L'Interventionnisme

Écrit en allemand en 1940, mais non publié

Publié sous le titre Interventionism — An Economic Analysis en anglais en 1998
(traduction de T.F. McManus et H. Bund)

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

8. Conclusions

 

Le présent essai ne traite pas de la question de savoir si le socialisme — propriété publique des moyens de production, ou économie planifiée — serait un système supérieur au capitalisme, ni de savoir s'il pourrait tout simplement être possible en tant que système de coopération sociale. Il n'étudie pas les programmes des partis qui veulent remplacer le capitalisme, la démocratie et la liberté par le totalitarisme socialiste suivant le modèle russe ou allemand. L'auteur a traité ces questions dans un autre ouvrage [1]. L'analyse qui y est faite ne cherche pas non plus à savoir si le gouvernement démocratique et les libertés civiques sont bonnes ou mauvaises. Ni de savoir si oui ou non la dictature totalitaire constituerait une meilleure forme de gouvernement.

La présente analyse a simplement cherché à expliquer que la politique économique de l'interventionnisme, présentée par ses défenseurs comme une politique socio-économique progressiste, se fonde sur un sophisme. Cet ouvrage a démontré qu'il est faux que l'interventionnisme puisse conduire à un système durable d'organisation économique. Les diverses mesures par lesquelles les interventionnistes cherchent à diriger les affaires économiques ne peuvent pas atteindre les buts que ses défenseurs honnêtes cherchent à obtenir par leur application. Les mesures interventionnistes conduisent à des conditions qui, du point de vue de ceux-là même qui les recommandent, sont moins souhaitables que celles qu'ils cherchent à soulager. Elles créent le chômage, la dépression, le monopole, la misère. Elle enrichissent un petit nombre mais appauvrissent tous les autres, qui se retrouvent moins heureux. Si les gouvernements ne les abandonnent pas et ne reviennent pas à l'économie de marché libre, s'ils persistent à s'entêter à essayer de compenser les conséquences néfastes des interventions passées par de nouvelles interventions, alors ils finiront par constater qu'ils ont adopté le socialisme.

En outre, c'est une erreur tragique de croire que la démocratie et la liberté puissent être compatibles avec l'interventionnisme, voire avec le socialisme. Ce dont on veut parler en utilisant les mots de gouvernement démocratique, de libertés civiques et de liberté personnelle, ne peut exister que dans une économie de marché. Ce n'est pas par accident que partout, avec le progrès de l'interventionnisme, les institutions démocratiques ont disparu l'une après l'autre et que, dans les pays socialistes, le despotisme oriental a pu faire un retour réussi. Ce n'est pas par pure chance que la démocratie est attaquée de tous côtés, par les partisans du communisme russe comme par ceux du socialisme allemand. L'extrémisme de "droite" et l'extrémisme de "gauche" ne diffèrent que par des détails mineurs : ils se rencontrent dans leur dénonciation totale du capitalisme et de la démocratie.

L'humanité n'a le choix qu'entre l'économie de marché libre, la démocratie et la liberté d'un côté, le socialisme et la dictature de l'autre. Il n'existe pas de troisième choix, pas de compromis interventionniste.

On pourrait souligner que cette conclusion est en accord avec certains enseignements de Karl Marx et des marxistes orthodoxes. Marx et les marxistes ont qualifié de "petit bourgeois" toutes les mesures que l'on appelle interventionnistes et ont reconnu leur caractère contradictoire. Marx considérait vaines les tentatives des syndicats d'obtenir des salaires plus élevés pour toute la classe ouvrière dans la société capitaliste. Les marxistes orthodoxes ont toujours protesté contre les propositions consistant en un salaire minimum fixé directement ou indirectement par l'État. Marx avait développé la doctrine selon laquelle la "dictature du prolétariat" serait nécessaire pour préparer la voie vers le socialisme, "phase ultime de la société communiste". Durant la période de transition, pouvant durer plusieurs siècles, il n'y aurait pas de place pour la démocratie. C'est pourquoi Lénine avait raison de renvoyer à Marx pour justifier son règne de terreur. En ce qui concerne ce qui se passerait une fois le socialisme atteint, Marx a simplement dit que l'État disparaîtrait.

Les victoires remportées par Lénine, Mussolini et Hitler n'ont pas constitué des défaites du capitalisme mais furent les conséquences inévitables de la politique interventionniste. Lénine pris le pas sur l'interventionnisme de Kerenski. Mussolini gagna face au syndicalisme des syndicats italiens qui avait atteint son apogée par la confiscation des usines. Hitler triompha de l'interventionnisme de la République de Weimar. Franco l'emporta sur l'anarchie syndicaliste de l'Espagne et de la Catalogne. En France, le système du Front populaire s'effondra et il s'ensuivit la dictature de Pétain. Une fois engagé sur la voie de l'interventionnisme, ce devait être la suite logique des événements.

S'il est une chose que l'Histoire peut nous apprendre, c'est que nulle nation n'a jamais atteint un degré de civilisation élevé sans avoir recours à la propriété privée des moyens de production et qu'on ne trouve la démocratie que là où l'on rencontre cette propriété privée des moyens de production.

Si notre civilisation devait mourir, ce n'est pas parce qu'elle y serait condamnée, mais parce que les gens refuseraient d'apprendre la leçon de la théorie et de l'Histoire. Ce n'est pas le destin qui détermine l'avenir de la société humaine, mais l'homme lui-même. Le déclin de la civilisation occidentale n'est pas un acte de Dieu, qui ne pourrait être empêché. S'il se produit, ce sera en raison d'une politique qu'il est encore temps d'abandonner et de remplacer par une autre.

 

Note

[1] Le Socialisme.


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