Guide à travers les panacées économiques

Publié en 1938 par la Librairie de Médicis

par Fritz Machlup

traduit par Mme R. Hadekel

Chapitre IX — Suppression des entraves au commerce international

 

Le développement prodigieux des moyens de communication a rendu possibles les échanges de produits entre régions très éloignées et la division du travail sur une échelle internationale. L'humanité doit sa prospérité doit sa prospérité en grande partie au développement des moyens de transport. Là, où les diligences traînaient jadis des chargements infimes par des routes cahoteuses, les trains rapides transportent, sur les rails étincelants, des marchandises en quantité énorme ; tout cela est dû aux inventions du génie humain. Mais les politiciens qui sont à la tête des États travaillent en même temps à réduire les avantages des communications modernes, faciles et bon marché, en créant des obstacles artificiels au trafic.

L'invention des chemins de fer a rendu le transport des produits d'origine lointaine plus facile et meilleur marché ; l'introduction des tarifs douaniers l'a rendu de nouveau plus difficile et plus coûteux. Un écrivain spirituel appelle ces barrières douanières "le chemin de fer négatif". A une époque où les chemins de fer et les bateaux transatlantiques permettent à l'humanité de jouir plus abondamment de tous les biens, et où le chemin de fer négatif lui rend de nouveau la vie plus difficile, on est pleinement autorisé à exiger l'abolition du chemin de fer négatif — les tarifs élevés, la défense d'importer, les contingentements et toutes les barrières douanières.

A. Tarifs fiscaux, tarifs protectionnistes, tarifs éducateurs, tarifs de marchandage, tarifs de représailles, tarifs anti-dumping, tarifs de préférence

Le nombre et la vérité des barrières qui se dressent devant le commerce international, et surtout la variété et la complication des systèmes douaniers, montrent à quel point la technique du "chemin de fer négatif" est développée. Les droits fiscaux sont encore ce qu'il y a de moins nocif pour l'économie. On appelle ainsi les impôts perçus sur les marchandises importées et qu'on ne produit pas dans le pays. Les tarifs fiscaux rapportent des sommes considérables à l'État quand on importe de grandes quantités de marchandises passibles de ce droit ; par conséquent, on évite de fixer ces tarifs à un taux trop élevé pour ne pas trop affaiblir l'importation.

Il en est tout à fait autrement des droits de douane qui doivent réduire, ou empêcher complètement, l'importation de la marchandise en question. Les tarifs prohibitifs ne sont pas une source de revenus pour l'État, puisqu'on n'importe que très peu, ou pas du tout, de marchandises dont les droits sont trop élevés. De tels droits sont les décrétés dans le but de réaliser l'autarcie, et sont très préjudiciables pour la population. Les tarifs protectionnistes constituent dans la plupart des États la majeure partie des tarifs douaniers. Résultat : ils empêchent ou réduisent les échanges de produits entre différents pays. Si les tarifs protectionnistes une fois fixés restaient sans changements, c'est-à-dire sans augmentation, on pourrait encore espérer dans les bienfaits du progrès techniques dans le domaine de la production et des moyens de transport. Mais la pratique actuelle veut qu'on réplique à toute baisse de prix d'un produit par une nouvelle élévation de droits de douane. C'est pourquoi on ne veut plus investir de capitaux dans des industries d'exportation ; cela ne paie pas. Aucun industriel ne peut être sûr de vendre à l'avenir ces produits à l'étranger, quand il est menacé à tout instant par une nouvelle élévation des droits protectionnistes.

Alors que les tarifs protectionnistes privent le pays, pour longtemps, des avantages d'une production meilleure ou moins chère les tarifs éducateurs sont uniquement faits en vue de faciliter la création d'une industrie quelconque ; après un certain temps, ces nouvelles industries seront en état de subsister par leurs propres forces, sans protection douanière. Ainsi, la collectivité supporte seulement une partie des frais d'établissement — notamment ce qu'on appelle "les maladies infantiles" ; par la suite, après la période "d'enfance", on abolira les tarifs éducateurs. On a beaucoup écrit et parlé de ce genre de tarifs douaniers, mais en réalité il n'existe pas de "tarifs éducateurs". Qu'on nous montre les droits de douane qui n'ont subsisté que pendant trois ou cinq ans, pour être supprimés ensuite. Les industries qui ont été "élevées" par des droits de douane dans les trois dernières années sont apparemment si peu viables qu'elles ne veulent pas renoncer à la protection douanière.

