Man, Economy, and State

republié en 1993 par le Ludwig von Mises Institute

 

par Murray Rothbard

traduit par Hervé de Quengo

Chapitre 10 : Monopole et concurrence

4. Les syndicats

B. Une critique de certains arguments en faveur des syndicats

1) L'indétermination [69]

L'une des réponses préférées des défenseurs des syndicats à l'analyse ci-dessus est la suivante : "Oh, tout ceci est très beau, mais vous oubliez l'indétermination des salaires. Les salaires horaires sont déterminés par la productivité marginale à l'intérieur d'une zone plutôt qu'en un point. Et les syndicats ont une occasion de marchander collectivement à l'intérieur de cette zone sans ces effets effectivement déplaisants que sont le chômage et le rejet de travailleurs vers des emplois moins payés." Il est curieux que de nombreux auteurs utilisent sans problème une analyse rigoureuse des prix jusqu'à ce qu'ils s'occupent des salaires, et qu'ils soulignent alors soudainement et fortement leur indétermination et les énormes zones au sein desquelles les prix ne font pas de différences, etc.

En premier lieu, l'étendue de l'indétermination est très faible dans le monde moderne. Nous avons vu précédemment que dans une situation de troc entre deux personnes il est probable qu'existe une grande zone d'indétermination entre le prix maximum accepté par l'acheteur pour se procurer une quantité de bien et le prix minimum auquel le vendeur est prêt à la céder. Dans cet intervalle, nous ne pouvons déterminer le prix qu'au cours du marchandage. Toutefois, c'est justement une caractéristique de l'économie monétaire moderne que d'avoir réduit toujours et encore ces intervalles, jusqu'à ce qu'ils perdent leur importance. L'intervalle n'existe qu'entre les "paires marginales" de vendeurs et d'acheteurs. Et la zone d'indétermination se rétrécit constamment lorsque le nombre de gens et d'alternatives augmentent sur la marché. La croissance de la civilisation entraîne donc toujours la réduction de l'importance des indéterminations.

En deuxième lieu, il n'y a aucune raison pour laquelle la zone d'indétermination serait plus grande pour le marché du travail que pour le marché de tout autre bien.

En troisième lieu, supposons qu'il existe effectivement une telle zone pour le marché du travail. Et supposons qu'il n'y ait pas de syndicat. Ceci veut dire qu'il existe un certain intervalle, dont on peut dire que sa largeur est égale à un intervalle de valeur actualisée du produit marginal du facteur. Ceci, entre parenthèses, est bien moins probable que l'existence d'un intervalle pour un bien de consommation, car dans le premier cas il y a un montant spécifique, une VAPM, à estimer. Or, le maximum de la zone hypothétique est le point le plus élevé auquel le salaire égale la VAPM. Or, la concurrence entre les employeurs tendra à faire monter le prix du facteur précisément à ce niveau, pour lequel les profits sont éliminés. En d'autres termes, les salaires tendront à être portés au maximum de toute zone de VAPM.

Au lieu que les salaires soient habituellement au bas de l'intervalle, offrant aux syndicats une occasion en or pour tirer les salaires vers le haut, la vérité est à peu près le contraire. En supposant le cas très improbable pour lequel il existe une zone d'indétermination, les salaires tendront toujours à être au sommet, de telle sore que la seule indétermination est vers le bas. Les syndicats n'auraient aucune latitude pour augmenter les salaires dans cette zone.

2) Monopsone et oligopsone

On prétend souvent que les acheteurs de travail - les employeurs - exercent une sorte de monopole et récoltent un gain de monopole, et qu'il n'y a donc pas de latitude offerte aux syndicats pour faire monter les salaires horaires sans pénaliser d'autres travailleurs. Toutefois, un tel "monopsone" concernant l'achat de travail devrait comprendre tous les entrepreneurs de la société. Si tel n'est pas le cas, le travail, facteur non spécifique, pourrait alors se déplacer vers d'autres entreprises ou vers d'autres industries. Nous avons vu qu'un grand cartel ne peut pas exister sur le marché : un "monopsone" ne peut par conséquent pas exister.

