par Gustave de Molinari
Que les souverains eux-mêmes commencent à se préoccuper des conséquences désastreuse de la prolongation artificielle de l'état de guerre, on en trouve la preuve dans l'initiative du Tsar en faveur du désarmement. Le 12/24 août 1898, le comte Mouraview, ministre des affaires étrangères de la Russie, remettait par ordre de l'Empereur à tous les représentants étrangers accrédités à Saint-Pétersbourg, cette note :
"Le maintien de la paix générale et une réduction possible des armements excessifs qui pèsent sur toutes les nations, se présentent, dans la situation actuelle du monde entier, comme l'idéal auquel devraient tendre les efforts de tous les gouvernements.
"Les vues humanitaires et magnanimes de Sa Majesté l'empereur, mon auguste maître, y sont entièrement acquises, dans la conviction que ce but élevé répond aux intérêt les plus essentiels et aux voeux légitimes de toutes les puissances ; le gouvernement impérial croit que le moment présent serait très favorable à la recherche, dans la voie de la discussion internationale, des moyens les plus efficaces à assurer à tous les peuples les bienfaits d'une paix réelle et durable et à mettre avant tout un terme au développement progressif des armements actuels.
"Au cours des vingt dernières années, les aspirations à un apaisement général se sont particulièrement affirmées dans la conscience des nations civilisées. La conservation de la paix a été posée comme le but de la politique internationale. C'est en son nom que les grands États ont conclu entre eux de puissantes alliances ; c'est pour mieux garantir la paix qu'ils ont développé, dans des proportions inconnues jusqu'ici, leurs forces militaires et continuent encore à les accroître sans reculer devant aucun sacrifice.
"Tous ces efforts n'ont pu aboutir encore aux résultats bienfaisants de la pacification souhaitée. Les charges financières, suivant une marche ascendante, atteignent la prospérité publique dans sa source. Les forces intellectuelles et physiques des peuples, le travail et le capital, sont en majeure partie détournés de leur application naturelle et consumés improductivement. Des centaines de millions sont employés à acquérir des engins de destruction effroyables qui, considérés aujourd'hui comme le dernier mot de la science, sont destinés à perdre toute valeur à la suite de quelque nouvelle découverte dans ce domaine. La culture nationale, le progrès économique et la production des richesses se trouvent paralysés ou faussés dans leur développement ; aussi, à mesure qu'ils s'accroissent, les armements de chaque puissance répondent-ils de moins en moins au but que les gouvernements s'étaient proposé.
"Les crises économiques, dues en grande partie au régime des armements à outrance et au danger contingent qui gît dans cet amoncellement du matériel de guerre, transformant la paix armée de nos jours en fardeau écrasant que les peuples ont de plus en plus de peine à porter. Il paraît évident dès lors que, si cette situation se prolongeait, elle conduirait fatalement à ce cataclysme même qu'on tient à écarter et dont les horreurs font frémir à l'avance toute pensée humaine. Mettre un terme à ces armements incessants et rechercher les moyens de prévenir des calamités qui menacent le monde entier, tel est le devoir suprême qui s'impose aujourd'hui à tous les États.
"Pénétrée de ce sentiment, Sa Majesté a daigné m'ordonner de proposer à tous les gouvernements dont les représentants sont accrédités près la cour impériale la réunion d'une conférence qui aurait à s'occuper de ce grave problème.
"Cette conférence serait, Dieu aidant, d'un heureux présage pour le siècle qui va s'ouvrir ; elle rassemblerait dans un puissant faisceau les efforts de tous les États qui cherchent sincèrement à faire triompher la grande conception de la paix universelle sur les éléments de trouble et de discorde.
" Elle cimenterait en même temps leurs accords par une consécration solidaire des principes d'équité et de droit sur lesquels reposent la sécurité des États et le bien-être des peuples."
A la suite de cette note la circulaire suivante, résumant les thèmes à soumettre à la Conférence, a été adressée encore par le comte Mouraview, le 30 décembre 1898 - 13 janvier 1899 -, aux représentants des puissances à Saint-Pétersbourg :
"Lorsqu'au mois d'août dernier mon auguste maître m'ordonnait de proposer aux gouvernements dont les représentants se trouvent à Saint-Pétersbourg la réunion d'une Conférence destinée à rechercher les moyens les plus efficaces d'assurer à tous les peuples les bienfaits d'une paix réelle et durable et de mettre avant tout un terme au développement progressif des armements actuels, rien ne semblait s'opposer à la réalisation plus ou moins prochaine de ce projet humanitaire.
