L'offre et la demande des biens publics : une introduction méthodologique

Chapitre 1 de The Demand and Supply of Public Goods

(1968, Rand McNally & Company, Chicago)

par James M. Buchanan

traduit par Hervé de Quengo

[Cet extrait est l'introduction du livre de James Buchanan concernant l'offre et la demande des biens publics. Le lecteur pourra comparer avec profit la présentation de l'offre et de la demande des biens privées faite, pour comparaison, par Buchanan (en particulier ses références à la théorie néoclassique de la compétition pure et parfaite et à son rôle supposé) à celle faite par des auteurs de l'École autrichienne (pour le lecteur francophone, un aperçu des critiques sur cette théorie qui repose sur une conception discutable de l'idée de compétition, en est donné dans le petit livre de Pascal Salin "La Concurrence" aux PUF, collection "Que sais-je"). NdT]

 

On observe que les gens offrent et demandent certains biens et services au travers des institutions du marché. On observe aussi qu'ils offrent et demandent d'autres biens et services au travers des institutions politiques. On appelle les premiers "biens privés", et les seconds "biens publics" [les étatistes qui cherchent à les justifier définissent souvent ces derniers d'après d'autres critères : impossibilité d'exclusion et non rivalité des bénéficiaires potentiels, etc. NdT].

L'économie néoclassique fournit une théorie de l'offre et de la demande des biens privés. Mais que veut dire "théorie" dans ce contexte ? Pour trouver la réponse à cette question, le mieux est d'examiner les choses que la théorie nous permet de faire. Expliquer est la première fonction d'une théorie, ici comme partout ailleurs. Dans le monde des biens privés, la théorie économique nous permet de traiter les questions habituelles : quels biens et quels services doit-on produire ? Comment faut-il organiser les ressources pour les produire ? Comment faut-il distribuer les biens et services finals ? Notons, cependant, que la théorie ne fournit pas, ici, la base pour des prévisions spécifiques. Elle nous permet plutôt de développer une explication de la structure du système, de la structure logique inhérente aux processus de décision. Avec son aide, nous comprenons et expliquons comment telles décisions sont prises, et non quel modèle particulier de résultats est précisément choisi.

Le processus d'explication comprend plusieurs étapes. Tout d'abord, il y a un ensemble de prédictions conjecturales, un ensemble d'hypothèses, ou de lois, de comportement de base. Celles-ci peuvent être purement conjecturales, et demander les facultés mentales permettant de construire les contraintes de ceteris paribus [toutes choses égales par ailleurs]. Parfois, on peut élaborer des hypothèses qui conduisent à des implications empiriquement testables, et lorsque des données peuvent être réunies, une preuve convenable peut être apportée comme confirmation ou réfutation. Ce contenu strictement positif de la théorie économique a, peut-être, été un peu trop souligné ces dernières années, au détriment partiel de la fonction plus fondamentale de la théorie. Celle-ci est le développement de la structure logique d'une économie au travers de la construction de ce qu'on pourrait appeler les prédictions déductives [inferential predictions]. L'économiste compétent peut prévoir l'allure générale ou le modèle qui tend à émerger à partir du processus d'échange ou de marché. Ces prédictions ne sont pas du type conditionnel : "si A alors B", au moins pas dans un sens directement analogue. Ces prédictions généralisées prennent plutôt la forme : "A tend à être égal à B". La distinction entre des prédictions conditionnelles [conditional deductions] élémentaires et des prédictions déductives n'a pas été pleinement appréciée, peut-être parce que les deux sont présentes dans le corps central de la théorie économique.

Les prédictions conditionnelles prennent la forme : si le prix baisse, la quantité demandée augmente ; si le prix monte, la quantité offerte augmente. Toutes ces prédictions conditionnelles, qu'elles soient empiriquement vérifiables ou non, sont combinées afin de générer une structure logique du système complet d'interactions comportementales que nous appelons l'économie. Pour autant que les prédictions conditionnelles de l'ensemble soient valables, il est possibles de tirer des conclusions concernant les caractéristiques générales des résultats qui émergeront. Ces conclusions sont aussi des prédictions, et elles sont essentiellement descriptives par nature. Elles fournissent des informations sur les relations entre les variables : les prix seront égaux aux coûts ; les salaires entre des travailleurs semblables seront égalisés ; les facteurs de production vaudront leur produit marginal.

