Le Fondement ultime de la science économique

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

II. La base activiste de la connaissance

 

1. L'Homme et l'action

Le trait caractéristique de l'Homme est l'action. L'Homme cherche à changer certaines conditions de son environnement afin de substituer un état de choses qui lui convient mieux à un autre qui lui convient moins bien. Toutes les manifestations de la vie et du comportement dans lesquelles l'Homme se différencie de tous les autres êtres et choses qu'il connaît sont des exemples d'action et ne peuvent être traitées que depuis ce que nous pouvons appeler un point de vue activiste. L'étude de l'Homme, tant qu'il ne s'agit pas de biologie, commence et se termine par l'étude de l'action humaine.

L'action est une conduite intentionnelle. Ce n'est pas un simple comportement, mais un comportement suscité par des jugements de valeur, poursuivant une fin donnée et guidé par des idées sur le fait que des moyens conviennent ou non. Il est impossible de traiter de l'action sans les concepts de causalité et de finalité. C'est un comportement conscient. Agir, c'est choisir. C'est vouloir : l'action est une manifestation de la volonté.

L'action est parfois considérée comme la variante humaine de la lutte pour la survie commune à tous les êtres vivants. Cependant l'expression « lutte pour la survie » telle qu'on l'applique aux animaux et aux plantes est une métaphore. Ce serait une erreur de déduire quoi que ce soit de son usage. En appliquant littéralement le terme de lutte aux animaux et aux plantes on leur attribuerait le pouvoir de prendre conscience des facteurs menaçant leur existence, la volonté de préserver leur propre intégrité et la faculté mentale de trouver des moyens pour la préserver.

D'un point de vue activiste, la connaissance est un instrument de l'action. Son rôle est d'aider l'Homme à procéder dans ses tentatives d'élimination de son malaise. Aux stades supérieurs de l'évolution humaine, des conditions de l'Âge de Pierre à celles de l'ère de capitalisme moderne, le malaise est également ressenti par la simple prédominance de l'ignorance de la nature et de la signification des choses, que cette connaissance des choses fondamentales puisse ou non avoir une application pratique pour une quelconque réalisation technologique. Vivre dans un univers dont la structure finale et réelle n'est pas familière crée en soi un sentiment d'anxiété. Pour éliminer cette angoisse et donner aux Hommes une certitude quant aux choses finales, il y a eu dès les premiers temps la sollicitude de la religion et de la métaphysique. Plus tard la philosophie des Lumières et les écoles affiliées promirent que les sciences de la nature résoudraient tous les problèmes sous-jacents. En tout cas, c'est un fait que méditer sur l'origine et l'essence des choses, la nature humaine et son rôle dans l'univers, est une préoccupation de nombreuses personnes. Vue sous cet angle la recherche pure de la connaissance, non motivée par le désir d'améliorer les conditions extérieures de sa vie, est aussi une action, c'est-à-dire un effort cherchant à atteindre un état de choses plus souhaitable.

Une autre question est de savoir si l'esprit humain est capable de résoudre pleinement les problèmes sous-jacents. On peut soutenir que la fonction biologique de la raison est d'aider l'Homme dans sa lutte pour la survie et l'élimination de son malaise. Tout pas au-delà des limites tracées par cette fonction, dit-on, amène à des spéculations métaphysiques inouïes ne pouvant être ni démontrées ni réfutées. L'omniscience est pour toujours niée à l'Homme. Toute recherche de la vérité doit, tôt ou tard mais inévitablement, conduire à une donnée ultime 1.

Le concept d'action est le concept fondamental de la connaissance humaine. Il implique tous les concepts de la logique ainsi que les concepts de régularité et de causalité. Il implique le concept de temps et celui de valeur. Il comprend toutes les manifestations spécifiques de la vie humaine qui se séparent des manifestations de la structure physiologique de l'Homme qu'il a en commun avec tous les autres animaux. En agissant, l'esprit de l'individu se voit différent de son environnement, du monde externe, et essaie d'étudier cet environnement afin d'influer sur le cours des événements qui s'y passent.

2. La finalité

Ce qui sépare le champ de l'action humaine du champ des événements externes qu'étudient les sciences de la nature, c'est le concept de finalité. Nous ne savons rien des causes finales opérant dans ce que nous appelons la nature. Mais nous savons que l'Homme poursuit certains buts choisis. Dans les sciences de la nature nous cherchons des relations constantes entre les différents événements. En traitant de l'action humaine nous cherchons les fins que l'agent veut ou voulait atteindre et le résultat auquel son action a abouti ou aboutira.

La distinction nette entre un domaine de la réalité sur lequel l'Homme ne peut rien apprendre d'autre que le fait qu'il se caractérise par une régularité dans la séquence et l'enchaînement des événements et un domaine dans lequel il y a une poursuite intentionnelle de fins choisies est l'aboutissement d'une longue évolution. L'Homme, lui-même être agissant, était d'abord enclin à expliquer tous les événements comme la manifestation de l'action d'êtres agissant d'une manière qui n'était pas fondamentalement différente de la sienne. L'animisme attribuait à toutes les choses de l'univers la faculté d'action. Quand l'expérience fit abandonner cette croyance aux gens, on supposa encore que Dieu, ou la nature, agissait d'une façon peu différente des modèles de l'action humaine. L'émancipation par rapport à cet anthropomorphisme est l'un des fondements épistémologiques de la science moderne de la nature.

