Guide à travers les panacées économiques

Publié en 1938 par la Librairie de Médicis

par Fritz Machlup

traduit par Mme R. Hadekel

Chapitre VI — Allègement du fardeau des dettes

 

Quiconque travaille avec le capital d'autrui, est plus exposé aux difficultés que l'entrepreneur ou le producteur qui dispose d'un capital à lui. Lorsque l'affaire rapporte si peu que la réalisation de l'intérêt du capital n'est plus possible, tout se passe en silence dans le cas où ce capital appartient à l'entrepreneur lui-même ; par contre, les démêlés entre débiteurs et créanciers attirent fréquemment l'attention des autorités de l'opinion publique. Les graves difficultés des entreprises qui souffrent sous le fardeau de leurs obligations, et les grandes facilités qu'on peut accorder aux débiteurs en réduisant leurs dettes, induisent souvent en erreur les citoyens et les politiciens lorsqu'il s'agit d'évaluer les conséquences d'un soulagement ou d'un rabais général des dettes. On exagère généralement l'influence qu'une réduction des dettes peut exercer sur l'activité commerciale, sur la production, l'écoulement et le marché de travail ; en effet, on oublie que c'est la quantité et la liquidité de capitaux qui importe et non la distribution individuelle du capital. Un abaissement des dettes ne saurait ni augmenter la richesse ni ranimer l'offre globale de capitaux liquides ; il est bon seulement pour faire changer les capitaux de mains. En outre, ce qui compte pour la prospérité économique, ce n'est pas le patrimoine, mais la rentabilité.

A. Endettement de l'industrie

Aujourd'hui, il est inutile de discuter des causes de l'immense endettement industriel. Il serait faux, en tout cas, d'attribuer cet endettement au taux de l'intérêt, soi-disant trop élevé. Ses causes relèvent principalement de la politique financière trop généreuse qui préconisait un taux de l'intérêt non pas trop "élevé", mais au contraire, trop "bas". La politique des banques d'émission, qui aspiraient toujours à baisser le taux, est responsable de beaucoup d'investissements excessifs et mal placés.

Lorsqu'on exige le redressement de l'industrie par un abaissement général des dettes, on part du point de vue qu'il importe, avant tout, d'amortir moins, et de payer moins d'intérêts. Le montant de la dette envers les bailleurs de fonds importe seulement à tel entrepreneur particulier, et non pas à la production de l'économie dans son ensemble. En effet, le service du capital investi dans les valeurs immobilières ne dépend pas de l'étendue de la production ; cela veut dire que les sommes nécessaires pour le remboursement ou pour le paiement des intérêts d'un tel capital n'augmentent ni ne diminuent selon que la production est plus grande, moindre ou nulle. Et inversement : les sommes exigées pour le service du capital n'ont pas d'influence sur l'étendue de la production ; cela veut dire que l'existence des dettes et des services de dettes ne change rien au fait qu'il soit plus opportun de produire beaucoup, peu, ou rien du tout. Par conséquent le soulagement des services de dettes — qu'il s'agisse du principal ou des intérêts — ne peut exercer une influence sur l'augmentation de la production.

Encore une fois, on pourrait croire que c'est là une antinomie. Si l'on paie moins le travail des ouvriers, la production, les débouchés et le nombre d'emplois peuvent augmenter ; la même chose peut se produire si l'on paie moins d'impôts à l'État, et des prix plus bas pour les marchandises. Pourquoi l'effet ne sera-t-il pas aussi favorable si l'on paie moins aux créanciers des capitaux immobiliers ? Pour la raison suivante : avec la réduction des salaires, des impôts, et des prix du matériel, voire des intérêts pour des capitaux nouveaux, l'industriel peut employer plus ouvriers, produire davantage, investir plus d'argent, parce que cela sera plus lucratif. Mais un abaissement du service des dettes pour le capital déjà investi est certainement agréable pour le débiteur, et il améliore son rendement (dans la même mesure qu'il diminue les revenus du créancier), sans qu'il rende profitable une plus grande production.

