Les Intérêts économiques et l'oeuvre socialiste

Conférence faite à la Société d'Économie industrielle et commerciale le 2 avril 1909

par Yves Guyot (Ancien Ministre des Travaux Publics)

 

Chapitre IV : La Réglementation du Travail

§ II. - Population sous la surveillance de la police du travail

 

Les Résultats statistiques du recensement de 1907 constatent l'existence de 616 164 établissements industriels dont 594 326, soit 96%, occupent de 1 à 26 employés et ouvriers ; 17 570 de 21 à 100 ouvriers ; 4 268 plus de 100 ouvriers et 249 024 établissements de commerce dont 246 553 comprennent de 1 à 20 employés ou ouvriers ; 2 279 de 21 à 100 employés et ouvriers ; 192 plus de 100 employés et ouvriers.

Le rapport sur l'inspection du travail pour 1907 ne distingue pas entre les établissements industriels et commerciaux. Il fixe à 552 130 le chiffre des établissements sur lesquels s'exerce la surveillance de la police. Mais cette évaluation est inférieure à la réalité, car la loi sur le repos hebdomadaire l'étend à tous les établissements ayant des employés ou des ouvriers.

Voici la proportion des diverses catégories de personnes pour les trois dernières années :

DésignationNombre d'ouvriers et employés
190519061907
Garçons mineurs de 18 ans300 998302 907313 499
Filles mineures de 18 ans264 650271 543275 086
Femmes adultes797 483826 689846 313
Hommes adultes2 363 4572 462 8682 564 504
Totaux3 726 5883 846 0073 999 402

En 1907, la proportion des enfants au-dessous de 18 ans est pour les garçons de 7,8 pour cent ; pour les filles 6,9 ; pour les femmes 21,2 et pour les hommes 64 pour cent. Par conséquent le caractère de la loi de 1892 a été complètement changé. Il ne s'agit plus de protéger les enfants. Il ne s'agit même plus de protéger les femmes adultes, mais il s'agit de protéger les hommes adultes et les établissements qui les emploient. Les mines et carrières qui sont soumises au contrôle des agents du ministère des Travaux publics ; les établissements de la guerre et de la marine sont réservés à un contrôle spécial.

L'inspection du travail constate que l'augmentation du nombre d'établissements sur lesquels s'étend son contrôle a été de 105 % et celui du personnel de 62 %.

Nombre d'établissementsPersonnels existant
1894267 9002 454 900
1901327 7002 865 800
1903528 7003 550 000
1907552 1003 999 400

Le Ministre qui avait déposé la loi du 30 mars 1900 disait qu'elle s'appliquerait à 433 637 enfants, 603 185 femmes et 1 111 335 hommes, soit au total 2 158 157 ouvriers. On pouvait déjà constater que les enfants et les femmes pour qui était faite la loi étaient moins nombreux que les ouvriers qu'elle visait.

Du reste les prétextes sont abandonnés.

Les Résultats statistiques du Recensement de 1901 comptent dans les établissements industriels 4 506 800 employés et ouvriers : dans les établissements commerciaux 798 200 : soit un total de 5 305 000 sur lesquels 4 millions sont soumis aux inspecteurs du travail. Quatre ouvriers et employés sur cinq ne doivent par conséquent travailler que dans des conditions permises par des inspecteurs du travail. Ce n'est pas assez, le rapporteur [1] se lamente parce que "la journée n'est pas limitée dans 115 000 petits établissements n'entrant pas dans la catégorie des usines et des manufactures", c'est-à-dire n'ayant pas de moteurs mécanique ou ayant moins de 20 ouvriers. La loi établissant la journée de 10 heures ramènerait donc sous un même régime 135 695 établissements comprenant 625 000 ouvriers et 147 513 établissements de commerce ou de banque occupant 471 252 employés. Son calcul ne s'accorde pas avec les chiffres du recensement ; car 625 000 ouvriers ajoutés à 4 millions nous donnent plus de 4 506 000. Mais il y a 1 639 000 travailleurs isolés. Le rapporteur prend sans doute dans la masse quelques-uns d'entre eux avant de les absorber tous. Enfin un nombre indéterminé de travailleurs à domicile "seraient soumis à une formalité de déclaration de la part des maisons qui leur distribuent de l'ouvrage". On enseignera sans doute dans les manuels de morale civique que le devoir de tout enfant, de tout jeune homme, de tout homme est de dénoncer quiconque se permettrait de travailler sans la permission de l'autorité.

 

Note

[1] Rapport sur la Réglementation du travail.


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