La philosophie positiviste, qui se qualifie elle-même de nos jours de philosophie scientifique, croit que ce rejet du finalisme par les sciences de la nature implique la réfutation de toutes les doctrines théologiques ainsi que celle des enseignements des sciences de l'action humaine. Elle prétend que les sciences de la nature peuvent résoudre tous les « mystères de l'univers » et fournir une réponse prétendument scientifique à toutes les questions qui peuvent troubler l'humanité.

Toutefois, les sciences de la nature n'ont pas contribué et ne peuvent en rien contribuer à la clarification des problèmes que la religion essaie de traiter. La reniement de l'anthropomorphisme naïf qui imaginait un être suprême, soit comme un dictateur soit comme un gardien, était le résultat de la théologie et de la métaphysique. En ce qui concerne la doctrine disant que Dieu est tout autre que l'Homme et que son essence et sa nature ne peuvent pas être saisies par un simple mortel, les sciences de la nature et une philosophie qui en découle n'ont rien à dire. La transcendance est au-delà du domaine sur lequel la physique et la physiologie nous donnent des informations. La logique ne peut ni prouver ni réfuter le cœur des doctrines théologiques. Tout ce que la science — en dehors de l'Histoire — peut faire à cet égard est d'exposer les erreurs de la magie et des superstitions et pratiques fétichistes.

En niant l'autonomie des sciences de l'action humaine et de leur concept de causes finales, le positivisme énonce un postulat métaphysique qu'il ne peut pas étayer avec la moindre découverte des méthodes expérimentales des sciences de la nature. C'est un passe-temps gratuit que d'appliquer à la description du comportement humain les méthodes que les sciences de la nature utilisent pour étudier le comportement des souris ou du fer. Les mêmes événements externes produisent différentes réactions chez des différentes personnes et chez la même personne à différents moments. Les sciences de la nature sont impuissantes face à cette « irrégularité ». Leurs méthodes ne peuvent traiter que d'événements gouvernés selon un modèle régulier. De plus elles ne laissent aucune place aux concepts de sens, de jugement de valeur et de fins.

3. Le jugement de valeur

Juger est la réaction émotionnelle de l'Homme aux divers états de son environnement, que ce soit ceux du monde externe ou ceux des conditions physiologiques de son propre corps. L'Homme fait une distinction entre les états plus souhaitables et les états moins souhaitables, comme diraient les optimistes, ou entre de grands maux et de moindres maux comme les pessimistes seraient disposés à le dire. Il agit quand il croit que l'action peut aboutir à substituer un état plus désirable à un état qui l'est moins.

L'échec des tentatives d'application des méthodes et des principes épistémologiques des sciences de la nature aux problèmes de l'action humaine résulte de ce que ces sciences n'ont pas d'outil pour traiter du jugement de valeur. Dans la sphère des phénomènes qu'ils étudient il n'y a pas de place pour un quelconque comportement intentionnel. Le physicien lui-même et sa recherche en physique sont des entités échappant à l'orbite qu'il étudie. Les jugements de valeur ne peuvent pas être perçus par les attitudes d'observation de l'expérimentateur et ne peuvent pas être décrits dans les énoncés protocolaires du langage de la physique. Pourtant ce sont, également du point de vue des sciences de la nature, des phénomènes réels, car ils constituent un maillon nécessaire dans la chaîne des événements produisant des phénomènes physiques donnés.

Le physicien peut rire aujourd'hui de la doctrine qui interprétait certains phénomènes comme étant l'effet d'une « horreur du vide ». Mais il n'arrive pas à comprendre que les postulats du panphysicalisme sont tout aussi ridicules. Si l'on élimine toute référence aux jugements de valeur, il est impossible de dire quoi que ce soit des actions de l'Homme, c'est-à-dire de tout comportement qui n'est pas une simple conséquence de processus physiologiques se déroulant dans le corps humain.

4. La chimère d'une Science unifiée

Le but de toutes les variantes du positivisme est de faire taire les sciences de l'action humaine. Pour les besoins du raisonnement nous pouvons nous abstenir d'analyser les contributions du positivisme à l'épistémologie des sciences de la nature à la fois quant à leur originalité et quant à leur validité. Nous n'avons pas à nous étendre non plus trop longtemps sur les motifs qui poussaient les auteurs positivistes à attaquer passionnément la « procédure non scientifique » de l'économie et de l'histoire. Ils défendaient des réformes politiques, économiques et culturelles bien précises qui, à ce qu'ils croyaient, apporteraient le salut de l'humanité et l'établissement d'un bonheur éternel. Comme ils ne purent pas réfuter la critique dévastatrice que leurs plans invraisemblables rencontrèrent de la part des économistes, ils voulurent supprimer la « science lugubre ».

La question de savoir si le terme de « science » ne devrait être appliqué qu'aux sciences de la nature ou aussi à la praxéologie et l'histoire, est purement linguistique et sa solution diffère selon les usages des différentes langues. En anglais le terme « science » ne se réfère pour beaucoup de gens qu'aux sciences de la nature 2. En allemand il est habituel de parler d'une Geschichtswissenschaft [science de l'histoire] et de qualifier diverses branches de l'histoire de Wissenschaft, comme par exemple Literaturwissenschaft, Sprachwissenschaft, Kunstwissenschaft, Kriegswissenschaft. On peut abandonner ce problème en le considérant comme purement verbal, comme une querelle de mots inutile.