La plupart des organisations industrielles ne veulent pas que le gouvernement vienne à leur secours en matière de crédits. Voici leur raisonnement : si tel ou tel entrepreneur est incapable de faire face à ses échéances, il n'a qu'à s'arranger avec son créancier ; les lois en vigueur concernant les faillites et les concordats facilitent de telles transactions et rendent l'assainissement possible. Si, par contre, on fait paraître des décrets accordant la réduction des dettes et des facilités de toutes sortes, et qu'on vienne ainsi au secours de débiteurs qui seraient solvables sans cela, on fait beaucoup de tort à la circulation des capitaux qui repose sur la confiance et le respect des contrats ; empêcher que la production reçoive tous les capitaux des épargnants, c'est lui porter un préjudice considérable et de longue durée.

B. Endettement de l'agriculture

Du point de vue économique, il faudrait considérer la dette agricole de la même façon que la dette de l'industrie ; le désir d'alléger l'agriculture du fardeau de ses dettes est cependant dicté soit par des considérations d'ordre démographique, soit par des raisons sentimentales. D'autre part, la politique se sert souvent d'un argument populaire, à savoir que l'agriculture est plus importante que l'industrie et mérite plus de faveurs. Certes, le pain est plus nécessaire à l'homme que les montres, le téléphone ou la T.S.F. Mais il ne s'agit pas de savoir lequel est plus important pour nous : le pain, en tant que nourriture, ou un produit industriel quelconque destiné à satisfaire d'autres besoins ; il s'agit de savoir si, dans la situation économique donnée, il vaut mieux produire un peu plus de pain ou un peu plus de produits industriels. Autrement dit, ce qui importe, ce n'est pas l'utilité totale de telle catégorie de biens, mais seulement "l'utilité finale" [l'expression économique consacrée est "utilité marginale". Note d'Hervé de Quengo], c'est-à-dire l'utilité de l'ultime unité de ce produit. "Du pain ou pas de pain", ce n'est pas la question ; voilà la question économique qui se pose : "875 000 000 kilos ou bien 876 000 000 kilos". Cette question dépend du consommateur, puisque celui-ci consacre ses revenus à l'acquisition des biens de toutes sortes. La politique agraire de tous les pays a surtout visé à ne pas diminuer la production agricole sur le sol national, peut-être même à l'accroître autant que possible, sans tenir compte du rapport entre l'état de la production mondiale et la demande globale. Cette politique a eu pour résultat une surproduction chronique de produits agricoles, et, à la longue, une crise agricole irrémédiable. Tant que les peuples se croiront obligés de choisir entre "la vie ou la mort de l'agriculture", plutôt qu'entre : "plus ou moins de production agricole", il ne faudra pas compter sur un revirement de cette politique.

La politique agraire de tous les pays a contribué à la formation de la grande dette agricole (emprunts destinés à intensifier la production) aussi bien qu'à la chute des prix des produits agricoles (conséquence de l'accroissement de la production). La baisse des prix rend matériellement impossible le paiement des arrérages et des intérêts. On pouvait, évidemment, laisser les créanciers et les débiteurs se débrouiller entre eux. Faillites, exécutions forcées et concordats seraient alors entrés en jeu pour libérer les entreprises agricoles de leurs dettes, le résultat étant que maints producteurs seraient forcés d'abandonner ou de céder leurs exploitations. Tous ces faits seraient efficaces pour nous tirer de la crise agricole, mais du point de vue étroit des intérêts territoriaux, (aussi bien que du point de vue national et démographique) un tel développement paraît insupportable. Aussi exige-t-on des mesures gouvernementales pour empêcher ou reculer les exécutions forcés et pour accorder des facilités générales en ce qui concerne les intérêts, les arrérages et même le principal des dettes.

Tous ces procédés ne nous aideront pas à résoudre le problème agricole — tant s'en faut. D'ailleurs, toutes ces mesures préjudiciables aux créanciers rendront l'approvisionnement de l'agriculture en capitaux plus difficile et plus onéreux.

C. L'appui des banques

Un système bancaire qui est censé accorder des crédits alors même qu'il n'existe pas d'épargne, doit nécessairement provoquer des troubles continuels dans l'économie, et par là-même, mettre sa propre existence en danger. Les procédés qui enlèvent aux banques toute force de résistance sont de deux sortes. Primo, le fait d'accorder des crédits sans avoir reçu des dépôts d'épargne correspondants ; secundo, le fait d'accorder des crédits à échéance plus longue que celle qui les lie envers leurs déposants. Jadis, on considérait l'accord entre l'échéance des dettes et celle des créances comme la "règle d'or" du système bancaire. Beaucoup de banques d'Europe et d'Amérique ont enfreint cette règle des années durant ; force leur était donc de se trouver en difficultés à un moment donné.

