L'Empire socialiste des Inka


Université de Paris — Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie — V (1928)

par Louis Baudin
Professeur à la faculté de Droit de Dijon

Chapitre V — Le fondement économique de l'empire. Le principe de hiérarchie


« Quelles sont les vieilles vérités desséchées dont nous faisons notre nourriture ?... C'est cet axiome suivant lequel la basse classe, la grande masse du peuple serait l'élite de la nation, le peuple même, que l'homme du peuple, que tous ces êtres imparfaits et inexpérimentés auraient le même droit de juger de diriger et de gouverner que les quelques hommes véritablement nobles d'esprit. »

(Ibsen, Un ennemi du peuple. Acte IV.)


Bien avant même que les Inka eussent établi leur puissance, la pression de la population avait obligé les Indiens à perfectionner leurs méthodes de culture par des travaux exécutés en commun, des irrigations et des terrassements. Elle avait exigé de la sorte un labeur constant et concerté, et avait favorisé une centralisation dont nous trouvons les exemples à Čimu et à Tiahuanaco. Il faut un chef aux tribus qui manquent de terre et qui doivent unir leurs efforts pour tirer leur subsistance d'un sol ingrat ; l'obéissance passive est leur condition de vie.

Quand le sinši, premier chef temporaire, est devenu permanent, il a trouvé des hommes prêts à subir sa loi. Brisant les cadres géographiques, il a soumis les peuples voisins de gré ou de force et arraché au sol une fraction de ses propres sujets pour en faire des fonctionnaires, premier noyau de la caste qui allait être son soutien 1. On peut ainsi supposer que le principe de hiérarchie a été, dans mie certaine mesure, un corollaire du principe de population.

La société inka fut étonnamment hiérarchisée et ce point suffit à la distinguer de tous les systèmes socialistes modernes construits sur des idées de nivellement. L'égalité n'existe au Pérou qu'entre individus du même rang social ; c'est le système militaire dans lequel tous les soldats sont égaux entre eux.

Le chef suprême, l'Inka, prend un titre divin qui accroît son prestige et facilite ses conquêtes, « ce que toutes les nations du monde ont fait, si barbares qu'elles aient été » 2. Il est le fils du Soleil. Sur la côte même du Pérou, avant les Inka, il y avait des rois qui se faisaient adorer par leurs sujets 3. C'est pourquoi tous les historiens ont insisté sur le caractère théocratique de l État péruvien. Rien n'est plus vrai si nous nous plaçons un point de vue de l'homme du peuple, de l'hatunruna, mais il ne faut pas' oublier qu'au Pérou, à des différences de situation sociale correspondent des différences de conception.

Prenons d'abord cet hatunruna, modeste habitant d'un village du plateau. Pour lui, l'Inka est infaillible et adorable, ses ordres sont absolus, les luttes qu'il engage sont des guerres saintes. « Les Inka, dit Velasco, construisirent leur trône sur les puissances de l'âme et non sur le sang de leurs vassaux » 4.

Après les fondements économiques de l'Empire, voici donc les fondements religieux. Il est certain que l'organisation sociale est « parallèle au dogme » et révèle une unité essentielle, les faits naturels étant considérés comme une expression de la puissance divine 5, mais il est exagéré de comparer les Kičua aux disciples de Mahomet 6 ou aux croisés allant combattre l'infidèle, comme le fait Prescott 7, ou d'écrire que « les Incas étaient une sorte d'hommes entre les missionnaires et les conquérants ; ils prêchaient l'épée à la main et combattaient avec le catéchisme sous le bras 8 » !

Le sentiment de la hiérarchie était poussé si loin que nous le découvrons même en matière de religion. A côté des croyances populaires, existaient les croyances de l'élite et si les auteurs ont souvent hésité à qualifier la religion des Kičua, c'est peut-être qu'ils n'ont pas toujours fait cette distinction 9. Il est d'ailleurs naturel de proportionner les connaissances à l'intelligence des sujets. Au Pérou, le vulgaire adorait les forces de la nature et avant tout le Soleil. Comment l'Indien, après la longue nuit glacée passée dans la puna ne serait-il point prosterné devant cet astre qui lui versait à pleins flots la lumière, la chaleur, la gaieté et l'espoir ? Le soleil était le principe et la fin du monde ; la lune était à la fois sa sœur et sa femme, les étoiles ses serviteurs, l'Inka son fils, la foudre sa malédiction.

Le culte n'était pas seulement solaire : les Indiens voyaient une manifestation divine en toute chose, un miracle en tout phénomène et ils tenaient pour sacrés les huaka, terme par lequel ils désignaient tout ce qui sortait de l'ordinaire : un haut sommet, une bête étrange, une fleur rare. Dans la seule ville de Cuzco on comptait 340 huaka 10. Ce n'est pas à dire toutefois que les conceptions étaient purement matérielles. Loin de là, les Indiens admettaient, comme Platon, que toute chose créée a son essence spirituelle ; ils figuraient même cet archétype par des images grossières qu'ils vénéraient : l'essence du maïs, l'essence du lama avaient la première place dans ce culte 11. L'élite croyait même à un être suprême abstrait, Pačakamak ; elle y savait que l'esprit créateur ne peut pas être représenté sous une, forme visible et concevait l'élément divin comme irréductible à l'homme 12.

De ce fondement religieux la loi tirait sa puissance 13. La loi, c'était la volonté de l'Inka, elle n'avait donc en elle-même aucun élément de stabilité, mais le remarquable esprit de continuité dont les souverains faisaient preuve suppléait à l'absence de texte; chacun des chefs suivait si parfaitement la politique de son prédécesseur qu'un seul et même homme vivant durant deux siècles n'aurait pas agi autrement. Aussi les décisions des souverains étaient-elles pour ainsi dire codifiées par les gardiens de kipu qui les conservaient grâce à leurs cordelettes, et les amauta ou savants étaient chargés de les interpréter 14. Wiener, dans son Essai sur les institutions politiques, religieuses, économiques et sociales de l'Empire des Incas prétend « reconstituer » le code kičua d'après Blas Valera et Garcilaso ; Brehm, reproduit fidèlement par Hanstein, énumère 24 lois de l'Inka 15 ; mais ce sont là des listes hypothétiques.

A côté des règles édictées par l'Inka subsistaient les coutumes locales : « Il n'y avait aucune chose, remarque Ondegardo, qui pût tellement fixe que la volonté de l'Inka ne pût la changer... mais cette volonté ne modifiait jamais la coutume pour donner à l'un ce qui était à l'autre 16. » Nous touchons ici à un principe important de la politique péruvienne : le respect des institutions établies. Les souverains ont toujours cherché à modifier aussi peu quel possible les modes d'existence des tribus qu'ils soumettaient, mais en leur imposant toutefois certaines règles communes, destinées à unifier l'Empire : par là même, ils ont prouvé qu'ils étaient de grands chefs d'État. Leur tâche a d'ailleurs été facilitée par l'homogénéité de culture de tous les peuples andins, résultat de leur identité d'origine, par ce substratum ethnique dont nous avons parlé. Sur les règles coutumières ancestrales se greffaient les règles établies par les conquérants péruviens, et l'ajustement des unes aux autres était réalisé avec beaucoup de prudence et de modération en laissant le temps faire son œuvre.

La tolérance religieuse des Inka a été une conséquence de ce principe. Les dieux des vainqueurs ne remplaçaient pas les dieux locaux, mais se superposaient à eux. Les idoles des provinces conquises étaient envoyées à Cuzco, dans le temple du Soleil, sorte de « panthéon romain » 17 où en même temps elles servaient d'otages, et leurs adorateurs étaient libres de continuer à les vénérer, à la condition de vénérer aussi le Soleil.

La loi, étant divine, devait être obéie. Spencer l'a noté à juste titre en s'appuyant sur l'autorité de Prescott et de Garcilaso 18 : toute violation de.la loi devenait un sacrilège, et le code pénal construit sur cette idée était d'une implacable rigueur.

Quant à la publication des lois, elle était assurée par les fonctionnaires qui proclamaient les décisions du souverain sur les marchés où les Indiens avaient coutume de se rendre.


Le chef

« Vraiment à celui qui a rejeté les mobiles ordinaires des hommes et qui a osé se prendre lui-même pour maître, il faut une force divine. »

(Emerson, Essai sur la confiance en soi-même.)


Au sommet de la hiérarchie : le chef, l'Inka.