Auguste Comte a posé le principe d'une science empirique qui, façonnée selon le modèle de la mécanique classique, devrait traiter des lois de la société et des faits sociaux. Les plusieurs centaines et milliers d'adeptes de Comte se qualifiaient de sociologues et appelaient les livres qu'ils publiaient des contributions à la sociologie. En réalité ils traitaient de divers chapitres plus ou moins négligés de l'histoire et se conformaient en règle générale aux méthodes éprouvées de la recherche historique et ethnologique. Peu importe qu'ils mentionnent ou non dans le titre de leurs ouvrages la période et la région géographique qu'ils étudient. Leurs études « empiriques » font nécessairement toujours référence à une époque donnée de l'histoire et décrivent des phénomènes qui se sont passés, qui ont changé et qui ont disparu dans le cours du temps. Les méthodes des sciences de la nature ne peuvent pas être appliquées au comportement humain parce que ce dernier, en dehors de ce qui fait qu'on le qualifie d'action d'humaine et qui est étudié par la science a priori de la praxéologie, manque de la particularité qui caractérise les événements relevant du domaine des sciences de la nature, à savoir la régularité.

Il est également impossible de confirmer ou d'écarter par le raisonnement discursif les idées métaphysiques qui sont à la base du programme, objet d'une publicité effrontée, de la « Science unifiée » tel qu'il est présenté dans l'International Encyclopedia of Unified Science, évangile du positivisme logique, du panphysicalisme et de l'empirisme intolérant. Assez paradoxalement, ces doctrines, qui partent d'un rejet radical de l'histoire, nous demande de considérer tous les événements comme relevant du domaine d'une histoire cosmique intégrale. Ce que nous savons des événements naturels, par exemple du comportement du sodium et des leviers pourrait, selon eux, ne valoir que pour la période cosmique dans laquelle nous vivons nous-mêmes et dans laquelle les précédentes générations des scientifiques ont vécu. Il n'y a aucune raison pour attribuer aux énoncés chimiques ou mécaniques « une quelconque universalité » plutôt que de les traiter comme des énoncés historiques 3. De ce point de vue les sciences de la nature se transforment en un chapitre de l'histoire du cosmos. Il n'y a pas de conflit entre le physicalisme et l'histoire de l'univers.

Nous devons admettre que nous ne savons rien des conditions associées à une période de l'histoire de l'univers pour laquelle les énoncés de ce que nous appelons à notre époque les sciences de la nature ne seraient plus valables. En parlant de la science et de la connaissance nous avons uniquement à l'esprit les conditions que notre vie, notre pensée et notre action nous permettent d'étudier. Ce qui est au-delà de cet état de choses — peut-être limité dans le temps — est pour nous une région inconnue et impossible à connaître. Dans le secteur de l'univers accessible à notre esprit chercheur prévaut un dualisme dans la succession et la suite des événements. Il y a d'une part le champ des événements externes, à propos desquels nous pouvons uniquement savoir qu'il existe des relations constantes entres eux, et d'autre part le champ de l'action humaine, sur lequel nous ne pouvons rien savoir sans recourir au concept de finalité. Toutes les tentatives faites pour passer outre ce dualisme sont dictées par des préjugés métaphysiques arbitraires, n'aboutissent qu'à un non sens et sont inutiles pour l'action pratique.

La différence qui existe dans notre environnement entre le comportement du sodium et celui d'un auteur qui parle du sodium dans ses écrits ne peut pas être balayée par une référence à la possibilité qu'il y eut autrefois ou qu'il y aura dans l'avenir des périodes de l'histoire de l'univers sur lesquelles nous ne savons rien. La seule chose dont notre connaissance doit tenir compte est le fait qu'en ce qui concerne le sodium nous ne savons rien des causes finales qui gouvernent son comportement alors que nous savons que l'Homme, par exemple en écrivant un essai sur le sodium, poursuit certaines fins. Les tentatives faites par le béhaviorisme (ou de la « béhaviorique » (behavioristics) 4) pour étudier l'action humaine selon le schéma stimulus-réponse ont lamentablement échoué. Il est impossible de décrire la moindre action humaine si l'on ne se réfère pas au sens que l'agent voit dans le stimulus ainsi qu'au but que recherche sa réponse.

Nous connaissons aussi la raison qui pousse les partisans de toutes ces folies, partisans qui paradent de nos jours sous l'étiquette de la Science unifiée. Leurs auteurs sont poussés par le complexe dictatorial. Ils veulent s'y prendre avec leurs semblables comme un ingénieur s'y prend avec les matériaux qu'il utilise pour bâtir des maisons, des ponts et des machines. Ils veulent substituer « l'ingénierie sociale » aux actions de leurs concitoyens et leur plan unique et traitant de tout aux plans des autres gens. Ils se voient dans le rôle du dictateur —du duce, du Führer, du tsar de la production — entre les mains duquel tous les autres représentants de l'humanité ne sont que des pions. S'ils font référence à la société comme à un agent, c'est qu'ils parlent d'eux-mêmes. S'ils disent que l'action consciente de la société doit remplacer l'anarchie actuelle de l'individualisme, ils parlent uniquement de leur propre conscience et non de celle de quelqu'un d'autre.

