Monnaie, méthode et marché

par Ludwig von Mises

traduit par Hervé de Quengo

 

6. La pertinence des méthodes d'évaluation des changements du pouvoir d'achat pour guider la politique bancaire et monétaire internationale

 

Mémorandum préparé pour la Délégation sur l'or de la commission financière de la Société des nations, F/Gold/51 (Genève : 10 Octobre 1930). Ce mémorandum a été redécouvert dans les archives de la Société des nations par Richard Ebeling (éditeur de la version américaine du recueil).

Introduction

Les expression « fluctuations du pouvoir d'achat de l'or » et « mesure des fluctuations du pouvoir d'achat de l'or » ne peuvent être utilisées sans avoir, en même temps, une idée du but pour lequel il est essentiel d'avoir une définition précise de ces termes. Ils ont évolué pour répondre principalement à des exigences pratiques et non purement théoriques. Étant conscients des effets indésirables de certains changements des prix, nous cherchons des moyens pour éliminer ces effets ou, mieux encore, pour éliminer les causes qui les engendrent. Par conséquent, toute étude se référant à ces expressions doit débuter par une réflexion sur ce que nous estimons indésirable, pourquoi nous l'estimons indésirable et ce qui pourrait être fait en vue de l'éliminer sans le remplacer par quelque chose d'encore plus indésirable.

I. Les effets sociaux des changements du pouvoir d'achat de l'or

Il y a deux raisons distinctes pour lesquelles les changements du pouvoir d'achat de l'or affectent la situation du revenu et du capital. Si ces facteurs n'étaient pas à l'œuvre, les changements du pouvoir d'achat seraient une question qui n'aurait pas plus d'importance, sur le plan des conséquences sociales, que des changements dans le système des poids et mesures ou des changements de calendrier. Si (a) il n'y avait pas de paiements différés, c'est-à-dire pas de dettes ou de créances exprimées en or, toutes les transactions monétaires étant payées en liquide, et si (b) les changements du pouvoir d'achat affectaient l'ensemble du système économique et tout bien particulier au même moment et dans la même proportion, nous n'aurions aucun raison de nous soucier des conséquences du pouvoir d'achat de l'or.

(a) Endettement et changement du pouvoir d'achat

Les changements du pouvoir d'achat affectent les dettes exprimées en or parce que les parties contractantes de tels engagements ne prennent pas en compte les changements du pouvoir d'achat de l'or. En général le monde adhère à l'idée que l'or a une « valeur stable », aussi naïve que cette vision puisse être et quand bien même elle est incapable de résister à la moindre analyse précise. Toutefois, même si cette idée n'était pas répandue, il serait impossible dans le cas d'engagements à long terme de s'adapter aux changements du pouvoir d'achat de l'or : il n'existe aucune manière pour faire la moindre estimation du signe ou de l'ampleur des futurs changements du pouvoir d'achat sur une longue période temporelle future. Le cas des engagements à court terme est différent. Si l'on s'attend à ce que le prix des biens monte durant les prochaines semaines ou les prochains mois, le taux d'intérêt des prêts à court terme augmentera en conséquence, et il baissera si l'on s'attend à ce que le prix des biens chute. Le problème de l'effet des changements du pouvoir d'achat ne survient par conséquent que dans le cas des dettes à long terme et non dans celui des engagements à court terme.

(b) La deuxième catégorie de conséquences des changements du pouvoir d'achat

Des auteurs anglais et américains ont étudié l'influence des changements du pouvoir d'achat sur la teneur des dettes avec une exceptionnelle minutie depuis plus d'un siècle, à une époque où ce problème était presque entièrement négligé sur le Continent, particulièrement en Allemagne. D'un autre côté, les auteurs anglais et américains ont consacré très peu d'attention à la deuxième catégorie de conséquences causées par les changements du pouvoir d'achat. Il en résulte que de nombreux projets et de nombreuses propositions destinés à éliminer les conséquences défavorables de tels changements se sont en général exclusivement préoccupés de l'effet sur les dettes, en laissant de côté les autres conséquences de ces changements.

Si les changements du pouvoir d'achat touchaient tous les biens et services simultanément et dans la même proportion, l'effet sur les revenus et les dépenses des gens serait identique et personne ne se retrouverait avec un sou de plus ou de moins suite au changement (en dehors du cas des dettes discuté dans les paragraphes précédents). Ce n'est toutefois jamais le cas. D'éminents économistes, depuis David Hume et John Stuart Mill, ont essayé en vain de construire un exemple théorique où un changement du pouvoir d'achat pourrait affecter tous les biens et services simultanément et dans la même mesure. Il est impossible de construire un tel cas.

Les changements du pouvoir d'achat se font toujours d'abord sentir en un point particulier du système économique et ses effets ne se propagent qu'ensuite par étapes successives, en partant de ce point. Quand le volume de la monnaie est augmenté, ceux entre les mains desquels la nouvelle monnaie additionnelle passe en premier sont capables — avec leur revenu accru — de continuer à payer les anciens prix du marché pour les biens et services, c'est-à-dire des prix établis sans encore prendre en compte la nouvelle quantité de monnaie. Dans ce cas, l'accroissement du revenu monétaire équivaut à une augmentation du revenu réel et peut même parfois conduire à une augmentation du capital. Inversement, ceux dont les revenus sont les derniers à être augmentés sont désavantagés, en raison du fait qu'ils sont obligés de payer une grande partie des biens et des services qu'ils achètent à des prix établis en tenant compte de la nouvelle quantité de monnaie, c'est-à-dire avant que leurs revenus n'aient augmenté en conséquence. Ce processus était clairement visible dans tous les pays au cours de la période inflationniste de la guerre et de l'après-guerre. Mais il prend le plus d'importance dans le domaine des relations économiques internationales : Cairnes a fait un récit admirable de son déroulement dans ses Essays in Political Economy, où il retrace les effets des découvertes d'or et de la dépréciation progressive qu'elles ont entraînée.