De nombreux récits ont popularisé la silhouette de cet homme-dieu qui résume l'Empire entier 19. Le souverain port des vêtements de la plus fine laine de vigogne : une camisole tombant jusqu'aux genoux, une casaque servant de manteau, ses pieds sont chaussés de sandales, de laine blanche, à son côté pend une bourse pleine de coca, une tressé multicolore s'enroule cinq ou six fois autour de sa tête, sur son front se détache l'insigne du pouvoir, le lautu, ou borla des Espagnols, étroit cordon rouge fixé de chaque côté sur la tempe 20, d'énormes bijoux sont suspendus à ses oreilles, et sur ses cheveux, coupés très courts, se dressent deux plumes de l'oiseau curiquingue 21. Jamais il ne met deux fois le même vêtement, jamais il ne boit deux fois dans le même vase, ses femmes et ses sœurs seules sont considérées comme dignes de le servir. La vaisselle est en or, le trône d'or massif repose sur une grande table en or et la litière est couverte de plaques de métal précieux.

Pour se faire une idée de la cour de Cuzco, il faut lire dans les anciennes chroniques le récit de l'arrivée d'Atahualpa et de sa suite à Cajamarca, où ­Pizarre les attendait : guerriers aux costumes azur et or, nobles drapés dans des étoffes éclatantes et parés d'ornements d'argent et d'or, l'Inka enfin sur son trône en or, portant au cou un collier d'émeraudes et sur la tête les plumes d'oiseau sacré, une vraie féerie 22 !

Nul n'osait regarder l'Inka en face, nul ne pouvait approcher de lui sans avoir les pieds nus et sans porter sur la tête un fardeau en signe de soumission. Quel spectacle plus touchant que celui de ce général indien revoyant pour la première fois son souverain prisonnier des blancs ? Pieds nus, une charge sur les épaules, il tombe à genoux et ne peut retenir ses larmes, tandis que l'Inka demeure digne et impassible comme il convient à un monarque 23.

Les Espagnols ont à maintes reprises rendu hommage au caractère de ceux des Inka qu'ils ont pu connaître. Atahualpa, quoique bâtard et peu digne d'être pris pour type de souverain, fait cependant l'admiration de ses bourreaux par sa bravoure, sa sagesse et sa majesté 24. Plus tard, l'Inka Manko, luttant contre les envahisseurs, se montre courageux et intelligent.

Tel l'Inka apparaît au peuple, magnifique et formidable ; son immense puissance repose moins sur la force matérielle de ses armées que sur la force morale de la religion et de la science. Il n'est pas seulement le chef, il est un savant, car il a suivi les cours des amauta qui professent à Cuzco, il aime à s'entretenir avec eux, parfois il enseigne lui-même 25. Il est le Père spirituel de ses sujets, dont il doit être à la fois craint et aimé ; « son autorité atteignait la conduite la plus secrète, la pensée même de l'individu » 26.

Le plus surprenant est que l'Inka n'ait pas abusé de sa puissance ; sans doute, il regarde son peuple avec quelque commisération, un peu comme un « maître regarde ses animaux » 27, mais on a vu de mauvais maîtres martyriser les bêtes confiées à leurs soins, l'Inka n'est pas de ceux-là et son mérite est grand de n'avoir point agi avec cruauté, car les chefs de la plupart des tribus voisines, tyrans sanguinaires, lui donnaient le mauvais exemple : sur la côte existait la sodomie, dans les forêts orientales et sur le plateau même régnait l'anthropophagie 28 ; Garcilaso raconte que les Karanki se révoltèrent contre l'Inka parce qu'ils ne pouvaient plus manger de chair humaine, massacrèrent les Péruviens et les dévorèrent 29 ; d'après d'autres chroniqueurs, le tyran de l'île de Puná réduisait ses ennemis en esclavage, faisait garder ses femmes par des eunuques et se livrait à des actes de cannibalisme 30. En Colombie, les chefs Čibča avaient des esclaves et pendaient en masse leurs sujets 31. Au contraire, au Pérou, l'assassinat, le vol, l'adultère étaient si sévèrement punis qu'ils n'existaient pour ainsi dire pas dans l'Empire. Cabet, en décrivant dans son Icarie une société où le crime était inconnu, ne se doutait pas que son rêve avait été une réalité 32.

Le plus grand mérite de l''Inka est d'avoir donné à son peuple une morale 33. Sans doute lui-même n'obéit pas absolument à cette morale, le principe de hiérarchie joue ici comme dans tous les autres domaines. La classe dirigeante a sa morale, comme elle a sa religion, et l'Inka lui même aux yeux du peuple semble véritablement situé par delà le bien et le mal.

Quel plus bel éloge de l'Empire que celui contenu dans ce testament d'un soldat 4e la conquête pris de remords : « Les Inka gouvernèrent leur peuples de telle manière qu'il n'y avait ni un voleur, ni un homme vicieux, ni un fainéant, ni une femme adultère, ou de mauvaise vie 34... » ?

On le voit, l'Inka n'a rien du tyran que certains ont imaginé : Maints traits attestent la grandeur de son caractère et la noblesse de sa pensée. Au milieu des guerres les plus sanglantes, il est toujours prêt à écouter les propositions de paix, Il respecte les mœurs des habitants et garde leurs chefs au pouvoir, comble de cadeaux ses anciens ennemis pour se les attacher, exige que les terres des veuves, des vieillards et des malades soient cultivées par les communautés indiennes, et surtout il est juste : nul coupable, grand ou petit ne peut espérer échapper au châtiment. Il veut que les lois soient respectées, il sait que toute faiblesse à l'égard du coupable est un danger pour l'innocent et qu'il est souvent plus méritoire de punir que de pardonner.

Certes, pour le peuple, comme le romancier l'a dit du Pharaon, l'Inka était bien le « dieu, à l'éternité près » ; mais quelle différence entre les deux monarques ! Alors que le roi d'Égypte réduisait ses ennemis vaincus en esclavage et pillait leur pays, le souverain du Pérou donnait de grandes fêtes en leur honneur et leur envoyait ses ingénieurs pour leur apprendre la culture de la terre.

Aux yeux du pauvre Indien du plateau, n'y avait-il pas vraiment dans la conduite de l'Inka quelque chose de divin ?


Mais le peuple jugeait-il son maître sainement ? Rien n'est plus douteux. L'Inka ne masquait-il pas sous une habile politique une ambition démesurée ? C'est fort probable. Avait-il même le pouvoir absolu ? Brehm, Lorente, Buschan, Martens, d'autres encore insistent sur le « pouvoir infini de l'Inka ». Prudemment, H. Trimborn qualifie ce pouvoir de « presque absolu 35 ». En fait, des limites existaient à la puissance du souverain, mais elles n'étaient pas apparentes pour la masse. L'élite de la nation contrôlait les actes du chef. C. de Castro explique que Huayna-Kapak, avant de quitter Cuzco pour une expédition lointaine, réunit les cortes (tubó cortes), leur expliqua la nécessité et le but de la guerre qu'il entreprenait et désigna un héritier 36. Cieza de León parle d'un conseil que l'Inka consultait avant de prendre des décisions importantes et, par ailleurs, raconte comment l'Inka Urko, ayant lui devant des Čanka, fut déposé et remplacé par Pačakutek 37. Ces témoignages concordent avec celui d'Anello Oliva, d'après qui les plus âgés et les plus habiles parmi les chefs formaient une espèce de Sénat que Huayna-Kapak consultait dans les occasions difficiles 38 : Morua fait allusion à un « conseil d'orejones » composé des principaux caciques, c'est-à-dire sans doute des grands personnages, et qui dirigeait les affaires tant que l'Inka n'avait pas reçu la borla. Plus loin, il explique clairement que quatre orejones formaient ce conseil suivant l'Inka en tout lieu, ce que répète Cobo, qu'ils étaient affectés chacun à une partie de l'Empire et que l'un d'eux avait un pouvoir supérieur aux autres étant comme un « président du conseil » 39. Il est donc certain que le monarque n'était pas absolument libre d'agir à sa fantaisie. Des règles traditionnelles s'imposaient à l'homme-dieu lui-même. Fidel López a peut-être vu juste dans cette question : « La volonté du souverain, écrit-il, se trouvait limitée par un rituel de cour et par une sorte d'initiation quasi-maçonnique dont les règles et formules sacramentelles garantissaient le droit des divers corps de l'État et celui des particuliers 40. » Cette initiation, dont parle F. López, faisait partie intégrante de l'instruction très complète que recevait le souverain, car celui-ci, loin d'être élevé dans le luxe et dans la fainéantise, était au contraire pendant si jeunesse plus durement traité que tous les autres enfants de sang royal.