"L'accueil empressé fait à la demande du gouvernement impérial par presque toutes les puissances ne pouvait que justifier cette entente. Appréciant hautement les termes sympathiques dans lesquels était conçue l'adhésion de la plupart des gouvernements, le Cabinet impérial a pu recueillir en même temps, avec une vive satisfaction, les témoignages du plus chaleureux assentiment qui lui ont été adressés et qui ne cessent de parvenir de toutes les classes de la société et de tous les points du monde.
"Malgré le grand courant d'opinion qui s'était produit en faveur des idées de pacification générale, l'horizon politique a sensiblement changé d'aspect. En ces derniers temps, plusieurs puissances ont procédé à des armements nouveaux, s'efforçant d'accroître encore les forces militaires, et, en présence de cette situation incertaine, on pourrait être amené à se demander si les puissances ont jugé le moment actuels opportun pour la discussion internationale des idées émises dans la circulaire du 12 août.
"Espérant toutefois que les éléments de trouble qui agitent les sphères politiques feront bientôt place à des dispositions plus calmes et de nature à favoriser le succès de la Conférence projetée, le gouvernement impérial est d'avis qu'il serait possible de procéder dès à présent à un échange préalable d'idées entre les puissances dans ce but, et de rechercher sans retard les moyens de mettre un terme à l'accroissement progressif des armements de terre et de mer, question dont la solution devient évidemment de plus en plus urgente, en vue de l'extension nouvelle donnée à ces armements, et de préparer les voies à une discussion des questions se rapportant à la possibilité de prévenir les conflits armés par les moyens pacifiques dont peut disposer la diplomatie internationale.
"Dans le cas où les puissances jugeraient le moment actuel favorable à la réunion d'une Conférence sur ces bases, il serait certainement utile d'établir entre les Cabinets une entente au sujet du programme de ses travaux ; les thèmes à soumettre à une discussion internationale au sein de la Conférence pourraient en traits généraux se résumer comme suit :
"1° Entente stipulant la non-augmentation pour un terme à fixer des effectifs actuels des forces armées de terre et de mer, ainsi que des budgets de guerre y afférents : étude préalable des voies dans lesquelles pourrait même se réaliser dans l'avenir une réduction des effectifs et des budgets ci-dessus mentionnés ;
"2° Interdiction de la mise en usage, dans les armées et les flottes, de nouvelles armes à feu quelconques et de nouveaux explosifs, aussi bien que de poudres plus puissantes que celles adoptées actuellement tant pour les fusils que pour les canons.
"3° Limitation de l'emploi dans les guerres de campagne, des explosifs d'une puissance formidable déjà existants et prohibition du lancement de projectiles ou d'explosifs quelconques du haut des ballons et par des moyens analogues ;
"4° Défense d'employer dans les guerres navales des bateaux torpilleurs sous-marins ou plongeurs ou d'autres engins de destruction de la même nature : engagement de ne pas construire à l'avenir de navires de guerre à éperon ;
"5° Adaptation aux guerres maritimes des stipulations de la convention de Genève de 1864 sur la base des articles additionnels de 1868 ;
"6° Neutralisation, au même titre, des navires ou chaloupes chargés du sauvetage des naufragés, pendant ou après les combats maritimes ;
"7° Révision de la déclaration concernant les us et coutumes de la guerre, élaborée en 1874 par la Conférence de Bruxelles et restée non ratifiée jusqu'à ce jour ;
"8° Acceptation, en principe, de l'usage des bons offices, de la médiation et de l'arbitrage facultatif pour des cas qui s'y prêtent, dans le but de prévenir des conflits armés entre les nations ; entente au sujet de leur mode d'application et établissement d'une pratique uniforme dans leur emploi.
"Il est bien entendu que toutes les questions concernant les rapports politiques des États et l'ordre de choses établi par les traités comme, en général, toutes les questions qui ne rentreront pas directement dans le programme adopté par les Cabinets, devront être absolument exclues des délibérations de la COnférence.
"En vous adressant, Monsieur, la demande de bien vouloir prendre, au sujet de ma présente communication, les ordres de votre gouvernement, je vous prie en même temps de porter à sa connaissance que, dans l'intérêt de la grande cause qui tient si particulièrement à coeur à mon auguste maître, Sa Majesté Impériale juge qu'il serait utile que la Conférence ne siégeât pas dans la capitale de l'une des grandes puissances, où se concentrent tant d'intérêts politiques, qui pourraient peut-être réagir sur la marche d'une ouvre à laquelle sont intéressés, à un égal degré, tous les pays de l'univers."