Un lien vital dans la chaîne logique entre prédiction conditionnelle et prédiction déductive a été délibérément omis dans la présentation précédente. Supposons que les hypothèses conditionnelles de l'économiste soient valables. Ceci veut dire que les réactions prédites du comportement sont les bonnes. Les individus achèteront plus de biens si les prix baissent ; les entreprises offriront plus de biens si les prix montent, etc. Il est impossible de partir de cette connaissance pour arriver directement à l'énoncé selon lequel "les prix tendent à être égaux aux coûts", tant que l'on n'a pas postulé quelque chose sur la structure institutionnelle et organisationnelle dans laquelle les individus ont le droit de faire leurs choix. La procédure orthodoxe, à cet égard, a été de postuler explicitement ou implicitement une organisation compétitive. Une fois ajouté ce chaînon manquant, les déductions portant sur les résultats découlent logiquement de l'ensemble des hypothèses conditionnelles. Les caractéristiques descriptives des résultats peuvent être montrées.

Sous leur forme la plus sophistiquée, ces caractéristiques sont présentées comme les déclarations familières soulignant les conditions marginales nécessaires en vue de l'efficacité ou de l'optimalité, le domaine présumé de l'économie théorique du bien-être. Il est important de noter que ces conditions sont des prédictions déductives et qu'elles ont un contenu positif, une fois que la compétition est postulée comme structure organisationnelle. Ces conditions deviennent des prédictions conceptuellement réfutables sur les caractéristiques descriptives des résultats du processus d'interaction du marché. Aucun élément normatif n'a besoin d'être introduit.

Le maillon faible de cette procédure méthodologique est la supposition qu'il faut faire sur la structure institutionnelle et organisationnelle. Ce n'est que tant que cette supposition est pertinente que des conclusions peuvent être confirmées. Par exemple, considérons un économiste devant prédire les effets des réductions des taxes de 1965 dans une industrie donnée. Supposons qu'il prédise que les prix baisseront jusqu'à un certain niveau ; ces prédictions sont, dirons nous, réfutées par les événements. Ceci réfute-t-il l'hypothèse conditionnelle sous-jacente voulant que les entreprises de cette industrie cherchent à maximiser leurs profits, ou ceci réfute-t-il plutôt l'hypothèse selon laquelle cette industrie possède une organisation compétitive ? Il est clair que les deux cas sont possibles, ou encore aucun des deux, si d'autres variables pertinentes ont changé. La procédure standard consistant à supposer un ordre compétitif quand cela semble commode n'est pas acceptable. Une analyse convenablement approfondie devrait inclure l'examen de la structure institutionnelle elle-même, dans un sens explicatif pour les prévisions. L'économiste ne devrait pas se contenter de postuler des modèles et travailler ensuite au sein de ces modèles. Son rôle comprend la déduction de l'ordre institutionnel lui-même à partir de l'ensemble des hypothèses comportementales élémentaires avec lesquelles il commence. De cette façon, une véritable économie des institutions devient une partie importante de la théorie économique fondamentale.

Si les interactions humaines se limitent à l'échange volontaire au sens le plus large, une théorie de la structure institutionnelle peut être déduite, produisant comme produit final ou d'équilibre quelque chose de très proche du modèle standard d'un ordre compétitif. En d'autres termes, on peut prédire qu'une organisation économique compétitive, définie de façon assez vague, émergera du jeu des interactions humaines tant que ces interactions se limitent à l'échange volontaire. En n'utilisant rien d'autre que les outils habituels, l'économiste peut prédire, tout d'abord, l'émergence de cette structure, et, ensuite, les caractéristiques des résultats qu'une telle structure va tendre à produire.