Ce contrôle du pouvoir n'était pas inutile, car l'Inka, quoique fils du Soleil, n'en était pas moins homme et pouvait être stupide ou méchant, tel l'Inka Urko, lâche et vicieux, que nous avons déjà cité 41. Divin aux yeux de la foule, le souverain ne l'était pas aux yeux des siens 42 et, s'il se trouvait placé en dehors de la morale commune, apparaissant au peuple comme le symbole même du bien, il n'était pourtant pas au dessus de toute morale 43.

Le pouvoir ainsi défini était héréditaire, mais ici encore des précisions sont nécessaires. L'Inka avait plusieurs femmes, hiérarchisées elles-mêmes comme tous les habitants de l'Empire: d'abord, la sœur aînée, la Koya que l'Inka épousait, comme le Pharaon d'Égypte, afin de maintenir la pureté du sang de sa race 44, puis, les concubines de sang royal pal'a, et enfin les concubines étrangères à la famille mamakuna 45. L'héritier légitime devait être un fils de la femme légitime, c'est-à-dire de la sœur, mais ce n'était pas le fils aîné qui montait d'office sur le trône, le souverain régnant choisissant celui de ses fils qui lui paraissait le plus capable et laissant ainsi toujours une certaine place au mérite 46. ,A défaut de fils de la Koya, un des bâtards était désigné 47.

Las Casas nous conte les embarras de Pačakutek qui, ayant choisi un de ses fils et n'ayant pu l'instruire à les choses du gouvernement et de la guerre, le remplace par un autre, et Garcilaso nous explique comment l'Inka Yahuar-­Huakok, inquiet du mauvais naturel de son fils aîné qui prend plaisir à tour­menter les autres enfants de son âge, enferme le petit drôle dans un parc où il le condamne à garder les troupeaux du Soleil et choisit un autre héritier 48. Le seul exemple que nous connaissions de violation de la règle successorale est celui de Huayna-Kapak qui épousa la fille du roi vaincu de Quito et plaça sur le trône de ce royaume le fils qu'il eut de cette union en laissant à l'héritier légitime le reste de l'Empire. Cette violation ne porta pas bonheur aux Péruviens, puisqu'elle fut la source des guerres civiles qui favorisèrent la conquête espagnole.

A la mort de l'Inka, de grandes démonstrations avaient lieu dans toutes les villes, des femmes et des serviteurs s'immolaient volontairement pour suivre le défunt dans l'au-delà. A ce moment, pour éviter qu'un usurpateur ne profitât du désordre, plusieurs centaines de guerriers montaient la garde autour du palais royal 49. Puis le corps du défunt, momifié comme en Égypte, était placé dans le temple du Soleil à Cuzco, et un nouvel Inka venait présider aux destinées de l'Empire 50.


L'élite

« La civilisation avance par les hommes supérieurs, non par les foules. »

(V. Duruy, Histoire des Romains, t. 6, p. 392.)


Déjà l'exposé qui précède a permis de mesurer l'abîme qui sépare l'élite de la masse. Sans une élite fortement constituée, aucune civilisation ne saurait naître, aucun Empire ne saurait exister. Aussi les Inka, avec cet esprit de méthode qui les caractérise, ont-ils apporté tous leurs soins à la formation physique intellectuelle et morale de ceux qui devaient être le soutien de leur trône.

Au Pérou, l'instruction était réservée à l'élite seule : « Il ne faut pas enseigner aux petites gens, disait l'Inka Roka, ce qui ne doit être su que par de grands personnages » 51.

Cette mesure nous donne le sens de la politique inka. Nul ne peut commander s'il n'est instruit. Mais à quoi bon instruire ceux qui doivent seulement obéir ? Pourquoi lancer dans le monde une armée de derni-savants, comme l'Europe en a tant vus, dont la superbe réduit au silence et maintient dans l'obscurité les vrais penseurs ?

Les écoles se dressaient à Cuzco sur la place principale, à proximité des palais royaux de Roka et de Pačakutek. Les professeurs étaient ces fameux amauta, gardiens jaloux de la science, qui, suivant Montesinos, détinrent jadis le pouvoir et conservèrent entre leurs mains le flambeau de la civilisation dans Tampu-Toko, la cité mystérieuse cachée au milieu d'inaccessibles montagnes, pendant que les invasions étrangères désolaient le pays 52. Les amauta instruisaient en sciences profanes et religieuses à la fois ; aucune des connaissances acquises de leur temps ne leur demeurait étrangère : mathématique, astronomie, statistique, théologie, histoire, politique, poésie, musique, chirurgie et médecine ; ils composaient des tragédies et des comédies qu'ils représentaient eux-mêmes et ils étaient chargés d'interpréter la loi 53. Peut-être encore remplissaient-ils les fonctions d'ingénieurs, dirigeant la construction des canaux, des routes, des' forteresses et des cités, et fabriquaient-ils certains ornements du culte et certains objets précieux destinés aux grands dignitaires.

Suivant Morua, la première année était surtout consacrée à l'étude de la langue, la deuxième à celle de la religion et des rites, la troisième à celle des kipu, la quatrième à celle de l'histoire 54. Tout l'enseignement aboutissait à un examen de caractère militaire, nommé huaraku, qui avait lieu tous les ans ou tous les 2 ans à Cuzco, et permettait aux Inka de s'assurer que les futurs membres de l'élite étaient capables d'être des chefs d'aimée. Les candidats étaient mis d'abord au régime de l'eau pure et du maïs cru, sans piment ni sel, pendant 6 jours ; puis ils étaient convenablement restaurés et prenaient part à une course, aux portes de la ville, sous les yeux des familles qui les encourageaient par leurs cris, exaltaient les vainqueurs et blâmaient les retardataires. Ensuite, divisés en deux camps, ils combattaient les uns contre les autres avec tant d'ardeur que certains d'entre eux étaient parfois blessés ou tués. Les exercices physiques se terminaient par la lutte et le tir à l'arc et à la ronde. Les épreuves morales leur succédaient le candidat devait rester 10 nuits de suite en sentinelle, recevoir des coups sans proférer une plainte, demeurer impassible alors qu'un chef faisait mine de lui fracasser le crâne avec une massue ou de lui piquer la figure avec la pointe d'une lance. Il n'avait plus enfin qu'à prouver ses connaissances techniques en fabriquant un arc, une fronde et une paire de sandales 55.

L'aspirant qui, à un moment quelconque, manifestait quelque fatigue ou quelque crainte était honteusement éliminé ; au contraire, celui qui avait été jugé instruit, habile, courageux et doué d'une force de résistance suffisante à la douleur était reçu par l'Inka qui lui perçait lui-même le lobe des oreilles au cours d'une magnifique cérémonie. Le jeune homme avait dès lors le droit de porter des pendants d'oreilles énormes dont la dimension était proportionnée à son rang social. C'est pourquoi les Espagnols appelaient les nobles péruviens des orejones, mot à mot des oreillards 56.

Le caractère que cet enseignement conférait était commun à l'élite entière et à l'Inka lui-même ; il est tel qu'il ressort du seul drame précolombien qui soit parvenu jusqu'à nous : orgueil de caste, esprit chevaleresque, amour filial, humanité pour le vaincu, magnanimité royale. Aussi cette classe sociale mérite-t-elle plutôt le nom d'élite que celui de noblesse, car nul ne pouvait en faire partie s'il ne l'emportait sur les Indiens du peuple par l'intelligence, le savoir et la vertu 57.

Cette élite, dont la formation était l'objet de soins si attentifs, était recrutée en principe parmi les jeunes gens de sang royal, mais d'autres éléments y avaient été adjoints, aussi convient-il d'établir des catégories :

Les Inka proprement dits d'abord : c'étaient les descendants des premiers conquérants, ils étaient très nombreux puisque, grâce à la polygamie, les souverains avaient parfois plusieurs centaines de femmes 58.

Ensuite, les Inka par privilège, que cite Garcilaso 59. Fernández de Palencia parle d'eux en termes très précis : « Il y avait dans le royaume, dit-il, d'autres personnes en grand nombre, qu'on tenait pour Inka et qui portaient les oreilles perforées, mais qui ne jouissaient pas de la même considération que les autres. C'étaient des serviteurs, obligés et amis des seigneurs : capitaines et serviteurs de l'Inka à qui one perforait les oreilles 60. »

Tous ces orejones, sauf ceux qui occupaient de hautes situations en province, habitaient Cuzco ou ses environs immédiats, donnant ainsi à la capitale plus de lustre encore 61. C'était parmi eux que se recrutaient les principaux fonctionnaires civils et militaires.