Il est évident qu'on ne peut considérer comme "déposée à long terme" une somme dont on est prêt à accorder le retrait à chaque instant, en dépit des accords formels. Mais on se trompe davantage encore si l'on considère un crédit comme accordé "à court terme", uniquement parce qu'on a fixé ainsi la date du remboursement ou de la révocation, sans être certain qu'un tel remboursement soit rendu possible par la nature de l'entreprise, sa direction ou ses moyens. Aux banques qui se sont trouvées en difficultés il était simplement impossible de faire rentrer l'argent prêté.

A ceux qui demandent une plus grande prudence en matière de crédits, on répond généralement qu'une telle politique de réserve dans le domaine du crédit ne serait pas de mise dans les pays pauvres en capitaux. Les pays pauvres ne peuvent se permettre des règles aussi rigoureuses ; ils doivent, bien au contraire, épuiser toutes les possibilités de crédits. Or, il est peut-être possible de donner un coup de fouet au développement économique par les "crédits bancaires", c'est-à-dire par l'inflation de crédits, mais toujours au prix d'une rechute grave, qui provoquera beaucoup de misère.

Il est vrai que "la règle d'or" n'est jamais suivie à la lettre. Si les banques la suivaient à la lettre, elles devraient avoir constamment des disponibilités en argent comptant égales à 100 % des sommes déposées à vue, c'est-à-dire susceptibles d'être retirées chaque jour. Cette disponibilité en argent comptant est en réalité bien plus faible. On présume que tous les déposants n'auront pas l'intention de retirer leur argent au même moment, et qu'il suffit par conséquent d'avoir une provision liquide égale à une quote-part des sommes déposées. Aucune banque du monde ne saurait faire face à un "run" imprévu. Mais cependant on peut souvent prévoir ces "runs", et une banque qui a agi avec précaution en n'accordant des crédits qu'aux personnes toujours solvables, peut prendre ses mesures en temps utile.

Les banques qui agissent avec la plus grande prudence en matière de dépôts et de crédits sont généralement capables de résister aux crises les plus aiguës sans secours d'aucune sorte. Mais cette prudence n'est guère récompensée ; on encourage plutôt les agissements à la légère par l'aide généreusement offerte par l'État ou la banque d'émission. Les banques peuvent compter sur ce soutien à peu près certainement, si bien qu'elles n'ont pas besoin de renoncer aux bonnes affaires qui se présentent pour elles à condition d'employer à la légère leurs fonds.

La méthode la moins dangereuse pour aider les banques consiste à accorder des moratoires et des jours non-banquables. Les banques peuvent alors fermer leurs guichets, sans qu'il soit question d'insolvabilité. Mais si les banques ne sont plus actives, si leur passif ne se compense pas par un actif correspondant, tout moratoire sera inutile et ne servira qu'à perdre du temps et de l'argent.

Plus graves sont les moratoires partiels au détriment de l'étranger. En interdisant l'exportation des devises ou les paiements à l'étranger on protège les banques parce qu'on empêche les retraits de dépôts ou de crédits par l'étranger ou par les déposants nationaux qui voudraient effectuer des paiements à l'étranger. Le contrôle des devises et des paiements est un grand obstacle pour le commerce international, et c'est tout ce qu'il y a de plus néfaste pour la production et le marché de travail. Les restrictions ou les interdictions de paiements à l'étranger (moratoires de transfert, contrôle des changes) ne devraient être mises en vigueur que pendant quelques semaines — jusqu'à ce que les institutions non liquidées et les créanciers étrangers soient d'accord sur une prolongation d'échéance. (Stillhalte).