Un homme d'État soucieux de protéger les intérêts des industriels de son pays qui travaillent pour l'exportation doit s'efforcer d'empêcher l'augmentation des droits de douane des autres pays, et d'obtenir un allégement de ces droits. Sa tâche serait plus facile s'il pouvait offrir une réduction des droits de douane de son propre pays. Mais vu que ses compatriotes intéressés ne veulent pas renoncer à leur protection douanière, il demandera, tout d'abord pour être préparé pour les négociations, des droits de marchandage, particulièrement élevés, prêt à marchander et à rabattre le tarif par la suite. Mais une part considérable des tarifs avancés avant le marchandage subsistera après la conclusion du traité, et gênera la production et le commerce de tous les pays.

L'économie souffre encore plus des tarifs de représailles, introduits pendant une guerre de tarifs entre deux États. La grande erreur consiste en ce que l'on croit que le régime douanier d'un pays A est nuisible seulement pour les producteurs du pays B. En réalité ce régime douanier est nuisible pour les deux pays. Si le pays A impose des droits de douane tels qu'ils empêchent l'importation d'un produit du pays B, non seulement l'exportation du pays B mais aussi son importation de certaines marchandises reculeront, si bien que les exportations du pays A en pâtiront à leur tour. Et si le pays B empêche l'importation d'un autre produit du pays A à titre de "représailles", il s'en suivra automatiquement un nouveau recul des exportations d'un produit B. Les producteurs des deux pays payeront par des pertes graves l'ardeur combattive de leurs politiciens.

D'une façon générale les droits de douane ne s'appliquent qu'aux marchandises qui peuvent être fabriquées à l'étranger à meilleur compte que chez soi ; en effet, si la production nationale est meilleur marché, l'étranger ne peut en aucun cas entrer en compétition. Il existe cependant une exception — c'est le cas du dumping. Si un État accorde la protection douanière à une industrie, et si ladite industrie, forte de cette protection, devient un monopole (par exemple formation de cartel), elle peut être en état d'imposer des prix élevés, très avantageux, dans son propre pays, et vendre à l'étranger à des prix qui ne couvrent même pas les frais généraux. On appelle ces prix d'exportation, qui sont inférieurs aux prix dans le pays d'origine, les prix de dumping ; les tarifs douaniers que les producteurs étrangers exigent pour se défendre contre cette vente à vil prix s'appellent les droits anti-dumping.

En ce qui concerne la lutte contre le dumping, il faut dire d'abord que le dumping est un résultat direct des systèmes douaniers, et serait impossible si la protection douanière n'existait pas. En second lieu, il faut constater que le dumping est fréquent seulement dans les journaux, les livres et les discours, mais qu'il est extrêmement rare en réalité. Il est vrai que la réalité du dumping est affirmée par les adeptes du système protectionniste, mais sans qu'ils puissent le prouver. En troisième lieu, il est certain qu'un dumping continuel, loin d'être un inconvénient, serait un avantage pour le pays importateur. Quand on vous offre continuellement des marchandises à très bon marché, au-dessous même de leur prix coûtant, cela ne peut être qu'agréable, il n'y a pas de raison pour refuser des cadeaux. Seul un dumping passager serait nuisible ; mais toutes ces discussions théoriques sont sans importance pour la pratique. En pratique, la propagande contre le dumping n'est qu'un prétexte et une excuse pour les intérêts protectionnistes.

Quand on jette un coup d'oeil sur le barème des tarifs douaniers, on voit d'habitude deux sortes de tarifs pour chaque article imposable : l'un est le tarif autonome, s'appliquant aux articles importés des pays avec lesquels il n'y a pas de traité de commerce ; l'autre est le tarif réduit, qui pour les pays avec lesquels on a conclu un traité de commerce contenant la "clause de la nation la plus favorisée". Cette clause dit : "Toute faveur que j'accorderai aux autres, je vous l'accorderai en même temps." Ce principe de la clause de la nation la plus favorisée a procuré de grands avantages aux peuples pendant tout un demi-siècle. Il était particulièrement intéressant pour les petites nations, celles qui ne pouvaient offrir que peu de choses aux grands États, et qui recevaient presque pour rien des concessions qu'elles n'auraient jamais obtenues directement. Par exemple, lorsque la France, et l'Allemagne s'accordaient réciproquement une réduction des tarifs, cette réduction s'appliquait automatiquement à tous les autres pays qui bénéficiaient de ma clause de la nation la plus favorisée.