Une étude des conséquences sociales des changements du pouvoir d'achat ne peut pas se réduire à un examen de leurs effets sur l'endettement. Les effets de décalage temporel, que je viens de décrire, doivent également être pris en compte.

Mais c'est précisément lorsque nous essayons de le faire que nous prenons conscience des difficultés immenses qui se présentent. Si nous ne tenons compte que de l'effet des changements du pouvoir d'achat sur l'endettement, nous sommes enclins à supposer que la seule chose requise est de déterminer un chiffre moyen pour le pouvoir d'achat de la monnaie, en laissant la montée d'un prix être compensée par la baisse d'un autre. Mais cela ne suffit pas si nous prenons en compte la deuxième catégorie de conséquences des changements du pouvoir d'achat : car ces conséquences sont précisément dues au fait que certains prix ont monté tandis que d'autres restent encore à la traîne. Par conséquent, si nous procédons selon les lignes des propositions de stabilisation du pouvoir d'achat, c'est-à-dire en corrigeant les changements du pouvoir d'achat après qu'ils se sont produits conformément à un certain système d'indice, nous n'aurons rien fait pour éliminer cette catégorie particulière de conséquences sociales.

II. Analyse des tentatives de stabilisation

A l'évidence, avant que nous ne commencions à traiter de notre sujet, nous devons comprendre l'objectif en vue duquel ces mesures doivent être appliquées.

Les graves perturbations qui suivent le train des dépressions économiques cycliques ont conduit de nombreuses personnes dans le monde à accueillir favorablement l'idéal conceptuel d'un système économique « stable ». Toutefois, ceci ne pourra jamais signifier un système économique dans lequel tous les prix demeurent inchangés. Tout ce que l'on peut essayer est de mettre sur pied un système qui ne soit pas exposé aux graves chocs ayant leur origine du « côté de la monnaie ».

Bon nombre d'auteurs ont parlé en faveur d'une modification de la base légale des contrats de dette, en voulant les exprimer non plus en or mais d'après une quantité donnée de biens. Le but de telles propositions est d'établir ce que l'on appelle un « étalon-marchandises » ou un « étalon tabulaire ». On pensa pendant longtemps qu'un tel étalon serait nécessairement « équitable ». J'ai suffisamment montré, je pense, comme d'autres économistes avant moi, qu'il est peu probable que cette hypothèse soit universellement acceptée 1.

Mais même si nous ignorions les objections au « caractère équitable » des étalons marchandises ou tabulaires, nous ne pourrions pas manquer de constater ce qui a déjà été signalé, à savoir que l'instauration d'un tel étalon ne peut éliminer qu'une partie des conséquences sociales des changements du pouvoir d'achat. On pourra peut-être dire que c'est déjà beaucoup d'éliminer les conséquences portant sur les dettes, même si le délicat problème de l'élimination de la deuxième catégorie de conséquences devait être laissé pour plus tard. Ce point de vue n'est cependant pas acceptable. Il n'y a pas de doute que le problème d'un étalon pour les paiements différés est extrêmement important, mais ici comme pour d'autres questions, l'économie « se débrouille toute seule », à coup sûr pour les dettes à court terme, et peut-être même pour les dettes à long terme. La circonstance qui a fait que dans les dernières décennies ceux qui ont prêté de l'argent à long terme, c'est-à-dire les propriétaires d'obligations, ont essuyé des pertes, a entraîné une certaine prudence sur le marché des obligations à long terme. Cette tendance est nette aujourd'hui, mais elle était également perceptible dans les précédentes époques de dépression, même si ce n'était pas dans la même mesure. La répugnance de ceux qui auraient sinon acheté des obligations — consécutive aux expériences malheureuses de ces dernières décennies — est responsable de la grande différence entre les taux monétaires à court terme et les taux d'investissement du capital à long terme. Si cette attitude prudente persiste, ceux qui désirent obtenir des crédits à long terme seront obligés de payer une prime en raison des risques de baisse du pouvoir d'achat, en plus de l'intérêt du prêt : sinon ils devront trouver satisfaction sur le marché à court terme où (comme il a déjà été indiqué) il est possible de tenir compte des changements probables du pouvoir d'achat. 2

Dans le cas de la seconde catégorie de conséquences sociales des changements du pouvoir d'achat, aucun mécanisme d'ajustement similaire n'est présent. Certaines personnes sont enclines à ignorer cette seconde catégorie parce que ses effets ne sont que temporaires : ce n'est vrai que dans le sens où l'effet des changements irréguliers et à incidence inégale du pouvoir d'achat sur la situation du revenu et du capital cesse d'opérer quand les changements ont pénétré la totalité du système économique. Toutefois, les effets sur la situation du revenu et du capital persistent. Ce qu'un homme a gagné, un autre l'a perdu. A cet égard la seconde catégories d'effets ne diffère donc pas de la première.

Toutes les propositions faites pour stabiliser le pouvoir d'achat de la monnaie ont le défaut d'avoir pour objet d'uniquement éliminer la substance des contrats d'endettement. Elles laissent entièrement de côté le deuxième effet de ces changements, en croyant que c'est uniquement, ou principalement, l'effet sur les dettes qui compte. Toutes ces propositions de stabilisation de la valeur de la monnaie ne tiennent compte que des ajustements après l'événement et en fonction des changements d'un pouvoir d'achat calculé sur la base d'un système de valeurs moyennes.