5. Les deux branches des sciences de l'action humaine

Il existe deux branches dans les sciences de l'action humaine : la praxéologie d'une part, l'histoire de l'autre.

La praxéologie est a priori. Elle part du concept d'action et développe à partir de lui tout ce qu'il contient. Pour des raisons pratiques la praxéologie n'accorde en général que peu d'attention aux problèmes qui n'ont pas d'utilité pour l'étude de la réalité de l'action de l'Homme et concentre son travail sur les problèmes nécessaires pour résoudre ce qui se passe dans la réalité. Son intention est de traiter l'action qui se produit dans les conditions que doit affronter l'Homme qui agit. Cela ne change rien au caractère purement aprioriste de la praxéologie. Cela réduit seulement le champ que les praxéologistes choisissent habituellement d'étudier. Ils ne se réfèrent à l'expérience que pour séparer les problèmes qui intéressent l'étude de l'Homme tel qu'il est effectivement des problèmes ne présentant qu'un intérêt purement théorique. Pour répondre à la question de savoir si oui non certains théorèmes de la praxéologie s'appliquent à un problème concernant l'action, il faut établir si oui ou non les hypothèses particulières associées au théorème peuvent avoir une quelconque valeur pour la connaissance de la réalité. Il est en tout cas certain que cela ne dépend pas de la réponse à la question de savoir si ces hypothèses correspondent à l'état réel de ce que les praxéologistes veulent étudier. Les constructions imaginaires qui constituent le principal — ou, comme préféreraient dire certains, le seul — outil intellectuel de la praxéologie pour décrire des conditions qui ne peuvent jamais se présenter dans la réalité de l'action. Elles sont pourtant indispensables pour concevoir ce qui se passe dans cette réalité. Même les défenseurs les plus sectaires de l'interprétation empiriste des méthodes de l'économie emploient la construction imaginaire d'une économie en rotation constante (équilibre statique), bien qu'un tel état de choses ne puisse jamais être obtenu 5.

Dans le sillage des analyses de Kant, les philosophes ont posé la question : Comment l'esprit humain, par une réflexion aprioriste, traite-t-il de la réalité du monde extérieur ? En ce qui concerne la praxéologie la réponse est évidente. La pensée et le raisonnement a priori d'une part, l'action humaine de l'autre, sont des manifestations de l'esprit humain. La structure logique de l'esprit humain crée la réalité de l'action. La raison et l'action sont de même nature et homogènes, ce sont deux aspects du même phénomène. Nous pouvons en ce sens appliquer à la praxéologie la maxime d'Empédocle : γαωσιζ τοvιμοιv τω πμοιω.

Certains auteurs se sont demandé de façon plutôt creuse comment un praxéologiste réagirait à une expérience contredisant les théorèmes de sa doctrine aprioriste. La réponse est : de la même façon qu'un mathématicien réagirait à une « expérience » disant qu'il n'y a pas de différence entre deux pommes et sept pommes ou un logicien à une « expérience » expliquant que A et non-A sont identiques. Pour l'action humaine l'expérience suppose le concept d'action humaine et tout ce qui en découle. Si l'on ne se réfère pas au système de l'a priori praxéologique, on ne doit pas et on ne peut pas parler d'action, mais seulement d'événements devant être décrits dans les termes des sciences de la nature. La conscience des problèmes qui concernent les sciences de l'action humaine est conditionnée par la familiarité avec les concepts a priori de la praxéologie. Au passage, nous pouvons aussi faire remarquer que toute expérience dans le domaine de l'action humaine est une expérience spécifiquement historique, c'est-à-dire une expérience de phénomènes complexes, qui ne peut jamais réfuter le moindre théorème à la façon dont une expérimentation de laboratoire peut le faire à propos des propositions des sciences de la nature.

Jusqu'à présente la seule branche de la praxéologie à avoir été développée en système scientifique est l'économie. Un philosophe polonais, Tadeusz Kotarbinski, essaie de développer une nouvelle branche de la praxéologie : la théorie praxéologique du conflit, de la guerre, par opposition à la théorie de la coopération, de l'économie 6.

L'autre branche des sciences de l'action humaine est l'histoire. Elle comprend la totalité de ce qui est connu de l'action humaine. C'est le récit ordonné avec méthode de l'action humaine, la description de phénomènes qui se sont produits, c'est-à-dire du passé. Ce qui distingue les descriptions de l'histoire de celles des sciences de la nature est qu'elles ne sont pas interprétées à la lumière du concept de régularité. Quand un physicien dit : Si A rencontre B, alors il en résulte C, il veut affirmer, quoi que puissent dire les philosophes, que C surviendra à chaque fois et partout où A rencontrera B dans des conditions analogues. Quand l'historien se réfère à la bataille de Cannes, il sait qu'il parle du passé et que cette bataille particulière ne se reproduira jamais.

L'expérience est une activité mentale uniforme. Il n'y a pas deux branches dans l'expérience, l'une qui aurait trait aux sciences de la nature et l'autre à la recherche historique. Tout acte d'expérience est une description de ce qui s'est passé à l'aide de l'équipement praxéologique et logique de l'observateur et de ses connaissances concernant les sciences de la nature. C'est l'attitude de l'observateur qui interprète l'expérience en y ajoutant sa propre liste, préalablement accumulée, de faits connus. Ce qui distingue l'expérience de l'historien de celle du naturaliste et du physicien est que le premier cherche le sens qu'a ou a eu l'événement pour ceux qui ont joué un rôle dans son apparition ou qui ont été touchés par son existence.

