques, etc., de la même façon qu'on le fait pour le rendement d'un service de vente ou de fabrication. Les premiers doivent être laissés à l'appréciation des chefs de service intéressés, les seconds à celle de la direction générale de l'entreprise. L'on peut d'autant plus tranquillement s'en remettre à eux que la clarté relative des conditions le permet et que ceux qui ont à juger — chefs de service et direction générale — ont intérêt à bien juger en ce sens que le rendement des affaires dont ils ont la responsabilité se répercute sur leur revenu personnel.

L'appareil de l'administration publique représente l'antithèse de cette entreprise contrôlée, dans chacune de ses manifestations, par le calcul de la rentabilité. Aucune comptabilité ne peut faire ressortir si un juge — et ce qui vaut pour le juge vaut également pour chaque fonctionnaire de l'Administration — s'est mieux ou moins bien acquitté de sa tâche. Il n'y a pas de possibilité de constater par l'intermédiaire d'un indice objectif si un arrondissement ou un département est bien ou mal administré, de façon autonome ou dispendieuse. Lorsqu'il s'agit de juger de l'activité des fonctionnaires de l'administration publique, la porte est par conséquent grande ouverte au libre jugement et partant aussi à l'arbitraire. On ne peut décider de la question de savoir si une charge est nécessaire, si elle occupe trop ou trop peu de fonctionnaires et si son institution est opportune ou non qu'en fonction de points de vue où se mêlent bien des considérations dépourvues d'objectivité. Il n'est qu'un domaine de l'administration publique où existe un critère indéniable de succès ou d'insuccès : la conduite de la guerre. Mais ici encore l'on ne peut se prononcer de façon certaine que sur le succès. On ne peut répondre rigoureusement et exactement à la question de savoir dans quelle mesure le rapport des forces avait, avant même le début des hostilités, déterminé la décision, et ce qu'on doit en fin de compte à la capacité ou à l'incapacité des chefs de guerre et à leur comportement, à l'opportunité des mesures prises. Bien des généraux ont été fêtés comme des vainqueurs, qui ont tout fait pour faciliter à l'ennemi la victoire, et qui ne doivent leur succès qu'à des circonstances plus fortes que les fautes commises par eux-mêmes. Et l'on a parfois réprouvé des vaincus dont le génie avait tout fait pour éloigner une défaite inévitable.

Le chef d'une entreprise privée ne donne aux employés, auxquels il assigne une tâche indépendante, qu'une seule directive : s'efforcer d'obtenir la plus haute rentabilité. Cette directive contient tout ce qu'il y a à leur dire, et la comptabilité permet de déterminer facilement et sûrement dans quelle mesure les employés s'y sont conformés. Le chef d'un office bureaucratique se trouve dans une situation toute différente. Il peut ordonner à ses subordonnés ce qu'ils ont à faire, mais il ne peut vérifier si les moyens qu'ils utilisent pour atteindre ce résultat sont les plus appropriés et les plus économiques compte tenu des circonstances. A moins d'être omniprésent dans tous les offices et bureaux placés sous ses ordres, il ne peut juger si le même résultat n'aurait pu être obtenu avec une dépense moindre en travail et en biens. Nous faisons même abstraction du fait que le résultat lui-même n'est pas chiffrable mais ne peut être exprimé que de façon approximative. Car, nous n'examinons pas les choses sous l'angle de la technique administrative et de ses effets extérieurs ; nous ne faisons que rechercher comment cette technique réagit sur le fonctionnement intérieur de l'appareil bureaucratique ; le résultat ne nous intéresse donc que par rapport aux dépenses engagées. Mais comme une élévation numérique comparable à celle de la comptabilité commerciale n'est pas concevable pour déterminer ce rapport, force est au responsable d'un appareil bureaucratique de donner à ses subordonnés des consignes qu'ils se doivent de respecter. Ces consignes prévoient de façon schématique les mesures à prendre en vue d'un déroulement régulier de la marche des affaires. Mais pour tous les cas extraordinaires, il faut, avant d'engager des dépenses, obtenir l'avis de l'autorité subordonnée. C'est là un procédé ennuyeux et incommode, en faveur duquel on peut seulement avancer qu'il est le seul responsable. Si l'on donnait, en effet, à chaque organe subalterne, à chaque chef de service, à chaque département secondaire le droit d'engager les dépenses qu'ils estiment nécessaires, les frais de l'administration s'accroîtraient indéfiniment. On ne doit pas se faire d'illusion sur le fait que le système est extrêmement défectueux et peu satisfaisant. Beaucoup de dépenses superflues sont admises alors que d'autres, qui seraient nécessaires, ne sont pas engagées parce que précisément il n'est pas donné à l'appareil bureaucratique, du fait de son caractère particulier, de s'adapter aux circonstances à l'instar de l'appareil commercial.

