Publié en 1938 par la Librairie de Médicis
par Fritz Machlup
traduit par Mme R. Hadekel
Des milliers et des milliers de lois, de décrets, d'actes administratifs, voilà le résultat de l'activité des gouvernements qui se sont efforcés de lutter contre la crise au cours de ces dernières années. Y a-t-il une seule mesure qui eût réellement et incontestablement aidé sans nuire en même temps ? Et n'est-il pas naturel qu'en face de ces pitoyables résultats de la politique de la crise nous croyions de plus en plus que seule une réforme radicale de notre système économique puisse apporter un remède sérieux ?
A ce sujet les idées sont partagées entre diverses tendances. Socialisme total (économie entièrement planifié), socialisme corporatif (économie corporative), capitalisme monopoleur (ce qu'on appelle économie planifiée capitaliste) ou capitalisme libéral (économie libre-échangiste), telles sont les fins des différentes aspirations. Que les système économique actuel, c'est-à-dire l'interventionnisme, ait fait faillite, cela ne fait de doute pour personne. Mais les opinions diffèrent dès qu'il s'agit d'expliquer cette faillite, d'en donner les raisons. L'interventionnisme contient des éléments de tous les systèmes économiques imaginables, et le diagnostic est fait suivant les idées de chacun : "trop de socialisme", "trop d'organisation", "trop de monopolisme", "trop de libéralisme".
On a souvent reproché au capitalisme libéral les organisations à caractère de monopole, les cartels et les trusts, dont il n'a pas pu empêcher la formation. Ce reproche émane bien entendu des milieux qui considèrent l'organisation monopolisée de l'économie non pas comme un avantage mais comme un mal ; ils oublient que ce n'est pas le système libéral, mais le système interventionniste qui constitue un terrain propice pour les formations à caractère de monopole ; ainsi, les droits de douane sont un des instruments des plus courants de l'interventionnisme et la base pratiquement la plus importante des cartels rigides.
Les partisans du capitalisme monopoleur considèrent ce système comme un pas décisif vers la production planifiée. Dans le régime de la concurrence libre la direction et le niveau de la production dépendent d'un grand nombre de producteurs particuliers, tandis que le cartel ou le trust fixe à lui seul la production de toute une industrie. Au lieu d'une quantité illimitée de plans individuels nous aurons des plans en quantité restreinte ; notamment, un seul plan pour chaque industrie.
C'est une erreur grave que de voir l'essence de l'économie dirigée dans de telles planifications. Nous le comprendrons mieux si nous réduisons tout cela à des proportions plus modestes. Supposons une société de 100 personnes, dont chacune serait spécialisée dans une certaine production. Si c'est l'économie planifiée qui règne, on nomme un comité central qui doit fixer : 1° les catégories de produits à fabriquer ; 2° la quantité de chaque marchandise à fabriquer ; 3° le mode de distribution de ces marchandises ou ce qui est la même chose la proportion de l'échange de ces produits. Par contre, si chaque membre de notre petite société économique décidait lui-même combien il veut produire et à quel prix, c'est-à-dire dans quelle proportion, il échangera ses produits contre ceux des autres on parlerait d'un système libre-échangiste.
Il n'en serait pas autrement dans une société à organisation monopolisée. Les "plans industriels" du capitalisme monopoleur correspondent exactement aux décisions des producteurs membres de notre économie libre-échangiste. La seule différence essentielle entre un système de capitalisme monopoleur et une économie libre-échangiste vaste et complexe réside dans l'absence de la concurrence entre les producteurs de marchandises identiques. Il y aurait par conséquent plus de marchandage, une plus grande marge entre les prix demandés et les prix offerts, et bien moins d'émulation et d'efforts exceptionnels ; mais il ne serait pas question d'économie planifiée.
Ce qui vaut pour le capitalisme monopoleur s'applique également à "l'économie planifiée décentralisée" sous tous ses aspects, qu'il s'agisse du syndicalisme, du socialisme corporatif ou d'organisations similaires. L'absence de compétition entre marchandises d'une même catégorie prive l'économie de sa mobilité et de sa faculté d'adaptation sans mettre à leur place un plan unique de la production et de la distribution. Ce que l'on vante ici comme "stabilité", est précisément la rigidité et le défaut de la faculté d'adaptation toujours critiques.