Les sciences de la nature ne savent rien sur les causes finales. Pour la praxéologie la finalité est le concept fondamental. Mais la praxéologie fait abstraction du contenu concret des fins que poursuivent les hommes. C'est l'histoire qui traite des fins concrètes. Pour l'histoire la question principale est : Quel était le sens que les acteurs attachaient à la situation dans laquelle ils se trouvaient et quel était le sens de leur réaction, et enfin, que fut le résultat de ces actions ? L'autonomie de l'histoire ou, comme nous pourrions le dire, des différentes disciplines historiques réside dans le fait qu'elles se consacrent à l'étude du sens.

Il n'est peut-être pas superflu de souligner encore une fois que lorsque les historiens parlent du « sens » ils se réfèrent uniquement au sens que les individus — les acteurs eux-mêmes et ceux qui sont affectés par leur action, ou les historiens — voient dans leurs actions. L'histoire en tant que telle n'a rien à voir avec le point de vue des philosophies de l'histoire qui prétendent connaître le sens que Dieu, ou un quasi dieu, — comme les forces matérielles productives dans le schéma de Marx — attache aux divers événements.

6. La caractère logique de la praxéologie

La praxéologie est a priori. Tous ses théorèmes sont les produits du raisonnement déductif qui part du concept d'action. Les questions se demandant si les jugements de la praxéologie doivent être qualifiés d'analytiques ou de synthétiques et si oui ou non sa méthode doit être qualifiée de « simple » tautologie n'ont qu'un intérêt verbal.

Ce que la praxéologie affirme en ce qui concerne l'action humaine en général est entièrement valable sans exception pour toute action. Il y a l'action et il y a l'absence d'action, mais rien entre les deux. Toute action est une tentative visant à échanger un état de choses pour un autre, et tout ce que la praxéologie affirme au sujet de l'échange s'y applique rigoureusement. Dans toute action que nous étudions, nous rencontrons les concepts fondamentaux de la fin et des moyens, du succès et de l'échec, des pertes et des profits, des coûts. Un échange peut être soit direct soit indirect, c'est-à-dire effectué avec l'intervention d'une étape intermédiaire. Qu'une action donnée ait été un échange indirect ou non doit être déterminé par l'expérience. Mais s'il s'est agi d'un échange indirect, tout ce que dit la praxéologie de l'échange indirect en général s'y applique rigoureusement.

Chaque théorème de la praxéologie est déduit par le raisonnement logique du concept d'action. Il reçoit la certitude apodictique qui découle d'un raisonnement logique partant d'un concept a priori.

Dans la chaîne du raisonnement praxéologique, le praxéologiste introduit certaines hypothèses concernant les conditions de l'environnement dans lequel se déroule l'action. Puis il essaie de déterminer comment ces conditions particulières affectent le résultat auquel doit mener son raisonnement. La question de savoir si oui ou non les conditions réelles du monde externe correspondent à ces hypothèses ne peut recevoir de réponse que de l'expérience. Mais si la réponse est positive, toutes les conclusions tirées par le raisonnement praxéologique logiquement correct décrivent rigoureusement ce qui se passe dans la réalité.

7. Le caractère logique de l'histoire

L'histoire au sens large du terme est la totalité de l'expérience humaine. L'histoire est expérience, et toute expérience est historique. L'histoire comprend aussi toute l'expérience des sciences de la nature. Ce qui caractérise les sciences de la nature en tant que telles est le fait qu'elles abordent le matériau de l'expérience avec le concept d'une régularité stricte dans la succession des événements. L'histoire au sens étroit du terme, c'est-à-dire la totalité de l'expérience concernant l'action humaine, ne doit pas se référer et ne se réfère pas à ce concept. C'est cela qui la distingue sur le plan épistémologique des sciences de la nature.

L'expérience est toujours expérience du passé. Il n'y a pas d'expérience ou d'histoire du futur. Il ne serait pas nécessaire de répéter ce truisme s'il n'y avait pas le problème de la prévision économique des statisticiens, sur laquelle nous dirons quelque chose plus loin 7.

L'histoire est le récit des actions humaines. Elle établit le fait que les hommes, inspirés par certaines idées, ont produit certains jugements de valeurs, ont choisi certaines fins et ont eu recours à certains moyens pour atteindre les fins retenues, et elle traite en outre du résultat de leurs actions, de la situation que leur action a amenée.

Ce qui sépare les sciences de l'action humaine des sciences de la nature, ce ne sont pas les événements étudiés mais la façon dont ils sont pris en compte. Le même événement apparaît différemment si on le regarde à la lumière de l'histoire ou à celle de la physique ou de la biologie. Ce qui intéresse l'historien dans le cas d'un meurtre ou d'un incendie n'est pas ce qui intéresse le physiologiste ou le chimiste quand ils n'agissent pas en tant qu'experts pour un tribunal. Pour l'historien les événements du monde extérieur qu'étudient les sciences de la nature n'interviennent que dans la mesure où ils exercent un effet sur l'action humaine ou sont produits par elle.