Le moyen le plus dangereux de renflouer les banques, et dont on se sert encore conjointement avec d'autres mesures — consiste dans l'octroi des crédits par la banque d'émission. L'octroi des crédits par la banque d'émission n'est généralement pas autre chose qu'une inflation. Cependant, il faut faire une distinction. Il existe deux sortes de dépôts en banque ; les économies qu'on a faites et déposées parce qu'on a pu renoncer pour le moment à la dépense de ces sommes ; et l'argent placé à vue (dépôts à vue) dont on entend disposer pour effectuer des versements d'affaires. Ces derniers versements s'effectuent généralement par des chèques, mode paiement qui n'est pas aussi répandu en Europe Continentale qu'en Angleterre et en Amérique, où plus de payements sont effectués par chèque que par argent comptant. Les dépôts à vue doivent être considérés comme de l'argent, et si l'on veut évaluer la circulation monétaire, on devrait en tenir compte. Or, s'il se produit une panique et que tout le monde veuille d'un coup transformer son dépôt à vue en billets de banque, on ne fera pas une inflation en remplaçant des dépôts par des billets de banque nouvellement émis. L'avoir en comptes courants, que le comptable de la banque faisait virer d'un compte à l'autre, sera remplacé désormais par des billets qui circuleront de main en main. Le volume de le circulation n'aura pas augmenté.

Mais il en est tout à fait autrement quand on permet au banque de rembourser les dépôts à terme ou telles autres sommes qu'on leur a prêtées, avec des billets imprimés ad hoc. Dans ce cas, on ne se borne pas à transformer une forme d'argent en une autre, mais on crée un pouvoir d'achat supplémentaire, donc inflationniste. L'épargnant a donné son argent à la banque ; il a donc renoncé à le dépenser lui-même. La banque l'a prêté à son tour à quelqu'un qui avait besoin de crédit ; le pouvoir d'achat de l'épargnant a donc été transmis à ce débiteur. Si l'épargnant veut reprendre son argent, la banque doit le reprendre à un de ses débiteurs. Si elle ne le fait pas, mais que l'on fasse imprimer de nouveaux billets pour restituer à l'épargnant son pouvoir d'achat dont il ne veut plus se passer, il se produit alors de l'inflation. Si l'on s'obstine à renflouer les banques de cette façon, en étendant considérablement les crédits de la banque d'émission, la monnaie du pays glisse. Il n'y a qu'un choix : ou bien stabilité de la monnaie et krach des banques, ou bien renflouement des banques et chute de la monnaie. Quiconque a fait cet apprentissage par l'expérience, doit toujours préférer la stabilité de la monnaie et renoncer aux subsides pour les banques insolvables. En effet, plus on s'efforce de renflouer les banques, plus grandes sont les sommes mises à leur disposition par la banque d'émission, plus la crise bancaire gagne du terrain, car à la méfiance envers les banques vient se joindre la méfiance envers la monnaie, et la population n'a rien de plus pressé à faire que de retirer son argent.

Le krach des banques est un cas très pénible ; pénible surtout pour les déposants de ces banques, mais aussi pour leurs débiteurs qui sont obligés désormais de chercher un nouveau créancier ou de rembourser petit à petit ce qu'ils doivent à la banque. Un remboursement immédiat n'est jamais exigé — même pas par le syndic le plus maladroit ; — l'idée que la faillite d'une banque entraîne également la faillite de l'industrie qui devait de l'argent à cette banque est fausse tant qu'il s'agit d'une industrie viable. C'est pourquoi il n'est pas recommandable de renflouer une banque par des procédés inflationnistes uniquement par égard à quelques entreprises industrielles liées à ladite banque.

De quelque façon que l'on considère les conséquences d'un krach bancaire, on doit avouer que les effets du renflouement des banques véreuses ne seront pas moins pénibles ; dans la plupart des cas, ils seront même plus néfastes.

D. Dettes internationales

Les dettes internationales deviennent un problème lorsque le remboursement ou le paiement des intérêts des sommes en question dépasse la solvabilité des débiteurs. Mais le problème change du tout au tout selon la personne du débiteur : État, banques ou entreprise privée. La différence consiste en les diverses méthodes de réunir les sommes nécessaires pour le paiement de ces dettes. L'entrepreneur particulier couvre le service de la dette avec les bénéfices de son affaire, ou, si ces bénéfices sont insuffisants, par le produit de la vente d'une partie de sa propriété. Les banques règlent normalement leurs dettes envers l'étranger en faisant rentrer les crédits accordés par elles aux nationaux. L'État fait face à ses obligations internationales grâce aux revenus qu'il extrait de l'économie nationale par le moyen de l'impôt.