Il faut faire une distinction entre deux systèmes de ce type. L'ancien système est celui de « l'étalon tabulaire » et n'effectue les ajustements que dans le cas des paiements différés ; c'est-à-dire qu'il se contente de modifier le montant nominal des dettes sans toucher le moins du monde au système monétaire. Le second système, représenté par le « dollar stabilisé » d'Irving Fisher et de la « monnaie manipulée » de J.M. Keynes, comprend un ajustement du pouvoir d'achat de la monnaie en circulation dans son ensemble. Dans ce cas, encore une fois, il n'y a pas d'ajustement jusqu'à ce que le changement du pouvoir d'achat ait pris place, et après que son incidence inégale et irrégulière a exercé son effet. De tels ajustements ex post facto ne font rien pour éliminer ou atténuer les effets de la seconde catégorie de conséquences : ils ne peuvent être appliqués qu'aux effets de la première catégorie. C'est le point essentiel qu'il est nécessaire d'indiquer.

En général, on peut dire que toutes les propositions visant à stabiliser la valeur de la monnaie ne s'intéressent qu'à une partie des effets des changements du pouvoir d'achat. Elles ne peuvent éliminer que les effets portant sur la teneur des contrats de dette à long terme exprimés en or. Elles ne peuvent rien faire pour éliminer les autres effets des changements du pouvoir d'achat, qui sont tout aussi aigus que ceux de la première catégorie, et peut-être même encore plus importants.

S'il l'on a cela en tête, on comprendra qu'aussi radicales que puissent apparaître ces propositions, elles ne seraient en aucun cas aussi draconiennes en pratique. Elles sont loin d'être aussi préférables à l'ancien programme, plus modeste, de l'école de la « monnaie saine » que l'on ne serait tenté de le penser de prime abord. Cet ancien programme n'essayait pas de stabiliser la valeur de la monnaie : il se contentait de chercher à éliminer, autant que possible, tous les facteurs susceptibles de donner naissance à des changements brusques et excessifs du pouvoir d'achat. C'était de ce point de vue que l'on se décida en faveur de l'étalon-or, parce qu'on avait l'impression que celui-ci offrait une stabilité si ce n'est absolue au moins relative.

S'est-il passé quelque chose pour décevoir les attentes entretenues il y a quelques décennies par les partisans anglais et continentaux de l'étalon-or classique ?

III. Les causes du changement du pouvoir d'achat dans les dernières décennies

Depuis la seconde moitié des années 1890, le pouvoir d'achat de l'or a continuellement baissé. Il n'est nul besoin d'analyser ce qui a été généralement écrit sur l'ampleur de ce changement ou sur ses raisons. Mais il faut souligner un point avec une insistance spéciale, parce qu'il a été en règle générale malheureusement totalement oublié dans les récents débats autour du problème. Je veux parler du fait que la principale cause de la chute du pouvoir d'achat de l'or au cours de la période en question réside dans les politiques monétaires des divers gouvernements, bien plus que dans les conditions de production d'or. Dans leurs politiques monétaires, les différents gouvernements ont délibérément cherché à « économiser » l'or, ces efforts aboutissant à une baisse bien plus forte du pouvoir d'achat de l'or que celle qui se serait produite si aucune tentative n'avait été faite pour retirer l'or de la circulation réelle. Si nous avions des pièces d'or effectivement en circulation tous les jours partout dans le monde, comme c'était le cas il y a quelques décennies en Allemagne et en Angleterre, et si les banques d'émission des États plus petits et plus pauvres conservaient des réserves monétaires en or véritable et non pour la majorité en titres d'or exigibles auprès des pays étrangers, la dépréciation de l'or n'aurait pas eu lieu du tout, ou ne se serait du moins pas produite aussi fortement que ce qui s'est réellement passé entre 1896 et 1920.

Il est sans doute vrai que les gouvernements individuels n'ont pas compris que les conséquences pour tous les pays poursuivant cette politique seraient une hausse générale des prix. Ce que chaque État avait en vue, c'était une baisse des coûts de circulation dans son propre pays. Ils étaient avant tout sous l'influence de l'idée fallacieuse qu'il serait possible d'obtenir une baisse des taux d'intérêt par diverses mesures de politique monétaire, y compris une concentration des réserves nationales d'or dans les sous-sols des banques centrales. Mais quoi que les gouvernements individuels puissent avoir à l'idée en suivant cette politique, une chose est indiscutable : le résultat devait forcément conduire, toutes choses égales par ailleurs, à une baisse du pouvoir d'achat de l'or et à une hausse du prix des biens exprimés en or. Il est par conséquent remarquable que l'opinion publique ait considéré la hausse des prix durant cette période comme exclusivement due aux conditions de production de l'or — indépendamment des politiques gouvernementales — et n'ont pas réussi à réaliser que la hausse des prix n'aurait jamais pu prendre l'ampleur qu'elle eut si une politique différente avait été suivie par leurs gouvernements.

Si les gouvernements avaient suivi une politique différente et que la hausse du prix des biens (exprimés en or), pour cette raison, n'avait pas eu lieu ou en tout cas pas avec l'ampleur qu'elle a eu, on n'aurait jamais parlé à l'époque d'un échec de l'étalon-or. Et si aujourd'hui, au moment de la baisse des prix, la demande d'abandon de l'étalon-or est encore plus forte, on ne peut que dire, encore une fois, que le grand effondrement des prix — qui fut le grand événement économique des dernières années — constitue une réaction inévitable après l'expansion préalable du crédit. Les erreurs de la politique de crédit peuvent être mises sur le compte de nombreuses choses, mais l'étalon-or n'en fait certainement pas partie. Il est par conséquent tout à fait injustifié de dire que les événements ont montré le caractère inapplicable de l'étalon-or. Ce n'est pas le vieil étalon-or classique, avec sa circulation d'or effective, qui a échoué : ce qui a échoué est le système « économisant » l'or et la politique de crédit des banques centrales d'émission.