La donnée ultime en histoire est appelée l'individualité. Quand l'historien atteint le point au-delà duquel personne ne peut aller, il se réfère à l'individualité. Il « explique » un événement — l'origine d'une idée ou le fait d'accomplir une action — en le faisant remonter à l'activité d'un homme ou d'une multitude d'hommes. Il se trouve ici face à l'obstacle qui empêche les sciences de la nature d'étudier les actions des hommes, à savoir notre incapacité à savoir comment des événements externes donnés produisent dans les esprits humains certaines réactions, c'est-à-dire certaines idées et volontés.

De vaines tentatives ont été faites pour faire remonter l'action humaine à des facteurs pouvant être décrits par les méthodes des sciences de la nature. En soulignant le fait que le besoin de préserver sa propre vie et d'assurer la descendance de son espèce est inscrit dans toute créature, on a affirmé que la faim et le sexe était les principaux ou mêmes les seuls ressorts de l'action humaine. Toutefois, on ne pourrait pas nier qu'il existe des différences considérables entre la façon dont ces besoins biologiques affectent le comportement d'un homme et celui des êtres non humains, ni que l'homme, en plus de satisfaire ses pulsions animales, a également envie d'atteindre d'autres fins spécifiquement humaines et habituellement appelées pour cela fins supérieures. Le fait que la structure physiologique du corps humain — avant tout les appétits du ventre et des glandes sexuelles — affecte les choix de l'homme qui agit n'a jamais été oublié par les historiens. Après tout l'Homme est un animal. Mais c'est un animal qui agit : il choisit entre des fins contradictoires. C'est précisément cela qui constitue le thème de la praxéologie et de l'histoire

8. La méthode thymologique

L'environnement dans lequel agit un homme est déterminé par les événements naturels d'une part et par l'action de l'homme de l'autre. Le futur pour lequel il fait des plans est co-déterminé par les actions des gens qui, comme lui, établissent des plans et agissent. S'il veut réussir il doit anticiper leur conduite.

L'incertitude liée au futur est causée non seulement par l'incertitude vis-à-vis des futures actions des autres hommes, mais aussi par une connaissance insuffisante concernant de nombreux événements naturels qui jouent un rôle important dans l'action. La météorologie fournit quelques informations sur les facteurs déterminant les conditions atmosphériques, mais cette connaissance permet au mieux à l'expert de prédire le temps avec une certaine probabilité pour quelques jours, jamais pour de longues périodes. Il y a d'autres domaines dans lesquels la prévision de l'homme est encore plus limitée. Tout ce que l'homme peut faire face à ces conditions insuffisamment connues est d'utiliser ce que les sciences de la nature lui donnent, aussi peu que cela puisse être.

Les méthodes employées pour anticiper la conduite des ses semblables sont radicalement différentes de celles utilisées dans l'étude des événements naturels. La philosophie et la science ont pendant longtemps accordé peu d'attention à ces méthodes. Elles les considéraient comme non scientifiques et indignes d'être prises en compte par des penseurs sérieux. Quand les philosophes commencèrent à les étudier ils les qualifièrent de psychologiques. Mais ce terme est devenu inapproprié depuis que les techniques de la psychologie expérimentale se sont développées et que presque tout ce que les générations d'autrefois avaient appelé psychologie est soit totalement rejeté comme non scientifique, soit mis dans une catégorie de recherches qualifiées avec mépris de « simple littérature » ou de « psychologie littéraire ». Les champions de la psychologie expérimentale étaient convaincus qu'un jour leurs expériences de laboratoire fourniraient une solution scientifique à tous les problèmes sur lesquels, disaient-ils, les sciences traditionnelles du comportement humain balbutiaient en empruntant un discours enfantin ou métaphysique.

En fait, la psychologie expérimentale n'a rien à dire et n'a jamais rien dit sur les problèmes que les gens ont à l'esprit quand ils parlent de psychologie à propos des actions de leurs semblables. Le problème central, le premier problème de la « psychologie littéraire » est le sens, qui est une chose au-delà des limites de toute science de la nature et de toute activité de laboratoire. Alors que la psychologie expérimentale est une branche des sciences de la nature, la « psychologie littéraire » traite de l'action humaine, c'est-à-dire des idées, des jugements de valeur et des volontés qui déterminent l'action. Comme l'expression « psychologie littéraire » est plutôt lourde et ne permet pas de former un adjectif correspondant, j'ai suggéré de la remplacer par le terme « thymologie » 8.

La thymologie est une branche de l'histoire ou, comme l'a dit Collingwood, elle appartient à « la sphère de l'histoire » 9. Elle étudie les activités mentales des hommes qui déterminent leurs actions. Elle traite des processus mentaux qui entraînent un certain type de comportement, des réactions de l'esprit aux conditions de l'environnement de l'individu. Elle traite de quelque chose d'invisible et d'intangible qui ne peut pas être perçu par les méthodes des sciences de la nature. Mais les sciences de la nature doivent admettre que ce facteur doit également être considéré comme réel de leur point de vue, car il est un lien dans la chaîne des événements qui aboutissent aux changements dans cette sphère dont la description constitue d'après eux l'objet spécifique de leurs études.