A l'appui de la note, le Messager officiel russe publiait un article très documenté faisant le dénombrement forces militaires des différents États du globe :
"La Russie est le pays d'Europe dont les forces militaires sont les plus considérables ; en temps de paix la Russie a sous les armes 280 000 hommes. En cas de mobilisation la Russie peut mettre sur pied deux millions et demi de soldats auxquels il faut ajouter environ 6 947 000 réservistes et miliciens. C'est donc près de 9 millions d'hommes dont la Russie peut disposer en cas de guerre. Vien ensuite la France avec son armée permanente de 589 000 hommes, pouvant être portés en cas de mobilisation au chiffre de 2 500 000 combattants. Si on y ajoute les troupes de réserve, on atteint 4 370 000 hommes. L'armée allemande, dont les cadres sont particulièrement bien organisés, a un effectif de paix de 585 000 hommes ; en dix jours cette armée peut être mobilisée, et le chiffre en serait porté à 2 230 000 combattants ; en y ajoutant les réserves, l'armée allemande peut être évaluée à 4 300 000 hommes.
"L'armée permanente de l'Autriche-Hongrie s'élève à 350 000 hommes ; en cas de guerre elle peut être portée à 2 500 000 hommes, et avec les réserves s'élever à 4 000 000 de combattants. L'Italie a une armée permanente de 174 000 hommes ; en cas de guerre cette armée peut être portée au chiffre de 1 473 000 hommes, plus 727 000 réservistes, ce qui fait un total de 2 200 000 combattants. L'armée permanente la plus faible est celle de la Grande-Bretagne ; celle-ci peut mettre sur pied environ 220 000 hommes, et avec la réserve, la milice et les volontaires, tout au plus 720 000 combattants.
"Les chiffres ci-dessus ne donnent cependant pas un aperçu complet de ce que peuvent être les armées européennes ; il est difficile de se faire une idée de ce que représente un million de soldats. Il est facile de dire que la Russie, en cas de guerre, peut mettre sur pied 7 millions de combattants ; mais il serait plus difficile de le supputer, il faudrait pour cela plusieurs mois. On peut se représenter, d'autre part, quelle étendue de terrain occuperait l'armée française si elle était en ligne. Elle couvrirait un espace de 520 kilomètres ; l'armée allemande occuperait un espace de 510 kilomètres ; l'armée austro-hongroise, un espace de 460 kilomètres ; l'armée italienne, un espace de 230 kilomètres.
"L'Europe représente en somme un vaste camp, et chaque Européen passe une partie de son existence à la caserne. On compte en France un soldat sur 9 habitants ; en Allemagne, un soldat sur 12 habitants ou sur 9 hommes ; en Autriche-Hongrie, sur 11 habitants ; en Italie, c'est la septième partie de la population masculine qui est sous les armes. En Russie, on compte un soldat par 40 habitants.
"L'emplacement qui à Paris n'est pas occupé par les bâtisses représente une superficie de 7 802 hectares, c'est-à-dire le quart du même emplacement à Londres. Pour placer les armées permanentes des cinq grandes Puissances, il faudrait avoir une superficie double de l'emplacement libre de la ville de Londres, ou bien huit fois plus grand que le même emplacement à Paris. Si aux armées permanentes on ajoute les réserves, on devrait avoir un emplacement trois fois plus grand que celui de Paris. Les forces armées réunies des cinq grandes Puissances continentales, au cas où elles devraient être passées en revue, devraient être disposées sur un emplacement vingt fois plus grand que celui occupé par la ville de Paris.
"Actuellement on compte en Europe 4 250 000 hommes sous les armes. Si une guerre générale éclatait, 16 410 000 hommes seraient mobilisés et avec les réserves on aurait 34 millions d'hommes. A supposer que cette armée colossale dût être rangée en colonne, il faudrait une ligne aussi étendue que celle entre Madrid et Saint-Pétersbourg. On aurait un soldat sur 10 habitants ou sur 5 hommes.
"En Asie on compte 500 000 hommes de troupes en temps de paix, non compris les petits États. Le chiffre de l'armée chinoise ne saurait être établi ; on a prétendu qu'elle pourrait s'élever à 1 200 000 hommes, mais il n'y a rien de certain à cet égard. Beaucoup de soldats chinois n'ont que des arcs et des flèches. L'organisation militaire du Japon, en revanche, est excellente. En Afrique, le chiffre des combattants indigènes ne dépasse pas 250 000 hommes.