Tout ce que l'on peut dire c'est qu'aucune conclusion ne peut être tirée pour l'avenir. Certains craignent aujourd'hui que la transition vers l'étalon-or des pays qui jusqu'ici ne l'avaient pas adopté, couplé avec un déclin de la production d'or, conduira dans le futur à une baisse du prix en or des marchandises (c'est-à-dire à une hausse du pouvoir d'achat de l'or). Ces craintes ne peuvent certainement pas être écartées d'un revers de la main, bien que toute prophétie sur la future valeur de la monnaie doive être faite avec les plus grandes réserves. Mais il faut tout autant se souvenir que, même si la production d'or des dernières années devait baisser et même si l'étalon-or devait être adopté partout (y compris en Chine et en Russie), cela n'impliquerait pas nécessairement une baisse des prix. Ce serait le cas si la politique « d'économie » de l'or, qui s'est répandue petit à petit durant les dernières décennies dans tous les pays du monde, était maintenue, voire accentuée.

Le problème est rendu particulièrement complexe par le fait qu'il est étroitement lié à la question de l'émission monétaire par le biais de l'expansion des crédits, c'est-à-dire par des billets de banques et des comptes à vue non couverts par de l'or.

L'opinion publique, qui considèrent un taux d'intérêt bas comme l'idéal de la politique économique, encourage plus ou moins ouvertement les banques d'émission à suivre une politique d'expansion du crédit afin de faire passer le taux de l'argent sous le taux du marché, c'est-à-dire sous le taux qui prévaudrait sur le marché monétaire si les banques n'intervenaient pas. Le fait que cette politique doive nécessairement conduire à une hausse des prix n'est pas une objection pour l'homme d'affaires : au contraire, il considère les hausses de prix comme un signe de prospérité. Ce ne fut pas avant que les intérêts de certaines classes de la population autres que celle des entrepreneurs commencèrent à avoir de l'influence sur l'évaluation de la situation économique générale, que le monde commença à se rendre compte que les hausses de prix ne sont pas un pur bienfait. Pour l'homme d'affaires, une période de hausse des prix est une période « d'expansion » et de « boom » ; pour le rentier, le fonctionnaire et en général ceux qui ont un revenu relativement fixe, une hausse des prix signifie une « hausse du coût de la vie ».

Les hommes d'affaires, qui veulent de l'argent bon marché au travers de l'intervention des banques ne prêtent pas attention à le leçon qu'enseignaient les anciens économistes de la Currency School et, plus récemment, Wicksell et tous les partisans modernes de la théorie monétaire du cycle économique (ou, de manière plus précise, de la théorie du crédit de circulation du cycle économique). Le point essentiel de cette leçon est que tous les efforts des banques pour faire baisser artificiellement les taux d'un marché monétaire libre par le biais d'une expansion du crédit peuvent initialement conduire à une hausse de l'activité économique mais que, sur le long terme, ils doivent inévitablement donner naissance à une situation de crise et de dépression.

Ceux qui croient que les changements du pouvoir d'achat sont susceptibles d'être mesurés de manière exacte sont parfaitement cohérents lorsqu'ils réclament que la politique bancaire soit liée aux résultats de ces mesures de sorte que les banques soient obligées de faire de la stabilité du pouvoir d'achat de l'unité monétaire le but de leur politique de crédit. Par conséquent, avant d'aller plus loin, nous devons étudier la question de savoir si les diverses méthodes proposées pour mesurer les fluctuations du pouvoir d'achat fournissent effectivement un instrument pouvant être utilisé avec profit pour les objectifs de la politique économique.

IV. Les diverses méthodes de mesures des fluctuations du pouvoir d'achat et leur importance vis-à-vis du problème de la stabilisation

L'hypothèse que les changements du pouvoir d'achat de la monnaie sont susceptibles d'être mesurés de manière exacte se fonde sur la croyance que les modifications des rapports d'échange entre les biens et services individuels sont suffisamment prises en compte lorsque l'on utilise une moyenne générale. C'est sur cette fiction que se base le concept de « niveau » des prix : la seule chose qui semble nécessaire, c'est de déterminer si ce « niveau » a monté ou baissé dans l'ensemble. Le désintérêt reconnu vis-à-vis des changements relatifs entre les prix des biens et services individuels a été entretenu par le fait que, parmi les conséquences des changements du pouvoir d'achat, les effets pris en compte ont été principalement ceux qui avaient pour origine la fonction monétaire d'étalon des paiements différés ; les autres conséquences sociales des changements du pouvoir d'achat, causées par le fait que tous les biens et services ne sont pas touchés en même temps et dans la même proportion, ont été laissés presque entièrement de côté.

Mais même en supposant qu'il est tout à fait suffisant de calculer les changements du pouvoir d'achat de la monnaie pour une moyenne du prix des biens et des services, il reste un grand nombre de difficultés fondamentales qui n'ont pas de solution unique. Il y a premièrement la question de « la moyenne ». S'agit-il de la moyenne arithmétique, de la moyenne géométrique, de la moyenne harmonique ou d'une autre forme de « moyenne » connue en mathématiques ? Il n'y a pas de réponse définitive à cette question.

Deuxièmement, quelle méthode faut-il suivre pour pondérer les prix individuels, c'est-à-dire quels coefficients d'importance faut-il attribuer aux biens et services individuels ? Là non plus il n'y a pas de solution unique.