Les avantages que les organisations à caractère de monopole présentent pour les concurrents d'antan semblent bien évidents ; tout entrepreneur faible, qui redoute la concurrence, souhaite ardemment "l'ordre bienfaisant" d'un cartel. Mais ce qui est avantageux pour une branche de la production et même pour plusieurs ne peut être avantageux pour toutes à la fois. le monopole peut assurer à un certain groupe d'industrie des conditions d'échange particulièrement intéressantes par comparaison à d'autres industries, et bien entendu au détriment de celles-ci. Cela prouve précisément que toutes les industries ne peuvent pas jouir simultanément de l'avantage du "prix de monopole". Si le prix de concurrence de la marchandise A était tel qu'on avait pour un A, B, ou 4 D, le monopole A pourrait à la rigueur "améliorer" son prix à tel point qu'on ait désormais pour 1 A, 3B, 4 C ou 6 D. Un monopole B pourra améliorer les conditions d'échange au profit de la marchandise B, etc. Mais les monopoles qui comprendraient toutes les marchandises et qui auraient tous la même force ne pourraient que ramener les rapports d'échange au niveau qu'ils auraient atteint dans le régime de la concurrence libre.
Quant aux organisations corporatives, elles présentent une particularité spéciale : ce sont des groupes fermés, dont l'entrée est interdite à ceux qui ne font pas partie du groupe de producteurs privilégiés. Il faut être "agréé" par la corporation pour avoir le droit de fabriquer telle ou telle catégorie de marchandises. Que ce régime protège bien les membres des corporations, cela est certain. Qu'il n'apporte aucune solution au problème du chômage, aucun espoir pour les quelques millions de chômeurs qui se trouvent aujourd'hui non seulement en dehors de toute corporation, mais en dehors du processus de la production en général, cela est également certain.
Toutes ces considérations ne s'attaquent pas à l'idée même de l'organisation corporative, qui revêt des formes si multiples et si différentes qu'il est impossible de formuler une opinion unique à son sujet. Il existe bien des groupes politiques, qui considèrent le régime corporatif comme une variation de la démocratie ; certains ne voient en lui que l'influence des associations professionnelles sur la législation ; d'autres estiment par contre que ce régime constitue un réseau obligatoire de cartels ou un corporatisme sui generis, d'aucuns veulent opposer l'organisation corporative aux organisations des classes ; bref, il n'existe pas de programme unique.
Dans la mesure où le système corporatif doit servir à former des associations professionnelles fermées rappelant les corporations médiévales, et chargées de dresser les lignes générales de la production et du débit, ce système se situe entre le capitalisme monopoleur et le socialisme corporatif. Ces trois régimes ont ceci de commun ; l'absence de la concurrence libre entre les producteurs de marchandises identiques les distingue de l'économie libre-échangiste, et l'absence du plan unique les sépare de l'économie planifiée. Il faut que la production s'adapte aux besoins soit par la concurrence libre entre tous ceux qui y participent, soit par un plan unique. Les deux font défaut aux systèmes d'économie pseudo-planifiée.
Tout le monde peut dresser un plan économique. Mais pour le mettre en pratique il faut disposer des moyens de production. La mainmise sur les moyens de production est la caractéristique même du socialisme. Socialisme, économie collectiviste ou économie planifiée sont les termes synonymes pour l'économie sociale dirigée suivant un plan unique.
Il est des gens qui sont partisans de l'économie planifiée mais adversaires du socialisme, comme il y a des gens qui veulent se laver sans se mouiller. Ceux qui croient sérieusement à la possibilité d'une économie planifiée non-socialiste, n'ont pas suffisamment approfondi le problème : ils confondent les "plans industriels" avec le plan qui a pour objet l'économie intégrale, ou bien ils s'hypnotisent sur les formalités juridiques qui ont trait à la notion de la propriété. La définition juridique de la "propriété" est sans importance ici. Voilà ce qui importe du point de vue économique ; qui dispose des moyens de production et qui détermine la mesure et la manière de leur utilisation ? Laisser les moyens de production à la libre disposition d'une légion de propriétaires particuliers serait un acte incompatible avec le désir de réaliser un plan unique. Dans le régime de l'économie planifiée il faut donc disposer des moyens de production dans le sens d'une "volonté centrale" unique. Que cette volonté centrale soit instituée d'après les principes démocratiques, parlementaires-corporatifs ou dictatoriaux, cela n'a pas la moindre importance pour notre problème.