Pour singulier que cela paraisse, ce furent précisément les petites nations qui ont voulu dernièrement remplacer le système de la nation la plus favorisée par les "tarifs de préférence" entre quelques pays particuliers, généralement voisins. les tarifs de préférence ont plusieurs inconvénients ; ils mettent fin au système de la plus grande faveur qu'ils sont censés remplacer, ce qui est déjà un grand malheur pour les pays de l'Europe Centrale ; en outre, ils embrouillent les tarifs et rendent la procédure compliquée et coûteuse. Ils pourraient toutefois avoir l'avantage de favoriser le commerce international et par suite la productivité des pays, comme toute mesure qui vise à réduire les tarifs ; mais on prive les tarifs préférentiels de cet avantage du moment qu'on entend les appliquer uniquement aux petits contingents. Ce contingentement neutralise l'effet des tarifs de préférence parce qu'il empêche d'importer les marchandises en une plus grande quantité ou à un prix plus bas.

B. Les prohibitions et les contingentements

Il y a trois catégories de prohibitions. La première est la prohibition absolue et obligatoire pour tout le monde, sans exception aucune. La deuxième est la prohibition qui n'existe que sur papier, puisque tous ceux qui s'en donnent la peine obtiennent des licences d'importation en quantité illimitée. La troisième est celle qui admet des exceptions, en ce sens qu'on accorde des licences à certaines personnes ou pour certaines quantités limitées. Contre la première il n'y a pas d'objections à formuler si elle a été dictée par des raisons d'une importance évidente ; la deuxième doit servir surtout aux fins de contrôle, d'importance secondaire, mais elle donne lieu dans tous les cas à des frais et à des complications inutiles ; la troisième, la plus fréquente en pratique, comporte des effets très désagréables et forme un terrain propice pour la corruption.

Les contingentements sont compris dans la prohibition de la troisième catégorie ; l'importation est interdite après une certaine quantité. Les contingentements sont très à la mode depuis quelques années, parce que les avantages qu'ils offrent à certains groupes intéressés sont tellement visibles, et parce que les inconvénients qu'ils présentent pour d'autres groupes le sont beaucoup moins. Tout le monde comprend qu'une élévation des tarifs provoque la hausse du prix de l'article en question ; mais on ignore généralement que le contingentement a un effet analogue sinon pire.

Si le contingentement diminue la quantité d'une marchandise importée, il entraîne nécessairement une hausse de prix. Cette hausse peut bien ne pas se produire du jour au lendemain, mais la différence entre le prix domestique et le prix du pays d'origine finira toujours par augmenter, et c'est cela qui importe. Mais on ne peut calculer d'avance la proportion de cette hausse provoquée par la restriction artificielle de l'offre étrangère ; elle dépend dans une large mesure de l'élasticité de l'offre intérieure et de la tournure que prendra la demande. De cette façon, l'effet du contingentement des importations devient une quantité absolument incalculable et un nouvel élément d'insécurité pour le commerce et la production.

Le système des contingentements a d'autres inconvénients par comparaison au système douanier ordinaire. Quand on perçoit un droit d'entrée sur un article offert sur le marché international, le prix de cet article augmente du montant exact de ce droit, tant que son importation n'aura pas cessé ; le prix intérieur sera donc égal au prix pratiqué sur le marché international, plus le fret et le droit d'entrée. Ce droit, que supporte naturellement le consommateur national (et qu'il doit payer par l'enchérissement et la diminution de sa production), est une source de revenus pour l'État, ce qui est au moins un bénéfice pour le budget public. Il en est tout autrement quand l'offre étrangère diminue par suite des contingentements. Dans ce cas, le prix intérieur ne sera pas égal au prix international plus le fret, plus le droit d'entrée, mais il sera plus élevé encore parce que l'offre aura été réduite par un procédé arbitraire. Cette fois-ci la différence profite non pas à l'État, — comme l'élévation des droits de douane — mais à un petit nombre de commerçants qui ont eu la chance d'obtenir les licences d'importation. Alors que le renchérissement de la production se produit dans les deux cas, le régime des contingentements prive l'État de revenus. Il s'agit toujours de protéger la production nationale ; par conséquent il importe peu que ce but soit atteint au moyen des tarifs ordinaires ou au moyen des contingentements ; mais avec ce dernier système l'État se prive d'une partie de ses recettes, que le fisc doit chercher désormais à faire rentrer d'une autre manière — par un accroissement du fardeau des impôts ou par de pénibles économies.