Ce n'est qu'une fois cette étape atteinte que l'économiste peut commencer à parler des relations entre la compétition comme structure organisationnelle et l'efficacité. Aucun critère ne peut être introduit depuis l'extérieur. L'efficacité devient un terme descriptif qui est utilisé pour spécifier l'existence de certaines relations parmi des variables et des institutions qui sont produites au travers du processus d'échanges volontaires. La satisfaction des conditions marginales nécessaires pour l'efficacité, vue sous cet éclairage, devient une prédiction des résultats qui tendront à émerger du processus d'échange, non un critère pour nous renseigner sur ce qui devrait exister afin de favoriser une norme exterieure de valeur. La déduction de ces conditions nécessaires, et des structures institutionnelles qui conduiront à ce qu'elles soient satisfaites à partir des processus de choix des individus mutuellement engagés dans le commerce, est la tâche centrale de la théorie économique. Quand on observe des résultats qui se montrent en contradiction avec ceux prédits, soit en ce qui concerne les caractéristiques spécifiques des conséquences, soit en ce qui concerne la structure institutionnelle, expliquer cette divergence devient une tâche propre et supplémentaire. Et l'analyse, ici comme ailleurs, doit ce faire simultanément à plusieurs niveaux.

La théorie de l'économie publique

La longue digression méthodologique sur la fonction de la théorie économique orthodoxe appliquée à l'économie privée a été faite pour apporter une certaine aide lors de la discussion du rôle analogue de la théorie une fois étendue à l'économie publique, à l'offre et à la demande de biens publics, par opposition aux biens privés. Au départ, l'économiste doit partir du même ensemble d'hypothèses conditionnelles. Lors des choix privés et des choix publics, il a affaire aux mêmes individus comme unités de décision et, tout au moins au début, il doit faire la supposition que leurs lois fondamentales de comportement sont identiques sous les deux types d'institutions. S'il prédit que la personne moyenne ou représentative achètera une plus grande quantité de bien privé A si le prix relatif de A diminue, il doit aussi prédire que la même personne "achètera" une plus grande quantité de bien public B si le "prix" relatif de B diminue. Cette étape représente en elle-même une déviation significative par rapport à l'orthodoxie régnant dans les finances publiques. Les modèles du comportement individuel lors de la demande de biens publics, lors des participations aux processus de décisions politiques, lors des votes, n'ont pas été examinés en détail par les économistes (ni par d'autres). Un ensemble théorique consacré à la participation individuelle ne fait qu'émerger maintenant. Et, même ici, le comportement de l'individu lors de la demande biens publics, considérée en tant que relations fonctionnelles entre la quantité demandée et le "prix-impôts" qu'il paie, n'a pas été étudié, ni analytiquement ni empiriquement. Des déviations encore plus grandes par rapport à l'orthodoxie des finances publiques sont nécessaires, cependant, lorsque des conclusions sont tirées concernant les résultats. Il n'y a rien qui soit analogue à un modèle compétitif, dont l'utilisation facilite tellement les prédictions de nos manuels élémentaires concernant les résultats produits lors des processus d'échanges volontaires du secteur des biens privés.

Comme suggéré plus haut, de nombreux économistes ont plus ou moins sauté par-dessus l'étape de théorisation institutionnelle lors de leur analyse des marchés, peut-être sans pleinement comprendre l'avoir fait. Ils peuvent le faire parce que les hypothèses du modèle compétitif donnent des prédictions sur les résultats qui ne sont pas dramatiquement différentes des observations, tendant ainsi à corroborer à la fois les suppositions et les hypothèses conditionnelles. Malgré toute les discussions sur le caractère irréaliste de ces suppositions, elles restent paradigmatiques pour les économistes. Or, les décisions concernant l'offre et la demande de biens publics sont faites au travers des institutions politiques et non au travers du marché. Et il n'y a pas d'analogue à l'ordre compétitif qui facilite le travail analytique.

