Conférence faite à la Société d'Économie industrielle et commerciale le 2 avril 1909
par Yves Guyot (Ancien Ministre des Travaux Publics)
Le socialisme philanthropique n'a été souvent qu'un prétexte. Quand les ouvriers typographes enveloppaient de toute leur sympathie les femmes, d'abord pour les empêcher de travailler, puis pour les empêcher de travailler la nuit, ce n'était que dans le but égoïste de repousser leur concurrence.
Le rapport des inspecteurs du travail dit (p. XIII) que dans l'industrie, "les deux catégories du personnel féminin (filles mineures et femmes) diminuent. Cette constatation sera favorablement accueillie par ceux qui estiment que la place des femmes est surtout au foyer féminin".
Pour que cet optimisme officiel fût justifié, il faudrait prouver que les jeunes filles au-dessous de 18 ans, qui ne vont pas à l'atelier, n'ont pas besoin d'apprendre un métier, que les filles et femmes au-dessus de 18 ans ont le moyen de vivre sans travailler.
La protection des enfants n'est pas exercée seulement dans leur intérêt. En les éliminant de l'atelier, on a voulu supprimer la concurrence qu'ils pouvaient faire aux adultes, dans le présent et dans l'avenir, comme apprentis et ensuite comme ouvriers. Cette législation a réussi à ramener la crise de l'apprentissage, si menaçante pour l'industrie et pour l'augmentation de la criminalité des mineurs.
On veut garder les enfants à l'école : et l'inspecteur de Lille constate que plus de 30 000 l'ont quittée sans avoir de certificat. On les chasse de l'atelier par un procès-verbal, "on les retrouve le plus souvent dans la rue à ne rien faire" (p. XXX). On a exigé des certificats d'aptitude physique : les médecins en donnent de complaisance et les inspecteurs du travail exigent qu'ils ne soient plus donnés que par des médecins officiels. Mais voilà des enfants faibles.Les fortifiera-t-on en leur refusant du travail ? Seront-ils mieux nourris s'ils restent à la charge de leur famille ? En empêchant de travailler des enfants, ne donne-t-on pas une prime à l'arrêt de la population ?
La loi sur l'hygiène avec ses restrictions à l'égard des enfants en condamne un certain nombre à l'oisiveté sous prétexte de les protéger. Par exemple le travail des machines à coudre est interdit avant l'âge de seize ans.
Les inspecteurs du travail (p. XXXVII) constatent que "les enfants sont presque toujours mis à pied lorsque survient une période de presse momentanée". S'ils en demandent le motif on leur répond que "les enfants n'étant point indispensables, on va se passer de leurs services plutôt que d'accepter l'obligation de limiter rigoureusement le travail à dix heures". Les enfants sortis avec leur brevet d'écoles d'apprentissage ne trouvent, en raison de leur âge, aucune maison qui veuille les employer.