Quant aux bénéfices des importateurs, ils sont réduits à leur tour par les frais, les dépenses de toutes sortes, les délais — et les pots-de-vin. Du moment qu'une licence d'importation signifie une possibilité de gains, elle a une certaine valeur et les commerçants voudront bien délier la bourse pour obtenir le précieux permis. Qui obtiendra la licence ? Le bon plaisir, ici, règnera en maître. Dans le meilleur des cas on aura le trafic d'influence ou la combine à copains, sinon un commerce de cadeaux et de pots-de-vin.

Parfois on laissera au pays exportateur le soin de distribuer les contingentements, et les choses s'y passeront de la même façon.

Là, où les contingentements existent conjointement aux tarifs préférentiels, il ne s'agit pas d'élever les prix, mais seulement d'éviter une réduction des prix de la marchandise importée qui aurait pu résulter d'une baisse des droits d'entrée. Cependant, l'État renonce aux bénéfices de douane, dont il fait profiter soit les exportateurs étrangers, soit indirectement — un groupe quelconque de producteurs nationaux ; les tarifs préférentiels ne différeront pas, en ce cas, des subventions ordinaires provenant de la caisse publique. Une partie de ces subventions ira de nouveau aux frais et à l'appareil de distribution (y compris les pots-de-vin). (L'intégrité n'existe que dans les États où les autorités n'ont rien à voir avec les permis, les concessions, les licences, les subventions, etc.)

Un autre inconvénient du système des contingentements par rapport au système douanier habituel consiste dans l'obligation de fixer les quantités en se basant sur l'expérience du passé, de sorte qu'on ne peut tenir compte des nécessités courantes avec leur perpétuel changement. Outre les abus et l'impossibilité de prévoir, le système pèche encore par son manque de souplesse.

Le système des contingentements a été qualifié avec raison de dégénérescence de la politique commerciale. Même les adeptes du protectionnisme et de l'autarcie auraient dû renoncer à ce système si néfaste du point de vue de la morale et de l'économie, du moment qu'ils peuvent parvenir tout aussi bien à leurs fins par des barrières douanières.

C. Contrôle de devises

En règle générale, le contrôle de devises n'est pas introduit pour des motifs de politique commerciale ; mais on en abuse souvent dans un but protectionniste. Toujours est-il que les difficultés en matière de payements portent des préjudices graves, voulus ou non, au commerce international.

Les mesures qui interdisent le libre commerce des devises peuvent avoir pour but principal :

1° d'empêcher la fuite des capitaux qui pourraient s'évader parce que leurs détenteurs craignent des mesures politiques, légales, fiscales, ou monétaires, mettant en danger ou bien le revenu du capital, ou bien le capital en soi ou bien M. le capitaliste en personne. Notons bien qu'un contrôle de devises ne peut jamais supprimer totalement la fuite des capitaux à moins qu'il ne soit organisé dans un État hermétiquement fermé et étouffant les libertés individuelles.

2° de dissimuler l'insolvabilité des banques et des institutions de crédit, qui ne peuvent rembourser ni les dettes étrangères, ni les dépôts intérieurs ; quand le marché de devises est restreint, les créanciers étrangers n'ont qu'à patienter, et les déposants nationaux n'ont plus besoin de retirer leur argent destiné à l'achat de devises.

3° de dissimuler la chute de la monnaie nationale, causée par l'inflation absolue ou relative, mais dont la population ne doit s'apercevoir qu'au moment où la publication du cours de change montrera la hausse des monnaies étrangères.

Que le contrôle des devises soit incapable d'améliorer le cours de change, ou "d'améliorer" la balance commerciale ou la balance de payements, ou d'amener tout autre effet de ce genre, ainsi qu'on le prétend souvent, voilà qui était déjà évident dans les conclusions du chapitre VIII. Si les importations tombent à la suite de l'interdiction d'acheter des devises, les exportations diminuent automatiquement, si bien que le rapport entre l'offre et la demande de devises reste constant.