Dettes internationales des entreprises privées. — Quand les entreprises privées se procurent des capitaux étrangers sans passer par l'intermédiaire des banques de leurs pays, cette opération se fait fréquemment sous forme d'émission d'obligations. En contractant ces obligations, le débiteur vise à dresser un plan d'amortissement d'après les perspectives du rendement de son entreprise. Le créancier, de son côté, a la possibilité de reprendre son capital, du moins en partie, avant l'échéance des obligations ; pour cela, il lui suffit de les vendre. Ce faisant, il obtient l'argent non pas de son débiteur mais de l'acheteur de ces titres. Lorsque les capitalistes étrangers veulent obtenir rapidement des capitaux liquides, ils font souvent de grands sacrifices en vendant les titres, sans que cela touche directement les débiteurs. Si le débiteur est en fonds, il peut réduire considérablement sa dette en rachetant ses propres obligations. Si le débiteur n'est pas en état de le faire, et que le porteur des titres essaie de vendre ceux-ci dans le pays du débiteur, ce rapatriement de titres (c'est-à-dire le rachat des obligations par les capitalistes du pays) peut donner lieu à différentes opinions. On peut estimer favorable la transformation de la dette internationale en une dette nationale (puisque le nouveau propriétaire des obligations est un compatriote) ; on peut estimer défavorable l'emploi de capitaux et de devises nécessaires pour cette opération. Mais la sortie des devises consécutive au rachat des obligations envers l'étranger ne peut que correspondre aux capitaux disponibles aux racheteurs ; ce financement est tout à fait volontaire, d'une part ; d'autre part, il est étroitement limité par la liquidité des entreprises, si bien que l'ensemble de ces opérations ne saurait être dangereux. La somme du capital liquide destinée au rachat des obligations ne dépasse pas les bénéfices des entreprises qui rentrent petit à petit, à quoi s'ajoutent parfois des parties facilement réalisables de leur actif total.

Dettes internationales des banques. — Lorsque les banques obtiennent de l'étranger des crédits à court terme, qu'elles investissent cet argent dans l'économie nationale, et que ces crédits sont brusquement supprimés la situation peut évoluer la façon suivante :

a) La banque révoque ses propres crédits ; les débiteurs s'empressent de trouver de l'argent liquide (en vendant leurs stocks, en renonçant à l'achat de stocks, peut-être même en fermant leurs entreprises) et règlent la dette ; la banque peut donc payer ses créanciers, et les devises nécessaires sont faciles à trouver parce que la liquidation des entreprises a diminué la demande de devises et accru l'offre.

Ou bien b) La banque ne peut pas faire rentrer les crédits et n'est pas en état de payer ses dettes internationales. Il ne s'agit plus du tout de la demande de devises, parce que la banque manque d'argent liquide pour en acheter. La banque doit se déclarer insolvable, ou bien elle peut arriver à un accord avec ses créanciers ; ou encore, elle peut invoquer une interdiction de l'achat de devises de la part du Gouvernement et cacher ainsi le fait qu'elle manquait d'argent liquide pour acheter des devises.

Ou bien c) La banque qui ne peut pas faire rentrer les sommes qu'on lui doit, obtient un crédit "ad hoc" de la banque d'émission. Ce crédit lui permet d'acquérir des devises ; la provision d'or et de devises de la banque d'émission s'en trouve diminuée.

Ce n'est qu'en cette troisième éventualité que la révocation des crédits accordés à la banque par l'étranger amène des troubles sur le marché de devises. Par conséquence, ni la dette envers l'étranger, ni le règlement de cette dette ne peuvent ébranler le marché de devises ; seule une opération tentée en vue de faciliter ce paiement par les crédits de la banque d'émission peut avoir cet effet. Dans le cas normal — rentrée forcée des sommes prêtées par la banque débitrice — la stabilité de la monnaie nationale n'est jamais menacée ; mais c'est la production qui sera mise à l'épreuve. Le retrait prématuré des capitaux empruntés provoque la restriction de la production, la baisse des prix et le chômage. Mais ce retrait prématuré de capitaux n'est pas une conséquence du fait que ce crédit provenait de l'étranger ; c'est simplement la conséquence du fait que de crédit était un crédit à court terme.