Les gouverneurs et les généraux avaient des privilèges de même ordre, chacun s'entourant d'une suite de serviteurs et d'artisans par la permission expresse de l'Inka. Le général Kalikučima, au dire d'Estete, avait à sa disposition des hommes de peine chargés d'approvisionner sa maison, des ouvriers habiles à travailler le bois, trois ou quatre portiers et d'autres Indiens en grand nombre pour le servir 62. Nous retrouverons les hauts fonctionnaires civils quand nous parlerons de l'organisation administrative péruvienne.

La hiérarchie religieuse était absolument distincte de la hiérarchie civile, quoique au sommet les deux hiérarchies se confondissent. dans la personne de l'Inka. Le chef de la religion, le grand prêtre, toujours oncle ou frère du souverain, était un amauta, vivant dans une éternelle contemplation, ne mangeant jamais de viande et ne buvant que de l'eau. Aux jours de fête, ce pontife portait sur la tête une tiare ornée d'un soleil en or, couverte de plaques d'or et de joyaux et surmontée de plumes d'oiseau ; sous son menton passait une demi-lune en argent, sur sa robe de laine blanche bordée de rouge scintillaient des pierres précieuses et des ornements en or, des bracelets du même métal s'enroulaient autour de ses bras ; il avait sous ses ordres un grand nombre de prêtres, dont beaucoup résidaient en province et qui officiaient à tour de rôle pendant un certain nombre de jours. Enfin, à un degré inférieur de la hiérarchie, on trouvait les devins qui séjournaient dans les vestibules des temples, et les gardiens des lieux sacrés 63.

Également hiérarchisées, comme nous l'avons vu, étaient les femmes de l'Inka. La souveraine en titre, la Koya, portait dans les cérémonies officielles un vêtement presque aussi magnifique que celui de son époux ; elle était couverte d'un large manteau de couleurs diverses en tissu des plus fins attaché par une grande épingle ciselée en or et sa tête était ornée d'un diadème d'or et de fleurs. Nul ne devait s'approcher d'elle sans se prosterner et nul ne devait la regarder en face ; des serviteurs en grand nombre l'entouraient et, pour lui éviter tout contact avec le sol, disposaient à terre devant elle des étoffes qu'ils retiraient ensuite 64.

C'est ici que nous devons mentionner une institution qui paraît avoir beaucoup étonné les Espagnols, celle des Vierges du Soleil. Ces jeunes filles, choisies pour leur beauté par les gouverneurs dans toutes les provinces, étaient réunies dans des maisons où elles passaient un certain nombre d'années. Elles étaient réparties en six catégories suivant leur classe sociale : la première était formée par des filles de grands personnages ; la deuxième comprenait des filles de dignitaires moins importants, celles-ci filaient et tissaient pour l'Inka; dans la troisième étaient groupées des filles d'orejones ; la quatrième était composée de chanteuses ; dans la cinquième étaient réunies les filles les plus belles des Indiens ordinaires ; dans la sixième se trouvaient des filles étrangères à Cuzco, chargées de travailler les terres de l'Inka 65. Ces vierges vivaient dans des palais entourés de jardins où elles recevaient une instruction pratique, couture et cuisine, et religieuse, entretien des temples et ordre des cérémonies. Leur temps d'études écoulé, quelques-unes étaient consacrées au Soleil, c'est-à-dire cloîtrées à Cuzco. Elles devenaient alors les épouses de cet astre et ne devaient jamais voir un homme, fût-il l'Inka ; elles étaient servies par des jeunes filles de haut rang et passaient leur temps à offrir des sacrifices au Soleil, à filer des vêtements pour le monarque, à préparer les pains et les boissons destinées aux offices des jours de grandes fêtes. Les chroniqueurs les qualifient de religieuses et leur maison de couvent 66.

Les jeunes filles qui n'étaient pas consacrées au Soleil étaient prises par l'Inka pour concubines ou données en mariage par lui aux grands dignitaires, les vierges de la première classe aux personnages les plus importants, celles de la deuxième à des chefs moins considérables et ainsi de suite.

Il y avait donc deux catégories de maisons, que les auteurs confondent parfois 67 : d'une part, celles de noviciat, avec un but à fa fois religieux et profane, et de l'autre le couvent, de Cuzco purement religieux 68. Les premières seules peuvent être traitées de magasins de femmes, comme le fait Bandelier avec quelque mépris 69.

Enfin il faut distinguer les religieuses cloîtrées dont nous venons de parler et les oel'a, femmes ayant fait vœu de chasteté, mais vivant chez elles et très respectées de leurs semblables. De tels vœux ne devaient pas être faits à la légère : au moindre manquement, la coupable était brûlée vive. Quant aux femmes du Soleil qui perdaient leur honneur, elles étaient enterrées vivantes, leur complice pendu, et la ville même où ce malheureux vivait était détruite 70. Une autre catégorie sociale qui doit figurer dans l'élite et qui pourtant n'est pas de souche inka, est celle des gouverneurs locaux ou kuraka, improprement appelés par les Espagnols caciques, mot emprunté au vocabulaire de Saint-Domingue. Respectueux des institutions établies, les Inka laissaient an place les chefs qui avaient accepté leur domination, même après de longues guerres 71. On trouvait ainsi dans toutes les provinces deux catégories d'agents supérieurs régionaux, d'une part ceux qui étaient nommés par le pouvoir central et de l'autre les kuraka dont beaucoup étaient héréditaires, comme nous le verrons plus loin. Ces derniers fonctionnaires ne différaient des premiers que par leur origine ; ils étaient englobés dans la même hiérarchie administrative, en sorte que des fonctions identiques étaient exercées, suivant les circonscriptions, tantôt par des Indiens venant de la capitale, tantôt par des Indiens originaires de ces circonscriptions elles-mêmes. Dans les seules provinces voisines de Cuzco qui formaient le berceau de l'Empire, les kuraka avaient disparu 72. Certains auteurs espagnols ont confondu ces personnages, Cobo par exemple et même Santillán 73. Le vice-roi F. de Toledo a porté cette confusion à son comble en cherchant à établir que l'Inka nommait et révoquait à sa guise les kuraka ; considérant le Roi d'Espagne comme substitué au monarque disparu, il comptait en profiter pour remplacer les chefs indiens par des Espagnols et détruire ainsi tout vestige d'autonomie régionale 74. Par contre, les gouvernements nommés jadis par l'Inka ont cherché au moment de l'écroulement de l'Empire, à se faire passer pour kuraka, de manière à devenir héréditaires, et les kuraka de leur côté ont tenté d'éliminer les gouverneurs et de reconquérir le pouvoir dont ils jouissaient avant d'avoir été soumis par les Inka. On comprend que, dans ce chaos, les enquêteurs espagnols d'abord et les historiens modernes ensuite aient eu quelque peine à se reconnaître.

Les renseignements donnés par les premiers chroniqueurs eux-mêmes sur les kuraka, quoique spécifiant nettement leur caractère, sont vagues et contradictoires au sujet de leurs attributions. Rien d'étonnant à cela : tous ces chefs devaient jouir de pouvoirs différents suivant le rang qu'ils occupaient dans l'administration. Pourtant il existait des règles qui les concernaient spécialement. Tous les ans, ou tous les deux ans, suivant la distance où ils se trouvaient de Cuzco, ils étaient tenus de se rendre dans cette capitale et leurs fils devaient y résider, afin de recevoir une éducation spéciale 75. En outre, l'Inka donnait à chacun d'eux une femme de sa race. C'étaient là des mesures d'assimilation fort habiles et qui paraissent avoir en général réussi.

Quant à la succession des kuraka, elle se réglait différemment suivant les pays. Cobo écrit qu'elle passait au fils aîné, ou si celui-ci était incapable au deuxième fils, ou à défaut de fils, au frère. Herrera indique comme ordre de succession le frère, puis le fils aîné, ou bien le fils aîné, puis le cadet. Dans la région de la Paz, le successeur était un frère ou sinon un neveu 76. Parfois les sujets eux-mêmes choisissaient le fils du kuraka qu'ils préféraient, cas très rare où le peuple était appelé à se prononcer 77. Garcilaso écrit que Pačakutek confirma le système successoral « conformément à l'antique coutume de chaque province ». De même dans le nord de l'Empire, selon A. Bello Gayoso, « l'ordre de succession des caciques varie suivant les provinces, tantôt frères, tantôt fils, tantôt neveux » 78. Remarquons toutefois que l'Inka intervenait lui-même fréquemment ; dans la province de Huamanca, il choisissait un des fils ou à défaut un proche parent 79. Betanzos rapporte que l'héritier était désigné parmi les enfants de la femme donnée par l'Inka au kuraka défunt 80.