Il y a deux chemins possibles le long desquels l'analyste peut avancer. Premièrement, il peut postuler une structure de décision politique et tirer des conclusions concernant le type de résultats qui émergera. Des modèles alternatifs peuvent être essayés, et des différences de prédictions constatées. Il y a de nombreuses raisons pour recommander cette approche. Toutefois, on ne peut rien dire sur l'efficacité dans un tel cadre.

La seconde approche consiste à essayer de faire dériver la structure institutionnelle du processus d'échange au sens large. L'économiste peut essayer de prédire, au mieux, quelle sorte de structure de décision politique tendra à émerger des "échanges politiques" volontaires dans lesquels entreraient des personnes rationnelles. Une fois cette structure de décision déduite, il est en mesure de caractériser les résultats des processus réels d'une manière analogue à son traitement du secteur des biens privés. Jusqu'à un certain point, le terme "d'efficacité" peut être alors introduit pour décrire certains résultats, ce terme ayant essentiellement la même signification que celle qui s'applique dans le monde des biens privés.

Il doit subsister, cependant, une différence importante sur le degré de pertinence que la théorie offre dans les deux secteurs. Comme Wicksell l'a noté de façon pénétrante, les résultats des choix individuels envers des biens publics dans des cas discrets ne peuvent être classés, sans équivoque, comme efficaces ou optimaux par un observateur extérieur quelconque qu'à la condition que les décisions du groupe soient effectuées sous une règle d'unanimité. Pour des allocations discrètes, les institutions de choix politique soumises à la décision unanime deviennent l'analogue des institutions de choix du marché décrites comme parfaitement compétitives. Dans les deux cas, nous avons affaire à des idéalisations. Pour la dernière, cependant, les interactions observées semblent produire une réalisation approchée, et l'idéal devient habituellement, en un sens, la norme acceptée pour des changements politiques [C'est, entre autres, sur ce point qu'insiste la critique autrichienne et qu'elle se distingue des économistes néoclassiques : confondre un modèle idéal (voire un modèle irréaliste, uniquement utilisable comme outil conceptuel) et une norme de comportement conduit à des dégâts qui expliquent l'attrait des lois antitrusts pour de nombreux économistes néoclassiques (mais pas tous). En fait, les "imperfections" de l'économie parfaitement compétitive sont des imperfections du modèle, pas du monde capitaliste ! Sur le caractère néfaste des lois antitrusts et pourquoi elles sont contraires au libéralisme, voir, entre autres, les traités d'économie de Mises (Human action), Rothbard (Man, Economy and State et Power and Market), Reisman (Capitalism) et les ouvrages de Hayek (Droit, législation et liberté, tome 3), Kirzner (How Markets Work) ou Armentano (The Myth of Antitrust). NdT]. Ceci signifie que les institutions de l'économie de marché compétitive ont été largement acceptées comme désirables, au-delà de leur place dans l'analyse qui suggère qu'elles décrivent la structure qui tendra à émerger, de façon idéale, du fonctionnement libre des processus d'échanges volontaires. Vraisemblablement, les coûts d'obtention d'une approximation de l'idéal ne sont pas considérés ici comme suffisament élevés pour justifier des modifications significatives de la norme, bien que certaines discussions sur la compétition possible puissent être interprétées ainsi. C'est pour cette raison que les conditions d'efficacité applicables à l'économie des biens privés ont été largement comprises comme comprenant des implications normatives importantes. Et l'usage même de mots chargés d'émotion comme "efficacité" [efficiency, traduit souvent en français par "efficience" dans les discussions économiques. NdT], et "optimalité", tend, bien sûr, à renforcer cette interprétation.

J'ai suggéré plus haut que les conditions familières n'ont pas besoin de contenir de telles implications normatives. A la base, elles ne représentent rien de plus que des conclusions tirées de l'ensemble des hypothèses qui font la théorie économique, des conclusions décrivant certains résultats qui tendront à émerger de l'interaction de nombreuses personnes distinctes lors de processus d'échanges volontaires, en incluant les institutions elles-mêmes comme des variables sujettes au choix. Tirer de telles conclusions, qui sont elles-mêmes des prédictions, reste dans le domaine de la théorie de l'économie positive, et donc dans le domaine de compétence professionnelle de l'économiste. Il peut, et devrait, ne dire rien en ce qui concerne la désirabilité des résultats ou des institutions que ces résultats pourraient générer.