Le "problème" de "l'oligopsone" - "quelques" acheteurs de travail - est un faux problème. Tant qu'il n'y a pas de monopsone, les employeurs en concurrence tendront à faire monter les salaires jusqu'à ce que ces derniers atteignent leurs VAPM. Le nombre de concurrents n'a aucune importance : il dépend des données concrètes du marché. Plus loin, nous montrerons l'erreur de l'idée d'une concurrence "imparfaite" ou "de monopole," dont ceci n'est qu'un exemple. En résumé, le cas de "l'oligopsone" repose sur une distinction entre, d'un côté le cas d'une concurrence "pure" et "parfaite", dans laquelle l'offre de travail serait une courbe parfaitement horizontale - infiniment élastique -, et d'un autre côté le cas d'un oligopsone "imparfait" avec une offre prétendument moins élastique. En fait, comme les gens ne se déplacent pas en masse [en français dans le texte, NdT] et tous en même temps, la courbe d'offre n'est jamais infiniment élastique et la distinction n'est pas pertinente. Seule la concurrence libre veut dire quelque chose et aucune autre dichotomie, telle que celle entre concurrence et oligopsone, ne peut être établie. De plus, la forme de la courbe d'offre ne change rien à la vérité qui veut que le travail tend à obtenir, comme tout autre facteur, sa VAPM sur le marché.

3) Meilleure efficacité et "effet Ricardo"

Un argument courant en faveur des syndicats est celui qui prétend qu'ils rendent service à l'économie en forçant les employeurs à payer de plus hauts salaires. A ces salaires plus élevés, les travailleurs deviendraient plus efficaces et leur productivité marginale en serait augmenter. Si c'était vrai, toutefois, les syndicats ne seraient pas nécessaires. Les employeurs le verraient et, toujours disposés à réaliser de plus grands profits, paieraient de meilleurs salaires pour récolter plus tard les bénéfices de la prétendue productivité supérieure. La réalité, c'est que les employeurs forment souvent les travailleurs et paient des salaires plus élevés que ne le justifierait leur productivité marginale actuelle. Ceci afin de tirer bénéfice dans les années futures de leur productivité améliorée.

Une variante plus sophistiquée de cette thèse a été proposée par Ricardo et remise en vogue par Hayek. Cette doctrine soutient que les salaires horaires plus élevés du fait des syndicats encouragent les employeurs à remplacer le travail par des machines. Les machines ajoutées augmenteraient la quantité de capital par travailleur et la productivité marginale du travail, compensant ainsi les salaires horaires plus élevés. L'erreur réside ici dans le fait que seule une augmentation de l'épargne peut rendre une plus grande quantité de capital disponible. L'investissement en capital est limité par le niveau de l'épargne. Les augmentations de salaires des syndicats n'augmentent pas la quantité totale de capital disponible. Il ne peut par conséquent pas y avoir d'amélioration de la productivité du travail. Au lieu de cela, la quantité potentielle de capital est déplacée (sans être augmentée) vers des industries autres que celles payant les hauts salaires. Et ce déplacement s'effectue vers des industries qui auraient été moins profitables sans l'action syndicale. Le fait qu'un salaire plus important déplace le capital n'indique pas un progrès économique, mais plutôt une tentative, qui reste toujours sans succès, de compenser une régression économique - un coût plus élevé dans la fabrication du produit. Par conséquent, le déplacement est "anti-économique."

Une thèse apparentée consiste à dire que des salaires plus élevés pousseront les employeurs à inventer de nouvelles méthodes techniques pour rendre le travail plus efficace. A nouveau, la quantité de biens du capital est limitée par l'épargne disponible et il y a presque toujours de nombreuses occasions techniques déjà existantes qui n'attendent qu'une plus grande quantité de capital. Enfin, l'aiguillon de la concurrence et le désir du producteur de garder et d'accroître sa clientèle sont des stimulants suffisants pour augmenter la productivité de son entreprise, sans le fardeau additionnel du syndicalisme. [70]

 

Notes

[69] Voir l'excellente critique de Hutt, The Theory of Collective Bargaining,passim.

[70] Sur l'effet Ricardo, voir Mises, Human Action, pp. 767-770. Voir aussi la critique détaillée de Ford, op. cit., pp. 56-66, qui montre comment les pratiques syndicales ont empêché la mécanisation, en imposant des règles du travail restrictives et en agissant rapidement pour recueillir tous les gains possibles résultant d'un nouvel équipement.


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