Le contrôle des devises porte à la production et au commerce des préjudices plus graves qu'on le croit en général. On évalue généralement ces préjudices au nombre et à l'importance des affaires et des transactions interdites. Mais si ce contrôle porte un coup dur aux affaires affectées directement, le commerce et la production en général souffrent encore davantage de tous les frais nouveaux, des complications et des risques qui se produisent quand on veut suivre ou braver les nombreuses prescriptions officielles.

Quand il y a contrôle des devises on centralise en général le marché des devises, ou on le limite à un nombre restreint d'institutions. Le commerce privé des devises est alors réputé "illégal", et ceux qui le pratiquent risquent la confiscation des devises, l'amende et la prison. En vertu d'un nombre considérable de décrets concernant le contrôle des devises, il est interdit d'envoyer des devises à l'étranger sans une autorisation spéciale, interdit d'envoyer ou d'emporter de l'argent national à l'étranger. Il est interdit d'accorder des crédits aux étrangers, interdit de faire des versements aux comptes courants des étrangers, interdit de garder les devises en sa possession pendant une période dépassant quelques jours, interdit de citer ou de publier un cours des changes qui soit différent du cours officiel, interdit de payer qui ce soit en monnaie étrangère, même si on y est obligé par contrat, etc. En outre, tout le monde est obligé, sous peine d'amende, de remettre immédiatement ses devises à la banque d'émission, obligé de déclarer et de céder à la banque d'émission tout son avoir et ses créances à l'étranger, obligé de ne livrer les marchandises à l'étranger que contre payement en monnaie étrangère, obligé de déclarer toutes les exportations, obligé de céder à la banque d'émission toutes les créances envers l'étranger provenant de ces exportations, etc.

Telles sont à peu près — à de petites exceptions près peut-être — à de petites exceptions près peut-être — les prescriptions légales dans les différents pays qui réglementent le commerce de devises. Partout la contrainte : déclarations, pétitions, législations, autorisations, énumérations, comptes rendus, contrôles et investigations, même mouchardages de toutes sortes. Les législateurs ne se rendent pas bien compte de toutes les complications, dépenses et dangers qui en découlent. Si ces décrets ne comportaient pas de lacunes, et si le public les observait strictement, il s'en suivrait un arrêt presque total de la production, surtout quand il s'agit du contrôle des devises dans plusieurs pays à la fois. Le fait que des pays qui essayent de combiner le libéralisme politique avec le contrôle des devises, ne se trouvent pas en plain chaos, mais seulement en présence de troubles et de difficultés, est dû uniquement aux lacunes laissées par les législateurs et créées par les autorités chargées d'interpréter ces lois, ou encore au fait que les commerçants et les industriels ont pu violer certaines dispositions considérées comme tracassières et inutiles.

Les raisons pour lesquelles de nombreux pays tiennent à ce régime, en dépit de tous ces méfaits, sont nombreuses et variées. Dans certains pays on redoute de révéler au public l'écart qui existe entre le cours officiel et le cours réel des changes. dans d'autres pays les autorités ne veulent pas mettre en danger l'existence des banques, trop endettées. Ailleurs, on redoute que la fuite des capitaux ne prenne des proportions telles, que le système bancaire en soit ébranlé. Mais il y a aussi autre chose ; il existe dans tous ces pays des groupes importants de personnes intéressées, auxquelles ce régime de devises a apporté des avantages, et qui travaillent désormais au maintien du contrôle, surtout lorsque celui-ci contribue, par voie abusive, à augmenter clandestinement la restriction des importations créée par le système douanier.

La suppression du contrôle des devises n'est aucunement liée à une mesure semblable ou simultanée de la part des autres pays. Ceci est évident d'après le but même que poursuit ce régime : éviter la fuite des capitaux ou le payement des dettes ou l'adaptation du cours des changes à la situation du marché — tout cela est indépendant du fait que le contrôle des devises existe ou non dans les pays étrangers. Ce qui est vraiment nécessaire avant de supprimer le contrôle des devises, c'est l'assainissement des banques, les accords avec les créanciers étrangers, et surtout — une bonne politique financière.