La barrière entre théorie positive et conseil normatif doit toujours être maintenu de façon vigilante. Il est difficile d'accomplir cette séparation même dans le monde des biens strictement privés, comme le suggère ici la discussion. L'économie théorique du bien-être, comme sous-discipline, est considérée par de nombreux économistes, peut-être par la plupart, comme devant nécessairement inclure des éléments normatifs. Toutefois, comme j'ai essayé de l'indiquer, le contenu fondamental de cette sous-discipline peut être incorporé dans la théorie positive sans sous-entendus normatifs.

La même barrière entre théorie positive et théorie normative est bien plus difficile à maintenir lorsqu'on introduit l'offre et la demande de biens publics. Ici, le rôle de la théorie semble bien plus limité, et l'analyse bien moins pertinente pour le monde observé. L'idéalisation théorique analogue à l'ordre compétitif, représenté par la règle d'unanimité de Wicksell pour les choix collectifs, est tellement éloignée de l'expérience du monde réel qu'elle ne sert que rarement, même comme norme d'action politique. Probablement, contrairement au secteur des biens privés, les coûts d'obtention d'une approximation de l'idéal sont considérés être tellement grands que des normes totalement différentes doivent être introduites.

Convenablement conçue, cependant, la théorie peut faire précisément ce qu'elle peut faire dans le monde des biens privés. Elle peut décrire, et à plusieurs niveaux, les résultats qui tendront à émerger des processus d'échanges volontaires des individus. Elle ne peut pas faire plus, et l'économiste n'a aucune raison d'aller plus loin. Par la nature des différents univers auxquels il est confronté, les limites de la pertinence théorique d l'économie semblent être atteintes bien plus tôt dans ce cas. Au sens véritable, toutes les discussions sur les règles de décision politique peuvent être interprétées comme traitant de "l'unanimité possible", mais la distance entre l'idéal et les choix alternatifs qui semblent possibles est suffisament grande pour faire perdre à l'idéal lui-même toute pertinence apparente.

La raison n'est pas difficile à trouver. Une communauté d'individus décide de demander publiquement des biens et des services au travers de processus politiques et gouvernementaux, plutôt que de manière privée, précisément parce que les échanges bilatéraux facilités par les arrangements du marché sont insuffisamment inclusifs. Des effets externes sont exercés sur des parties autres que celles entrant directement dans l'échange, et ces effets sont considérés comme pertinents et importants. Des "échanges", des affaires, des accords entre tous les membres de la communauté sont estimés plus efficaces par ses membres. Les accords multilatéraux sont, toutefois, bien plus coûteux à négocier que des accords bilatéraux. De plus, l'incitation à débuter la négociation conduisant vers l'accord peut être absente dans de tels cas. Ces faits sont tellement évidents qu'il apparaît souvent fou d'entreprendre une quelconque tentative d'examiner les résultats que des processus d'échanges véritablement volontaires produiraient dans l'idéalisation théorique décrite par la règle d'unanimité. Les limites de la théorie de l'échange volontaire de l'offre et de la demande des biens publics sont en effets étroites, particulièrement quand on les compare à son analogue, la théorie des marchés parfaitement compétitifs.

L'exercice est néanmoins utile et il fournit la seule "théorie pure" disponible pour les finances publiques, dont dépendent toutes les constructions théoriques dérivées. En ignorant tout d'abord les coûts de négociation pour atteindre des accords entre n personnes, en ignorant l'absence d'incitation individuelle pour l'organisation des accords dans le cas à n personnes, le théoricien peut avancer avec sa description des résultats du processus politique idéalisé. Ces descriptions sont totalement analogues à celles faites sur les résultats des processus du marché caractérisés par des conditions de compétition parfaite. Les énoncés des conditions nécessaires pour l'efficacité sont très proches dans les deux cas, et un contenu normatif n'est nécessaire dans aucun des deux cas. La satisfaction des conditions marginales nécessaires peuvent représenter ou non des objectifs sociaux désirables, mais il n'est pas du rôle de l'économiste de le déterminer.