Bien rares sont les publications socialistes traitant des possibilités de diriger l'économie, quoique la littérature socialiste soit très abondante. la plupart des écrits socialistes se contentent de critiquer le régime capitaliste et d'affirmer que le socialisme est plus juste et plus souhaitable. Les "instructions pratiques" sont rares et se bornent normalement aux généralités techniques ou à l'organisation. Mais les problèmes cruciaux du socialisme sont d'une autre nature. Il y a d'abord la question de la stimulation efficace des travailleurs, qu'on essaie de résoudre maintenant en revenant aux méthodes des primes (stigmatisées comme méthodes capitalistes). Mais c'est le problème du calcul économique qui a une importance primordiale, et qui restera sans doute le problème insoluble du socialisme.
Le "principe économique" exige que l'on cherche à obtenir le meilleur résultat possible avec les moyens donnés. Pour cela il est nécessaire de pouvoir comparer à n'importe quel moment les moyens employés (dans toutes les combinaisons) et les résultats obtenus. Dans le système de libre échange cela se fait sous forme de calcul commercial à base d'argent. Il est impossible d'observer le principe économique dans la production sociale, basée sur la division du travail, sans faire appel au calcul pécuniaire ; pour diriger avec succès une économie socialiste il aurait fallu inventer un "calcul économique socialiste", ce qui présente un obstacle insurmontable jusqu'à présent. Le calcul pécuniaire est un calcul qui comprend tous les biens employés et tous les biens et services produits avec leurs prix. Tous ces prix se trouvent dans un état d'interdépendance ; les prix des biens de production agissent sur les prix des produits fabriqués et ceux des produits fabriqués agissent sur les prix des biens de production. Mais la formulation des prix des moyens de production n'est possible que si ces moyens de production sont également l'objet des échanges commerciaux. Or, cela est exclu par définition dans le système socialiste.
Les différents qualités de travail, les produits du sol de différentes espèces et la disposition de capitaux ne peuvent figurer dans un calcul avec leurs prix en argent que si ces prix en argent résultent d'opérations arithmétiques précédentes. Ces opérations sont les calculs des différents entrepreneurs qui contrôlent et comparent la rentabilité de la fabrication des produits variés avec les moyens disponibles. Les différentes entrepreneurs se font concurrence à l'achat des moyens de production disponibles, et le prix s'établit dans cette concurrence. Ce prix s'établit parce qu'il n'y a pas de plan préconçu déterminant l'emploi tout au contraire par le jeu de la concurrence de nombreux plans individuels. Si on voulait fixer des "prix fictifs" pour les moyens de production (par exemple : pour une heure de travail ou pour une quantité d'énergie) et si on voulait prendre ces prix comme base pour le calcul des prix de revient, le calcul économique perdrait sa qualité essentielle : à savoir, les "prix coûtants" devraient se former comme des reflets des différentes alternatives d'emploi concurrentes. Un calcul économique dans lequel figurent des prix des moyens de production fixés selon un plan préconçu, c'est-à-dire arbitrairement, au lieu d'être le résultat de la concurrence, ce calcul dirons-nous, devient une estimation vague.