C'est surtout chez le bureaucrate que se manifestent les effets de la bureaucratisation. L'embauchage d'un travailleur dans une entreprise privée n'est pas un témoignage de bienveillance mais un marché dans lequel les deux parties, l'employeur et l'employé, trouvent leur compte. L'employeur doit s'efforcer de payer à l'employé une rémunération en rapport avec son rendement. S'il ne le fait pas, il court le risque de voir l'employé passer chez un concurrent payant mieux. L'employé doit s'efforcer de s'acquitter de ses fonctions de telle sorte que son salaire soit justifié et qu'il ne coure pas le risque de perdre sa place. L'emploi n'étant pas une faveur mais un marché, l'employé n'a pas à craindre d'être congédié parce qu'il serait tombé en défaveur. Car l'entrepreneur qui congédie pour une telle raison un employé capable et méritant ne nuit qu'à lui-même et non à l'employé, qui trouvera une utilisation correspondante. On peut aussi, sans le moindre inconvénient, confier au chef de service le droit d'embaucher et de congédier du personnel et ce pour la raison suivante : étant obligé, sous la pression du contrôle qu'exercent sur son activité la comptabilité et les statistiques d'exploitation, de n'avoir en vue pour son service que la plus haute rentabilité, chaque chef de service doit prendre soin de retenir les employés les meilleurs. Si pour des raisons d'envie il congédie un homme qui ne le mérite pas, si donc des actions sont motivées par des considérations personnelles et non professionnelles, c'est à lui seul d'en supporter les conséquences. Toute mesure par laquelle il entrave le succès du service qu'il dirige se traduira finalement en perte pour lui. C'est ainsi que s'incorpore sans friction dans le processus de production le facteur personnel de production, le travail. Il en va tout autrement dans l'administration bureaucratique. Puisque, ici, la contribution à la production d'un service particulier et donc aussi d'un employé particulier ne peut, même lorsque celui-ci exerce une activité de dirigeant, être évaluée par rapport au résultat, la porte est ouverte au favoritisme, tant en matière d'emploi que de rémunération. Bien que l'obtention de postes dans les services publics puisse être due à l'intercession de personnalités influentes, on ne peut pas en conclure, quant à ceux qui occupent ces postes, à une bassesse de caractère, mais tout au plus relever le fait que de prime abord tout critère objectif pour la nomination à ces postes fait défaut. Les plus capables devraient certes être employés, mais ici une question s'impose : qui est le plus capable ? Si l'on pouvait y répondre aussi facilement qu'à la question de savoir la valeur qu'a pour l'entreprise un tourneur sur fer ou un typographe, tout irait pour le mieux. Comme tel n'est pas le cas, un élément arbitraire est toujours en jeu. Pour fixer à cet arbitraire les limites aussi étroites que possibles, on essaie d'établir des conditions formelles pour la nomination aux postes et pour les promotions. On lie l'accession à certaines fonctions à un certain degré de formation, à la réussite d'examens et à un certain temps d'activité dans d'autres postes ; on fait dépendre la promotion de la durée des services. Tous ces expédients ne peuvent compenser bien entendu en quoi que ce soit l'impossibilité où l'on est de découvrir, par le calcul de la rentabilité, l'homme le plus capable pour chaque poste. Ce serait enfoncer des portes ouvertes que s'étendre sur le fait que la fréquentation de l'école, les examens et la durée des services ne garantissent pas le moins du monde la rectitude du choix. Au contraire ! Ce système exclut de prime abord la possibilité pour des personnalités fortes et capables d'atteindre aux postes qui correspondraient à leurs forces et à leurs aptitudes. Jamais encore une personnalité de valeur n'est arrivée à la direction d'un service par la voie prescrite de l'apprentissage et du passage dans différents services. Même en Allemagne, où l'on a de la considération pour les fonctionnaires, l'expression « un fonctionnaire correct » s'emploie pour exprimer qu'il s'agit d'une personnalité sans moelle et sans force, encore que d'une moralité décente.