Dettes internationales de l'État, des départements et des communes. — L'État, les départements et les communes règlent les dettes et les intérêts ordinairement avec l'argent obtenu par le moyen des impôts. Alors que les entreprises privées contractent des emprunts avec le calcul, que les intérêts et le principal sont payés avec ce que rapportera le capital, cette perspective n'est jamais possible quand il s'agit des États ou des communes. Quand un organisme public contracte un emprunt, on estime tout au plus que l'emploi envisagé de ce capital contribuera à la prospérité de la population, de façon que celle-ci soit en état de payer plus d'impôts, et que le service de la dette soit ainsi couvert indirectement grâce à cet avantage. Mais cela ne peut ni se calculer, ni se prouver, et cela ne se produit en réalité que très rarement. Aussi, le service de la dette publique devient-il le plus souvent un lourd fardeau pour les contribuables.

Le fardeau des dettes publiques qui n'ont apporté aucun bienfait est particulièrement répugnant pour la population ; ceci est vrai en premier lieu des dettes de guerre, et des tributs de guerre.

Les charges fiscales aboutissent en fin de compte à l'enchérissement de la production, et provoquent ainsi soit une baisse des salaires, soit un nouveau chômage, et dans tous les cas un appauvrissement de la population. Si le rendement économique diminue, les rentrées des impôts diminuent également ; dans ce cas, où prendre les sommes pour faire face au service de la dette publique ? C'est là un problème qui peut paraître insoluble à maint ministre des finances.

On a souvent contesté la possibilité de payer les grandes dettes internationales sous prétexte que les devises nécessaires pour le transfert des versements à l'étranger faisaient défaut (problème du transfert des payements). Ce raisonnement ne tient bon que dans le cas où la banque d'émission a étendu ses crédits, et a facilité ainsi la concentration de sommes nécessaires. Sans cet appui de la banque d'émission la nécessité de réunir les sommes par des impôts devient un tel fardeau pour les contribuables (producteurs et consommateurs), que le pays est forcé de vendre ses produits à vil prix (augmentation des exportations) et à renoncer à des achats (réduction des importations). Cette pression amène à la détente sur le marché des devises, qui est nécessaire pour le transfert des payements. Pourtant, on ignore toujours si la population est capable de supporter tout le fardeau des impôts ; autrement dit, il n'est pas certain que tous les impôts seront réellement payés (problème de concentration des payements). Il est vrai que, lors des pourparlers que le gouvernement d'un État mène avec les États créanciers, il est très commode d'invoquer l'impossibilité du transfert des versements ; car si on parlait du problème de concentration des payements, qui est dans ce cas le problème des impôts, les créanciers pourraient répondre qu'on n'avait qu'à faire des économies ailleurs, plutôt que dans le payement des dettes.

Les allègements en matière d'obligations internationales sont très appréciables pour les débiteurs et pour la population des pays débiteurs, encore qu'on exagère parfois leur importance. En ce qui concerne le marché des devises, les dettes et leur allègement importent seulement lorsqu'on fait appel aux méthodes inflationnistes. Quant au niveau de la production, l'allègement est important s'il comporte une réduction des frais de la production, comme par exemple l'abolition des impôts qui grèvent la production.

E. Les prix, la circulation monétaire et les dettes

Le désir qu'éprouvent les débiteurs d'être déchargés du fardeau de leurs dettes trouve écho auprès de l'opinion publique, généralement hostile aux créanciers et favorable aux débiteurs. Mais il ne faut plus entretenir chez le public la vieille idée suivant laquelle le créancier est un homme riche et puissant, à la bourse bien remplie, voire un usurier avare et méchant, alors que le débiteur est un homme modeste et pauvre, qui a besoin de protection. Aujourd'hui, il faut savoir que c'est généralement le contraire qui est vrai ; que les débiteurs sont les grandes entreprises, et les créanciers — les petites gens qui avaient amassé petit à petit et avec peine leurs quelques sous. "Protection des faibles" devrait raisonnablement se dire aujourd'hui protection des épargnants !

Mais on avance aujourd'hui, en faveur des débiteurs, deux arguments de poids qu'il faut examiner :d'abord, on affirme que la baisse des prix rend impossible le paiement de dettes en entier ; deuxièmement, on prétend que le volume actuel de la circulation monétaire est insuffisant pour ce paiement. le premier argument renferme peut-être une part de vérité, si ce n'est dans la forme sous laquelle il est posé.