"Les forces militaires du Nouveau-Monde sont assez restreintes si on les compare à celles de l'Europe. Le Mexique peut mettre sur pied 120 000 hommes ; le Brésil 28 000 hommes auxquels il faut ajouter 20 000 gendarmes. Les États-Unis ont une armée permanente de 25 000 hommes ; le chiffre des combattants en cas de guerre peut être considérablement étendu. La république Argentine compte 120 000 soldats, le Canada a 2 000 hommes de troupes anglaises, 1 000 Canadiens et 35 000 hommes de milice.
"On compte dans le monde entier environ 5 250 000 hommes constamment sous les armes.
"Les dépenses d'entretien de ces armées colossales se représentent comme suit : la Russie, 772 500 000 fr. ; l'Allemagne 675 millions de francs ; la France 650 millions ; l'Autriche-Hongrie 332 500 000 francs ; l'Italie 267 250 000 francs ; la Grande-Bretagne 450 millions de francs ; les six États pris ensemble dépensent un total de quatre milliards 230 millions de francs. L'entretien du soldat russe revient meilleur marché, il coûte 772 fr. 50 ; celui du soldat allemand 1162 fr. 50 ; celui du soldat austro-hongrois 1175 fr. ; italien 1535 fr. ; français 1633 fr. ; anglais 2045 fr. Chaque habitant de la Russie supporte 6 fr. de dépenses militaires ; en Allemagne 13 fr. ; en Autriche-Hongrie 10 fr. ; en Italie environ 9 fr. ; en France 18 fr. 25 ; en Angleterre 12 fr. Le budget militaire du Danemark ne dépasse pas, il est vrai, 5 750 000 fr., mais cette somme est très considérable pour ce pays. Si les pays d'Europe voient constamment s'accroître leurs dettes, cela tient à l'augmentation constante des dépenses militaires.
"On peut se rendre compte par là de ce que coûterait une grande guerre éventuelle. La dernière guerre entre la Chine et le Japon a englouti un milliard 250 millions de francs. En cas de guerre européenne, les dépenses atteindraient 6 milliards de francs, auxquels il faudrait ajouter les pertes incalculables en hommes et en matériel. L'Allemagne a un fonds de guerre permanent qui se garde à Spandau et qui s'élève à 450 millions de francs ; mais tout naturellement ce ne serait qu'une goutte d'eau dans l'Océan."
Le Messager officiel terminait ainsi son article :
"Des dépenses aussi colossales ne sauraient certainement pas être productives. Elles épuisent les sources de revenus des nations, contribuent à l'augmentation des impôts, paralysent le fonctionnement des organes financiers du pays et arrêtent le développement du bien-être général. Les meilleurs esprits de tous les pays se sont appliqués de tout temps à trouver un moyen d'assurer la paix autrement que par l'accroissement des forces militaires, c'est-à-dire sur les principes du droit et de l'équité, en soumettant les différends entre les nations à l'arbitrage, de manière à mettre fin à cette théorie vraiment barbare qui identifie la civilisation avec les perfectionnement toujours nouveaux apportés aux moyens de destruction."
Voici enfin, d'après la Revue de Statistique (numéros du 11 et du 18 septembre 1898), les budgets de la guerre et de la marine dans les différents pays du monde.
BUDGET DE LA GUERRE :
Pays. | Budget de la guerre | Somme par tête |
ÉTATS D'EUROPE :En francs | ||
Russie (1898) | 770 159 432 | 6.07 |
Allemagne (1898) | 731 478 495 | 14.00 |
France (1898) | 639 987 987 | 16.62 |
Angleterre (1897) | 456 750 000 | 11.47 |
Autriche (1897) | 446 826 031 | 10.77 |
Italie (1898) | 236 578 283 | 7.55 |
Espagne (1897) | 198 225 381 | 11.00 |
Turquie (1897) | 103 263 031 | 4.30 |
Hollande (1897) | 49 830 561 | 9.96 |
Suède et Norvège (1897) | 49 211 678 | 7.05 |
Belgique (1897) | 48 406 375 | 7.44 |
Roumanie (1898) | 44 470 355 | 8.08 |
Portugal (1898) | 26 344 440 | 5.45 |
Bulgarie (1898) | 23 307 613 | 7.06 |
Suisse (1897) | 23 200 849 | 7.73 |
Grèce (1897) | 16 345 312 | 6.72 |
Serbie (1898) | 14 115 398 | 6.03 |
Danemark (1898) | 13 916 334 | 6.32 |
Finlande (1897) | 7 997 920 | 3.10 |
ÉTATS HORS D'EUROPE : | ||
Inde Anglaise (1897) | 404 338 202 | 2.08 |
États-Unis (1896) | 264 735 375 | 3.71 |
Japon (1897) | 120 584 605 | 2.80 |
Chine [1] (1897) | 61 500 000 | 0.17 |
Brésil (1897) | 52 374 026 | 3.08 |
République Argentine (1897) | 26 529 664 | 6.63 |
Chili (1897) | 24 174 191 | 0.90 |
Égypte (1897) | 12 457 252 | 1.18 |
Guatemala (1897) | 10 480 860 | 7.70 |
Canada (1897) | 8 348 640 | 1.66 |
Le Cap (1897) | 4 753 350 | 2.64 |
Corée (1897) | 2 497 972 | 0.35 |
[1] D'après les évaluations du consul d'Angleterre à Shanghai.