C'est précisément parce qu'il n'y a pas de solution unique à ces deux questions, c'est-à-dire pas de solution dont on puisse dire qu'elle est indubitablement la bonne et que toutes les autres sont fausses, que nous sommes conduits à la conclusion que la méthode des indices est fondamentalement inadaptée quand il s'agit d'obtenir une mesure précise des changements du pouvoir d'achat de la monnaie. Nous ne contestons pas que la majorité des systèmes proposés sont bien adaptés pour fournir une indication approximative des changements du pouvoir d'achat qui se produisent et qu'ils ont, pro tonto, une grande valeur éducative pour attirer l'attention du public sur le fait que des changements se sont produits. Nous ne contestons pas non plus qu'en règle générale et sur de brèves périodes les résultats calculés par les différentes méthodes ne divergent pas grandement les uns des autres. Mais il faut néanmoins insister, autant qu'il est possible de le faire, sur le fait que tous ces calculs ne sont que des approximations, qu'il ne sont pas exacts, et qu'un calcul exact est fondamentalement impossible. Il est nécessaire de souligner ce point, non pas seulement pour calmer la conscience des théoriciens mais afin d'attirer l'attention sur l'effet d'une portée considérable qu'il a vis-à-vis de l'application pratique des indices dans la politique monétaire et bancaire.

Comme il existe différentes méthodes de calcul d'un indice pour les changements du pouvoir d'achat — toutes étant également justes et fausses, correctes et incorrectes — et comme elles donnent toutes des résultats différents, il est inévitable que, une fois que les indices cessent de n'avoir qu'un intérêt académique et exercent une influence directe sur l'économie politique, ce problème purement scientifique devienne un champ de sérieux conflits d'intérêt. En supposant que le dollar soit stabilisé conformément aux propositions d'Irving Fisher, ou qu'une « monnaie manipulée » ait été introduite conformément au système de Keynes, ou que la politique de crédit des banques centrales soit rendue dépendante des résultats des mesures d'indice, les divers groupes d'intérêts se rangeraient immédiatement dans un camp favorable à telle ou telle méthode de calcul, selon qu'ils aient intérêt à une hausse ou à une baisse des prix. Le pouvoir d'achat de l'unité monétaire, qui est avec l'étalon-or indépendant dans une certaine mesure de l'influence politique directe et qui est en définitive basé sur le profit qu'il y a à tirer de la production d'or, deviendrait le jouet des partis politiques et l'enjeu des batailles politiques. Un changement soudain de la politique de pouvoir d'achat du gouvernement, ou même l'anticipation d'un tel changement, serait l'occasion de graves perturbations dans les différents pays. Et la position vis-à-vis du commerce international serait totalement intolérable. Imaginez simplement les conséquences si certains États — ou tous les États — essayaient au travers d'une organisation conjointe, éventuellement nommée par la Société des nations, de poursuivre une politique monétaire uniforme basée sur les résultats de mesures d'indice. Les antagonismes commerciaux entre les différents pays s'intensifieraient automatiquement, avec un élément d'amertume très particulier introduit immédiatement dans le conflit par le fait que le monde est divisé en deux groupes : les pays débiteurs et les pays créanciers.

Les divers auteurs qui ont argumenté en faveur d'un certain type d'étalon tabulaire sont devenus tellement convaincus de la justesse de leurs propres méthodes spécifiques de calcul qu'ils n'ont pas vu ce défaut fondamental de leurs systèmes. Irving Fisher, de nouveau, attache trop d'importance à l'affirmation que les diverses méthodes de calcul des indices ne donnent pas de résultats très différents. Il n'est pas vrai qu'elles ne diffèrent pas : mais même s'il en était ainsi, il faut se souvenir qu'en raison de la grande importance des manipulations du pouvoir d'achat, même de petites différences suffiraient à donner naissance à de graves conflits d'intérêt dans chaque pays et, de façon encore plus importante, à des conflits entre les pays.

Même si les difficultés fondamentales se dressant devant les calculs d'indices était surmontées, les difficultés pratiques demeureraient encore très grandes. La manière la plus juste d'arriver aux prix des biens et des services serait de ne considérer que les biens et services prêts à être consommés, c'est-à-dire sur le point d'être livrés au consommateur final. Tout autre système s'écroulerait (en dehors de toute objection théorique) pour la raison que la façon dont les nombreuses étapes intermédiaires de la production devraient être prise en compte dans le calcul relèverait d'un choix purement arbitraire. Les résultats seraient forcément grandement influencés par le nombre de fois où l'on considère un produit comme un bien distinct au cours des étapes intermédiaires de sa production, et où on l'inclut comme tel dans les calculs. Les difficultés insurmontables que l'on rencontre dans la mise au point d'une liste des produits du consommateur final sont dus à l'impossibilité d'établir un quelconque étalon invariable pour prendre en compte les changements de qualité du produit. Afin d'éliminer le problème des variations de qualité, tous les systèmes indiciels sont forcés de se restreindre à un nombre relativement faible d'articles (principalement les matières premières) pour lesquels la qualité peut être définie sans qu'il y ait débat. Outre les variations de qualité, les changements des modes de consommation (dus à ce que le consommateur introduit de nouveaux articles dans son « panier » de biens consommables) constituent d'immenses difficultés pour les mesures statistiques. Nous arrivons de nouveau à la conclusion que des conflits entre les divers intérêts dans chaque pays — et plus encore entre les nations — surviennent obligatoirement dès que ces calculs statistiques sortent du domaine de la théorie et prennent une importance économique pratique.