Peut-être même dans certaines provinces, l'Inka avait-il jugé nécessaire de ne point tenir compte des règles coutumières et de supprimer l'hérédité des charges comme le dit Sarmiento 81. En somme, il semble que l'Inka en général désignait le successeur du kuraka, mais en respectant la coutume locale.


Le peuple

Nous étudierons au cours de ce travail la condition des hommes du peuple, des hatunruna. Quelques-uns d'entre eux se trouvaient placés dans la hiérarchie sociale un peu au-dessus de la masse des contribuables, c'étaient les petits fonctionnaires qui formaient un embryon de classe moyenne 82 et peut-être les fondeurs, argentiers, lapidaires et autres ouvriers d'art que Velasco appelle « citoyens d'honneur » 83. Mais la grande majorité de la ­population était composée d'agriculteurs.


Les yanakuna

Cette catégorie d'Indiens se trouve placée en marge de la société inka ; elle comprend des individus qui sont de véritables esclaves et d'autres devenus grands dignitaires. Il y a là un état de choses tout à fait anormal dans la société stratifiée de l'ancien Pérou.

Le premier sens du mot yanakuna fut certainement péjoratif. Lors d'une conjuration conduite contre Tupak-Yupanki par un de ses frères, 6 000 Indiens convaincus d'avoir fabriqué des armes pour le compte des révoltés furent rassemblés dans la ville de Yanayaku afin d'y subir un châtiment exemplaire. La sœur et épouse du monarque demanda grâce pour eux et l'Inka pardonna, mais il condamna les coupables à servir les vainqueurs, eux et leurs descendants 84. Comme le dit Cieza de León, les yanakuna étaient des « domestiques héréditaires », criados perpetuos 85.

C'est le seul cas au Pérou où une tribu ait été réduite en esclavage et encore était-ce une mesure d'humanité, car les conjurés et leurs complices avaient encouru la peine de mort. Si les souverains étaient pleins de mansuétude pour les ennemis vaincus, ils n'avaient aucune pitié pour les révoltés.

On dira peut-être, il est vrai, que s'il n'existait pas d'esclavage au Pérou, c'est parce que la population entière était esclave. Il faut bien avouer que dans un système quasi-socialiste la différence entre l'homme libre et l'esclave est parfois difficile à faire.

Or, il arriva que ces Indiens furent mêlés aux autres serviteurs fournis à titre de tribut au monarque comme nous l'expliquerons, et dont ils ne semblent avoir différé que par le caractère héréditaire. Tous furent appelés yanakuna ; par suite, leur nombre s'accrut, d'autant plus que chaque nouvél Inka avait droit à une domesticité, et que le même nom fut également donné aux serviteurs des kuraka et des grands fonctionnaires. Le souverain distribua des yanakuna, comme des femmes ou des marchandises, en guise de présents à ses sujets 86.

Les yanakuna ne relevaient pas des juges ordinaires et ne se rattachaient à aucun organisme local ; ils n'étaient pas comptés dans les statistiques, parce qu'ils n'étaient pas contribuables, leur travail appartenant exclusi­vement à leur maître 87. Aux armées, ils accompagnaient les troupes pour porter les bagages 88, plusieurs d'entre eux étaient employés au service des temples 89.

L'évolution ne s'arrêta pas là ; un peu de la gloire de l'Inka rejaillit sur ceux qui l'entouraient, et le service de l'homme-dieu fut considéré comme un honneur. Les provinces lui envoyèrent en tribut les meilleurs parmi les jeunes gens pour être yanakuna. Bien plus, les serviteurs attachés à la personne d'un haut fonctionnaire ou d'un prince royal finissaient par faire partie de la maison, par gagner la confiance du maître, par obtenir des faveurs et des prérogatives. Quelques-uns d'entre eux devenaient ainsi des personnages considérables ; l'Inka les nommait gouverneurs et leur donnait des femmes 90. En sorte que, parfois, par un singulier paradoxe, ceux qui remplissaient les emplois les plus modestes parvenaient à briser les barrières qui séparaient les castes entre elles et à s'élever aux plus hautes situations.

Si les yanakuna, même lato sensu, étaient en nombre restreint au temps des Inka, relativement à la masse des agriculteurs, ils devinrent au contraire extrêmement nombreux à l'époque de la domination espagnole. Il est vrai que le sens du mot s'élargit encore. Les conquérants appelèrent yanoconas les indigènes soi-disant volontairement attachés à la personne des Espagnols ou à un domaine, par opposition aux mitayos ou travailleurs forcés, et par suite ils désignèrent sous le nom de yanaconas tous les serviteurs. « Les Indiens de service nommés anaconas », dit une instruction royale du 16 août 1569 91, et Balboa écrit : « On désigne par yanaconas tous les Indiens employés au service domestique qui ne sont ni journaliers, ni mitayos 92 ». Suivant l'auteur anonyme de la Relación sobre el servicio personal de las Indias, les yanaconas sont des domestiques qui cultivent les champs, reçoivent un morceau de terre, la nourriture et le vêtement, mais ne peuvent quitter le domaine 93. Matienzo distingue quatre sortes de yanaconas : ceux qui servent les Espagnols dans leur maison, ceux qui travaillent dans les mines de Potosi et Porco, ceux qui cultivent la coca et ceux qui exploitent des terres pour leur propre compte 94. Au Paraguay, le mot désigne à nouveau les vaincus de guerre qui ont mérité un châtiment et sont constitués serviteurs héréditaires ; il revient ainsi par un long détour à on sens primitif 95.

La condition des yanakuna empira beaucoup après la conquête. Souvent les évêques ont dénoncé le véritable esclavage qui était imposé à ces pauvres gens 96. Les Espagnols faisaient des yanaconas à leur fantaisie et « comme ils n'en tenaient point compte, ils en perdaient, ils en refaisaient, en sorte que tous avaient des yanacona, même les nègres » 97 ; ils en furent punis, car ils créèrent ainsi une domesticité vicieuse, prête à tous les crimes, spécialisée dans la pratiqué de l'espionnage, qui fut la plaie du Pérou et dont ils ne surent comment se débarrasser. Beaucoup de ces serviteurs ayant quitté leur maître, vivant de métiers inavouables, allant « jusqu'à voler les lampes des églises » 98, constituèrent un milieu de déclassés et de miséreux.


Dans la société précolombienne, les yanakuna nous offrent l'exemple d'In­diens réussi sant à'passer d'une caste dans l'autre. Il semble que ce cas ne soit pas unique. Velasco affirme que plusieurs individus « de petites oreilles », suivant son amusante expression, furent chargés par Huayna-Kapak de remplir de hautes fonctions civiles en Équateur, et il cite un Kañari du nom de Capera, qui devint gouverneur de province, bien que n'étant pas orejón 99.

La hiérarchie militaire offrait de même aux individus certaines possibilités d'ascension sociale. Le général Kalikučima, matif de la province de Puruha, n'était pas orejón 100.

Le souverain permettait donc parfois aux Indiens du peuple qui se disin­guaient par leur mérite de s'élever au niveau de l'élite. Mais ces cas demeuraient très rares et peuvent être considérés comme exceptionnels. Le principe est celui d'une séparation rigoureuse entre les castes, non pas celle des vainqueurs et celle des vaincus, puisque les chefs des nations soumises faisaient partie de la caste supérieure, mais bien celle des dirigeants et celle des dirigés.

La marque de la caste résidait dans le costume : les hatunruma devaient porter des vêtements identiques, la coiffure seule différant de province à province ; c'était là une véritable innovation des Inka, car les dessins des poteries trouvées sur la côte attestent que jadis une grande latitude était laissée aux habitants pour leurs vêtements et leur coiffure 101. L'élite portait des signes distinctifs apparents : coupe de cheveux, bandeaux sur le front, vêtements spéciaux. Les gens du peuple pouvaient obtenir le droit de porter des pendants d'oreilles, mais ceux-ci devaient être d'une matière banale : bois, laine, jonc, et ne pas dépasser certaines dimensions. Le trou percé dans les oreilles devait toujours être inférieur de moitié à celui percé dans les oreilles de l'Inka 102.