En analysant et en démolissant les prétentions du positivisme de Comte, un groupe de philosophes et d'historiens connu comme la südwestdeutsche Schule [école de l'Allemagne du sud-ouest] a élaboré le concept d'intuition [au sens de Bergson a] (Verstehen) qui était déjà connu dans un sens moins explicite des auteurs anciens. Cette intuition spécifique des sciences de l'action humaine vise à établir les hommes attachent un sens précis à l'état de leur environnement, qu'ils jugent cet état et que, motivés par ces jugements de valeurs, ils ont recours à certains moyens pour préserver ou atteindre un état de choses donné différent de celui qui prévaudrait s'ils s'abstenaient de toute réaction délibérée. L'intuition traite des jugements de valeur, du choix des fins et des moyens employés pour parvenir à ces fins, ainsi que de l'évaluation du résultat des actions accomplies.

Les méthodes de la recherche scientifique ne sont pas conceptuellement différentes des procédures employées par tout un chacun dans son comportement ordinaire et quotidien. Elles sont juste plus raffinées et autant que possible purgées des incohérences et des contradictions. L'intuition n'est pas une méthode procédurale particulière aux seuls historiens. Elle est pratiquée par les enfants dès qu'ils dépassent l'état purement végétatif de leurs premiers jours et de leurs premières semaines. Il n'y a pas de réponse consciente de l'homme à un stimulus quelconque qui ne soit gouverné par l'intuition.

L'intuition présuppose et implique la structure logique de l'esprit humain avec tous ses concepts a priori. La loi biogénétique représente l'ontogénie de l'individu en tant que récapitulation abrégée de la phylogénie de l'espèce. On peut décrire de manière analogue les changements de la structure intellectuelle. L'enfant reproduit dans son développement postnatal l'histoire de l'évolution intellectuelle de l'humanité 10. Le nouveau-né devient thymologiquement humain quand il commence à apparaître faiblement dans son esprit qu'une fin désirée peut être obtenue par un mode de conduite précis. Les animaux non humains ne vont jamais au-delà des besoins instinctifs et des réflexes conditionnés.

Le concept d'intuition fut tout d'abord élaboré par des philosophes et des historiens qui voulaient réfuter le dénigrement des méthodes de l'histoire par les positivistes. Ceci explique pourquoi il ne fut à l'origine considéré que comme un outil intellectuel pour l'étude du passé. Mais les services que l'intuition rend à l'homme en éclairant le passé ne sont qu'une étape préliminaire dans les tentatives d'anticipation de ce qui peut se passer dans le futur. D'un point de vue pratique, l'Homme apparaît ne s'intéresser au passé qu'en vue de pouvoir s'occuper du futur. Les sciences de la nature traitent de l'expérience — qui est nécessairement toujours le compte rendu de ce qui s'est produit dans le passé — parce que les concepts de régularité et de causalité rendent de telles études utiles pour guider l'action technologique, qui a toujours invariablement en vue une disposition des conditions futures. La compréhension intuitive du passé remplit un service similaire en donnant à l'action autant de chances de succès que possible. L'intuition cherche à anticiper les conditions futures dans la mesure où elles dépendent des idées, des jugements de valeur et des actions des hommes. Il n'y a, sauf pour Robinson Crusoe avant qu'il ne rencontre Vendredi, aucune action qui puisse être planifiée ou exécutée sans faire pleinement attention à ce que les autres acteurs humains feront. L'action sous-entend la compréhension intuitive des réactions des autres hommes.

L'anticipation des événements dans la sphère explorée par les sciences de la nature se fonde sur les concepts de régularité et de causalité. Il existe sur certains ponts sur des chemins de traverse qui s'effondreraient si un camion chargé de dix tonnes les empruntaient. Nous ne nous attendons pas à ce qu'une telle charge fasse s'effondrer le pont George Washington. Nous avons pleinement confiance dans les concepts qui constituent les fondements de nos connaissances physiques et chimiques.

En traitant des réactions de nos semblables, nous ne pouvons pas compter sur une telle régularité. Nous supposons qu'en règle générale le comportement futur des gens, toutes choses égales par ailleurs, ne s'écartera pas sans raison spéciale de leur comportement passé, parce que nous supposons que ce qui a déterminé leur conduite par le passé la déterminera dans le futur. Aussi différent que nous nous savons des autres gens, nous essayons de deviner comment ils réagiront aux changements de leur environnement. A partir de ce que nous savons du comportement passé d'un homme, nous construisons un modèle que nous appelons son caractère. Nous supposons que ce caractère ne changera pas si aucun raison spéciale n'intervient et, en allant un peu plus loin, nous essayons même de prévoir comment certains changements de conditions modifieront ses réactions. Comparées à la certitude apparemment absolue qu'offrent certaines sciences de la nature, ces hypothèses et toutes les conclusions qui en découlent semblent plutôt peu solides ; les positivistes peuvent s'en moquer en les qualifiant de non scientifiques. Mais elles constituent la seule approche disponible des problèmes concernés et sont indispensables à toute action devant être accomplie dans un milieu social.

L'intuition ne traite pas du côté praxéologique de l'action humaine. Elle se réfère aux jugements de valeur et au choix des fins et des moyens de la part de nos semblables. Elle ne se rattache pas au champ de la praxéologie et de l'économie, mais au domaine de l'histoire. Il s'agit d'un concept thymologique. Le concept d'une nature humaine est un concept thymologique. Son contenu concret est déduit dans chaque cas de l'expérience historique.