Les réflexions précédentes peuvent être résumées comme suit : tout économiste est capable de proposer un système pour estimer approximativement les changements du pouvoir d'achat, et chacun pense s'approcher le plus de la solution de ce problème insoluble. Mais aucun économiste n'est capable de démontrer de façon convaincante à un tiers impartial la nécessité qu'il y aurait de préférer son système à tous les autres. Le choix d'une méthode de calcul des indices est toujours plus ou moins arbitraire. Si des conséquences pratiques d'une grande portée résultent de tels choix, comme cela est nécessairement le cas s'ils servent de base à la politique monétaire, il n'y aura pas d'accord possible entre les diverses nations — ou entre les divers groupes sociaux au sein des nations — car les intérêts particuliers de chaque nation et de chaque groupe social en seront affectés.

Les arguments ci-dessus peuvent sembler non seulement drastiques et sceptiques, mais à première vue en opposition avec les résultats d'une centaine d'années de recherche laborieuse sur ces problèmes par une série d'économistes des plus éminents. Mais, en réalité, mes commentaires ne constituent rien d'autre que la conclusion qui ressort inévitablement de toute la littérature sur le sujet. Ce qui leur donne un poids particulier, c'est le fait qu'ils sont les seuls à expliquer pourquoi les ingénieuses propositions d'éminents économistes quant à la création de monnaies stables basées sur des indices n'ont jusqu'ici pas été mises en pratique. Jusqu'à présent, c'était plus qu'une attitude purement conservatrice qui conduisait les hommes d'État et les hommes d'affaires à s'opposer à ces propositions : c'était plutôt la reconnaissance de leurs défauts inhérents.

Ces objections ont un poids particulier quand le problème est étudié du point de vue international. Il est étonnant que même des gens conscients de l'importance de l'échange international des biens et de la monnaie pensent que la stabilité des prix nationaux est plus importantes que celle des taux de change. La conséquence de telles propositions, si elles étaient mises en œuvre, serait que chaque pays poursuivrait une politique monétaire basée sur le système indiciel qu'il considère être le meilleur, avec pour résultat d'exposer les taux de change (dont les mouvements, avec l'étalon-or, sont confinés entre des marges étroites) à des fluctuations abruptes et importantes. Personne ne peut manquer de voir que cela introduirait un facteur d'instabilité et d'incertitude majeur dans les relations commerciales internationales et, encore plus important, concernant l'état de l'endettement international.

V. L'étalon-or pur et l'étalon de change-or influencé par les banques

Avant d'étudier le rôle de la coopération internationale dans le domaine de la politique monétaire, il faut dire un mot de l'influence de la politique bancaire sur le pouvoir d'achat.

En raison des inconvénients résultant des manipulations du pouvoir d'achat, le principe qui sous-tend l'étalon-or pur est qu'il est préférable de faire dépendre la quantité mondiale de monnaie des hasards de la production d'or. Telles que sont les choses aujourd'hui, un étalon-or pur nous donnerait un système monétaire où le prix des biens baisserait lentement. Il est peu probable que des découvertes d'or surviennent à nouveau à une échelle telle que le pouvoir d'achat de l'or diminue. Mais, qu'il monte ou qu'il baisse, le pouvoir d'achat avec un étalon-or pur se modifie en tout cas lentement et les changements se produisent pendant une très longue période dans le même sens. Avec un étalon-or pur, un accroissement de la quantité mondiale de monnaie (au sens large) ne peut venir que de la production et de la mise en circulation sous forme de monnaie d'or nouveau. Une baisse de la quantité de monnaie ne peut venir que du détournement de l'or de son usage monétaire vers des usages industriels.

Une caractéristique de l'étalon-or est que les banques ne peuvent pas accroître la quantité de leurs billets et les dépôts à vue sans une couverture en or supérieure au montant en circulation au moment où le système a été introduit. La loi sur la banque (Bank Act) de Peel de 1844 et les diverses lois bancaires plus ou moins basées sur elle constituent des tentatives de créer un étalon-or pur de ce type. La tentative fut infructueuse parce que ses restrictions sur la circulation ne concernait que les billets de banque, laissant de côté les dépôts à vue permettant de tirer des chèques. Les fondateurs de la Currency School n'avaient pas réussi à voir la similitude fondamentale entre les paiements par chèques et les paiements par billets de banque. En raison de cette erreur, les responsables de la législation ne purent parvenir à leur but.

Si cet oubli n'avait pas été présent dans les lois bancaires et si, par conséquent, toute expansion du crédit par les banques avait été bel et bien interdit, le monde aurait disposé d'un système monétaire dans lequel — même sans les découvertes d'or en Californie, en Australie et en Afrique du Sud — les prix auraient montré une tendance générale à la baisse. La majorité de nos contemporains trouvera en cela un motif suffisant pour considérer un tel système monétaire comme mauvais en soi, car ils croient fermement que bonnes affaires et prix élevés sont une seule et même chose. Mais c'est un préjugé. Si nous avions connu une lente baisse de prix depuis quatre-vingts ans ou plus, nous nous serions habitués à rechercher les améliorations du niveau de vie et les hausses du revenu réel au travers d'une baisse des prix avec un revenu monétaire stable ou en baisse, plutôt qu'au travers des hausses du revenu monétaire. En tout cas, une solution au délicat problème de la réforme de notre système monétaire et de notre système de crédit ne doit pas être écartée d'un revers de la main parce qu'elle implique une baisse du niveau des prix. Avant tout, nous ne devons pas nous laisser influencer par les fâcheuses conséquences de la récente chute rapide des prix. Un lent déclin continu des prix ne peut en aucune manière être comparé avec ce qui se passe dans le système actuel, à savoir des hausses soudaines et importantes du niveau des prix, suivies de chutes tout aussi brusques et fortes.