Un des premiers buts de ce livre est d'énoncer ces conditions et d'examiner leurs implications. La théorie est conçue pour être positive et sa pertinence extrêmement limitée est reconnue et avouée. C'est la "théorie pure des échanges volontaires dans les finances publiques" et elle est présentée pour la simple raison que cette théorie doit d'abord être développée rigoureusement avant que nous ne puissions commencer à examiner des modèles plus pertinents. A nouveau, la théorie est comparable à celle des marchés parfaitement compétitifs ; ce n'est qu'une fois que la dernière fut pleinement étudiée qu'une analyse plus poussée put être menée [cf. les remarques précédentes, NdT]. La théorie présentée au début du livre décrit les résultats que produirait le processus politique si la règle d'unanimité générale était appliquée. Ici, le traitement est mené dans la stricte tradition wicksélienne et est, en fait, Wicksell revisité ou modernisé.

Au départ, les coûts de négociation des accords à n personnes sont largement ignorés. Dans un cadre plus large, et à une étape ultérieure, ces coûts doivent être introduits puisqu'ils sont essentiels à une compréhension de l'économie publique. L'analyse à cette deuxième étape doit incorporer les coûts d'obtention des accords, ou de prises de décisions collectives, et il faut développer une théorie économique des constitutions politiques. La propre reconnaissance de la part d'un individu que, dans un monde de biens publics, il risque d'être pris dans un analogue à n personnes du dilemme du prisonnier, le poussera à accepter des règles "d'unanimité possible". Il échangera une certaine efficacité (mesurée selon les critères standard) contre des processus de décision plus efficace. La théorie complète de l'ordre politique devient directement pertinente pour l'offre et la demande de biens publics, considérées de manière inclusive.

L'analyse est développée progressivement depuis les modèles les plus simples jusqu'aux modèles complexes. Le chapitre 2 examine l'offre et la demande d'un unique bien public pur dans le modèle très restreint d'un monde à deux biens, à deux personnes égales. Seule l'hypothèse d'un monde de personnes égales est supprimée dans le chapitre 3. La pureté du bien public est abandonnée dans le chapitre 4 et l'analyse est étendue à un groupe de plusieurs personnes dans le chapitre 5. Le nouveau monde où tous les biens sont publics est traité dans le chapitre 6. Les problèmes présentés par le caractère public de toute décision politique est introduit dans le chapitre 7 et les institutions spécifiques de choix fiscal sont prises en compte dans le chapitre 8. La question intéressante et importante qui est au centre de la théorie moderne : quels biens doivent-ils être publics ? est examinée au chapitre 9. Des suggestions pour une théorie positive des finances publiques sont avancées dans le chapitre final.

Pour les étudiants et les chercheurs qui ne partagent pas pleinement l'approche méthodologique que j'ai suggérée, et dont les intérêts résident d'abord dans l'obtention des conditions nécessaires pour une efficacité ou une optimalité au sens de Pareto dans le secteur des biens publics, la plus grande partie de l'analyse est applicable et presque immédiate. Jusqu'à un certain point, mon traitement peut être interprété dans ce cadre comme une version alternative de la théorie normative du secteur public dans la tradition de Samuelson et Musgrave.

Un point supplémentaire et final doit être fait dans ce chapitre d'introduction. La discussion sur l'offre et la demande de biens publics est menée dans ce livre sous l'hypothèse que la communauté contient un nombre donné de personnes. Je négligerai dans ce livre l'ensemble important des questions qui se posent quand on essaie de déterminer la taille efficace ou optimale des groupes. J'espère développer certaines analyses de ces questions dans un ouvrage futur.

[Je renvoie le lecteur qui est intéressé par le programme de Buchanan à son livre, dont les références sont données au début de cette traduction. NdT]


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