Aucune action ne peut être planifiée et exécutée sans compréhension intuitive du futur. Même l'action d'un individu isolé est guidée par des hypothèses précises sur les jugements de valeurs futurs de l'acteur et est dans cette mesure déterminée par l'image qu'il se fait de son propre caractère.

Le mot « spéculer » était à l'origine employé pour désigner tout type de méditation et d'élaboration d'une opinion. Il est aujourd'hui utilisé avec une connotation d'opprobre pour dénigrer les hommes qui, dans une économie de marché capitaliste, excellent quand il s'agit d'anticiper les réactions futures de leurs semblables mieux que ne le fait l'homme ordinaire. La raison de cet usage sémantique peut-être trouvée dans l'incapacité des personnes incapables de prendre note de l'incertitude associée à l'avenir. Ces gens n'arrivent pas à comprendre que toutes les activités de production visent à satisfaire les besoins les plus urgents et que l'on ne dispose aujourd'hui d'aucune certitude quant aux futures conditions. Ils ne sont pas conscients du fait qu'il existe un problème qualitatif dans la prévision de l'avenir. Dans tous les écrits des auteurs socialistes on ne trouve pas la moindre allusion au fait que l'un des principaux problèmes de la gestion des activités de production est d'anticiper les demandes futures des consommateurs 11.

Toute action est spéculation, c'est-à-dire qu'elle est guidée par une opinion donnée quant aux conditions incertaines de l'avenir. Même dans les activités à court terme cette incertitude prévaut. Personne ne peut savoir si un fait inattendu ne rendra pas vain tous ce qu'il avait prévu pour le jour suivant ou pour l'heure suivante.

Notes

a. Le terme « Verstehen », « understanding » en anglais, veut dire « compréhension » mais a été associé par Mises lui-même à l'intuition bergsonienne (on le traduit parfois aussi par interprétation). NdT.

1. Voir ci-dessous, p. 53.

2. Voir R. G. Collingwood (The Idea of History [Oxford, 1946], p. 249): « Il y a un usage argotique, comme celui dans lequel « hall » signifie music hall ou « pictures » des films [moving pictures], où « science » signifie science de la nature. » Mais « dans la tradition du discours européen [...] qui a continué sans interruption jusqu'à nos jours, le mot « science » signifie tout corpus de connaissance organisé. » Sur l'usage en français, voir Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie (5ème édition : Paris, 1947), pp. 933-40.

3. Otto Neurath, Foundations of the Social Sciences (International Encyclopedia of Unified Science, Vol. II, No. 1 [3ème impression ; University of Chicago Press, 1952]), p. 9.

4. Ibid., p. 17.

5. Mises, Human Action (Traduction française : L'Action humaine), pp. 237 et suivantes.

6. T. Kotarbinski, « Considérations sur la théorie générale de la lutte, » Annexe à Z Zagadnien Ogólnej Teorii Walki (Varsovie, 1938), pp. 65-92 ; et du même auteur, « Idée de la méthodologie générale praxeologique, » Travaux du IXe Congrés International de Philosophie (Paris, 1937), IV, 190-94. La théorie des jeux n'a aucun lien avec la théorie de l'action. Bien entendu, jouer un jeu est une action, tout comme fumer une cigarette ou mâcher un sandwich. Voir ci-dessous, pp. 87 et suivantes.

7. Voir ci-dessous, p. 67.

8. Mises, Theory and History (Traduction française : Théorie et Histoire), pp. 264 et suivantes.

9. Quand H. Taine écrivit en 1863 : « L'histoire au fond est un problème de psychologie » (Histoire de la littérature anglaise [10ème édition ; Paris, 1899], Vol. I, Introduction, p. xlv), il n'avait pas conscience que le type de psychologie qu'il avait à l'esprit n'était pas ce que les sciences de la nature appellent la psychologie expérimentale mais ce type de psychologie que nous appelons thymologie, et que cette thymologie est en elle-même une discipline historique, une Geisteswissenschaft dans la teminologie de W. Dilthey (Einleitung in die Geisteswissenschaften [Leipzig, 1883]). R. G. Collingwood (The Idea of History [Oxford, 1946], p. 221) établit une distinction entre « la pensée historique » qui « étudie l'esprit en tant qu'agissant de certaines manières bien précises dans certaines situations bien précises » et une autre manière problématique d'étudier de l'esprit, à savoir en « étudiant ses caractéristiques générales, coupées de toute situation particulière ou de toute action particulière. » La seconde serait « non de l'histoire, mais la science de l'intellect, la psychologie, ou philosophie de l'esprit. » Une « science positive de l'intellect se situant au-dessus de la sphère historique et établissant les lois permanentes et immuables de la nature humaine », souligne-t-il (p. 224), n'est « possible qu'à une personne qui confond les conditions transitoires d'une certaine période historique avec les conditions permanentes de la vie humaine. »

10. Language, Thought and Culture, édité par Paul Henle (University of Michigan Press, 1958), p. 48. Bien entendu, l'analogie n'est pas totale, car l'immense majorité des gens arrêtent leur évolution culturelle bien avant d'avoir atteint les niveaux thymologiques de leur époque.

11. Mises, Theory and History (Traduction française : Théorie et Histoire), pp. 140 et suivantes.


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