Dans l'élite elle-même, les Inka occupaient une place à part. Peut-être avaient-ils une langue spéciale, distincte du kičua imposé au peuple, du moins Garcilaso le prétend-il. Il est extrêmement fâcheux que nous soyons réduits à des conjectures sur ce point, car la connaissance de la langue des conquérants péruviens jetterait un grand jour sur leur origine 103. Ce qui est certain, c'est qu'eux seuls pouvaient porter des ornements d'or ou d'argent, des pierres précieuses, des plumes d'oiseau et des vêtements en laine de vigogne ; mais le souverain accordait souvent quelques-uns de ces droits, à titre de récompense, à de grands personnages 104.

En général, on le voit, les castes demeurent bien séparées, et l'étendue des connaissances comme le mode de vie diffèrent suivant le rang social. Une hiérarchie exacte se poursuit parallèlement dans tous les domaines. Toujours le pouvoir vient d'en haut et les dirigeants sont instruits de manière à l'exercer pour le plus grand bien de tous. C'est sur ces principes féconds que s'édifie la fortune de l'Empire 105.

Dans l'ancien drame kičua Ol'antay, l'Inka répond en ces termes à un général assez présomptueux pour lui demander la main d'une princesse : « Rappelle-toi que tu es un simple sujet, chacun à sa place ; tu as voulu monter trop haut » (Scène III).

Malheureusement cette élite, objet de tant de soins, a été détruite en peu d'années, d'abord par Atahualpa, cet usurpateur qui, pour être sûr de régner, fit un grand massacre des Inka, puis par les Espagnols qui tuèrent Atahualpa lui-même. Alors l'équilibre social fut rompu, les connaissances tombèrent dans l'oubli et le peuple habitué à obéir erra comme un chien sans maître.


Notes

1 La classe dirigeante peut être appelée caste, car elle jouissait, comme nous le verrons, d'un statut personnel différent à certains égards de celui de la masse et elle répugnait aux contacts et aux mélanges avec celle-ci.

2 Cobo, Historia, liv. 12, ch. 22.

3 Herrera, Historia general, déc. 4, liv 9, ch. 3.

4 Velasco, Historia, 1. 3, p. 43.

5 P. Angrand, Lettre sur les antiquités..., p. 12.

6 Comme l'écrit Letourneau dans son Evolution de la-morale. V. Belaunde, El Peru antiguo, ch. 8, p. 73.

7 Prescott, Histoire de la conquête du Pérou. Trad. franç., t. I, p. 94.

8 Algarotti, Saggio sopra l'imperio degl' Incas. Trad. franç. du Mercure de France, 1760, t. II, p. 92. Pour corriger dans une certaine mesure le ridicule de cette phrase, le traducteur de l'édition de 1769 a écrit : « Ils prêchaient l'épée à la main et combattaient avec le bâton pastoral » (Lettres sur la Russie, p. 304).

9 Exemple de cette confusion : Payne. History..., t. 2, p. 548. – Wiener est un de ceux qui ont vu le plus juste (Bolivie et Pérou, p. 714) avec Markham (The Incas of Peru, p. 98) et A. Réville (Histoire des religions. Paris, 1885, t. 2, p. 369).

10 Morua, Historia, p. 20.

11 Markham, The Incas of Peru, ch. 8. – Les Indiens pensaient qu'une force cosmique universelle pénétrait tout l'univers et s'accumulait en certains objets, qui devenaient alors huaka (Capitan, Les huakas des tombes péruviennes. 21e Congrès international des Américanistes. Göteborg, 1924).

12 L'élément spirituel semble être surtout un apport de la civilisation des Čimu. Beuchat imagine que le dieu Virakoča, originaire de pays aymará, et le dieu Pačakamak, originaire de la côte, ont pris place simplement à côté du Soleil, comme les autres divinités des nations conquises (Manuel, p. 616), Par contre, Markham estime que Pačakamak a fait partie de la religion des Inka (Introduction à Reports on the discovery of Peru. Londres, 1872). L'interprétation que nous donnons au texte nous paraît la plus vraisemblable, étant donnée la différence de faculté de compréhension qui existait entre l'élite instruite et la masse ignorante. Ce n'est pas un des moindres mérites des Inka que de s'être mis toujours à l'école des vaincus. Ils ont beaucoup emprunté au point de vue matériel au Royaume de Quito ; ils ont peut-être aussi emprunté au point de vue spirituel au Royaume des Čimu.

13 « Chez les Grecs et les Romains comme chez les Hindous, la loi fut d'abord une partie de la religion. » F. de Coulanges, La cité antique, 4e éd. Paris, 1872, p. 221.

14 Par exemple, la loi sur l'ivrognerie avait été interprétée par les amauta en ce sens que seuls les ivrognes allant jusqu'à perdre la raison devaient être punis. Relación de las costumbres antiguas de los naturales del Peru. Tres relaciones. J. de la Espada, p. 200.

15 Brehm, Inka-Reich; p. 201. – Hanstein, Die Welt des Inka, p. 30. Brehm s'est inspiré de la relation anonyme précitée qui figure dans les Tres relaciones de J. de la Espada, p. 200.

16 Carta para el Dr. de Liébana, p. 153. Les auteurs espagnols qui ont eu connaissance des lois de l'Inka comme Garcilaso, ont affirmé leur caractère de généralité; ceux au contraint qui ont été surtout au courant des coutumes locales ont été frappés par leur diversité et sont allés jusqu'à nier l'existence de lois d'Empire. C'est ainsi que Santillán écrit : « Il ne semble pas que les Inka aient eu des lois déterminées pour chaque chose » (Relación, par. 12).

17 Ondegardo, Relacion, p. 64.

18 Principe de sociologie, trad. franç., 1891, 2e éd., t. 3, p. 695.

19 Hamy, Notes sur six anciens portraits d'Incas du Pérou conservés au Musée d'ethnographie du Trocadéro. Compte rendu à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1897.

20 R.Falb, dans un curieux chapitre, cherche à démontrer que la borla était le symbole du ser pent (Das land der Inca, in seiner Bedeutung für die Urgeschichte der Sprache Ûnd Schrift, Leipzig, 1883, p. 195).

21 Garcilaso déclare que cet oiseau est très rare et Prescott répète cette affirmation ; nous pouvons assurer qu'il n'en est rien, en ayant tué nous-mêmes dans les paramos du Cotopaxi.

22 De Rivero et Tschudi estiment que la cour de l'Inka pouvait compter jusqu'à 8 000 personnes, mais nous ignorons sur quels documents ils basent ce chiffre fantastique que Cevallos reproduit sans commentaires. (Rivero et Tschudi, Antiquités Péruviennes, trad; franç., p. 207 ; Cevallos, Resumen..., p. 126). Nous trouvons mention d'un préposé aux vêtements dans une Información hecha en el Cuzco el 13 de mayo de 1571 (Colección de libros españoles raros ó curiosos, t. 16, p. 211).

23 F. de Jerez, Verdadera relación, p. 335. – Zárate, Historia, ch. XI. – Las Casas, Apologética, ch. CCLV. Le même cérémonial était en usage chez les Čibča de Colombie. Joyce, South-American Archaeology, p. 18. – Oviedo y Valdés, Historia general, 2e partie, liv. 26, ch. 23.

24 F. de Jerez, Verdadera relación, p. 335. – Pedro Pizarro, Relación, p. 247. – Gómara, Historia, ch. CXX. – Oviedo y Valdés, Historia general, t. 4, ch. 9. – Morua, Historia, p. 84.

25 Garcilaso, Comentarios, liv. 7, ch. 10.

26 Prescott, Histoire. Trad. franç., t. 2, p. 136.

27 Prescott, Histoire. Trad. franç., t. I, p. 169.

28 Varias noticias curiosas sobre la provincia de Popayan. Coleccion de documentas dei Archivo de Indias, t. 5, p. 487.

29 Comentarios, liv. 9, ch. XI.

30 Zârate, Historia, liv. l, ch. 6. – Gómara, Historia general, 1ère partie, p. 527. – Herrera, Historia general, déc. 4, liv. 7, ch. 10.

31 Restrepo, Los Chibchas..., p. 92, 113, 210.

32 Vraisemblablement, les sacrifices humains n'avaient pas disparu entièrement, car tous les auteurs en parlent, sauf Garcilaso, fort suspect en la matière; mais ils étaient devenus très rares. Chez les Čibča, des enfants étaient spécialement entretenus dans le but d'être sacrifiés, Il est très possible, comme le prétend l'auteur de la relation anonyme (Tres relaciones, p. 144), que les animaux au Pérou aient peu à peu remplacé les hommes sur l'autel des sacrifices. Le farouche moine Vicente de Valverde lui-même reconnaît que les Péruviens ne sacrifiaient pas d'êtres humains, sauf en quelques provinces (Lettre à Charles-Quint, Cuzco, 2 avril 1539, M.S., in Helps, The spanish conquest, t. 3, p. 343). Sur le sens de ces sacrifices, les opinions diffèrent. V. R. Karsten, The civilization of the south-american Indians, Londres, 1926, p. 404 et suiv.

