Man, Economy, and State

republié en 1993 par le Ludwig von Mises Institute

 

par Murray Rothbard

traduit par Hervé de Quengo

Chapitre 10 : Monopole et concurrence

5. La théorie de la concurrence monopolistique ou imparfaite

C. Chamberlin et les coûts de vente

On prétend que l'une des plus importantes contributions du Professeur Chamberlin serait sa nette distinction entre "coûts de vente" et "coûts de production". [84] Les seconds sont supposés représenter les dépenses légitimes nécessaires pour augmenter l'offre afin de faire face à une demande donnée des consommateurs. Les premiers, en revanche, sont supposés être destinés à influencer les consommateurs afin d'augmenter leur demande du produit de l'entreprise.

Cette séparation est parfaitement injustifiée. [85] Pourquoi un homme d'affaires investit-il de l'argent et accepte-t-il un coût quel qu'il soit ? Pour répondre à une demande espérée de son produit. Chaque fois qu'il améliore son produit, il espère que les consommateurs réagiront en augmentant leur demande. En fait, tous les coûts dépensés en matières premières sont engagés pour essayer d'accroître la demande des consommateurs au-delà de ce qu'elle aurait été sans ces coûts. En conséquence, tout coût de production est aussi un "coût de vente."

Inversement, les coûts de vente ne sont pas le pur gaspillage, voire la tyrannie, que les théoriciens de la concurrence monopolistique ont habituellement supposé. Les diverses dépenses désignées sous le terme de "coûts de vente" rendent de véritables services au public. Fondamentalement, ils lui fournissent des informations sur les biens du vendeur. Nous vivons dans un monde où personne ne peut avoir de "connaissance parfaite" des produits - et certainement pas le consommateur, qui fait face à une myriade de choix disponibles. Les coûts de vente sont donc importants en ce qu'ils offrent une information sur le produit et sur l'entreprise. Dans certains cas, par exemple les étalages, les coûts de vente améliorent eux-mêmes directement la qualité du produit aux yeux du consommateur. Il convient de toujours rappeler que le consommateur n'achète pas simplement un bien physique : il achète aussi une "ambiance," un prestige, des services, etc., qui ont tous une réalité tangible pour lui et qu'il évalue en conséquence. [86]

L'idée que les coûts de vente sont un artefact de la "concurrence monopolistique" ne tire son origine que dans les hypothèses étranges de la "concurrence pure." Rappelons que dans le monde "idéal" de la concurrence pure la demande de chaque entreprise lui est donnée car infiniment élastique, de telle sorte que la firme peut vendre autant qu'elle le veut au prix dominant. Les coûts de vente sont naturellement inutiles dans une telle situation, parce que le marché est automatiquement assuré pour le produit. Dans le monde réel, cependant, il n'existe pas de connaissance parfaite et les courbes de demande ne sont ni données ni infiniment élastiques. [87] Les entreprises doivent par conséquent essayer d'augmenter la demande pour leurs produits et de se tailler des parts de marché.

Chamberlin commet une autre erreur en laissant entendre que les coûts de vente, comme la publicité, "créent" la demande des consommateurs. Ceci constitue le sophisme déterministe. Chaque homme, en tant que possesseur de sa propre personne, décide librement de son échelle de valeurs. Personne ne peut forcer autrui à acheter son produit sur le marché libre. Et aucun autre individu ne pourra jamais "créer" les valeurs de quelqu'un à sa place : ce dernier doit les adopter seul. [88]

Notes

[84] Chamberlin, Theory of Monopolistic Competition, pp. 123 et suivantes. Chamberlin inclut dans les coûts de vente : la publicité, les dépenses liées à l'acte de vente et les étalages des magasins.

[85] Voir Mises, Human Action, p. 319. Voir aussi Kermit Gordon, "Concepts of Competition and and Monopoly-Discussion," American Economic Review, Papers and Proceedings, mai 1955, pp. 486-487.

[86] Il est sûrement très artificiel d'appeler "coûts de production" des rubans brillants présents sur un article emballé et "coûts de vente" de tels rubans lorsqu'ils décorent le magasin.

[87] Cf. Alfred Nicols, "The Development of Monopolistic Competition and the Monopoly Problem," Review of Economics and Statistics, mai 1949, pp. 118-123.

[88] "Le consommateur est selon [...] la légende tout simplement sans défense contre la "forte pression" de la publicité. Si cela était vrai, le succès ou l'échec dans les affaires dépendrait uniquement du mode de publicité. Toutefois, personne ne croit qu'un type quelconque de publicité aurait permis aux marchands de chandelles de résister à l'ampoule électrique, ni aux cochers de faire face aux véhicules automobiles. [...] Mais ceci implique que la qualité du bien dont on fait la réclame contribue au succès de la campagne de publicité. [...] Les astuces et les artifices de la publicité sont disponibles au vendeur du meilleur produit tout autant qu'au vendeur du moins bon produit. Mais seul le premier bénéficie des avantages découlant de la meilleure qualité de son produit." Mises, Human Action, pp. 317-318.


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