En raison de cette omission de la Currency School, le monde a acquis un système monétaire qui est non seulement soumis aux fluctuations de la production d'or mais aussi à celles de la politique bancaire. Encouragés par une opinion publique ne cherchant le salut que dans des taux d'intérêt faibles et dans la hausse des prix, les banques essaient perpétuellement, après les périodes de dépression, de donner un élan artificiel à l'activité économique au moyen de l'accroissement du crédit. Elles créent une période de hausse des prix et continuent leur politique expansionniste jusqu'au moment où elles sont enfin obligées de s'arrêter, et elles entraînent alors une fois de plus une baisse des prix par la restriction du crédit.

C'est ce type de période que nous traversons actuellement. D'éminents économistes cherchent la cause de la dépression dans les mesures de restriction des banques. Mais la racine du mal ne se trouve pas dans les restrictions : elle se trouve dans l'expansion qui les a précédées. La politique des banques ne mérite pas la critique parce qu'elle a enfin mis fin à l'expansion du crédit mais plutôt pour l'avoir laissée commencer.

Pensons à ce qui se passerait si les banques devaient perpétuellement poursuivre une politique d'expansion du crédit une fois qu'elle a commencé. Pour maintenir la situation artificiellement créée, elles seraient forcées de recourir à des expansions du crédit en augmentation continuelle, dont le résultat serait une hausse toujours plus forte et plus rapide des prix. Mais une fois que le monde des affaires se rend compte qu'il n'y a aucune fin en vue à l'accroissement progressif du crédit, c'est-à-dire que les prix monteront de manière ininterrompue, il anticipera de façon spéculative les hausses de prix en demandant aux banques de plus en plus de crédits — car chaque achat à crédit deviendra une transaction profitable — et il en résultera une inflation progressive. Mais l'inflation ne peut pas durer éternellement sans aboutir à une panique et à un effondrement de tout le système monétaire : c'est une vérité sur laquelle il n'est plus nécessaire de s'étendre car elle est amplement confirmée par les expériences de la période inflationniste des quinze dernières années et a été expliquée dans de nombreux ouvrages sur le sujet.

Par conséquent, lorsque l'on prétend ça et là que la récente chute des prix serait due au changement de la politique des banques, c'est, littéralement parlant, vrai. Un examen, plus minutieux des faits montrera cependant que tôt ou tard la politique d'expansion des crédits doit arriver à sa fin et que les funestes conséquences dont elle est responsable seront d'autant plus graves qu'elle aura duré longtemps. Le mal n'est pas dans les restrictions mais dans la politique expansionniste qui les a précédées. Une dernière raison à l'actuelle chute des prix est le fait que les banques — avec l'assentiment de l'opinion publique et à l'instigation directe de la presse, du monde des affaires et des gouvernements — ont fait usage de leur pouvoir d'émettre de la monnaie supplémentaire, c'est-à-dire d'augmenter artificiellement le crédit. Si les banques ne faisaient pas usage de ce pouvoir — ce qui ne serait le cas que si on retirait explicitement aux banques centrales leurs privilèges d'émission de la monnaie de réserve ou si l'opinion publique condamnait vigoureusement cette pratique — nous n'aurions pas de fluctuations économiques. Nous aurions probablement des prix baissant lentement, car le pouvoir d'achat de la monnaie dépendrait exclusivement de la production d'or. Mais nous n'aurions certainement pas les brusques transitions d'une forte hausse des prix à une baisse tout aussi forte, comme nous l'avons vécu deux fois au cours des dix dernières années.

VI. Les objectifs accessibles de la réforme

Dès le départ toute politique systématique visant à influencer le pouvoir d'achat de la monnaie devrait être confinée dans d'étroites limites, si l'on ne veut pas qu'elle fasse plus de mal qu'en laissant les événements suivre librement leur cours. Pour commencer il est nécessaire de renoncer totalement à la tentative, aussi peu scientifique qu'impraticable, de maintenir « stable » le pouvoir d'achat de la monnaie. De plus, nous devons nous défaire de l'idée qu'une baisse du pouvoir d'achat serait d'une certaine façon préférable à une hausse du pouvoir d'achat. Enfin, nous devons comprendre que les théories basées sur l'idée que le taux d'intérêt pourrait être abaissé par une politique bancaire sont fausses : toutes les tentatives dans ce sens peuvent effectivement provoquer au début un essor de l'économie mais ne peuvent au bout du compte que conduire à une crise et à une dépression due au détournement du capital vers de mauvaises voies.

Il convient aussi de garder à l'esprit que les propositions de transformation radicale de la constitution des banques des diverses nations du monde n'ont aucune chance d'être appliquées actuellement ou dans les années à venir. Tout ce que l'on peut faire, c'est d'entreprendre des actions atténuant les conséquences durant les périodes où la tendance à la hausse continue du pouvoir d'achat est clairement marquée et d'entreprendre une action contraire dans les périodes montrant une tendance tout aussi nette à la baisse continue du pouvoir d'achat. L'action ne doit ni dans un cas ni dans l'autre aller jusqu'à s'opposer à la tendance naturelle liée à la production d'or, que ce soit pour endiguer ou pour inverser son effet.