Le caractère distinctif de l'administration bureaucratique est donc que le critère de rentabilité lui manque pour apprécier le résultat par rapport aux coûts et qu'elle est partant obligée pour compenser — de façon très imparfaite — ce défaut de lier la marche des services et l'emploi du personnel à des prescriptions formelles. Tous les maux que l'on impute à l'organisation bureaucratique : sa rigidité, son manque de talents d'organisateur, son impuissance en face de problèmes que la vie commerciale de tous les jours résout facilement, sont les conséquences de ce défaut fondamental. Aussi longtemps que l'activité administrative de l'État reste limitée à l'étroit domaine que lui assigne le libéralisme, les inconvénients du bureaucratisme ne se font cependant pas trop sentir. Ils ne deviennent un grand et grave problème pour l'ensemble de l'économie qu'au moment où l'État — et cela vaut aussi pour les communes et les associations communales — en vient à socialiser les moyens de production, à produire et faire lui-même du commerce.

Si l'entreprise publique n'est conduite que suivant le critère de la plus haute rentabilité, elle peut évidemment, aussi longtemps que le plus grand nombre des entreprises restent propriété individuelle et que par conséquent le marché subsiste (permettant la formation des prix de marché), faire usage du calcul monétaire de la rentabilité. Ce qui seul la freine dans son développement et dans son efficacité est le fait que ses dirigeants — organes d'État — ne sont pas intéressés au succès ou à l'insuccès des affaires de la même façon que les dirigeants des entreprises privées. On ne peut donc s'en remettre au dirigeant de l'entreprise publique du soin de décider librement des mesures à prendre : comme il ne supporte pas les pertes pouvant résulter éventuellement de sa politique commerciale, il pourrait être trop facilement enclin, dans sa gestion, à prendre des risques qu'un dirigeant vraiment responsable — parce que participant aux pertes — ne se hasarderait pas à prendre. Il faut donc limiter de manière quelconque ses prérogatives. Qu'on le lie à des règles rigides ou aux décisions d'une autorité supérieure, le fonctionnement de l'entreprise acquiert en tout cas cette pesanteur et ce manque de souplesse qui, partout, ont conduit les entreprises publiques d'insuccès en insuccès.

Mais en fait il n'arrive que rarement qu'une entreprise publique vise uniquement la rentabilité et qu'elle écarte toutes les autres considérations. On exige en principe d'une telle entreprise qu'elle ait égard à certaines considérations d'ordre économique et autres. C'est ainsi par exemple qu'on lui demande, pour son approvisionnement et pour ses ventes, de favoriser la production nationale plutôt qu'étrangère ; qu'on exige des chemins de fer que dans la fixation des tarifs ils agissent au service de certains intérêts de politique commerciale, qu'ils construisent et exploitent des lignes qui ne peuvent être rentables, afin de provoquer le développement économique d'une certaine région, que d'autres lignes enfin soient exploitées pour des raisons stratégiques ou autres. Dès lors que de tels facteurs entrent en jeu dans la gestion, tout contrôle par le calcul de la rentabilité est exclu. Lorsque, en présentant un bilan de fin d'année déficitaire, le directeur des chemins de fer est en mesure de lire : « Les lignes qui m'ont été confiées ont certes, du point de vue de la rentabilité, qui est celui de l'économie privée, travaillé à perte, mais l'on ne doit pas oublier que du point de vue de la politique économique et stratégique et à bien d'autres égards elles ont réalisé bien des choses qui n'entrent pas dans le calcul de rentabilité », il est clair, qu'en de telles circonstances le calcul de la rentabilité ne permet absolument plus de juger du résultat d'exploitation, de sorte que l'entreprise — même si l'on fait abstraction de toutes les autres circonstances agissant dans le même sens — doit nécessairement être menée de façon aussi bureaucratique que l'administration d'une prison ou d'un bureau des contributions.

