Esquisse de l'organisation politique et économique de la société future

par Gustave de Molinari

Appendice

Note B. - Les syndicats ou "trusts" restrictifs de la concurrence

Le Journal of Commerce de New York évaluait dernièrement à 3 500 000 000 de dollars, soit à la moitié environ du capital industriel des États-Unis, les capitaux des industries engagés dans les trusts. MM. Johanez (Autour du monde milliardaire américain) et Paul de Rousiers (Les industries monopolisées (trusts) aux États-Unis) s'accordent à attribuer principalement au tarif protectionniste la création et la multiplication de ces monopoles.

"Un défenseur des trusts, M. Gunton (Economic and social aspect of the trusts), dit M. Paul de Rousiers, a soutenu avec talent et ingéniosité que les trusts ne détruisaient pas la concurrence potentielle, c'est-à-dire la possibilité de concurrence. Si quelqu'un est en mesure de livrer au public américain de meilleur pétrole à meilleur marché que le Standard oil, personne ne l'en empêche. Mais cette concurrence potentielle elle-même est entravée par le tarif douanier. Le marché américain lui est fermé. Beaucoup de raffineurs seraient en mesure de livrer à la clientèle américaine de meilleur à meilleur marché que le Sugar trust, mais le tarif les en empêche. La protection va plus loin ; elle ne ferme pas le marché seulement aux produits semblables à ceux qu'elle protège, amis encore à tous ceux qui pourraient leur faire concurrence indirectement. Que demain on découvre un mode d'éclairage encore moins coûteux que le pétrole, la Standard oil C° sera menacée ; mais qu'on trouve une substance remplaçant le sucre dans l'alimentation, cette substance pourra être de suite frappée d'un droit protecteur. C'est ce qui a lieu tous les jours dans les pays protectionnistes : pour protéger l'huile de Provence, on frappe l'arachide ; pour protéger le beurre de Bretagne ou de Normandie, on frappe la margarine, etc.

"... Il reste vrai que les trusts n'ont pas la possibilité d'imposer à la consommation des prix très supérieurs à ceux que la concurrence déterminerait si elle régnait sur le marché fermé par les tarifs où opèrent ordinairement les trusts."

 

Voici, d'après M. de Rousiers, quels seraient les remèdes aux trusts :

 

"Du moment, dit-il, que les trusts ne sont pas le résultat des seules forces économiques naturelles, du moment que des éléments artificiels sont nécessaires à leur création, la méthode la plus efficace que l'on puisse employer pour les atteindre consiste simplement à diminuer autant que possible le nombre et la force de ces éléments artificiels. De plus, on est puissant contre des mesures artificielles, on est toujours impuissant contre des forces naturelles, en sorte que non seulement il est plus efficace mais qu'il est aussi plus facile de s'en prendre à l'artifice qu'à la nature.

"Les Américains ont suivi jusqu'ici la méthode directement contraire. Ils s'en sont pris aux forces économiques qui poussent l'industrie à la concentration et les ont attaqués par des anti trusts laws, c'est-à-dire par une série de mesures essentiellement artificielles : défense à deux compagnies concurrentes de se lier ensemble par entente ; défense aux différentes lignes de chemin de fer de conclure un accord au sujet de leurs tarifs, etc., etc. On sait le résultat pitoyable qu'elle ont atteint. Elles ont brutalement entravé des initiatives fécondes et n'ont pas garanti le public contre les trusts d'industrie privée. Les cours américaines en sont venues à les déclarer complètement inefficaces (entirely unserviceable) ; c'est qu'en effet elles ne vont pas à la racine du mal, elles augmentent le nombre des conditions artificielles au lieu de les diminuer, elles réglementent et compliquent ce qui demandent à être débarrassé d'entraves et simplifié.

"Elles n'ont même pas empêché les trusts de services publics qui réclament une réglementation (?), elles ne les ont pas distingués des autres, elles ont aggravé encore la confusion des intérêts privés et des intérêts publics.

"Les trusts de services publics disparaîtront complètement le jour où les pouvoirs publics américains seront parvenus à reprendre leur contrôle normal sur les intérêts dont ils ont la charge.

"Les trusts de l'industrie privée seront réduits à une ou deux exceptions le jour où les pouvoirs publics américains se seront décidés en outre à ne pas intervenir abusivement, notamment par des tarifs, sur le terrain économique.

"On verra alors clairement aux États-Unis, comme cela se voit en Angleterre, que la concentration industrielle n'est pas une menace pour la concurrence."


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