Qu'elle soit entreprise par chaque nation séparément ou qu'elle fasse partie d'un programme de coopération internationale, une telle action ne devra être appliquée qu'avec la plus grande prudence. Pour empêcher une politique influençant le pouvoir d'achat de devenir le jouet des différents intérêts économiques — en raison de l'impossibilité de trouver une quelconque méthode de calcul d'indice qui soit correcte en soi — il est essentiel de restreindre cette interférence aux changements du pouvoir d'achat, dans un sens ou dans l'autre, qui sont reconnus sans réserve par tous les partis. Ceci implique que l'action visant à accroître le pouvoir d'achat de la monnaie ne pourrait être prise que lorsqu'une baisse du pouvoir d'achat n'est mise en doute par aucune des différentes méthodes possibles et qu'elle devrait être refusée dès le moment où l'une des méthodes donne des résultats différents ; il en irait de même pour les mesures visant à faire baisser le pouvoir d'achat de la monnaie.

Toute autre politique suivie par un pays donné entraînerait de sérieux conflits d'intérêts internes ; et si elle était suivie par une organisation internationale commune, elle aboutirait à de graves conflits entre les nations. Selon toute probabilité, au premier signe d'un tel conflit toutes les tentatives de résolution internationale uniforme des questions de politique monétaire et bancaire devraient être abandonnées.

L'objet de ce mémorandum n'est pas d'étudier les mesures qui devrait être prises pour atteindre ces buts. Son objectif n'est que de déterminer la meilleure méthode pour s'assurer des changements du pouvoir d'achat. La digression explicative ci-dessus était nécessaire afin de répondre à cette question. Nous pouvons maintenant donner une réponse concrète.

VII. Les mesures du changement du pouvoir d'achat comme critère de la politique monétaire et bancaire

Les considérations ci-dessus restreignent considérablement les fonctions que pourraient remplir un instrument de mesure des changements du pouvoir d'achat. Le problème n'est plus celui de satisfaire l'exigence impossible d'un critère précis de mesure des changements du pouvoir d'achat : la question est uniquement d'obtenir une estimation approchée du sens que prennent ces changements. Jusqu'à présent presque toutes les propositions qui ont été faites visaient à donner un critère de mesure exact — le seul critère « exact », le seul critère « scientifique ». Nous devons toutefois comprendre que la seule chose que nous recherchons, c'est un critère conventionnel, ce qui veut dire un critère arbitrairement choisi. Il ne s'agit pas d'un reproche que l'on pourrait faire à notre proposition car tout critère est ouvert à des objections de poids et quel que soit le critère effectivement retenu, la décision est toujours arbitraire. La justification de notre proposition tient simplement au fait que, dès le départ, nous avons fixé des objectifs bien plus étroits à la politique monétaire et bancaire qui serait guidée par notre critère, contrairement aux projets recherchant la stabilisation. Notre politique n'entre en jeu que lorsque le changement du pouvoir d'achat a été vérifié sur une très longue période avec une telle certitude que personne ne peut le mettre en doute : elle cesse dès qu'elle a réussi à faire revenir le pouvoir d'achat à un niveau auquel il est possible d'avoir des doutes sur le fait que la tendance à combattre existe encore. Dans ces circonstances, il n'est nul besoin de critiquer les propositions particulières qui ont été faites pour mesurer les changements du pouvoir d'achat. Des douzaines de volumes ont été écrits sur le sujet et les économistes les plus fins l'ont traité. Ce serait une parfaite erreur que d'essayer d'ajouter une nouvelle proposition à celles qui ont déjà été faites. Ce qu'il faut toutefois comprendre, c'est que toute proposition de ce type est inévitablement défectueuse.

L'avantage de la suggestion proposée ici se trouve dans le fait qu'elle permet, dans une certaine mesure, d'avoir une vue générale des changements du pouvoir d'achat qui puisse servir de base à la politique monétaire et bancaire sans entraîner des conflits et des oppositions d'intérêts. Il est clair qu'une bonne partie des propositions qui ont été faites pour mesurer les changements du pouvoir d'achat étaient dès le départ impraticables — quels que soient leurs avantages théoriques. C'est tout particulièrement le cas pour les propositions basant les calculs du changement du pouvoir d'achat sur les salaires et les prix au détail. Les seules propositions pratiques sont celles qui prennent comme base principale les prix de gros : même dans ce cas il sera nécessaire, afin de contourner les difficultés liées aux variations de qualité, d'effectuer une sélection et de restreindre le calcul aux articles dont la qualité est incontestablement constante.

Les tentatives systématiques de contrôle du pouvoir d'achat ne peuvent être faites que par un accord international. Si des pays indépendants prenaient de telles actions, ils se retrouveraient en situation d'isolement monétaire : résultat, l'une des plus importantes réalisations facilitant le commerce international, à savoir l'unification monétaire assurée par l'étalon-or, et son corollaire, des taux de change relativement stables, serait perdue. Mais une action internationale ne peut être tentée dans ce domaine que si l'on évite dès le départ tout conflit d'intérêts. L'atténuation des gros changements du pouvoir d'achat de la monnaie, dans un sens ou dans l'autre, est un point sur lequel toutes les nations seront facilement d'accord et dans un tel but les méthodes à notre disposition sont suffisantes pour mesurer les changements du pouvoir d'achat. Essayer de faire davantage que cela serait demander à une organisation internationale de porter un fardeau trop lourd pour elle.

Avec l'adoption d'une politique telle que celle qui a été indiquée ci-dessus, le problème de la mesure des changements du pouvoir d'achat est relativement facile à résoudre. Mais avec une politique poursuivant des buts plus importants, le problème serait totalement insoluble.



Notes

1. Voir Ludwig von Mises, « Monetary Stabilization and Cyclical Policy » (1928), dans On the Manipulation of Money and Credit, édité par Percy L. Greaves, Jr. (Dobbs Ferry, N.Y. : Free Market Books, 1978), p. 99 et suivantes. Note de l'édition américaine.

2. Le lecteur doit se souvenir que ceci a été écrit en 1930. Note de l'édition américaine.


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