D. Libre échange unilatéral

Bien qu'on ne doute pas qu'il soit possible de supprimer le contrôle des devises, les contingentements et la prohibition d'importations pendant que les pays étrangers maintiennent toutes ces barrières, on doute généralement qu'un pays puisse passer seul du protectionnisme à l'échange libre, sans que tous les autres pays en fassent autant. Le libre échange unilatéral passe pour être intolérable. De nombreux politiciens et hommes d'affaires reconnaissent l'importance de la division internationale du travail et les méfaits de sa restriction ; ils affirment pourtant que l'abolition des barrières douanières n'est réalisable qu'à condition d'être universelle et simultanée, parce qu'un pays seul ne peut se livrer en proie, "sans protection", au commerce des pays "protégés". Ceux qui raisonnent ainsi ne comprennent pas le mécanisme du commerce international ; de plus, ils oublient que le mouvement libre-échangiste était dans ses débuts (en Angleterre) explicitement unilatéral.

Comment ceux qui redoutent l'abolition des barrières douanières de la part d'un seul pays, imaginent-ils l'effet d'un tel procédé ? Le pays qui baisse ou abolit complètement les droits de douane permet du coup d'entrée d'une quantité de marchandises dont l'importation était défendue jusqu'alors par ces droits, tandis que les autres pays maintiennent la protection douanière. De cette façon les importations dans le pays du libre échange augmenteraient sans que ses exportations puissent augmenter à leur tour ; et si l'étranger se défend bien par ses tarifs, le pays du libre échange en viendra à importer seulement et à ne rien exporter. Est-ce imaginable , Malheureusement, non ; ce serait vraiment trop beau si l'étranger assumait tout à coup la charge de nous approvisionner en tout, sans que nous devions payer pour cela. Se faire servir sans rendre de service en échange, rien ne serait certes plus agréable ! Mais pourquoi ne peut-il pas en être ainsi ? Parce que, — et nous n'avons pas de raison de croire que ceux-ci changent simultanément — les exportations et les importations ne peuvent augmenter ou baisser que parallèlement. (voir ch. VIII). L'étranger, dont les exportations auraient augmenté à la suite de l'abolition des barrières douanières chez nous, présenterait en même temps une plus grande capacité d'absorption pour nos produits. Et si les pays étrangers, ingrats et ignorants répondaient à notre geste par une élévation des barrières douanières ? Dans ce cas, la capacité d'exportation de ces pays, favorisée par notre politique de libre échange, pâtirait en même temps du fait de leur propre politique protectionniste. Le commerce international serait probablement modifié quant à sa composition, mais non quant au solde total des marchandises.

L'abolition unilatérale des barrières douanières ne peut donner lieu à un plus grand excédent des importations que dans les circonstances suivantes ; si, à la suite de cette politique, il y a de meilleures perspectives économiques dans ce pays et que les capitaux étrangers y affluent, l'importation de capitaux amène en effet une plus grande importation de marchandises.

Mais tout le monde ne pourra que se réjouir d'un tel afflux de capitaux.

Imaginons deux pays voisins, dont l'un, le pays A est situé dans le montagnes, l'autre, le pays B, dans la plaine. Le transport en chemin de fer de A à B ne coûterait presque rien, la montée de B à A coûterait très cher. Serait-ce là une raison pour que B importe plus de marchandises de A qu'il n'exporte là-haut ? Pas du tout. L'impossible ne deviendrait pas possible, même dans le commerce entre le pays de montagnes A et le pays de plaines B : tant que la balance de capitaux et de services invisibles est en équilibre, la balance commerciale est également en équilibre. Si B était un pays importateur de capitaux, sa balance commerciale serait déficitaire ; s'il était un pays exportateur de capitaux, il aurait à son crédit un excédent des exportations — nonobstant le prix élevé du transport à l'étranger. En ce qui concerne les prix de certaines marchandises et les possibilités d'approvisionnement, le pays B situé dans la plaine est censé être dans une situation plus favorable. Tout pays qui supprime chez lui les barrières douanières se trouvera dans la situation du pays B. De ce fait, un tel pays servirait les intérêts des pays montagnards A — pays aux hautes barrières — mais il servirait mieux encore ses propres intérêts.

Certes, les choses iraient mieux encore si tous les pays supprimaient leurs barrières, leurs "chemins de fer négatifs". Les frais de transport diminueraient dans les deux directions, le commerce et la division du travail feraient d'énormes progrès. Mais si les autres s'entêtent à maintenir leurs barrières, ce n'est pas une raison pour qu'un pays particulier renonce aux avantages d'un commerce relativement plus facile. Tout pays qui aura reconnu les avantages du libre échange peut se libérer des liens de ses propres barrières, fût-il seul entouré d'un monde protectionniste à l'extrême.

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