Le Chaos du planisme

Éditions Génin — Librairie de Médicis — Paris (1956)

par Ludwig von Mises

traduit par J.-P. Hamilius, Jr.

 

Remarques d'introduction

 

La marque caractéristique de notre ère de dictateurs, de guerres et de révolutions réside dans son préjugé anticapitaliste. La plupart des gouvernements et des partis politiques s'efforcent de restreindre le domaine de l'initiative privée et de la libre entreprise. C'est un dogme quasi incontesté que le capitalisme a vécu et que l'avènement d'une réglementation générale de toutes les activités économiques est à la fois inévitable et hautement désirable.

Néanmoins, le capitalisme est toujours très vigoureux dans les pays de la civilisation occidentale. La production capitaliste a même fait pendant les dernières années, des progrès très remarquables. Les méthodes de production ont été considérablement améliorées. On a fourni aux consommateurs des produits meilleurs et moins chers, et de nombreux articles qui, quelques années auparavant, étaient encore complètement inconnus. Beaucoup de pays ont agrandi l'étendue de leur fabrication et en ont amélioré la qualité. En dépit d'une politique anticapitaliste de tous les gouvernements et de presque tous les partis politiques, le mode de production capitaliste remplit toujours sa fonction sociale en fournissant aux consommateurs des biens plus nombreux, meilleur marché et d'une qualité plus élevée.

Si le standard de vie va en s'améliorant dans les pays du régime de la propriété privée des moyens de production, cela n'est certainement pas le mérite des gouvernements, des hommes politiques et des fonctionnaires des syndicats e travailleurs. Si, de nos jours, la plupart des familles américaines sont propriétaires d'une automobile et d'un appareil de T.S.F., le mérite en revient ni aux administrations d'État, ni à la bureaucratie, mais uniquement aux grandes entreprises : l'accroissement de la consommation par tête d'habitant en Amérique, comparé aux conditions d'il y a un quart de siècle, n'est nullement dû aux lois et aux ordonnances. C'est plutôt l'œuvre des entrepreneurs qui ont agrandi leurs usines ou qui en ont construit de nouvelles.

Ce point doit être relevé, car la plupart de nos contemporains ne sont que trop enclins à l'ignorer. Trop engagés dans la superstition de l'étatisme et enchaînés dans leur croyance à l'omnipotence de l'État, ils se préoccupent exclusivement des mesures gouvernementales. Ils attendent tout de l'action des pouvoirs publics et très peu de l'initiative de citoyens entreprenants. Et pourtant, il n'y a qu'un seul moyen pour augmenter le bien-être : accroître la quantité des produits de toutes sortes. C'est vers ce but que tend l'entreprise libre.

N'est-il pas grotesque qu'on parle beaucoup plus des accomplissements de la Tennessee Valley Authority que des accomplissements incomparables et sans précédents, des entreprises américaines privées. C'est pendant grâce à celles-ci que les Nations Unies ont pu gagner la guerre.

Le dogme d'après lequel l'État ou le gouvernement est l'incarnation de tout ce qui est bon ou salutaire est presque incontesté, dogme qui prétend que les individus sont des gens inférieurs qui ne pensent qu'à causer préjudice les uns aux autres et nécessitent par conséquent un surveillant. Il est défendu de douter de ce dogme. Est considéré comme étudiant impartial des sciences sociales, tout homme qui proclame l'État divin et ses grands prêtres, les bureaucrates, infaillibles. Tous ceux qui soulèvent des objections sont traités d'hommes pleins de préjugés et d'esprit étroit. Les défenseurs de la nouvelle religion de l'étatisme sont plus fanatiques et plus intolérants que ne le furent les conquérants musulmans de l'Afrique et de l'Espagne.

L'histoire appellera une fois notre époque celles des dictateurs et des tyrans. Dans les années qui viennent de s'écouler, nous avons assisté à la chute de deux de ces prétentieux surhommes. Mais l'esprit qui conduisit ces misérables au pouvoir autocratique subsiste toujours. Il se trouve partout dans les livres et les périodiques, il parle par la bouche de professeurs et d'hommes politiques, il se manifeste dans les programmes des partis, dans le théâtre et le roman. Tant que cet esprit sera prédominant, il n'y aura aucun espoir de voir une paix durable, la démocratie 1, la sauvegarde de la liberté et l'amélioration constante du bien-être économique des nations.


Note

1. Le terme démocratie, tel qu'il est employé dans ce livre, s'applique à un système de gouvernement dans lequel les gouvernés peuvent déterminer, directement par plébiscite ou indirectement par des élections, le mode d'après lequel le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif doivent être exercés et d'après lequel doit se faire la sélection des fonctionnaires supérieurs. La démocratie s'oppose diamétralement au principe du bolchevisme, du fascisme et du nazisme, principe d'après lequel un groupe d'hommes d'avant-garde qui se sont promus eux-mêmes, ont le droit et le devoir de saisir les rênes du gouvernement par la violence et d'imposer leur propre volonté à la majorité.


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