33 Cette morale, à base de prohibition, prenait sa source dans la réglementation inka et non dans la conscience individuelle ; elle se confondait avec le droit pénal (v. plus Ioin,ph. x).

34 Testament de M. S. de Leguízaino. Calancha, Corónica moralizada, liv. I, ch. 15, p. 98 – Quant à la dévotion, observance des lois, bonté, libéralité, loyauté, franchise, il nous a bien servi de n'en avoir pas tant qu'eux (les péruviens) : ils se sont perdus par cet avantage et vendus et trahis eux-mêmes. (Montaigne, Essais, liv. 3, ch. 6).

35 Brehm, Das Inka.Reich, p. 39. – Lorente, Historia antigua, p. 21. – Buschan, Illustrierte Völkerkundes, Stuttgart, 1922, t. I, p. 384. – Trimborn, Der Kollektivismus..., p. 996. Reproduisant les termes dont se sert Tschudi, J. Friederici traite les Inka d' « Autokraten wie die Geschichte keine absoluteren kennt, Tyrannen im wahrsten Sinne des Wortes » (Der Charakter der Entdeckung und der Eroberung Amerikas durch die Europäer. Stuttgart, 1925, t. I, p. 242). Martens cependant reconnaît aux orejones une certaine indépendance (Un Etat socialiste, p. 59).

36 Relación, p. 10.

37 Crónica. Segunda parte, ch. 39. – Urko n'était probablement pas encore devenu Empereur, mais il avait été désigné comme héritier du trône par son père. – Markham, The Incas of Peru, p. 82. – Sarmiento, Geschichte, ch. 29.

38 Histoire du Pérou. Trad. franç., p. 57.

39 Morua, Historia, p. 98, 99, 117, 121, 131. – Cobo, Historia, liv. 12, ch. 25. Parlant de la suite de l'Inka, Montesinos mentionne les conseillers (Memorias, ch. 22).

40 Les races aryennes du Pérou, p. 307.

41 Herrera, Historia general, déc. 5, liv. l, ch. 12.

42 Morua prétend que les Inka buvaient dans des vases d'un certain bois précieux qui fait la propriété de servir d'antidote aux poisons (Historia, p. 115), mais aucun autre auteur ne confirme ce fait.

43 C'est à tort que Garcilaso écrit : « Les Inka eux-mêmes ne commettent de délit parce qu'ils n'ont pas l'occasion d'en commettre » (Comentarios, liv. 2, ch. 15). Même erreur chez Perrone, Il Peru, p. 345.

44 Cette coutume, suivant Cobo, ne daterait que de Tupak-Yupanki. Historia, t. 3, liv. 12, ch. 11.

45 D. Fernández de Palencia donne à ce sujet des renseignements qu'aucun autre historien ne confirme. Selon lui, les Inka n'épousaient jamais une sœur de la même mère, mais une autre sœur qui devait être leur première femme et qui devenait la Koya. Historia, Segunda parte, liv. 3, ch. 5.

46 Morua, Historia, p. 129 – Santillán, Relación, par. 18. « Siempre se tenía cuenta con el que era mas hombre y para mas. » Castro, Relación, p. 216.

47 Ici encore, Fernández de Palencia s'écarte des autres auteurs. Selon lui, quand la Koya n'avait pas de fils, les principaux du choisissaient un héritier parmi les enfants des autres femmes de Inka et la Koya le prenait pour fils. – Historia, loc. cit.

48 Las Casas, De las antiguas gentes..., p. 215. – Garcilaso, Comentarios, liv. 4, ch. 20. Dans l'ancien drame Ol'antay nous trouvons la scène significative suivante :

Pied léger (Indien du peuple) : Qui donc prendra la place laissée par Pačakutek ? Si Tupak-Yupanki lui succède, beaucoup d'autres seront évincés. Cet Inka est mineur et il y en a d'autres majeurs.

L'astrologue : Tout le Cuzco l'a élu et le roi lui a légué sa couronne' et sa massue de commandement. Pourrait-on en élire un autre ? (Scène IX. Trad. Pacheco-Zegarra).

Le terme « élu » doit être pris dans le sens de choisi, désigné, et par « tout le Cuzco » l'astro­logue désigne l'ensemble des orejones, de souche royale pour la plupart, qui formaient la majeure partie de la population de la capitale. Ce passage indique combien était grande l'influence de l'élite.

49 Marcos de Niza, Relation. Trad. franç., p. 303.

50 Cinq de ces momies parfaitement conservées ont été découvertes par Ondegardo, alors corregidor de Cuzco. L'impression produite au Pérou par la mort d'Atahualpa, quoique celui-ci fut un usurpateur, fut énorme ; de nombreux- Indiens se suicidèrent pour suivre le monarque dans l'autre mondé. Herrera, Historia general, déc. 5,liv. 3, ch. 5.

51 Garcilaso, Comentarios, liv. 4, ch. 19. Dans la Russie bolchevique l'instruction aussi tend à être réservée à certaines c1asses sociales. Ne. sont admis dans les Universités que les candidats présentés soit par le parti, soit par le syndicat, et après enquête. Les fils de bourgeois n'ont point accès à l'enseignement supérieur (C. Gide, La Russie soviétique, La Flèche), 1924, p. 9). Mais il y a une différence considérable entre le système russe et le système inka ; les bolcheviks écartent les candidats en appliquant un critérium d'ordre politique, arbitraire ; les Inka n'admettent dans leurs écoles que les jeunes gens appartenant à une classe supérieure aux autres par les qualités intellectuelles et morales de ses membres.

52 Montesinos, Memorias, ch. 14 et 15. – Bingham, Inca-land, p. 310.

53 Tschudi, Conlribuciones... Pal, Amauta – De Beauchamp écrit que les amauta étaient essentiellement poètes. Histoire de la conquête, t. 2, p. 238.

54 Morua, Historia, p. 123.

55 Garcilaso. Comentarios, liv. VI, ch. 25. – Louis Baudin, La formation de l'élite et l'enseignement de l'histoire dans l'Empire des Inka, Revue des études historiques, avril 1927.

56 M. Rouma note que les dieux japonais du bonheur se distinguent par le développement exagéré du lobe des oreilles, remarque que l'origine asiatique probable des Indiens rend particulièrement intéressante (La civilisation des Incas, p. 25, n. 2). La preuve que cette coutume était antérieure aux Inka, c'est que le droit de porter des pendants d'oreilles était accordé à titre de récompense dans certaines tribus, par exemple... dans la vallée de Yucay (Joyce, South-American Archaeology, p. 129) et chez les Čibča de Colombie (Piedrahita, Historia general de las Conquistas del Nuevo Reyno de Granada. Anvers, 1688. Première partie, liv. II, ch. 4). De même au Mexique les chefs donnaient des pendants d'oreilles aux guerriers qui se distinguaient dans les combats (S. Blondel, Recherches sur les bijoux des peuples primitifs, Paris, 1876, p. 38).

57 Cette formation remarquable de l'élite n'est pas spéciale aux Inka, on trouve une forme d'initiation curieuse chez les Čibča : les jeunes gens destinés à devenir caciques étaient condamnés à une réclusion de 5 à 7 ans, tout commerce avec les femmes leur était interdit et ils subissaient certaines épreuves avant d'être reconnus pour chefs (Piedrahita, Historia general. Première partie, liv. I, ch. 5. – Restrepo, Los Chibchas..., p. 98).

58 Nous ignorons pour quel motif C. Mead écrit que le type physique des Inka était diffèrent de celui des autres Indiens ; cet auteur ne fournit aucune référence (Old civilizations.., p. 19).

59 Comentarios, liv. 7, ch. 1. – Prescott, doute de leur existence, mais de la Riva-Agüero la confirme. Examen de los comentarios, op, cit., p. 554. – V. Cobo, Historia, liv. 12, ch. 27.

60 Historia, 2e partie, liv. 3, ch. 5 – Lorente suppose que les Inka par privilège sont les descendants des premiers compagnons des conquérants (Historia antigua, p, 236).

61 Betanzos, Suma y Narracion, ch. 16. – D'après Marcos de Niza (Relation, trad. franç., p. 286), il y aurait eu jadis deux espèces d'orejones, les uns se rasant la tête, les autres laissant croître leurs cheveux ; les premiers auraient triomphé des seconds à la suite d'une guerre civile. Aucun auteur ne confirne ces indications très vagues.