Tâchons de clarifier ces réflexions difficiles et abstraites par une légende. Un entrepreneur doué de beaucoup d'initiative avait entendu les chefs de plusieurs entreprises se plaindre de l'insécurité de leurs débouchés ; il s'agissait d'une exploitation forestière, d'une entreprise de transport, d'une scierie, d'une fabrique de cellulose, d'une exploitation minière, d'une fabrique de papier, d'une fabrique de caisses d'emballage, et d'une fabrique de sacs en papier. Il fit alors fusionner toutes ces entreprises en une seule firme. Désormais, le forestier était sûr que la scierie et la fabrique de cellulose lui prendraient son bois ; le garage était toujours occupé, la scierie fournissait régulièrement des planches à la manufacture de caisses, et la fabrique de cellulose écoulait sa pâte à la papeterie ; celle-ci se servait du charbon de la même firme et fournissait le papier pour les sacs. Ce fut une entreprise modèle "d'intégration verticale", une économie planifiée en miniature. mais comme il y avait heureusement des entreprises concurrentes, notre industriel s'aperçut que ses caisses et ses sacs étaient beaucoup trop chers, bien qu'il eût supprimé toues les "bénéfices intermédiaires" et que chaque exploitation ne facturât à l'autre que son prix de revient. Il fit alors des reproches aux directeurs des manufactures de sacs et de caisses ; mais il y avait heureusement des fabricants de caisses et de sacs en papier indépendants, qui travaillaient pour leur propre compte, et les directeurs purent prouver que le papier et le bois scié provenant de leurs propres entreprises étaient facturés plus cher que les marchandises achetées par leurs concurrents sur le marché libre. Notre industriel voulut donc savoir quel était le service qui ne travaillait pas économiquement. Il abandonna son système, à savoir que chaque service devait compter à l'autre son prix de revient et ordonna qu'aucun service ne devait acheter ses produits semi-ouvrés à un prix supérieur à celui exigé par des maisons concurrentes. Or, il constata que certains de ses établissements pouvaient couvrir leurs frais, et que d'autres ne le pouvaient pas. Et que fit-il des établissements non-rentables ? Il les ferma et renonça à l'intégration verticale planifiée.
A partir de ce moment ses plans furent basés sur les prix de concurrence. Le bois libéré par l'exploitation forestière n'était plus compté à un prix comprenant tout juste les frais de conservation, d'abattage et de transport ; ce prix devint mobile et variait suivant les circonstances. Il y avait des périodes où la papeterie pouvait devancer la scierie et enlever tout le bois. La scierie aurait pu acheter ce bois à un prix qui ne dépassât pas le montant des frais de production ; mais comme la papeterie pouvait employer ce bois d'une façon plus lucrative, elle offrait un prix plus élevé. dans ce cas le bois "coûtait" plus cher, et la scierie ne pouvait se permettre de l'acheter. Les choses devaient se passer ainsi, parce que les prix, qui figurent dans le calcul économique bien conçu correspondent non pas aux dépenses techniques, mais aux alternatives respectives d'emploi économique.
Notre industriel était aussi un riche capitaliste et il commanditait une quantité d'autres affaires. Il fallait donc qu'il réfléchisse au meilleur emploi de ses capitaux. Il avait commencé par mettre à la disposition de chacun de ses directeurs autant de capitaux qu'ils voulaient. Mais il constata bientôt que leurs exigences étaient au delà de ses moyens. Chacun voulait faire de nouveaux investissements, créer de nouvelles installations pour de nouveaux procédés, toujours améliorer et agrandir. Il décida alors de ne donner son capital qu'aux industries qui permettaient de rapporter le plus d'intérêts ; et lorsqu'il fallait des capitaux pour exploiter quelque nouvelle invention, particulièrement lucrative, il élevait son taux d'intérêt et enlevait des capitaux aux entreprises qui ne rapportaient pas autant. Les entreprises entraient en concurrence pour obtenir le capital.
Cette concurrence, ne pourrait-elle fonctionner également au sein de l'économie planifiée, c'est-à-dire quand la production se fait suivant un plan ? Or, ou bien on produit ce qui est rentable, ou bien on produit ce qui est conforme au plan. Si l'on décide que seules les entreprises rentables doivent travailler, et qu'on laisse ces entreprises concourir entre elles pour la main-d'oeuvre et tous les moyens de production, et surtout pour les capitaux nécessaires (il est entendu qu'une entreprise qui ne peut offrir les prix de concurrence pour les moyens de production ne peut travailler), c'est qu'on opte pour le système économique capitaliste.
Par conséquent, le système de l'économie planifiée doit renoncer au calcul économique proprement dit et le système qui est censé garantir le rendement économique doit renoncer à la planification totale. Nous n'approfondirons pas davantage ; il suffit, pour notre tâche, d'avoir donné un aperçu sommaire de ces problèmes complexes. Ce que nous nous proposions dans ce livre, c'est de guider le lecteur à travers la politique, qui a été pratiquée ou recommandée dans le but de combattre la crise, sous le régime de l'interventionnisme qui est le nôtre.