On prétend que les dettes sont intolérables parce qu'à la suite de la baisse des prix le service des dettes dévore désormais une quote-part plus importante du produit de la vente. Cet argument paraît convainquant, mais au fond il ne signifie rien. Supposons qu'un producteur dépense pour une pièce ou une unité de poids de son produit 82 francs pour les salaires, le matériel et les frais généraux et 8 francs pour le service de la dette, et qu'il perçoive 10 francs comme bénéfice net, tant que le prix de vente est de 100 francs. Si l'on introduit aujourd'hui une nouvelle méthode de production, qui diminue de beaucoup — disons de 50 francs par unité — le coût de fabrication, et que le prix de vente tombe à 66 francs à la suite de la plus grande concurrence, le service de la dette monte de 8 % (8 francs sur 100 francs) à 12 % (8 francs sur 66 francs), mais il n'est pas devenu intolérable pour cela.

Là, où les prix ont baissé grâce à la rationalisation des méthodes de travail, et là où cette baisse est compensée par la réduction du coût de la production, la remise des dettes n'est pas une nécessité. Lorsque le producteur peut faire des économies de matériel ou de main-d'oeuvre, il n'est pas nécessaire qu'il en fasse aussi aux dépens du service de la dette.

Si la baisse de prix n'apparaît pas comme un argument décisif, le recul du chiffre d'affaires le sera peut-être. Mais là aussi il faut distinguer entre le recul du débit comme tel, et la baisse des prix. Si le chiffre d'affaires se trouve réduit uniquement à la suite d'une baisse de prix, cela ne prouve encore rien quant à la solvabilité des débiteurs. Dans l'exemple cité plus haut des dettes ne deviendraient intolérables que si, le prix ayant baissé de 100 à 66 francs, le coût de production n'avait baissé que de 82 à 59 francs. Dans ce cas la différence entre le prix coûtant et le prix de vente aurait diminué dans une mesure telle qu'elle ne suffirait plus pour le service des dettes. Mais le niveau des prix en général, ou les prix de vente en particulier sont sans importance. En l'occurrence, c'est plutôt le rapport entre le coût de production, le prix de vente et le volume du débit qui est décisif.

Quant au deuxième argument, c'est un contresens absolu que de comparer la somme des dettes avec le volume de la circulation monétaire. Et pourtant, on s'adonne à de telles comparaisons et on en tire les conclusions les plus extraordinaires. Par exemple, on constate qu'aux États-Unis le montant des dettes atteint 150 milliards de dollars, tandis que la circulation totale de billets et de monnaie ne comporte que 5 ou 6 milliards : on croit alors qu'il n'y a pas assez d'argent pour couvrir les dettes, ou qu'il y a trop de dettes par rapport au volume de la circulation. Ce raisonnement ne serait juste que dans un seul cas : s'il fallait payer toutes les dettes en une seule journée. En réalité, l'échéance des dettes n'est pas fixée à un jour unique, mais elle s'échelonne sur vingt ou trente ans ! Et pendant ce temps on peut naturellement payer trente-six fois autant avec un volume de la circulation trente-six fois plus petit.

Il ne serait peut-être pas nécessaire de consacrer tant de paroles à la réfutation de ce raisonnement puéril ; mais comme plusieurs personnes très en vue se sont fait prendre par cet attrape-nigauds, nous voudrions apporter encore un éclaircissement. La quantité d'argent disponible à tel instant est autre chose que les paiements dont les échéances s'échelonnent sur un certain espace de temps. Une entreprise qui doit payer 10 000 francs par semaine en salaires, débourse 520 000 francs par an, et 5 200 000 francs dans l'espace de 10 ans. Mais pour cela il suffit d'avoir 10 000 francs en caisse le vendredi soir, avant la paye, et il n'est peut-être pas nécessaire d'avoir un sou de provision lundi matin. Si cette entreprise a aussi des dettes payables de la même façon, c'est-à-dire dans l'espace de plusieurs années, il en sera exactement de même ; il y aura des jours et des semaines sans que le service des dettes exige une provision quelconque en argent comptant. Il est absurde de comparer la somme des dettes et le volume de la circulation.

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