62 Estete, in Jerez, Verdadera relación, p. 341.

63 Garcilaso, Comentarios, liv. 2, ch. 9 ; liv. 5, ch. 8. – Markham, The Incas of Peru, ch. 8. – Arriaga. Extirpación de la idolatria, passim. Certains prêtres étaient chargés de l'entretien des temples, d'autres des sacrifices ; peut-être existait-il des congrégations religieuses et des ermites (Relación anónima, in Tres relaciones..., p. 172). Il y avait pour le clergé un mode spécial de recrutement : entraient au service des temples tous les individus qui présentaient quelque caractère singulier, soit dans leur personne (épileptiques), soit en raison des circonstances particulières de leur naissance ou de leur vie (enfants venus au monde les pieds les premiers ail pendant un orage, jumeaux, estropiés de naissance, Indiens touchés par la foudre sans avoir été tués). On retrouve là cette conception qui est à la base du culte des huaka dont nous avons parlé : la divinisation des anomalies.

64 Morua, Historia, liv. I, p. 39, 45. – Markham, The Incas of Peru, ch. 8.

65 Morua, Historia, p. 199 et suiv.

66 Garcilaso, Comentarios, liv. 4, ch. l et 2. – Relación de la religión y ritos del Perú. Colección de libros referentes á la historia del perú, t. XI, p. 39. – V. Pareto, Traité de sociologie générale. Paris, 1917, t. I, p. 416.

67 Par exemple Hanstein. Die Weit des Inka, p. 59. – V. R. Karsten, The civilization of the south-american, Indians, op. cit, p. 396. – Les maisons de vierges se composaient d'une série de cellules ouvrant sur une cour centrale ; on en a trouvé. des vestiges à Pachacamac et dans l'île Coati (G. Buschan, Illustrierte Völkerkunde, op. cit., p. 406).

68 Peut-être y avait-il d'autres maisons d'épouses du Soleil dans certaines grandes villes de l'Empire (F. Pizarre. Carta. Trad. angl., p. 121).

69 The Islands of Titicaca.and Coati, 4e partie, n. 67.

70 Gacilaso, Comentarios, liv. 4, chap. 3 et 7.

71 Falcón. Representación..., p. 153. Castaing dit plaisamment : « Les curacas bien pensants recevaient l'investiture. » (Le communisme au Pérou, p. 19).

72 De la Riva-Agüero. Examen de los Comentarios, op. cit.

73 Relación, par. 19.

74 Les Informaciones traduisent cette préoccupation (tome 16 de la Colección de libros españoles raros ó curiosos p. 189). C'est dans le même but que Sarmiento prétend que les kuraka ont été dépossédés par les Inka et remplacés par des fonctionnaires (Geschichte, ch. 50).

75 Ils servaient en même temps d'otages. C'est pour ce dernier motif que le Pharaon aussi emmenait fréquemment avec lui un fils de seigneur et l'élevait avec ses propres enfants (Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient classique, Paris, 1895, t. 1, p. 300).

76 Cobo, Historia, liv. 12, ch. 25. – Herrera, Historia general, dec. 5, liv. 4, ch. 1 et ch. 3. –­ D. Cabeza de Vaca, Descripción y relación de la ciudad de la Paz. Relaciones geográficas, t. 2 p. 72.

77 Garcilaso, Comentarios, liv. 9, ch. 10.

78 Garcilaso : « Aprobó las Erencias de los Estados y señorios, conforme á la antigua costumbre de cada provincia ó reyno... » (Comentarios, liv. 6, ch. 36). – Bello Gayoso, « Relación que envoi á mandar S.M. se hiziese desta ciudad de Cuenca y de toda su .provincia » (Relaciones. geográficas, t. 3, p. 217).

79 Damian de là Bandera. Relación, p. 101.

80 Betanzos. Suma y Narración, p. 77.

81 Sarmiento. Geschichte, chap. 50 et 52.

82 Means. La civilización precolombina de los Andes, op. cit., p. 230.

83 Historia, liv. 2, par. 8.

84 Balboa. Histoire du Pérou. Trad. franç., ch. 9. – Sarmiento raconte une histoire analogue, mais plus sommairement. Geschichte, ch. 51.

85 Crónica. Segunda parte, ch. XVIII. En kičua, yana veut dire serviteur et kuna est la marque du peuple. Gómara, dans son Historia general, confond les yanakuna et les mitimaes, et Beuchat également (Manuel, p. 601).

86 Ondegardo, Relación, p. 96. – C. de Castro, Relación, p. 218. – Balboa, Histoire du Pérou, loc. cit. V. Pareto qualifie à tort les yanakuna de serfs, et croit à tort également qu'il en existait un grand nombre (Les systèmes socialistes. Paris, 1902, t. I, p. 189 et suiv., Cours d'économie politique. Lausanne, 1897, t. 2, p. 361).

87 Santillán, Relación, par. II.

88 Tel le père d'Alonso Cuxi Illa, interrogé par les enquêteurs espagnols en 1571 (Información hecha en el valle de Yucay. Colección de libros españoles raros ó curiosos, t. 16, p. 216).

89 Cieza de León, Crónica. Segunda parte, p. 61 et 63.

90 C'est ainsi qu'un serviteur de Tupak-Yupanki devint fonctionnaire à Huallpa, près de Cuzco (Información hecha en el valle de Yucay, loc. cit., p. 215). – Santillán, Relación, par. 34 et 36.­ – Trimborn, Der Kollektivismus..., p. 999.

91 Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 25 p. 241.

92 Histoire du Pérou, loc. cit.

93 Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 6, p. 221.

94 Gobierno del Perú, ch. 8.

95 Lugones, El Imperia jesuítico, 2e éd. Buenos-Aires, 1908, p. 135. – Pablo Fernández, Orga­nización social de las doctrinas guaranies de la Compañia de Jesus. Barcelone, 1913, t. 2, p. 9. Nous ne parlons pas des erreurs manifestes, comme celle de cet éditeur qui, en note d'un article d'A. Ugarte, explique aux lecteurs que le yanakona est un lot de terre attribué au yana (Inter-America, oct. 1923 , p. 36, n. 5).

96 Lettre de l'évêque de Cuzco. Colección de documentos del Archivo de Indias, t. 3, p. 92. Officiellement, l'esclavage des Indiens fut aboli en 1542 et de nouveau en 1553, et un fonctionnaire spécial fut chargé de veiller à l'application de cette mesure.

97 Santillán, Relación, par. 83. – Herrera, Historia general, déc. 5, liv. 10, ch. 8.

98 Matienzo, Gobierno del Perú, p. 74. – Les ordenanzas de tambos de 1543 font allusion aux dégâts commis par les yanaconas dans les tambos situés sur les routes (Revista histórica de Lima, 1908, p. 496).

99 Velasco, Historia general, t. 2, p. 45.

100 Velasco, Loc. cit. – Cobo exagère lorsqu'il dit en parlant de l'armée : « Era el único título para adelantarse en puestos honorosos, y apenas habia otro camino que este por donde vimesen á subir y valer » (Historia, liv. 14, ch. 9).

101 Joyce, South-American Archaeology, p. 129.

102 Garcilaso, Comentarios, liv. I, ch. 22.

103 Garcilaso note 11 mots de la langue spéciale des Inka et déclare ignorer le sens de 10 d'entre eux, Markham ne croit pas à l'existence de cette langue et il suppose que l'erreur de Garcilaso vient de l'emploi par les Inka de certains mots dans un sens différent du sens ordinaire (On the geographical positions al the tribes which formed the Empire of the Yncas, op. cit., p. 292). Tschudi et Brinton nient également l'existence de cette langue (Organismus der Khetsua-Sprache,..Leipzig, 1884, p. 65. – The american race, New-York, 1891, p. 204). Pourtant les Cane, établis à l'est des Andes boliviennes et conquis par les Guarani, ont conservé une langue secrète, leur propre langue d'autrefois, l'arawak (Rivet in : Les langues du monde, op. cit., p. 692).

104 Garcilaso, Comentarios, liv. 6, ch. 35.

105 Quelle est au juste l'importance numérique de l'élite ? Nous l'ignorons. Les familles des hauts fonctionnaires polygames et surtout des Inka étaient sensiblement plus nombreuses que celles des hatunruna. Means évalue la classe dirigeante à 100 000 personnes, mais ce chiffre est hypothétique (Means, A study..., p. 457).


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