BUDGET DE LA MARINE :
Pays.Budget de la marineSomme par tête d'habit. | ||
ÉTATS D'EUROPE :En francs | ||
Angleterre (1897) | 554 250 000 | 13.92 |
France (1898) | 286 956 946 | 7.45 |
Allemagne (1898) | 182 516 844 | 3.49 |
Russie (1898) | 178 800 000 | 1.41 |
Italie (1898) | 101 174 846 | 3.23 |
Espagne (1897) | 94 619 619 | 5.25 |
Autriche-Hongrie (1897) | 42 353 150 | 1.02 |
Hollande (1897) | 32 725 463 | 6.54 |
Portugal (1897) | 18 122 989 | 3.77 |
Suède et Norvège (1897) | 15 745 141 | 2.25 |
Turquie (1897) | 12 562 807 | 0.52 |
Danemark (1898) | 9 134 254 | 4.15 |
Grèce (1897) | 7 000 487 | 2.88 |
ÉTATS HORS D'EUROPE : | ||
États-Unis (1896) | 137 773 665 | 1.93 |
Chine (1897) | 42 000 000 | 0.12 |
Japon (1897) | 39 154 020 | 0.91 |
Brésil (1897) | 26 873 358 | 1.58 |
République Argentine (1897) | 18 481 172 | 4.62 |
Chili (1897) | 16 150 222 | 5.95 |
Inde Anglaise (1897) | 1 761 175 | 0.06 |
La note du Tsar, disions-nous dans le Journal des Économistes (numéro du 15 septembre 1898), cette note qui semble rédigée par un disciple de Cobden, a causé, il faut bien le dire, une surprise plutôt désagréable dans le monde politique de l'Europe. On n'a pas manqué de couvrir de fleurs le noble souverain qui l'a inspiré, on s'est accordé de toutes parts à louer ses intentions généreuses, mais non sans lui faire entendre qu'il s'abandonnait à une pure utopie. A cela on pourrait répondre que l'utopie consiste à croire que les nations de l'Europe pourront continuer indéfiniment à supporter sans faiblir le poids croissant des armements et des impôts non moins croissants qu'ils exigent ; que les classes ouvrières qui paient intégralement l'impôt du sang tandis que la classe dirigeante en est exempte pour les deux tiers, ne se révoltera pas quelque jour contre cette monstrueuse inégalité ; bref, que le militarisme ne conduira point par le chemin le plus court au socialisme. Mais les professionnels de la politique n'ont pas la vue si longue, et voilà pourquoi ils traitent volontiers de chimères tout ce qui dépasse les bornes étroites de leur horizon.
Nous ignorons ce qu'il adviendra de la généreuse initiative que vient de prendre le Tsar, et nous n'avons, d'ailleurs, qu'une faible confiance dans le succès d'une conférence, dont les membres seront, selon toute apparence, pris dans le personnel politique et diplomatique, auquel l'état de paix succédant à un état de guerre latent, ferait perdre la plus grande partie de son importance. Mais quoi qu'il arrive, la question du désarmement se trouve maintenant posée devant le monde civilisé, et elle restera à l'ordre du jour jusqu'à ce qu'elle soit résolue.
Rappelons à ce propos que c'est à l'initiative de l'impératrice Catherine II qu'est due la constitution de la "Ligue des neutres", qui a déterminé un progrès décisif du droit des gens, en faisant prévaloir la maxime "que le pavillon couvre la marchandise." Rappelons encore qu'un autre prédécesseur de Nicolas II, l'empereur Alexandre Ier, a été le promoteur de la Sainte Alliance, à laquelle l'Europe a été redevable de trente ans de paix. Pourquoi ne reconstituerait-on pas, sur une base plus large, en y faisant entrer les petits États, cette société d'assurance contre la guerre ?