Une entreprise privée dirigée uniquement selon les règles d'une entreprise privée, c'est-à-dire visant à la plus haute rentabilité, ne peut jamais, aussi importante soit-elle, devenir bureaucratique. Le fait de rester fermement attaché au principe de la rentabilité permet également à la grande entreprise d'évaluer avec une exactitude rigoureuse l'importance que revêtent pour le résultat d'ensemble chaque transaction commerciale et l'activité de chaque département. Aussi longtemps que les entreprises ne regardent que le gain, elles demeurent immunisées contre les ravages de la bureaucratisation. La bureaucratisation qui, aujourd'hui, caractérise de plus en plus les entreprises privées ne s'explique que par le fait que l'interventionnisme leur impose, dans la conduite de l'affaire, une optique qui leur serait bien étrangère si elles prenaient leurs décisions en toute indépendance. Lorsqu'une entreprise est obligée de prendre en considération des préjugés politiques et des susceptibilités de toute sorte pour ne pas se voir chicanée à tout propos par les organes politiques, elle perd vite le sûr terrain que représente le calcul de la rentabilité. Parmi les entreprises d'utilité publique des États-Unis, il en est par exemple qui, pour éviter des conflits avec l'opinion publique, avec les pouvoirs législatifs et judiciaires et avec l'administration (influencés par cette opinion publique) n'emploient pas en principe les catholiques, juifs, athées, darwinistes, noirs, Irlandais, Allemands, Italiens et les immigrants de fraîche date. La nécessité où se trouve chaque entreprise, dans l'État interventionniste, d'accéder aux désirs du Pouvoir pour éviter de graves pénalités a fait que de telles considérations et d'autres également étrangères aux buts de rentabilité des entreprises influencent de plus en plus la gestion. Le calcul exact et la comptabilité perdent ainsi de leur importance, et les entreprises sont de plus en plus nombreuses, qui commencent à adopter le mode d'exploitation peu objectif, orienté selon des principes formels, des entreprises publiques. En un mot : elles se bureaucratisent.

La bureaucratisation de la gestion des grandes entreprises n'est donc pas le résultat d'une nécessité inhérente au développement de l'économie capitaliste. Elle n'est qu'une conséquence de la politique interventionniste. Si l'État et les autres autorités sociales ne gênaient pas les entreprises, même les grandes entreprises pourraient agir de façon aussi économique que les petites.



Notes

1. On ne doit pas confondre le syndicalisme en tant que but idéal et social et le syndicalisme en tant que tactique des travailleurs réunis en syndicats (« action directe » des syndicalistes français). Le syndicalisme en tant que tactique peut certes servir de procédé de lutte pour réaliser l'idéal social syndicaliste, mais il peut aussi servir à d'autres buts inconciliables avec cet idéal. On peut par exemple — et c'est ce que veut une partie des syndicalistes français — grâce à la tactique syndicaliste, viser à aboutir au socialisme.

2. De même, lorsque simultanément dans le monde entier les salaires augmentent artificiellement du fait de l'intervention du gouvernement ou de la coercition des syndicats, il ne peut en résulter qu'une consommation de capital, et en fin de compte une nouvelle diminution des salaires.


Chapitre précédent  |  Chapitre suivant  |  Table des matières  |  Page Ludwig von Mises  |  Page d'accueil