C'est une pratique du régime interventionniste que de faire passer les intérêts privés de groupes plus ou moins importants pour l'intérêt général du pays. On a abrité les intérêts égoïstes sous le paravent des intérêts publics. A cette tendance de la politique interventionniste on a opposé la devise : L'intérêt général passe avant les intérêts individuels.
Il n'est pas très difficile de faire admettre cette devise par tout le monde ; ce qui est difficile c'est de savoir en quoi consiste le bien commun. Qui sera qualifié pour décider si telle mesure sert le bien public, ou bien uniquement les intérêts égoïstes ? Depuis que la politique existe, tous les politiciens se prévalent du bien public ; et en fait, bien rares sont les politiciens dont on peut affirmer qu'ils ont consciemment agi à l'encontre du bien commun. Y a-t-il une méthode infaillible pour distinguer une politique qui recherche le bien commun d'une politique égoïste ?
On a cru que la théorie du "prix-juste" constituait cette méthode. Mais qu'es-ce qu'un prix juste ? Acheteurs et vendeurs de n'importe quelle marchandise sont toujours en désaccord à ce sujet, et l'arbitrage d'un médiateur n'est pas plus "juste" que les désirs des deux partis.
Le prix juste, tel que l'imaginent les vendeurs, est si élevé qu'il n'y a pas assez d'acheteurs qui puissent l'offrir. Le prix juste tel que l'imaginent les acheteurs est si bas qu'il n'y a pas assez de producteurs qui puissent travailler à ce compte. Et que dira-t-on d'un prix pour lequel il se trouve juste autant d'acheteurs que de vendeurs ? ne serait-ce point la seule solution raisonnable , Nous pouvons bien qualifier de naturel un prix qui maintient la balance entre l'offre et la demande.
Dans ce raisonnement un prix naturel est un prix que tous les vendeurs qui sont prêts à l'accepter trouvent des débouchés et tous les acheteurs qui sont prêts à le payer trouvent de la marchandise. De même, un salaire naturel est une rémunération telle que tous les ouvriers désireux de travailler trouvent du travail, et que tus les entrepreneurs désireux de payer trouvent de la main-d'oeuvre. L'intérêt naturel est un dédommagement pour le prêt du capital tel que tous ceux qui ont besoin de capitaux et qui sont dignes de confiance puissent l'obtenir, et que tous les capitalistes trouvent des preneurs pour leur argent.
Ces prix se forment sur le marché libre par la concurrence dont ils sont le résultat ; toute politique qui se propose de falsifier les résultats du marché peut être qualifiée à juste titre de politique contraire au bien commun. une politique qui veut aider soit un groupe de vendeurs soit un groupe d'amateurs à obtenir des prix plus hauts ou plus bas que ceux formés par le marché libre en vertu de son ensemble organique, une telle politique est préjudiciable au "bien commun" ; lorsque chacun fait de son mieux pour se mettre au niveau des exigences du marché, il collabore bien mieux à la satisfaction des besoins de la communauté que ne le ferait la planification la plus astucieuse. Toute planification économique est le résultat des opinions et des idées d'un très petit groupe "d'esprits supérieurs". Le système des prix du marché boussole pour l'initiative privée de millions de producteurs est le résultat des désirs immédiats et directement palpables des millions d'êtres humains qui constituent "l'économie".
On a cru pouvoir opposer au système de l'économie de profit le système de l'économie des besoins. Mais la faute d'une méthode permettant de connaître les besoins des hommes et de comparer leur importance, et en acceptant, faute de mieux, la volonté de payer comme une mesure de leurs besoins, on peut conclure que le désir de gagner de l'argent, pourvu qu'il n'en soit pas empêché ou détourné par les interventions, contribue mieux à la satisfaction des besoins qu'aucun autre moyen connu à ce jour. Du moment que les profits existent seulement là où la satisfaction de la demande est relativement assurée ; et que ces profits permettent l'accroissement de la production respective plus vite que la décision d'un directeur d'une économie planifiée, le mécanisme des échanges libres devient un instrument utile au bien-être général. Il ne peut pas remplir cette fonction tant que des interventions maladroites de politiciens, en voulant nous tirer de la crise, transforment ledit mécanisme en un instrument perpétuellement détraqué et en mal de réparations au service des intérêts égoïstes de certains groupes individuels.